Texte à l’arrache 95

 Dans Textes à l'arrache

Toc toc
-Re-bonjour, c’est la Mort.
Ça faisait bien un lustre que Vinzo ne l’avait pas vu. Ils touchèrent leurs poings fermés, phalanges d’os contre chair. * Shmlk *.
-Entre, je t’en prie.
-Ça a changé chez toi, dis donc.
Au fil des ans, de déménagement en déménagement, l’appartement s’était agrandi, passant de la chambre de bonne sous les toits, à un logement spacieux. La Mort posa sa faux contre le porte-manteaux, regarda à gauche, à droite, observant les meubles, les bibelots, les tranches des livres dans la bibliothèque. Vinzo ne disait rien. Il n’était pas sûr que le squelette dans le linceul obscur fut impressionné par l’amélioration de son statut social. Difficile de lire des émotions sur la surface d’ un crâne…
-Tu veux boire quelque chose ? Pastis ? Whisky ? Absinthe ? Bière ?
-Va pour une bière.
-Ca tombe bien, j’ai de la Mort Subite, haha… Je t’en prie, assied toi.
Pendant que Vinzo farfouillait dans le frigo, la voix sépulcrale en provenance du canapé reprit la conversation.
-T’ as pas mal maigri depuis, Je me trompe ?
-Ouais, je suis pas en grande forme…
-Ca te va bien, je trouve. C’est élégant.
-Ah ça, dès qu’on a la peau sur les os, forcement, ça te plait… dit le maitre de maison en revenant, une bouteille dans chaque main.
-Trinquons.
-Tchin tchin.
La mort vida le contenu de sa binouze d’un trait, et immédiatement, le houblon se mit à dégouliner sur le sofa.
-Oh, pardon, j’ai fait un massacre !
-C’est pas grave, c’est de ma faute. Comment j’ai pu oublier.
-La dernière fois qu’on s’est vu, c’était il y a longtemps ! Quoi de neuf, mortel ?
-Pas grand chose. Je me suis un peu rangé des voitures… Y a pas à se plaindre : un chouette boulot, une petite femme adorable… Y a que la santé qui n’est pas au super top.
-Je sais…
-Tu dois l’avoir sur tes fichiers… Euh, tu ne viens pas pour… Ça, j’espère ?
-Non, non, non, pas du tout, pas du tout ! Je passais juste comme ça. Ça faisait une éternité.
-Ouf.
Ils passèrent le moment comme autrefois, en papotant. Vinzo ne jouait plus trop aux jeux vidéo, alors ils concentrèrent le débat, sur la musique, les films, les livres, etc. La Mort n’avait pas changé d’un fémur : elle passait son temps à se plaindre du monde en général, et de l’humanité en particulier. Les vivants l’horripilaient, mais l’attendrissaient tout en même temps. Elle trouvait le climat politique actuel détestable, les jeunes, débiles, les vieux, décatis, le reste, irrécupérable. Mais après avoir vidé son sac, elle fit ce que Vinzo préférait : raconter des anecdotes. C’était un plaisir, car avec ses milliards d’années au compteur, elle faisait étalage d’une érudition extraordinaire. Il l’écoutait d’un air passionné. Elle lui décrit comment Dante avait hurlé en la voyant, comment Alexandre le Grand avait couiné, comment Johnny Halliday avait imploré…
-Attends, attends. Il est pas mort Johnny.
-Oh si, ça fait une paie… Vous allez faire une drole de tête quand le Hallidaybot va commencer de se détraquer…
-On s’en est rendu compte depuis un moment…
Eclats de rire et souvenirs tendres continuèrent de s’enchainer. Quelque chose faisait cependant tiquer Vinzo : la Mort n’arrêtait pas de tortiller du bassin, comme si elle eu voulu demander quelque chose, sans oser l’exprimer. Au bout d’un moment, excédé par cette timidité inhabituelle, il lui fit cracher le morceau.
-Ben…euh… C’est à dire… J’ai pas fait mon chiffre aujourd’hui…
-Ah non ! Pas encore ! La dernière fois, ça été le bronx pour rentrer ! (nda : voir « bonjour c’est la Mort », courte courte histoire n°1. ) Ce coup là, Gin va me pourrir, tss. J’y vois clair maintenant, tu n’es venue que pour ça !
-Maaaieuh nooon ! Pas du tout, je voulais te voir, je te jure. Mais, bon… C’est vrai que ça m’arrangerait si tu venais avec moi.
-Pas question.
-Roh, allez, steup, fait pas ta pute ! Promis, ce coup-là, je te ramène personnellement, avec le Pimpbillard ! Qu’est ce que tu en penses ?
-Plutôt crever.
-Ça, ça peut s’arranger…
-Hum… Bon, alors d’accord. Mais je te préviens, c’est la dernière fois !
-Youpi ! Alors, on y va !
La Mort se redresse d’un bond, et prend Vinzo par la main. Ils ne sautent pas par la fenêtre, comme la dernière fois, vu que maintenant, il habite un premier étage courtaud.
-Ta chaudière, elle marche au gaz ?
-Euh, oui, oui.
-Parfait…
La Mort tourne les boutons de la machine à fond. Au bout de quelques instants, ça pue dans tout l’immeuble. Satsifaite, elle fouille dans les replis de sa toge noire, sort une allumette, qu’elle gratte contre son cubitus plusieurs fois et…

-BOUM!

(dédicacé à son altesse Jean-Louis Labarre)

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