Texte à l’arrache 4

 Dans Textes à l'arrache

Dans l’entreprise, on avait décidé de faire la révolution. Les délègués avaient demandé de « courir sus » aux patrons. Courir sus. Beaucoup rirent à cause de l’expression, blaguant sur cette conception inédite de fellation galopante. Il faut dire que le délégué principal s’appelait Louis Dizuhite, et qu’un flot de royalisme inconscient coulait dans ses veines. Une fois l’hilarité passée (au bout d’une heure à peu près), on rumina collectivement au sujet du renversement de l’oppresseur. La colère était justifiée : les possédants, les suppôts du capital, les gens de biens, se cachaient à peine derrière un discours menteur de solidarité générale. Mais il n’etait pas compliqué de se rendre compte que leurs phrases ne servaient qu’a justifier leur enrichissement personnel, et leur autorité sur la masse. En clair, on trimait pour eux, pendant qu’ils se doraient la pilule en écoutant les sous tomber dans leurs énormes tirelires. On avait meme plus le temps de réfléchir aux causes de nos misères. C’en était trop. On demanda aux employés de se mettre d’accord sur la forme de la contestation. La seule proposition à sortir du silence était de faire une micro-greve quotidienne d’une heure, afin que ces messieurs du pouvoir entendent l’agacement de la base, prennent peur, et enfin ouvre les vannes du pognon universel. On etait tous d’accord. Mais un des salarié s’avança au milieu des autres. C’etait un petit bonhomme verdatre, palichon, maladif, habillé de noir, pelliculé sur les épaules, blanc de cheveux. C’etait Robert Pierre, le plus hargneux des agents du pôle. D’une voix bleme, il tint à peu pres ce langage : (« il va encore nous faire tout un fromage », chuchota une voix) « Citoyens ! L’heure a sonnée pour nous de nous lever. La greve quotidienne n’aura aucun effet, car les grands vampires gouvernementaux nous laisserons faire jusqu’a ce que nous nous lassions, et que nous abandonnions. Ils nous méprisent, sachant qu’ils ont le temps de leur coté pour faire passer leurs lois iniques. (Il y eu des rires étouffés). Nous devons frapper un grand coup, en mettant l’opinion publique de notre coté ! La micro-greve nous fera passer pour des emmerdeurs trop gatés. Je propose une autre action : à partir de maintenant, validons tout. Ne cherchons pas à comprendre, disons oui à tout. D’une part, les gens seront content, car ils ne subiront plus l’enfer administratif qu’on leur impose en temps normal, et d’autre part, nous creerons facilement un cataclysme financier. Paniqués à l’idée de perdre de l’argent, je peux vous assurer que les manitous accederont tres vite à nos exigences. Qu’attendons nous, citoyens ? Nous avons juste besoin d’audace, encore d’audace, toujours d’audace !!! » La harangue de Robert Pierre était terminée. Une mouche vola bruyamment dans la piece… On était vendredi apres-midi, juste apres la pause déjeuner. Quelques raclements de gorge se firent entendre. Une quinte de toux emana du bureau de Luc Danton, le RH. La reunion s’achevait. Les employés retournèrent, le regard fuyant, à la machine à café. On s’etait mis d’accord pour la greve quotidienne…

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