Texte à l’arrache 217

 Dans Textes à l'arrache

Bankman ne savait plus quoi penser. C’était juste une émission de télévision, ces gaudrioles paranormales. Un peu de mise en scène et quelques trucages générés par ordinateur suffisaient à faire trembler les avachis qui regardaient le programme à trois heures du matin. Pas grand monde, mais du pas grand monde au sommet de la cuite ou de la défonce. Du pas grand monde seul, insomniaque, gavé de somnifères. Des clients emmenés dans les tréfonds de la nuit par ennui, parfaits pour gober ses inepties. Voila pourquoi il ne s’embarrassait pas trop de l’exacte authenticité de ses tuyaux. Une mémé folle qui voyait des fantômes dans la maison de l’autre côté de la rue, il prenait. Lui et ses trois techniciens filmaient des séquences a vif dans l’endroit indiqué. A la lumière du projo, il racontait une histoire terrifiante, comme devant un feu de camp.

-Chers téléspectateurs, je me trouve actuellement dans la pièce où le drame à eu lieu. Avant, c’était un petit salon douillet. La famille Robinson, le père, la mère et leurs deux enfants, aimait s’y rassembler sitôt la journée terminée. Que s’est-il passé pour que le père massacre tous les siens à mains nues ? avec une telle cruauté ? Dépression ?Folie ?Certains prétendent que la maison elle même aurait influencé Robert Robinson, plus exactement, elle aurait été construite sur un nœud magnétique…

Bankman indiqua au cameraman de faire un focus sur certain endroit du living-room abandonné : les murs dépecés de leur papier peint, les recoins crasseux et noir de la salle, magnifiés dans leur laideur de morgue par la lumière crue du spot. La suie haineuse s’accumulait non seulement dans la pointe des angles, mais aussi au sol et au plafond. De larges plaques de salpêtre sur le parquet, par un mimétisme dérangeant, évoquaient les flaques de sang où avaient dû tremper les victimes. Une tâche similaire s’étalait au plafond. Bankman continuait.

-Son crime horrible commis, le père s’est suicidé au milieu des siens, d’une balle de fusil de chasse dans la bouche, disait-il en lorgnant ostensiblement au dessus de lui. Il sortit un appareil de sa sacoche, un gadget en plastique clignotant qui avait tout de l’accessoire bon marché. Ses traits alourdis d’ombre s’étirèrent.
-Le psychopotentiometre s’affole ! Regardez ! 136 pk !
Se taisant, il parcourut l’endroit du bout de son manche truqué, la mine grave.
-C’est chargé ici… Très chargé…

La routine absolue. Maintenant, il allait jouer à se faire peur, pour le plus grand plaisir de l’indice d’audience. Explorer une bicoque abandonnée de nuit ne demandait que l’audace de ne croire en rien, tout en faisant penser le contraire. A ce petit jeu, Bankman était très fort, et ne manquait pas d’y aller de sa petite anecdote à chaque nouvelle porte grinçante ouverte avec lenteur.

-Ici, la chambre des enfants. Le père aurait subitement eu des attouchements avec eux, quelques semaines avant la tuerie. Rien n’explique ses gestes.
-Ici, la cuisine. Pendant cette même période, il a égorgé Kwinky, le chat familial, sous les yeux médusés de sa fille.
-Le couloir où son fils a essayé de lui échapper , gravement mordu à la jambe, le malheureux n’y est pas parvenu.
-Ces marques dans le mur, c’est le crâne de sa femme qui les a laissée. Elle était encore consciente quand il a trainé son corps jusqu’au salon.

Bankman barbouillait la maison de sang de la cave au grenier, suivant ses fantaisies, faisant s’attarder l’objectif sur les espèces de gribouillis qui constellaient un petit peu partout les parois de la bâtisse. Des opérations. Des chiffres par centaines.

-Coupe. Il y a une séquence à faire. On reprend du salon. Voila. On reprend dans cinq, quatre, trois… La police n’a jamais pu expliquer l’origine de ces inscriptions. L’écriture ne ressemble à aucune de celle des Robinson. Alors ? Les enfants ? la mère ? Le père durant ses crises ? Une autre personne ? Les chiffres semblent suivre une direction, mais qui ne mène nulle… ?
Une porte était apparue, là où tout à l’heure, il n’y avait qu’un mur. Dans le couloir, celui où le garçon avait échappé de peu à sa survie. Bankman resta interdit, oubliant de finir sa phrase, mais faisant des geste pour que l’on continue de tourner et de braquer la lampe sur cet étrange phénomène. La porte n’avait rien de différent des autres, même couleur, même dimensions, même forme, mais tout le groupe était d’accord pour affirmer que cette ouverture-ci n’était pas là lors de leur précédent passage. Bankman écarquillait des yeux enthousiastes, pour une fois qu’il se passait quelque chose. Il envoya son regard vers les autres hommes, validant l’un après l’autre, d’un hochement de tête imperceptible, que tous allaient dans son sens. Sa main s’enroula autour de la poignée. Elle cliqueta. Donnant juste assez de force pour qu’elle s’ouvrit en grand sans violence, Bankman glissa vers l’arrière. La porte tourna sur ses gonds, avec un silence surnaturel.
Le présentateur recula, la caméra aussi. Les chuchotements surpris des techniciens voletèrent comme une nuée de chauve-souris effrayées. Une obscurité insondable remplissait l’encadrement béant. Une noirceur sans nuance que le projecteur n’arrivait pas à percer.

-Pourtant, on sent de l’air…

Oui, Bankman ne savait plus quoi penser. Il n’avait prévu la possibilité qu’un show paranormal nocturne puisse se révéler vraiment paranormal. Sa conclusion, c’est que si on ne savait pas quoi penser, le mieux était encore de ne pas penser du tout.

-Continue de filmer. Filme la porte. Filme moi. Chers téléspectateurs, est-ce une manifestation de l’étrange ?

Tout en reculant, les signes qu’il faisait à son équipe étaient clairs, ils disaient « suivez-moi ». Bankman passa la porte. Son dos sembla plonger dans du pétrole épais, un pétrole qui ne faisait pas de vaguelette. Au dernier moment, la caméra décida de ne pas l’accompagner. Elle restait planté devant le sombre seuil, et rien ne se passait. Cinq minutes plus tard, Le perchiste appela son patron dans les ténèbres. Pas de réponse. La caméra resta longtemps à filmer l’ouverture, zoomant et dé-zoomant lentement, comme espérant vainement.

Bankman avait totalement disparu.

 

Articles récents

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
Angus delaissais sa guitarre
%d