Texte à l’arrache 203

 Dans Textes à l'arrache

Nicolaï Gogol était loin d’être un trisomique, c’était même tout le contraire, mais cela ne lui empêchait pas de passer pour un cinglé aux yeux de tous. Il devait y avoir quelque chose dans son patronyme ou dans son portrait, figure d’oiseau frêle, sur la face duquel se peignait ses traits ukrainien… Non, on faisait bien peu de cas de ses origines, il était russe au-dessus de tout, et profondément orthodoxe. Orthodoxe avec une mission… D’accord, mais laquelle ? Toute sa vie, il avait eu un certain flair pour sentir ce vers quoi il tendait (son long nez ne manquait pas d’être une source de fierté incongrue), et ce quoi avait besoin d’une plume, pour se transmettre de sa cervelle au papier. Pouchkine, sans défaillir, l’encourageait sans cesse à approfondir cette veine. Lui n’avait eu aucun problème à s’enfuir de sa médiocre position de fonctionnaire. Depuis son envol, ces minuscules âmes griffonneuses, il les bombardait dans ces récits, quand ce n’était pas les officiers prétentieux, ou les bourgeois stupides. Tant pi si on le voyait comme un invité pinailleur, cancanier, et profiteur. Les feuillets s’empilaient, le succès venait, et l’incompréhension grandissait : il présentait une fable morale, on y voyait une satire politique. Mais cet aveuglement général lui ouvrait les yeux. Sa mission était de sauver les russes d’eux-même, peuple de brave gens, faciles à débaucher. De pauvres âmes, de pauvres âmes mortes, pareilles aux paysans décédés entre deux recensements, suspendues dans les limbes, et prêtes à suivre qui voudrait bien les récupérer. Ce serait le titre de son dernier roman. : les Âmes Mortes, un panorama de l’Autre-Monde, transposé dans sa patrie. L’Enfer, il n’avait aucun mal à le dépeindre, il vivait dedans, mais la suite, le Paradis… Sa peine à la tâche rendait évidente ses imperfections. Il doutait, et plus il doutait, plus il se sentait malade, méprisable, minable, maudit. Ses manuscrits, en brûlant dans l’âtre de sa cheminée, obscurcissaient son visage déjà sombre. Des larmes coulaient sur ses joues, alors qu’il jetait une à une les feuilles vers le brasier.  Les critiques l’affectaient, son cœur se serrait, le désespoir l’envahissait. Les pages se tordaient de douleur sous la morsure du monstre rouge. Un de ces matins d’autodafé, il vit le Diable, et comprit qu’il s’était fait avoir toute sa vie : il avait écrit pour rien, soulevant un nuage de poussière qui retombait déjà à terre. Savait-il par avance que les générations futures préféreraient se prendre pour des elfes à grosses poitrines ?Les tortures des médecins furent sans effet, il mourut quelques jours plus tard, épuisé, et vide de toute substance... (Vous pouvez faire pareil à la maison, les enfants, ça ne nécessite pas de matériel)

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