Texte à l’arrache 249

 Dans Textes à l'arrache

(Vieille lettre morte. Serat a paru depuis. Je ne serais jamais assez reconnaissant envers Renaud Ehrengard pour son aide).

 

Cher Monsieur Écrivain Célèbre.

Comme un des innombrables goujats qui parsème ce pays, je vous écris ce mail de désespoir dans l’attente inepte de donner un sens à mon existence. Comme toute l’humanité débile dont je suis un membre représentatif, égomaniaque et imbécile, je vis d’espoirs futiles, d’expectations mortes-nées. En français d’aujourd’hui, je viens vous gratter quelque chose.

Pourquoi envoyer ceci à vous spécifiquement ? Parce que vous relevez du fantasme. Je ne sais rien de vous, je n’ai rien lu de vous, mais l’avis des cons qui jugent me fait ressentir une grande sympathie à votre endroit.

Je nous hais. Je hais toute l’humanité. Moi compris.

Avant, ce n’était pas le cas. Plus jeune, mon ego suffisait à supporter, voire même comprendre, l’inanité de mes frères et sœurs. J’étais pétrit dans l’exemple faux des grands hommes, dans un naïf amour pour le genre humain, et je vivais dans l’orgueilleuse illusion de pouvoir apporter quelque chose au monde. En réalité, je cherchais une façon d’être admiré comme un pharaon, et de niquer à qui mieux-mieux. Insolent comme un jeune adulte, comme un jeune con qui mérite des claques. Ça n’a pas marché, et la colère est née.

La misanthropie apparaît quand on met sans artifice toute sa confiance en quelqu’un parce qu’on considère l’Homme comme un être vrai, solide et fiable. Puis, on découvre un peu plus tard qu’il est mauvais et peu digne de confiance… et quand cela arrive, l’intéressé finit souvent … par haïr tout le monde. C’est dit depuis Socrate.

Écrire, contrairement au reste, c’est le moment vaniteux où je me sens intouchable. Indiscutable. C’est un instant où je ne suis pas faible, où je pourrais dire au médiocre commentateur chagrin : « ta gueule, ton avis, tu peux te le foutre au cul, tu n’as pas le talent, tu n’as pas la culture, tu n’as pas le vécu, ta gueule ! Moi, je l’ai lu, Kerouac, je l’ai lu, La Bruyère, je l’ai lu, Poe, je l’ai lu Céline, je l’ai lu, Wilde, je l’ai lu, Chateaubriand, je l’ai lu, Lovecraft, je l’ai lu, Rimbaud, je l’ai lu, Bashô, je l’ai lu, Vance, je l’ai lu, Gautier, je l’ai lu, Artaud, je l’ai lu Kierkegaard, je l’ai lu, Thoreau, je l’ai lu, Wordsworth, je l’ai lu, Coleridge, je l’ai lu, Kafka, je l’ai lu Champollion, je l’ai lu Levi-Strauss, je les ai lu… J’en ai tant lu… J’ai même lu le texte des Pyramides. Ta gueule ! ta gueule ! ta gueule !» Mais les nullos ont cela pour eux qu’ils sont le monde, et qu’il le font. Ils le régissent, le modèle, l’adapte à leur niveau. Je sais que je ne vaux pas mieux. Je suis coincé là, et ça me scie les jambes.

J’ai trente-… ans, la sclérose en plaque, une haine sourde et pleutre dans le corps. J’ai publié un premier texte, les contes du 5ème étage. Une lettre de suicide immature que j’avais élaboré pour baiser une conne qui s’en est foutue. Les critiques, si on peut appeler les bloggeuses comme ça, on finit d’achever gratuitement la tâche que le destin leur avait attribué : me marteau-pilonner la gueule de tout leur mépris. Ces minables aventures m’ont rendu asocial et muet.

J’ai ensuite écris ce que je vous envoie, ce Serat que je polis depuis longtemps. Cette petite histoire de science-fiction qui me fait me languir depuis des mois, depuis que je l’ai soumise aux éditeurs muets. Je sais que je vais attendre un an pour de brèves réponses négatives, ravagé, animé par le fou espoir qu’il arrive un peu de magie dans ma vie de merde. Ce texte vient vous voir, implorant d’être aimé.

Je viens à vous maigre, faible, souffre-douleur. Je geins, je pleurniche, je n’ai plus que ce pouvoir. Je ne sais pas comment vous parler. J’attends toujours un faux miracle que je m’évertue inconsciemment à tuer dans l’œuf.

« Écrivain, » est inscrit en U, en C, en A, et en G dans mes gènes. La frustration hitlérienne qui rôti en moi, c’est la cristallisation de cette programmation. Je ne saurais être heureux sans que ce rôle me soit attribué, car je désire divertir, voilà tout. Je vous le dit à vous, parce que vous comprenez certainement un peu cela. Si vous perdiez un peu de temps à me lire, sans me juger, sans me mépriser, je sentirais enfin comme une âme consolante s’approcher.

Chez les loups, dans la meute, il y a les omégas. Comme une catharsis à disposition, ils subissent la violence des autres, défouloirs vivants qu’ils sont, c’est ainsi. Il y a les omégas libres, qui vivent hors de la meute. Ceux là ne sont pas bastonné. Au contraire, ils tiennent les autres en respect par leur indépendance triomphante. Je veux être un oméga libre.

Avec toute l’expression de mes salutations distinguées,

 

V.P

 

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