Texte à l’arrache 8

 Dans Textes à l'arrache

Le désir de mourir se lisait dans son regard en haute définition. De l’autre côté de l’écran plat, le personnage de publicité affichait cette expression, devant la famille attablée auprès de la télévision. Le récepteur faisait partie de la meute, et on se plaisait à l’écouter polyloguer toute la journée. Quand le personnage de publicité débarqua dans l’aquarium. Il se rendit rapidement compte que personne ne faisait attention à lui : il n’était là que pour quelques secondes, aussi vite disparu qu’arrivé… On ne se demande jamais où ils vont, les personnages de publicité, une fois leur dispensables produits présentés, et on a bien raison de ne pas se poser la question, car dans les faits, il ne se passe rien : le personnage de publicité nait et meurt à chaque diffusion. Il fait sa petite danse, dit son slogan, et ensuite, bing, dans les limbes avec les autres ! Tous les « vrais » (c’est comme ça qu’on appelle ceux qui vivent à l’extérieur de la boite à image), s’en fichent complétement, comme on se fiche toujours de ce qui nous divertit. Si seulement nous savions comment ces êtres éphémères nous considèrent… Au lieu de travailler, le personnage de publicité regardait. Il était censé vendre un fromage cancérigène, ou une assurance de bandits, peu importe, il ne s’en rappelait pas. Il était fasciné par la famille dans la salle à manger. C’est elle qui avait l’air d’une publicité ! Intoxiqués jusqu’à la moelle, consumés par le consumérisme, ils affichaient des rictus irréels, prenaient des poses irréelles, parlaient de choses et d’autres, mais surtout de marques, d’objets acquis, d’objets désirés, de produits superflus, mais indispensables. Un vertige saisit le personnage de publicité, et une grande mélancolie l’envahit : il les voyait aussi creux, aussi interchangeables que lui. Le papa, la maman, les enfants… Il les dévisageait, les jaugeait, les jugeait. C’est lui soudain qui était sérieux et réel, alors que ces individus non-fictionnels s’ébrouaient avec inconsistance, atteignant des altitudes de cliché encore jamais atteintes. Son cœur se fendilla : en plus d’être vains, ils ne le remarquaient toujours pas, lui qui était déjà venu chez eux des centaines de fois, avec son sourire impossible scotché sur sa figure improbable… Quelle ingratitude… « Voilà bien là la société de consommation » se dit-il « des indifférents, des blasés, divertis, donc détournés de tout, surtout de leur propre réalité, génériques au point de devenir plus intangibles que des fantômes. Dire qu’ils m’ont créé… Les salauds. » « Quand t’auras fini de philosopher, tu m’laisseras la place, c’est mon tour » ronchonna le lion de la pub pour les micro-crédits de la banque Alakhon. « On a un timing à respecter, gros. » Le personnage de publicité refusait obstinément de bouger, happé par le spectacle déprimant de l’existence sans but. « Oh ! Bouge ! Y a encore plein de trucs à vendre ! » dit le lion en posant la patte sur son épaule. Le fauve fronçait les sourcils. Vendre était une mission sacrée. Il avait été conçu pour ça. La bête le toucha encore une fois. Le personnage de publicité sentit la moutarde (d’une marque déposée) lui monter au nez. La mort dans son regard se tourna vers le roi de la savane, et, prit par une colère blanche, il enfonça son fromage cancérigène dans la gueule du félin, qui commença à se rouler par terre, l’écume aux babines. La famille s’en fichait pas mal, ils parlaient avec passion d’une nouvelle console de jeux. Le lion se tortilla, étouffa, et mourut. Pas bien grave. Déjà un autre prenait sa place dans la file d’attente, le microbe qui faisait la réclame pour la crème vaginale. Las, le personnage de publicité réalisa rien ne changerais jamais dans ce monde clos. La fin du monde, enfin, de la page publicitaire, arrivait. L’émission de télé-réalité allait recommencer. Dans son regard en haute définition, la mort se lisait toujours…

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