Chant Trente-Deuxième

 Dans L'Enfer de Dante

(Résumé : Après bien des chants à traverser les champs hideux du huitième cercle, Dante et Virgile, aidés par un géant, ont pu accéder au niveau inférieur, le dernier ! Bientôt la sortie, youpi, mais ici, quelles nouvelles surprises attendent nos deux zigouigouis ?)

 

Ha… Si je connaissais des rimes bien dures et bien rappeuses, je pourrais exprimer vraiment toute ma pensée devant ce trou affreux, le plus bas bas bas, celui sur lequel repose tous les autres. Mais bon, je n’en ai pas, alors je vais y aller comme je peux, avec le trac… Décrire le fond de l’univers, ce n’est pas facile comme jeu, c’est pas comme balbutier des mots style « mamma », »babbo », « blublu », etc. Je demande donc aux muses de m’aider un chouille sur ce coup, pour que mes mots collent le plus à ce que j’ai contemplé. A vous, les pires des maudits, dans cet endroit si difficile à décrire, il aurait mieux valu que vous soyez des chèvres et des brebis. Dédicace à tous les ruminants…
Lorsque on s’est retrouvé tout au fond du puits, bien en-dessous du niveau des pieds du géant qui nous avait déposé, je contemplais les murailles, quand soudain, une voix s’est adressée à moi :

-Oh, machin ! Fais gaffe par où tu passes ! Ne marche pas sur la tronche des pauvres misérables, tu serais gentil.

Je me suis retourné. Devant moi, sous mes pieds, il y avait un grand lac gelé. Ça ressemblait plus à du verre qu’à de la glace. Même le Danube en hiver ne cache pas son cours sous un voile aussi dru, c’est dire. Jamais vu une croûte aussi épaisse. Les montagnes du Tambernicchi ou de la Pietrapana seraient tombées dessus, ça n’aurait pas même fendillé les bords. Les têtes des malheureuses ombres, livides, sortaient à la surface, telles des grenouilles qui coassent, le museau hors de l’eau. Elles claquaient des dents, et ça faisait comme un concerto de castagnettes. Elles gardaient le visage baissé. Il suffisait de voir leur bouche pour se rendre compte du froid, et leur yeux pour juger de leur tristesse intérieure. J’ai laissé mon regard errer dans le paysage, jusqu’à ce que je remarque deux têtes, tellement serrées l’une contre l’autre que leur cheveux s’emmêlaient.

-Hey, les deux collés-serrés, dites moi qui vous êtes, je leur ai dit.

Elles ont tordus leurs cous en arrière, et ont levé les yeux vers moi. Elles se sont mises à pleurer, mais les larmes, qui gouttaient sur leurs lèvres, gelaient entre leurs paupières, les soudants entre elles, plus fortement que deux morceaux d’acier en fusion. Ça les a mise en pétard, et elles ont commencé à  se cogner le crâne comme deux boucs en folie.

-Mais qu’est-ce que tu regardes, toi ? m’a dit une autre tronche pas loin, qui avait perdu ses oreilles à cause du froid. Si tu veux tout savoir, ces deux-là sont frangins, fils d’Alberto degli Alberti, un noble florentin. De toute la Caïna (c’est la où on est, la région des fratricides, parricides, et traîtres en tout genre), t’en trouveras aucun qui ne mérite plus d’être congelé que ces margoulins. Même le roi Arthur, en tuant sont fils Mordred, même Foccacia de Cancellieri, qui a coupé la main d’un de ses cousins et tué son oncle, même Sassol Mascheroni (j’y pense tout le temps à celui-là), dont tu as du entendre parler, vu qu’il est Toscan, et qui a tué son oncle aussi, c’est moins pire… Mais trêve de blabla : moi, je suis Camicion des Pazzi. J’ai tué un de mes parents, Carlino, pour de sombres histoires de politique… Boaf, lui aussi en avait commis, des crimes, j’espère que ça allégera ma punition, m’enfin, on peut toujours rêver…

J’ en ai vu des milliers, de ces faces surgelées… Depuis, je frissonne a chaque fois que je vois un pot de glace dans le congélo… Après ça, on est allé vers le centre, le point où repose toute la masse au dessus. Punaise, ça caillais sec ! Je ne sais pas si le hasard l’a voulu, mais en marchant, j’ai trébuché violemment sur une caboche.

-Ahhh, mais t’es malade toi ? T’es envoyé là pour me tourmenter encore plus ou quoi ? elle m’a crié en chialant.
-Maître, vous permettez que je lui parle ? Il faut que je m’ôte d’un doute, promis après, je me dépêche !

Virgile s’est arrêté, et moi, je me suis approché du damné, toujours en train de jurer.

-T’es qui toi ? C’est quoi ton blème ?
-Et toi, t’es qui ? Il a répondu, le mec qui se balade ici, dans l’Antenora en jouant au foot avec les joues des autres, hein ? Il manquerait plus que tu sois vivant, tiens.
-Mais je suis vivant, tiens. Et si tu veux qu’on se rappelle de ton nom comme celui des autres que j’ai noté, tu ferais mieux de me le donner
-J’ai pas envie, bouge, tu me fatigues. Tu sais pas comment t’y prendre ici…

Je l’ai chopé par le chignon.

-Donne moi ton nom si tu veux qu’il te reste des poils sur le caillou…
-Héééhééééhoooo, quesstufais ? Non, ch’te dirais pas mon nom ! Tu peux bien me taper mille fois dessus, Lulu.

J’avais ses cheveux enroulés dans ma main, j’en avais déjà arraché pas mal. Lui, il aboyait, les yeux révulsés, lorsqu’un autre a crié.

-Hé, Bocca, a dit la voix, déjà que tu claques des dents, en plus tu couines ? Quelle mouche maléfique t’as piquée ?
-Bocca, hein ? j’ai fait. C’est plus la peine de cracher le morceau, vilain traître. Je vais te fiche la honte, et en plus ce sera vrai.
-Vas-y, raconte ce que tu veux, j’m’en cogne. Mais avant que tu t’en ailles, laisse-moi t’en apprendre de belle sur la pipelette avec qui tu as parlé tout à l’heure. Il regrette les français, surtout leur argent, hinhinhin. Vas-y, vas-y, dis leur, aux autres, que là où les pécheurs sont au frais, il y a Buoso de Duera de Crémone, haha ! Et si on te demande qui est-ce qu’il y avait d’autre, là tu as Beccaria, décapité par décision de Florence, héhé ! Et là-bas, Gianni del Sodanier, Ganellon, Tribadello, des traîtres, traîtres, et re-traîtres, mouhuhuhuhu !

Nous, ça faisait un moment déjà qu’on l’avait laissé braire tout seul, quand j’ai vu dans un trou deux gelés. C’était bizarre, il y en avait un retourné par dessus l’autre. Leurs têtes se touchaient, et celui qui était en dessous mordait son compère à la nuque. Il lui rongeait le cerveau.

-Heu, j’ai dit, pardon monsieur qui avez l’air d’être très en colère. Si vous me dites pourquoi vous avez la haine contre ce type, et que vous me laissez vous poser quelques questions, je vous jure que je ferais un article sur vous, une fois revenu à la surface. Si ça vous dérange pas de causer, bien sûr…

 

(Texte original : en italien, en français.)

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