Texte à l’arrache 341

 Dans Textes à l'arrache

(27 août 2017. 22h33. Marseille, Stade Vélodrome. Match OM-Monaco.)

-Aux Aaaaarrrmmeuh !

-Aux Aaaaarrrrmmeuh !

-Nous sommes les marseillais !

-Nous sommes les marseillais !

-Et nous allons gagner !

-Et nous allons gagner !

-Allllez L’Ohémeu !

-Alllez l’Ohémeu !


« OhOhwowololololohohohwowolololoooOhohwowolololoohohwowololo-lo! OhOhwowololololohohohwowolololoooOhohwowolololoohohwowololo-lo ! »

 

(27 août 2017. 22h36. Marseille, Cours Julien)

 

-Aaaaaaoouuuuhhhhhhhh !

 

Ce n’est pas la pleine lune qui déclenche la transformation du loup-garou du karaté marseillais, mais bel et bien le chant des supporters, les soirs de match. Ce « aux armes« , scandé par des dizaines de milliers de fans de foot. Et où qu’il soit dans la ville, les vibrations galvanisantes parviennent à lui, chatouillent ses particules lycanthropiques, et transforment Pierre Sabiani, honnête conseiller municipal, en homme-loup crapuleux.

Le Plateau. Dénominateur commun des quartiers de la Plaine, du Cours Julien, de Notre-Dame-du-Mont, et de toutes les rues qui vascularisent l’ensemble. Vu du ciel, on dirait une soupe instantanée renversée. Tous les vermicelles se sont éparpillés au hasard, et les morceaux de poulets entre, forment les pâtés de maisons. La rumeur du stade, comme un monstre lointain, grogne par intermittence au dessus des réverbères.
Une ombre saute de toit en toit. Un oeil aiguisé pourrait la voir se dessiner sur les nuages placides, qui dérivent comme des baleines endormies, mais c’est essayer de suivre une puce hyperactive du regard. 
Elle se pose sur une corniche surplombant le carrefour biscornu où se rejoignent la rue Saint Pierre, la rue de Tilsit, et la rue des Trois Frères Barthélemy. C’est le loup-garou.
De son poste d’observation, il entend de la musique remonter sous ses pattes.

« depression existentielle, soldes de tout comptes, la véracité des faits, reste, à prouver.

 

Panpan cucul

 

Panpan

 

Panpan cucul

 

Panpan

Panpan cucul

 

Panpan

Panpan culcul

 

Panpan

 

Panpan culcul … »

C’est le salon de tatouage en contrebas. Quelques punks sans allure entrent, et sortent, et viennent, et stagnent. la porte fonctionne comme la soupape d’une cocotte-minute, laissant sortir des notes en guise de vapeur.

Dans sa semi-conscience d’animal sauvage, il reconnaît certains visages. Voici John, Gin, Tony, Lou, Thomas, le grand maigre qui boite, plus Franky dans la nuit, et d’autres amis, en train de fumer des clopes. De mauvaises proies. Tomber sur ceux-là ne ferait qu’enlever des copains. Les bars autour sont du même acabit : deux ou trois personnes postées à l’entrée, verres à la main, ou sur les tables. Non. Eux, ils savent. Eux, ils connaissent la bête.

Le loup-garou écoute un peu le concert, opine du museau en rythme. Soudain, sa truffe humide se fige, et ses oreilles pointues se dressent. Il y a du gibier à proximité.

Simone, soixante douze ans, clopine sur le Cours, à proximité de la bouche de métro. La fièvre du Vélodrome se transmet a Pierre Sabiani, qui est, malgré son indifférence pour le ballon rond, le jouet des acclamations du public. L’équipe vient de marquer un but, aussi à t’il faim. Très faim.

Simone, soixante douze ans, ronde et boiteuse, attend que le feu passe au rouge pour traverser. En face, trois jeunes larrons ensurvetés, pantalons de sauterelles, et casquette serre-cortex, interrompent leur discussion. Clip, clop, clap, clip, clop, clap, fait la vieille chose qui déambule sous leurs tarbouifs. Clip, clop, clap, clip, clop, clap, c’est un tripode usagé, essoufflé, déglingué, une personne âgée, avec une canne pour tout bouclier. Simone, soixante douze ans, machin, et fière de l’être, traîne sa carcasse, les dépasse, et trace sur la place, au milieu du trottoir doré par les lampadaires. Le trio reprend le conciliabule. Accents forts, mots en papier de verre, exclamations aggressantes…

Soudain, une masse énorme tombe à leur pied. Mais le gros sac lourd qui vient de dégringoler du ciel n’est pas un gros sac lourd : c’est le loup-garou prêt à frapper !

Deux des gars s’enfuient aussitôt, de part et d’autre de la rue des Trois Frères Barthélemy, celui qui reste se retrouve nez à crocs avec le canidé surnaturel. Une atmosphère de Grèce Antique remonte des auto-bloquants. C’est la saveur de la malédiction. Les éclairages artificiels accentuent les ombres que porte la créature humanoïde. Une tête de triangle pleine de poils et de dents, un rictus carnassier posé sur une veste d’université, un maillot de foot azur et blanc, un jean râpé aux genoux, et des baskets boueuses. Alors que sa victime inonde ses sous-vêtements d’effroi, incapable de hurler, le loup-garou passe son bras autour de ses épaules, commence à lui tapoter la cuisse à petit coups de genou, et lui sussure d’une voix crépie à l’esgourde :

-Tu connais,

Karaté ?

Karaté ?

Karaté ?

Karaté ?

Karaté?

Karaté?

Karaté ?

Karaté ?

Karaté ?

Karaté ?

Karaté ?

Le lascar n’est plus qu’une boule de peur et d’urine, recroquevillée sous un distributeur de billets, à la merci de son bourreau. Mais il est déjà reparti gambader sur les tuiles, son butin en poche : un joli portefeuille de neuneu, dans lequel il pille une belle carte de transport en commun, un billet de vingt euros, plus un peu de mitraille. Le loup-garou est satisfait, il va pouvoir s’acheter un kebab bien juteux à l’Olympien, sa gargotte favorite.

Les platanes écorchés, prisonniers des trottoirs, implorent de leurs bras le malheureux ciel obturé. Des cages en métal s’énervent sur la route, sous les regards absents des fenêtres et des statues d’immeubles. Un vent froid nettoie la rue des Trois Frères Barthélémy, léchant les murs et embrassant les graffitis humides. Des papiers gras volent au dessus des merdes de chiens. Deux rats se bagarrent sous un tacot huileux, tandis que la lune gibbeuse jette son oeil blanc à travers l’embrasure d’un cirrus. Le stade est en fusion. Victoire six à un. Tandis que les hourras s’agitent dans les tribunes, un cri puissant plane à l’unisson sur le Plateau, pétrifiant de frissons les habitants du soir.

 

-Aaaaaouuuhhhaaalllél’OooohééééémmmmouuuuuuhhhhHHhh !

 

(Idée : John. Grosses bises à Tony !)

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