Texte à l’arrache 111

 Dans Mémoires de musicien, Textes à l'arrache
(Extrait de mes mémoires : Moi, Je, Personnellement, sortie prévue le 23 février 2021, aux éditions Masturbard, qui seront disponibles dans la poche intérieure gauche de mon costume de macchabée. Passage issu du tome 25, livre 54: mes années rock.)

C’est dur la musique, quand on a un ego comme un vieux métronome. L’humeur balance de droite à gauche, de gauche à droite. D’un côté, on se dit qu’il vaut mieux rester humble. Personne ne connaît ce qu’on fait, la notoriété ne dépasse pas quelques quartiers de Marseille, et s’oublie dans les autres villes, sitôt le concert passé. De l’autre, hé, on rêve de reconnaissance, d’acclamations, de révérences. Si on se brise la santé à répéter, à enregistrer, à faire la cours aux fanzineux, à harceler les salles, à bouffer des kilomètres et des kilomètres pour jouer dans des cambrousses perdues, c’est aussi pour ça : goûter une petite part du gâteau de la Gloire. Quelques miettes suffisent pour se sentir une star. Je ne mentirais pas, le succès j’adore ça, et comme tout les artistes à grosses têtes (pléonasme), il m’en faut toujours plus. L’avantage de la musique (ou de la danse) sur les autres formes d’art, c’est que c’est immédiat. On reproduit l’oeuvre en direct. Ca fait partie de la magie : on a l’impression que ça sort spontanément. Un écrivain, un peintre, un sculpteur , un cinéaste , etc. une fois qu’ils ont bossés des heures, ont leur produit fini dans les mains. James Ellroy n’a pas à réécrire L.A Confidential à chaque fois qu’il apparaît quelque part. Un zicos, même s’il a fait un disque, doit le rejouer encore et encore, super bien à chaque fois, pour faire ses preuves. Sa notoriété se gagne en public. C’est pas facile tout les jours, surtout pour un petit groupe qui n’aime pas tricher. Le plus cruel, c’est ce que j’appellerais les « moments historiques inconnus » : des heures exceptionnelles, des instants incroyables, des concerts mythiques, dont personne ne sera jamais au courant, et dont on ne pourra pas se vanter sans passer pour un fanfaron. Le peu de témoins présents, l’impossibilité de les trimballer avec soi pour prouver la véracité de ses dires, font que ces souvenirs merveilleux restent à mourir dans le cimetière du cortex préfrontal. Leurs gémissements tourmentent l’artiste, seul à les avoir vécu. Exemple : Mouzay. Mouzay, aussi connu sous le nom de Trou sur Trou, est un bled surpaumé aux environs de Tours. Les champs de colza colorent à perte de vue le paysage d’un jaune vangoghien Il y a deux rues, une église, trois maisons, et un bistrot-epicerie-poste-pharmacie-salle de concert. Le taulier, à l’air grognon, ressemblait à un Fonzie de banlieue : brun, gominé, trapu, carré, petite moustache Littlerichardienne. Il nous laissa nous installer, puis nous fit monter à l’étage, dans une grande salle vide, pour que nous puissions prendre une collation : deux barquettes de jambon et une baguette de pain, maigre pitance. On jouait avec un groupe du coin, les frottis de l’espace(!), des mecs gentils comme tout. On a sympathisé vite fait. C’était un jeudi soir dans la pacoule de France, ça s’annonçait désert. Il y quand même eu deux personnes. Malgré l’absence de public, on a fait un show magnifique, rien de moins. On était en tournée depuis quelques jours, les morceaux se jouaient automatiquement, avec souplesse, à fond la caisse, super bien, le pied. On a fait une version démentielle de « the fire ». Mélancolique, désespérée, ambiante, furieuse, magique. Je suis sorti de mon corps, et je nous ai vu jouer dans la lumière pourpre des spots. Le rade devenait le club Silencio. Les frottis de l’espace trippaient, les deux spectateurs dansaient, le yeux du patron s’écarquillaient. Apres le set, il est venu nous dire qu’on l’avait beaucoup impressionné , c’était sa façon de nous payer. La soirée terminée, il nous a fait remonter dans la pièce vide. Il a dit « A demain », et on a dormi sur le plancher. Ce concert nous aurait fait signer avec un label, si il y avait eu un agent dans la salle. Maintenant, je n’ai plus que ma parole pour essayer de sauvegarder cet exploit, mais déjà, les premiers sourires moqueurs se dessinent. Gros mytho… Pourtant, c’est vraiment arrivé. Ce soir là, à Mouzay, près de Tours, il y a eu un orchestre de folie, devant personne. Seul un barman grincheux pourrait en attester, si seulement il s’en rappelle encore.
Les Nitwits ont souvent été au mauvais endroit au mauvais moment. Au moins, on a notre conscience pour nous : même bourrés, même étourdis, même hors-sujet, on a toujours tout donné. C’est pour ça que je suis hyper-fier de ce qu’on a fait, et que je continuerais jusqu’a ma mort de me la péter, de vanter nos exploits, d’encenser notre qualité, digne des plus professionnels. Nos enregistrements, fait en une seule prise, sans trucages, en sont la preuve. Mais ça, ce sera pour une autre fois.

(photo avec des bouts de Thomas Teach: Gin)

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