Texte à l’arrache 105

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Aloysius aime la bière. Il l’aime d’un amour si pur qu’il décide de brasser la sienne. Pour commencer, il s’achète une cuve et un concasseur. Mais ça ne marche pas super bien, et la première cuvée foire lamentablement. C’est imbuvable, il faut jeter soixante-dix litres de pisse d’âne. Mais Aloysius ne s’avoue pas vaincu. Il entortille ses doigts dans sa barbichette : aller voir chez un professionnel pour connaître la bonne méthode, voilà la solution. C’est super, ses questions trouvent des réponses. Il rachète du matériel, et cette fois-ci, ça marche ! La bière est délicieuse. Aloysius ne s’arrête pas en si bon chemin, il n’a pas beaucoup d’argent, mais il se dit qu’il devrait faire pousser son propre houblon. Il commande des graines par son ordinateur, et au bout de quelques jours, elles sont là. Tout impatient, Aloysius vend sa maison de Marseille, et part s’installer loin dans la cambrousse. Une fois là-bas, il laboure un petit champ, plante sa semence, et puis l’arrose. Le soir, il n’arrive pas à dormir, tellement il voudrait déjà être au jour où il goûtera le suc de sa récolte. Le lendemain matin, grosse surprise, les plantes sont déjà grandes, et pas qu’un peu. Tout en tâtant les feuilles avec incrédulité, il jauge la hauteur du houblon : il fait déjà cinq mètres ! Le jour d’après c’est encore plus fou : dix mètres ! Et après, vingt ! soixante ! cent mètres ! En une semaine, la cannabinacée perce le ciel jusqu’à la lune. Sa tige est plus épaisse que le tronc de dix baobabs réunis. Aloysius saute de joie. Il espère que les cônes seront bons, et qu’il vendra suffisamment de bouteilles pour acheter de plus grosses cuves. Ceci pensé, il commence à grimper, histoire de voir ce qu’il y a là-haut. Il monte, il monte, il monte. Pendant des jours il monte. Moutons, veaux, vaches, cochons rétrécissent. Les rivières et les fleuves deviennent des spaghettis, puis des lacets. Les nimbus le tutoient. Sa maison n’est plus qu’un petit point sur un grand tapis vert. L’horizon se courbe jusqu’à rendre la terre ronde. Ce n’est pas tant l’escalade périlleuse qui est effrayante, le tronc est solide et plein d’aspérités où s’accrocher facilement, les feuilles suffisamment larges pour dormir dessus, à l’abri sous les inflorécenses, c’est plutôt la raréfaction de l’oxygène au fur et a mesure qu’il s’approche de la Ionosphère, le cerveau s’asphyxie, puis part en fantasmes érotiques malvenus. A son grand soulagement, derrière un nuage, il trouve enfin le château perché du conte original. Identique, certainement plein de géants ventrus, etc. (Aloysius s’est endormi pendant le film) A pas de loup, il s’aventure dans la bâtisse imposante. Personne. Sur la table pas si formidable, il trouve un sac de toile, plein de graines. Aloysius se roule une clope, se la grille, réfléchit, pense. Ces semences sont forcements magiques, vu leur emplacement, des graines d’un houblon spectaculaire, qui va faire applaudir les papilles et engraisser les portes monnaies. Il en saisit une poignée, et s’élance hors de là sans demander son reste. Tout en redescendant, les rêves les plus fous s’entortillent autour de lui, comme les lianes autour de la tige hypertrophiée. Ils flottent et s’épaississent avec les nuages ouatés. De retour sur le carrelage des lézards, Aloysius plante ce qu’il a chouré. Ca pousse assez vite, et bien. De magnifiques végétaux ornés de belles têtes collantes. Récolté, c’est brassé, mis en fût, stocké. Plusieurs semaines plus tard, dans son soubassement aménagé, la chope tremblante, il porte finalement à ses lèvres les premières gouttes de la première cuvée… Mais… Quel délice ! Elle est délicieuse, pétillante, pleine de bulles aussi légères que des plumes, avec un goût de Provence très particulier. Paroxysme du bonheur, Sanhédrine, sa femme, Polyandre et Dolly, ses enfants, trouvent ça excellent. Tous le monde est ivre de bonheur. On invite les voisins : pareil. Jamais la saoulerie n’a été aussi féérique. Aussi frénétique. Entre deux bitures, Aloysius fait analyser son mystérieux houblon : Cannabis sativa. Ça risque d’être pas évident à commercialiser, se dit-il … (à suivre ?)

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