Texte à l’arrache 140

 Dans Mémoires de musicien, Textes à l'arrache

(Extrait de mes mémoires : Moi, Je, Personnellement, sortie prévue le 23 février 2021, aux éditions Masturbard, qui seront disponibles dans la poche intérieure gauche de mon costume de macchabée. Passage issu du tome 25, livre 55: mes années rock.)
Les enregistrements des albums de Nitwits se sont toujours fait dans le sang et la sueur. Quand on avait suffisamment de nouveaux morceaux, on planifiait une session studio sur quatre-cinq jours. Session studio, c’est ce que dise les rock stars quand elles partent à Memphis, où qu’elle vont chez Steve Albini, pour concocter un nouveau chef-d’oeuvre (hum). Pour nous, le studio, c’était notre local de repet’ du moment, le cinquante et un, le vingt-cinq, le cinquante-neuf. On y avait entassé tout le matos.
Je n’ai pas mentionné Albini pour rien. C’est un ingénieur du son mythique, un musicien génial, qui a l’air vénère tout le temps. Le son de son premier groupe, Big Black, diantre ! Rarement j’ai entendu quelque chose d’aussi colérique. C’est Ritchie qui a trouvé ça en premier, et il n’a eu aucun mal à nous inoculer le virus en pétard. Albini représente quelque part, l’idéal du musicien indépendant : le fais-le-toi-même édifiant. A force de bidouiller sa guitare, en la branchant directement dans sa console, il a fini par enfanter son propre son, un super son. Et de fil en aiguille, d’enregistrements en enregistrements, c’est devenu un des meilleurs. Sans tricher. Sans pognon. Sans suivre la mode.
On avait la même philosophie : pas besoin des autres pour faire un truc qui pète. Pas par snobisme, par fierté. Pour prouver au monde que oui, avec rien on peut faire beaucoup. A la force de nos poignets (qui s’agitaient beaucoup en concerts), on a économisé pour acheter de quoi s’enregistrer. On utilisait le moins possible l’ordinateur, car on pouvait trop bluffer avec les plug-in, ces petits programmes qui boostent le son, mais avec un désagréable goût synthétique. Au final, c’est toujours merdique. En optimisant les instruments, en récupérant des tables de mixages dans les couloirs de l’Hôtel de la Musique (authentique !), notre parc audio a finit par être assez d’aplomb pour tenter le coup, et faire un skeud.
En parallèle de ça, on fumait un max de miflex, on écoutait des tonnes de groupes, et surtout, on répétait comme des malades. Deux fois par semaine, pendant quatre heures, les jours de routine, trois fois les veilles de concert où de gravage de surface réfléchissante. Paradoxe : alors qu’on avait tout de parfaits branleurs mal fagotés, drogués paresseux, vilains pas raccords avec leur époque, on bossait réellement notre art, avec abnégation, assiduité et amour. Rater une repet’ était regardé du plus mauvais oeil, ne pas travailler son outil était immédiatement raillé. Quel sérieux pour des mecs sarcastiques.
Un mot sur la planification de la session : on avait fait le choix d’enregistrer chaque instruments séparément (plus tard on fera basse-batterie ensemble). On commençait par la piste batterie, donc c’est moi qui me jetait dedans le premier. La solidité de mon intérpretation était très importante : il était vital que la Pearl sonne carrée, serrée, qu’elle soit belle. Elle était la base de notre construction. Si elle était bancale, tout le reste le devenait. Il ne fallait vraiment pas se rater, car on avait pas beaucoup de temps. Cinq jours, c’est peu. Pour Rhianna, cinq jours, c’est quoi ? le temps qu’il faut pour déballer tous le rimel et installer le jacuzzi dans sa loge ? Certains disques ont passé des années en studio avant d’être prêts, n’est ce pas, monsieur Wilson ? Sans le savoir, on se faisait un trip à la Beatles, période Decca : fallait envoyer tout d’un coup, vite et bien.
Le jour J venu, j’allais à pied jusqu’à la Capelette, en passant par Baille et Menpenti. Dans la descente de l’avenue de Toulon, le volume du lecteur de MP3 à fond, je me faisais le film de ma vie, avec la bande son qui va avec : Pavement, Wipers, tout Gainsbourg, Wire, Zeke, People Under the Stairs, la bande originale de Conan le Barbare, d’ Evil Dead, de Spaced, de l’Inspecteur Harry, la compil Nuggets James Chance & the Contortions, Stupéflip, Slayer, the Beta Band, Brutal Truth, les Buzzcocks, Fear, Bowie, Iggy, G.G, plus toute une flopée de singles dont la liste est trop longue pour être énumérée ici. Voyez le futur zicos de légende, le génial Vince Venckman, en route pour créer un disque qui restera dans les annales. Il tapote tout en marchant, sur ses cuisses, en chantonnant. Pff, tu parles…
Mais mis à part mon gros melon, je mettais du coeur à l’ouvrage : je jouais chaque morceau du début à la fin, au métronome. Hyper mariole. Super chiant et dur. On a l’impression d’être sur un plateau de tournage. Il faut faire une longue scène en plan séquence, et au moindre accroc, le réalisateur crie « coupez, on la refait ! » Tout est à recommencer. Des fois, ça vire au cauchemar psychotique. Sur le planning, j’avais un ou deux jours pour tout jouer correctement, ensuite le tour des potes venait : Matwis à la basse, ensuite Juan-Lucas pour la guitare rythmique, puis Ritchie, à la lead guitar. Finalement, il enregistrait ses parties chants, toujours suivant la même méthode, et on rajoutait des overdubs (nda : des petits bouts enregistrés qu’on rajoute, pour faire ce qui est physiquement impossible, et donner du corps à l’instrumental. C’est Eddie Cochran qui a commencé.) Aucun bruit n’est copié-collé.
Ainsi sont nés Death to Lo-Fi, le Marécage de la Mélancolie, et Some Kind of Bizarre Thing Happened. Chaque titre me rappelle des souvenirs différent. Par exemple, pour le Marécage… Je me souviens que le jour d’enregistrer, j’avais une putain d’angine. En plein été. Le pied. J’ai vomis par terre, rue Antoine Maille, à force de tousser. Mais ça c’est bien passé. On avait trop envie d’entendre ce qui allait sortir. Je parle de la musique, pas des vomissements.
Une fois qu’on avait attrapé toutes les notes, que Ritchie les avait bien brossées, bien mixées, et bien masterisées (parfois avec l’aide du narrateur), qu’on recevait les galettes dans leur boites (cinq cents pressages sur cd), on faisait comme n’importe quel autre groupe assimilé punk : On sortait nos langues, et on collait des timbres. Les disques partaient à droite à gauche. Fanzines, magasines, labels, salles de concert. Ensuite on attendait. Des fois, il y avait de bonnes surprises (un article dans Rock’n Folk, une signature avec le label chinois ZLHF), d’autres, absolument aucune. Ce fut surtout le cas pour Some Kind… ce qui est dommage, parce qu’on avait vraiment tout mis dedans. Il est vraiment chouette. Pas de chance. Je nous ai sentis un peu méprisés sur ce coup.
Difficile de parler de ça sans ressentir une pointe d’amertume sur le bout de la langue. Les raisons de ceci découlent de la première, dont je ne suis pas très fier : mon extrême susceptibilité. En effet, je supporte difficilement la critique, d’abord à cause de mon patrimoine génétique hispanique, qui m’a toujours rendu ombrageux, ensuite parce que n’aimant pas critiquer moi-même, je tolère très mal qu’on le soit envers ce que je fais. Dur, dur d’être un con et d’en avoir la science. Je crois que c’est ce qui s’appelle une névrose.
Le pire, c’est de ne plus être en état de rejouer mes parties. L’impression me tenaille quand je les écoute : ce n’est pas moi qui joue, ou pour le dire autrement, ce n’est plus moi. C’est Vince Venckman, et Vince Venckman est mort. Il a été écrasé par un piano à queue en 2014.
M’enfin. On vieillit, on s’assagit. Maintenant, quand notre son passe dans mes écouteurs, je réagis comme John Carpenter quand il revoit ses films les plus moisis, je me dis « ca va, c’est pas si mal en fait »! Le Temps bonifie les disques comme des vins dans une cave, leur donne plus de saveur, peut être. Ce qui est sur, c’est qu’il rend l’objectivité, fait prendre du recul. Ouais, c’est vraiment pas mal. La preuve, je remue encore la tête.

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