Texte à l’arrache 254

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Petit jeu : placez votre pouce sur la moitié d’un visage, n’importe lequel. Prenons pour exemple, la photo daguerréotypée d’Edgar Allan Poe (nda : celle de 1848, surnommée « Ultima Thule » , qui sert d’illustration à ce texte). Observez chaque partie, alternativement, et notez les différences de symétrie. Ce qui frappe immédiatement, c’est que chaque oeil a un regard différent. Pas comme ceux d’un caméléon, où ils bougent indépendamment l’un de l’autre, non, le pauvre Edgar aurait l’air particulièrement grotesque, ils vont bien dans le meme sens, et dégagent la même émotion, mais chacun avec ses propres nuances, son propre caractère.
Le poëte de Baltimore manifeste un comportement presque désinvolte. Il lève les yeux au ciel. Ce sont surtout le noir et blanc de la photo, les habits sombres, les poches protubérantes des paupières basses, et la moustache couvrant la lèvre supérieure, qui donnent l’impression de mélancolie générale de cette image. Mais regardez de plus près les effets de la dissymétrie sur l’hôte du corbeau. Si l’oeil droit exprime de francs rayons « d’homme-qui-veut-avoir-l’air-beau-sur-la-photo » vers l’objectif, le gauche, plus bas que l’autre, se rabougrit sous un sourcil tombant en diagonale, et envoie comme une sorte de faiblesse, de fragilité, et d’embarras que ne contient pas son partenaire. Amusez-vous à masquer l’un et l’autre plusieurs fois : les impressions se font plus flagrantes.
Vous pouvez répéter l’opération sur d’autres figures, la votre aussi. Vous vous rendrez compte que notre unique faciès est en réalité composé de deux visages, collés l’un à l’autre. Deux nous potentiels, qui additionnés, nous réalisent pleinement tels que nous sommes. Discordance anatomique, d’accord, mais aussi dualité de notre personnalité, présente de façon concrète, peut-être ? Puzzle perpetuel de la Vie ? Comme si l’assemblage des plusieurs personnes nécessaires pour en créer une nouvelle se voyait là, imprimé sur la face, trahissant leur présence par delà les attributs physiques hérités. Un visage parfaitement symétrique a en effet quelque chose d’inhumain, et évoque un caractère parfaitement plat, de robot, ou de je-ne-sais-quel porte-manteaux. Ce qui est clair, quant à nous, c’est que nous sommes tous des Janus. Meme si beaucoup sont de vrais trous-du-cul.

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