Le réveil de Pierre Eydoux

 Dans Nouvelles, Rats

Pierre Eydoux s’approcha de la fenêtre, considérant le ciel parqueté de toits d’immeubles. L’ étrange sensation l’envahissait, similaire à celle qu’il avait eu quand il avait rouvert les yeux au cinquième étage, dans sa minuscule chambre de bonne. Il s’était réveillé d’un cauchemar, sans pouvoir se rappeler de son contenu, pas plus que du moment où il s’était assoupi.
Mastiquant la salive solidifiée dans sa bouche, il tira le loquet, et sorti la tête par l’embrasure. C’était une belle journée d’été, ou de printemps. Les oiseaux gazouillaient dans les arbres du parc, enjolivant le calme de la cité. De temps en temps, une voiture passait dans la rue, semblant déambuler comme un visiteur de musée. Pierre Eydoux eut envie de descendre dans son jardin. Il fit un pas vers la porte d’entrée, mais se figea aussitôt. Son jardin… Il n’avait pas de jardin. Comment aurait-il pu en avoir un, dans cette pièce étriquée, tout en haut d’un immeuble ? Pourtant, cette certitude ne voulait pas disparaître : il savait qu’il avait un jardin. Avec des figuiers , des cyprès, et des mimosas. Avec un petit sentier de gravier saturé d’odeurs, de cris de cigales, de pignes et de pommes de pins, qui partait du portail jusqu’à la maison. Mais quelle maison ? Ce n’était pas une réminiscence…
Le clic-clac grinça en recevant ses fesses. Pierre, désorienté, parcouru le studio du regard. Il reconnaissait très bien le panorama . De gauche à droite : une armoire à linge encastré dans l’angle où la soupente devenait le plafond. Le fenestron carré qu’il avait ouvert pour regarder dehors. Une table et une chaise, tenant lieu de bureau, à en croire l’ordinateur et les papiers en désordre posés là. Derrière eux, un miroir, qu’on avait recouvert de feuilles scotchées ensembles . Ensuite, une autre fenêtre, identique à la première. Le plafond redevenait une soupente après celle-ci. Tout le long du mur d’en face était un comptoir. Il y voyait les plaques électriques, l’évier, le petit frigo et le rideau cachant les réserves de nourriture. Après cela, la cloison revenait vers lui, en ligne de fuite. La porte de la salle de bain s’encastrait dans cette paroi qui, tournant à angle droit, offrait la vision d’étagères chargées de livres, de disques, et de films. Un ultime virage des briques vers son coté sans cœur laissait voir la fameuse entrée blindée qu’il n’avait pas osé franchir.
Son regard termina le panoramique en s’abaissant au niveau de la moquette, rouge, puis en allant se percher sur la poutre apparente qui soutenait le toit. Sa gorge se noua devant cette vision.
Au même instant, le museau pointu de Johnny Moisy surgit d’une vieille édition de poche. Son nez rose huma l’air à toute vitesse, repérant les alentours. Son profil de requin s’avança, et le rat blanc se dévoila enfin. Il tortilla son corps souple entre les bibelots, sans en faire tomber aucun, pour s’intéresser à une pile de disques compacts, étirant son long corps de saucisse afin de grimper dessus.
Une prémonition poussa Pierre à se jeter paumes en avant en direction du rongeur. Bien lui en prit. La tour de plastique flancha sous le poids de l’animal curieux. Les boîtiers s’éparpillèrent par terre, et le rat tomba dans le creux de ses mains. Moisy eu l’air surpris par la cascade. Il fit mine de se nettoyer, en passant les pattes par dessus ses oreilles, puis remonta le long du bras de Pierre, en poussant de petits ultrasons reconnaissant. Se sentant à son aise, il se lova dans le creux du cou de son maître, qui ramassait ce qui était tombé. Quand ce dernier eu fini de rassembler les disques, le rat sauta au sol, et fonça dans la réserve.
L’homme se leva, en profitant pour jeter un coup d’œil aux titres des bouquins, une floppée de classiques universitaires. Tolstoï, Distoïevsky, Pouchkine, Gogol, Poe, Burroughs, Kerouac, Ovide, Homère, Bashō, Rampo, Mishima, Hugo, Maupassant, France, Verne, Stendhal, Chateaubriand, Toqueville, de Gaulle… de Gaulle ?
Il pouvait relier chaque œuvre à un cours de la fac où à un goût particulier, mais de Gaulle ? Il pris le recueil examina la couverture, haussa les épaules, et le reposa.
A coté de l’intrus de papier, se trouvait une casquette. Une très belle casquette officielle, d’un bleu nuit insondable, décorée de broderies d’or. Machinalement, il la mit sur sa tête. Il se sentit investit de hautes responsabilités , et bien que le miroir soit calfeutré, il imagina sans peine son allure de commandant de bord.
Il revint vers la fenêtre, pour sentir la hauteur. Le paysage avait changé. Un océan noir et furibond avait pris la place de la métropole écrasée sous la soleil .Le ciel saumâtre s’embourbaient dans les eaux froides, tandis qu’a ses pieds, s’étendait une lande à la végétation rabougrie. Du haut du phare où il se trouvait, le vent hurlait comme un fou qui tombe. Ses lèvres murmurèrent un nom : Saint Pierre et Miquelon. Une stupeur molle le fit reculer d’un pas. Ce n’était pas tant le changement de décor qui l’eut surpris, mais qu’il sache avec un certitude incontestable le nom de l’endroit où il se trouvait maintenant. Saint Pierre et Miquelon… Il fit un pas en avant, c’était de nouveau la ville du sud.
Les rideaux du garde manger s’écartèrent brusquement. Un paquet de spaghetti bondit a travers la pièce, pour sautiller jusqu’au clic-clac. A part le rat, Pierre ne sentait aucune présence. Pourtant, il associait le petit quadrupède à une femme. Il était sur que Moisy n’avait pas fait son apparition avant que lui ne se fut mis en couple, sentant son sexe se fourrant dans un trou chaud. Spongieux, il se rassit, en écoutant le bruit de grignotement. Le bruxisme opérait comme un mantra. Le sommeil le gagna. De nouveau il rêva.

Il était en Afrique, la winchester au poing, le stetson sur le crâne. Deux boys se tenaient sur ses flancs, fusils en main également. L’éléphant avait saccagé les cases. L’ingestion de fruits trop mûrs l’avait rendu saoul, et l’ivresse avait suscité une frénésie destructrice plus franche que chez la plupart des humains. Ses bottes s’enfonçaient dans la terre, il en sentait toute la puissance, les vibrations transmises par le pachyderme, les vibrations des tams-tams qui se prévenaient de la menace. Le sol du songe paraissait plus tangible que celui de la réalité, plus friable, plus solide. Pierre Eydoux savait précisément où il était, et ce qu’il devait faire.

Un boy cria « l’éléphant ! Il est là ! » en pointant son index noir vers l’est. En effet, un grand mâle ombrageux s’occupait, de colère, à déraciner un arbre. Son œil obscurcit par l’alcool traduisait un appétit de destruction qu’il n’avait vu que chez quelques ivrognes du quartier, juste avant qu’il ne sombrasse dans un profond coma. Mais ce saoulard là pesait plusieurs tonnes, et il était bien décidé à ravager tout ce qui passerait à la portée de ses défenses brisées. Pierre épaula, visa au dessus de l’épaule de l’animal, et tira.

La balle manqua la cible, mais pas l’attention de la bête sauvage. Elle fit volte-face, gratta le sol de sa patte avant, s’apprettant à charger.

« Il va nous foncer dessus, missié ! » dit l’autre boy.
« Je sais, imbécile, passe moi l’autre fusil. »
Le noir, les genoux flageolants, s’exécuta. Pierre Eydoux lui prit vivement l’arme, et recommença à viser. Le monstre fonçait sur eux, mais il devait attendre le bon moment, pour placer son tir droit entre ses deux yeux. Une seule chance, un seul essai. Les boys marmonnait des incantations en salah, à moins que ce ne soit des malédictions à son encontre, lui le blanc qui les avait emmené dans cette galère. Le tonnerre qui accompagnait le galop du béhémoth se rapprochait. Cinquante mètres, quarante mètres, trente mètres, vingt-cinq mètres. La sueur dans son œil cligné, Pierre bloqua sa respiration, et fit feu à nouveau.

La détonation le réveilla. Il était assis dans le clic-clac, de la bave coulant du coin de sa bouche. Moisy continuait de mastiquer bruyamment. Il se leva, tout son corps sembla grincer en se dépliant. Il se sentait très vieux, alors qu’aucune ride ne flétrissait la peau de ses mains. La certitude de son age défilait dans ses pensées : il n’avait pas vingt-six ans.
Il lui sembla entendre un barrissement venant de dehors. Regardant par la fenêtre, l’impression fugace d’une queue grise tournant au coin de la rue, en bas, lui fit se frotter les yeux d’incrédulité. Le ciel était redevenu provençal, le calme ciel riant de son enfance, dont seule la foret de paraboles et d’antennes sur les toit trahissait l’avancée du temps. Il n’y en avait pas avant.

Ses jambes encore endormies le firent se poser sur la chaise, face à l’ordinateur et au miroir bouché. L’idée lui vint d’allumer la machine. La tour ronfla, bippa, l’écran s’alluma sur un fond d’écran représentant un groupe de rock. Un lecteur de mp3 se lança automatiquement, proposant une myriades de chansons de tous styles, mais toutes révélant un esprit pointu et connaisseur. La liste déversait des titres comme une corne d’abondance les victuailles. Glenn Miller ?
Il jeta un œil à ce qui lui avait fait allumer l’appareil : la date et l’heure. A son étonnement amorphe, celles la avaient du souffrir d’un bug ou d’un virus. L’horloge indiquait cinq heure trente du matin, alors qu’il était visiblement aux alentours de midi, mais surtout, il n’y avait pas de date. Plutôt, elle n’était pas réglée, elle indiquait le zéro, zéro, zéro zéro. Il posa la main sur son ventre.
Derrière lui, le porte d’entrée s’offrit de nouveau comme une sortie. Mais il resta campé là sans même se retourner, son écran offrant lui seul un reflet assombri de sa figure. Regardant les morceaux de la playlist, il opta pour Glenn Miller. Enfant, il s’était amusé des mélodies sautillantes de In the mood,et de ce moment où les musiciens jouent de plus en plus doucement, jusqu’à atteindre le murmure, puis le chuchotement, puis le souffle, puis le silence. Avant de repartir à plein volume, enjoué, braillant de joie dans les hauts parleur d’un bombardier de la guerre…. Non, il l’avait écouté étant jeune homme, c’est tout. Sa tête dansait doucement. Le morceau se termina. Et la porte revint. Il se leva et s’approcha d’elle.

Un judas était pratiqué dedans. Pierre l’avait décoré en plaçant quatre feuilles autour, taillées en L, de façon à servir d’épais cadrage, sur lesquelles il avait dessiné des œuvres étranges. Mi-portraits, mi-paysage, leurs traits tribaux et labyrinthique conférait à l’ensemble un aspect hypnotique, aspirant. Pierre Eydoux marcha jusqu’à la poignée. Sa main s’enroula autour de la poignée, mais le premier quart de tour produisit un petit grincement qui le fit stopper net. Son mouvement s’annula, et il posa son œil a distance du judas, pour voir de l’autre coté. Il n’y avait que du noir.

Alors, il rebroussa son minuscule chemin, se retrouvant au centre de la pièce. Moisy avait cessé de grignoter, mais un frottement continuait de venir du canapé.

Pierre Eydoux n’eut pas la même crainte à ouvrir la petite porte annexe, celle qui menait à la salle de bain. Johnny Moisy sortit en courant sur ses doigts, silencieux sur la moquette rapée. Arrivé devant, il s’aplatit comme une crêpe, et se laissa glisser dessous. Les gesticulations du gentil rongeur arrachèrent un rire attendri à Pierre, qui suivi son ami muet.

Salle de bain, c’était un bien grand mot, pour un placard où était installé une douche, et un lavabo qu’il ne pouvait utiliser sans se cogner le front à la soupente. Sur une étagère malingre moisissaient une poignée de serviettes. Étant là, il se lava les mains, avec le vieux savon marbré, incrusté sur son bord. Johnny vint à coté du filet d’eau, lui faisant comprendre qu’il avait soif. Pierre le laissa boire jusqu’à satiété au robinet, que le rat lapa en posant une de ses mains dessus. Le mimétisme humain l’amusa de nouveau. Une fois désaltéré, le raton s’en alla, laissant soin à Pierre Eydoux de tourner la manette, et reglissa sous la porte, aussi souplement et cocassement qu’a son premier passage. Pierre sortit également.

Il prit à droite dans le couloir, et entra dans le bureau. Une bibliothèque construite sur mesure tapissait tout un mur, remplie de livres qu’il admira de loin. Il aperçu la collection complète des séries noires, de précieuses éditions Hetzel de Jules Vernes, des volumes d’histoires, des dossiers. L’endroit était décoré d’un multitude de souvenirs : maquettes de bateaux, fusils, dagues, statuettes de bronze. Ça sentait la colle à papier, les feuilles jaunies, la sève de pin, des odeurs qui firent remonter à ses narines une nostalgie tenace. Par la fenêtre, derrière le meubles de travail, il voyait la forêt de résineux aux chevelures hirsutes, dodelinant et laissant leurs bras être soutenu par les filets d’air sec. Entre certains branchages, il apercevait des morceaux de mer lapis-lazuli. Des cigales chantaient dans le jardin. Au moment de sortir, il vit l’appel du dix-huit juin, authentique, respectueusement encadré sous une plaque de verre. Il hocha le chef, comprenant. Puis quitta la pièce.

De nouveau dans le studio du cinquième étage, rien n’avait bougé. Pourtant, quelque chose avait changé. Pas la ville au dehors, ni les meubles, ni les dimension de l’endroit, pas plus que l’intimidante porte d’entrée. Non, tout était normal.

Étudiant de nouveau les étagères, il remarqua sur la plus basse, à coté d’un bong en verre, une boite. Un boite grande comme un carton à chapeau, sans aucune inscription.. Un boite dont il s’empara aussitôt, et qu’il posa par terre. Elle était assez lourde.

Il en sorti un énorme mode d’emploi. Apparemment, c’était un machine qu’il fallait assembler, mais il eu beau tourner les pages, il n’était nulle part fait mention de sa fonction. L’envie de ce concentrer sur quelque chose lui fit sortir les pièces. Bouts de ferraille, de plastique, rouages, pompes, écrous, boulons, un petit moteur… Quand il termina, elles envahissaient toute la surface rouge , comme des organes baignant dans le sang.

La construction était incroyablement compliquée. Suivre les instructions pas à pas était impératif : il resta de longs moment à contempler le bidule, les photos du mode d’emploi, de nouveau le bidule, encore le manuel… Petit à petit, à la cadence de poussées de cliquetis, la structure grandissait.

A un moment, certains éléments, qui ressemblait à ceux d’un moteur d’avion, lui firent songer à celui d’un P-51 Hurricane. North American Mustang. Mais l’objet prit une forme diferente.

Une fois terminé, le sol vidé de toutes les pièces, il n’avait toujours aucune idée de sa fonction. C’était une sorte de machine cubique, ligotée de tuyaux et de radiateurs. Il n’y avait qu’un écran à cristaux liquides, près duquel un gros bouton rouge attendait qu’on le pousse. Après avoir contemplé cette architecture en silence, Pierre Eydoux appuya sur l’interrupteur.

L’engin se mit à vrombir et à vibrer doucement, prouvant à ses oreilles le bon régime de la mécanique. Sur l’écran, des chiffres apparurent. Les secondes d’un compte à rebours.

Dix

Neuf

Huit

Sept

Six

Le sursaut qu’il eut provint du saut de Johnny Moisy sur son épaule, et il réalisa qu’un décompte était lancé. Était-ce une bombe ? Il ne se souvenait pas d’explosifs. Du coin de l’œil, il regarda le rat blanc. Il le regardait aussi. Dans ses yeux rouges, Pierre Eydoux reconnu l’expression d’un questionnement. Ils ne savaient pas ce qui allait se passer. Tous deux fixèrent l’écran.

Cinq

quatre

trois

deux

un

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