Texte à l’arrache 167

 Dans Textes à l'arrache

Dans les rue de Paris, Vinzo réalisait qu’être handicapé, ce n’était plus être un homme. C’était une chaise à roulette, un bagage que Gin poussait en criant vainement des excuses au milieu d’une armada de zombies cellulaires . Enfermé dans ses mondes, la population autiste avançait les yeux rivés sur des smartphones suceurs de cerveau. Vinzo sentait que la réalité était devenue un désert. Personne ne le voyait. On lui rentrait dedans tous les mètres. Gina rêvait de tibias brisés. Il comprenait maintenant des choses, la mise à l’écart , la marginalité qui de tout temps clivait l’humanité entre conformes et parias. Les gens semblaient le regarder comme un disrupteur de quotidien. Le sourire de la femme dans l’escalator avait tout d’une moquerie, alors qu’il s’accrochait à la rampe en pantelant, mais peut-être n’était-ce qu’un rictus de malaise ? Il s’en foutait. Trop de stress, trop de souffrances, trop de ruminations, trop de tout exacerbaient sa sale connerie, la méchante qui voulait qu’il mette des coups. Après tout, nulle part dans la bible n’était marqué « tu ne taperas point ». Mais il se retenait, car par dessus tout, il était couard, la faute à un cerveau trop civilisé. Sa frustration se couchait devant l’admiration qu’il avait pour Gin. Envers et contre tous, elle l’emmenait au bout du monde, égérie de cet esprit DIY qu’il vénérait depuis que le punk hardcore avait emporté son âme à l’aune de sa jeunesse.
Il l’aimait tant, Gin, il avait tellement honte d’être ce boulet psychopathe qu’elle traînait (poussait, dans ce cas) sans qu’il soit en capacité d’être autre chose qu’une loque exaspérante. Mais l’épreuve avait des objectifs à la fois scientifiques et journalistiques : celui de couvrir un concert (Midnight Oil à l’Olympia) à un mètre treize de hauteur, et celui d’atteindre un sommet d’article gonzo, défoncé au tramadol et à l’anti-viral.
Sur le grand boulevard, où des piles de cadavres de communards avaient du s’empiler, les chaisières marchaient sur leur poussière, devant l’entrée de la salle . Une fois installé à l’intérieur, Vinzo décida de passer outre une revue de la première partie, the G. Le groupe n’était pas au point.
Puis vint Midnight Oil, dont le capital de sympathie ne s’était pas estompé avec le temps. Le genre qui n’avait pas été altéré par le succès commercial. La vraie grande transe humaine commença, les yeux brillaient, les fesses se levaient, les sourires s’élargissaient et des milliers de dents brillaient dans le noir. La liste des morceaux se déroulait, Vinzo et Gin retrouvaient les Huiles de Minuit comme ils les avaient laissé dans leurs souvenirs de CM2, et sur les vidéos de concert des années quatre-vingts : plein d’énergie et de bonnes vibrations. Rob Hirst n’avait rien perdu de sa trique, Peter Garrett dansait toujours comme un jeune casoar, tous les autres représentaient aussi, heureux, tout simplement. Super ! Par synesthésie , la basse creusait un sillon dans la terre rouge du bush. Rythme symptomatique du rock australien/néo-zélandais (Ac/Dc, Saints, Easybeats, Radio Birdman, Datsuns), imitant un camion poussiéreux qui roule à toute berzingue sur un sentier rêvé par les aborigènes. Ces moments de fission nucléaire (certains crieront « mangez des pommes » quand le grand chauve nous rappellera au souvenir du Chichi des îles) étaient la somme de la frénésie de joie connectant les musiciens avec les spectateurs. Soudain, Vinzo se rappelait de ses membres vivants. Joie. Rappel. Fin. Bonheur.
Ils ressortirent avec Gin, tous joyeux d’avoir chanté et dansé sans complexe. Dehors, l’enfer reprenait. Les jeunes bourges tous pareils suintaient le laid, auréolant leur chemises bleues-roi fades. Leurs auras dégueulasses lui dégueulaient dessus. Désespérément il tentait de se calmer, de donner à son regard le calme sérieux qui aurait pu l’aider a surmonter ce trouble. Dans sa chaise roulante, il se sentait tellement amoindri que la haine paranoïaque prenait les commande. Il espérait croiser un regard juste pour le pulvériser. Impossible. Effrayant avec ses quarante kilos tout mouillé, Vinzo rêvait de manoir isolé dans la cambrousse, vivant sa putréfaction tel Usher (le personnage d’Edgar Poe, pas le rappeur).
En songeant à son papier , il ne voulait pas se lancer dans un combat d’infirmes contre valides, comme Cartman fait quand il devient roux. L’état des lieu était ce qu’il était, et ce qui comptait n’était pas tant l’infrastructure du pays que la gentillesse de ses habitants . A chaque seconde, il glorifiait Gin, soleil de son ciel, cœur de sa vie, poussin de son nid. Leur affaire d’amour télépathique, seul cela comptait.
Alors 2 heures de plaisir pour 22 de souffrance ça valait le coup ? Merde oui !

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