Texte à l’arrache 210

 Dans Textes à l'arrache

Alors que les relations entre les États-Unis et le Danemark se durcissaient pour de sombres raisons, on trouvait, dans les notes du téléphone du grand Karishnikov, des révélations fracassantes. Entre des pages poignantes d’émotion, sorte de journal intime fourre-tout, description d’une vie déchirée par la malchance et le génie, il avait inscrit en toutes lettres ce qu’il avait découvert : l’instrument de musique ultime. Ceci, avec les plans détaillés de sa fabrication, plus quelques remarques dérisoires, partiellement tronquées par le trop vieux système d’exploitation.

Les experts les plus sérieux, les musicologues les plus austères, les ingénieurs les plus rationnels, tous s’associèrent pour tenter de concrétiser cette machine. Maintenant que Karishnikov était mort dans la misère, il fallait lui rendre hommage, en parvenant à réaliser son rêve. Quelques milliardaires, et même des hommes politique au pouvoir, se proposèrent mécènes de cette belle aventure. La construction commença donc, dans le respect rigoureux de la mémoire de l’artiste. On utilisa des matériaux précieux, des composants coûteux , des logiciels perfectionnés. Des millions de personnes suivaient, passionnées, les avancées du programme musical. Pour une fois qu’on parlait un peu d’art… Plus l’instrument prenait forme, et plus l’impatience grandissait : L’Ultima Organista (c’était le nom qu’on avait donné à l’invention) s’annonçait révolutionnaire. Extrêmement facile d’utilisation, très simple à maîtriser, avec des sonorités inédites qui promettaient d’être rien moins que divines, il n’y avait pas besoin de connaître le solfège, ni de faire preuve du moindre talent. Tout le monde allait pouvoir faire de belles mélodies grâce à Karishnikov, qui, dans ses notes, mettait l’accent sur les vertus communicationnelles (le mot n’était pas de lui) de son appareil. Si l’ensemble de la population pouvait utiliser le langage de la musique, qui ne ment pas et dépasse les frontières, les hommes pourraient enfin se comprendre d’un bout de la planète à l’autre. L’age d’avant la tour de Babel redeviendrait réalité.  L’Harmonie Universelle tant espérée depuis des siècles se profilait au bout du chemin. Déjà les plus grandes marques se déchiraient pour avoir l’exclusivité du brevet et de la construction.

Cependant, un problème survint. On avait bien produit toutes les pièces nécessaires, elles s’agençaient comme prévue, à la perfection, tel un puzzle évident, mais, (car il y avait un mais), l’Ultima Organista se disloquait au moment de la pliure du manche. Toujours. Systématiquement. Impitoyablement. Tous les savants s’y cassèrent la tête, du plus appliqué au plus fou. On éplucha les notes de Karishnikov. Dans les fichiers tronqués, il était bien fait mention de difficultés, de stress, de modes, mais il manquait trop de mots pour se figurer la solution. On fit des appels au public, avec offre de forte récompense. Beaucoup de charlatans déclarèrent avoir trouvé la solution, mais tout cela n’était que poudre aux yeux : à chaque fois, la pliure détruisait l’engin. Personne ne trouva jamais, et on finit par oublier ce joli projet. L’œuvre de Karishnikov devint une des plus rentable de l’histoire de l’art pour les entreprises qui avaient refusé, mais conservé, ses travaux. Puis les États-Unis attaquèrent le Groenland, sous prétexte qu’ils n’avaient plus d’eskimo à sucer.

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