Texte à l’arrache 42

 Dans Mémoires de musicien, Textes à l'arrache
(Extrait de mes mémoires : Moi, Je, Personnellement, sortie prévue le 23 février 2021, aux éditions Masturbard, qui seront disponibles dans la poche intérieure gauche de mon costume de macchabée. Passage issu du tome 25, livre 41: mes années rock.)

Quand je suis rentré dans Nitwits, je devais avoir un peu plus de vingt ans. Après trois premières années foirées, plus trois cent soixante-cinq jours à tenter désespérément de rentrer dans la vie active, une dérogation m’avait permis de reprendre le chemin de la faculté. Cette fois-ci, je m’étais lancé dans des études d’Anglais (littérature & civilisation),et contre toute attente, je m’y retrouvais enfin. Coté musique, c’était la crise mystique grave : le métal était la vérité, et la double pédale, son ayatollah. Hélas, malgré mes efforts acharnés, j’étais incapable de tricoter correctement. Avec mon copain Belzemouk (que je retrouverais plus tard dans Supertimor), on était à fond sur ce son, surtout le death, le grindcore, et le black métal. Radiohead , c’était bon pour les baltringues. Ok Computer, bon Dieu que c’était mou du zboub. Au milieu des années quatre-vingt-dix, il n’y avait pas plus transgressif pour des adolescents que l’extrême terreur sonore. Les jeunes gens ont souvent tendance à être mono-émotif . Belzemouk et moi, on ne voulait que du brutal, du dégueulasse, du choquant, comme les films d’horreur qu’on louait par caisses entières au vidéoclub, tous les après-midi. On était servi : c’était la grande époque du black métal sataniste, les mecs de Mayhem sniffaient des corbeau morts, se faisaient des collier en crâne de suicidés, brulaient des églises en bois du XIème siècle… C’était des débiles qui avaient pris Kiss au premier degré, et on adorait ça. On cultivait un plaisir gourmand pour les bizarreries, ça faisait un peu peur aux parents (qui en réalité, devaient certainement nous trouver aussi cons que des ados puissent être). On était aux anges. Son Altesse Sérénissime avait de surcroît ce qu’on appelle un flair insensé : il sentait toujours, avec plusieurs années d’avance, ce qui allait être le truc le plus souterrain du moment. Il recevait des fanzines obscurs, des cassettes louches, en provenance de Scandinavie. Des groupes qui s’appelaient Emperor (les meilleurs), Immortal, Dark Throne, Absurd, Dark Funeral, Possesed, Inverted Pentagram, Impaled Nazarene, Goat Semen, Diabolical Masquerade. On se foutait de la gueule de Burzum et de son synthé trisomique. Pendant que les suppôts du diable dévastaient le grand Nord, on les écoutait, sourire aux lèvres, jubilants, dans une chambre du cours Franklin Roosevelt. Même aujourd’hui, S.A.S est imbattable. Ses gouts ont changés, ses émotions se sont diversifiées, mais son talent ne s’est jamais gâté : il demeure le mec le plus à la pointe du pointu, le juge le plus sûr, le devin le plus visionnaire, le Prince du Bon Goût, il n’y a pas à débattre. Revenons à cette histoire de crise mystique : mon batteur préféré (il l’est encore), c’était Vinnie Paul, le tambour-major de Pantera, le type qui a insufflé le carré dans le métal. Et je ne voulais qu’une seule chose, jouer comme lui. Ses plans étaient géniaux. Combien d’heures ai-je passé dans ma chambre, a essayer de jouer « Becoming » ou « the underground in America » ? Des milliers. Pas assez. Im-po-ssible de faire pareil. Je me sentais si médiocre que j’avais l’impression d’être un clown de la musique, un usurpateur, un menteur. C’est un sentiment qui ne m’a jamais plus lâché depuis. Evidemment, au bout de quelques mois de ce traitement, j’ai pété les plombs sévère, et la Pearl a fini dans un coin poussiéreux. A chaque fois que je la regardais, le sentiment amer de ne jamais pouvoir devenir un vrai zicos remontait du fond de mes tripes. J’en concevais une mélancolie profonde, car je ne voulais pas être autre chose qu’un artiste. La mort dans l’âme, je me résignai à devenir un petit étudiant transparent, à réussir à décrocher un putain de diplôme, à devenir actif, socialement adapté, et à ne plus JAMAIS jouer au pseudo-rockeur. Fou de frustration et de honte, je lâchais la bande de mes potes, Belzemouk, Scoff, Tempier, ne me concentrant plus que sur des études que je voulais sérieuses. Tapoter sur mes cuisses était amplement suffisant. Quelque mois plus tard, en rentrant de la fac Saint Charles, qui à l’époque, était enclavée par les travaux de la nouvelle gare, je tombais sur Matwis. Matwis était un ancien camarade de classe (Je parlerais de lui plus tard), que je n’avais pas revu depuis le bahut. On s’est dit bonjour, comment ça va, qu’est-ce que tu deviens, tout ça. Il m’a demandé si je jouais encore de la batterie, car il venait d’entrer dans un groupe punk-noise, et ils avaient besoin d’un gars pour taper sur une caisse claire. J’ai répondu que j’avais abandonné le truc, mais il a insisté, argumentant que dans ses souvenirs, je jouais pas mal. D’où tirait-il cette information, je ne le saurais jamais, c’était probablement de la politesse. Finalement, j’ai accepté. D’une part, ça me démangeait de recommencer à faire de la musique, de l’autre, j’étais un sale connard qui se disait que ce serait plus facile de jouer dans un groupe de punk. Les inepties continuelles de la télé m’avait en effet persuadé que les punks étaient tous des bras cassés qui chantaient mal. Quelle andouille. Je ne le savais pas encore, mais j’allais rencontrer des mecs formidables, éclectiques, curieux, ouverts d’esprit, gentils, intelligents, qui allaient réaliser tous mes rêves de disques, de concerts, et de tournées. Merci Matwis, Ritchie, Juan-Lucas, Pippo, et toute la bande. Jusqu’au jour de ma mort je leur serais reconnaissant de m’avoir sorti de la case dans laquelle je m’étais rangé, et de m’avoir extirpé de la masse des cruels intolérants paresseux qui bousillent ce monde… (à suivre)

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