Le Tueur de Canons (attention : interdit aux – de 18 ans !)

 Dans Nouvelles

Première partie. Narration.

Le « tueur de canons » sévit depuis des mois. On retrouve ses victimes exécutées d’une seule balle dans la tête, tirée avec un pistolet équipé́ d’un silencieux. L’assassin arrive par surprise, lorsque la personne est seule, et bang, il commet l’irréparable, avant de disparaître comme un fantôme, invisible aux caméras de surveillance. Il sait toujours où et quand frapper. Parfois, il lui suffit simplement de sonner à la porte de sa proie. On ne se rend compte du crime que beaucoup trop tard…
Pourquoi le surnomme-t’on ainsi ? Parce que ses cibles ont en commun une certaine beauté, celle décrite par le cahier des charges de la joliesse contemporaine : mannequins, égérie de lingerie, starlettes, jeunes premiers, etc. Hommes comme femmes sont visés.
L’affaire commence à prendre de l’ampleur, quand le corps du top model Mariana Bruneschi est découvert dans sa chambre d’hôtel, étendue sur le lit, une forure noire au milieu du front. Les média se gardent de montrer des photographies de la scène de crime, se contentant d’inonder le fil d’actualité de clichés montrant la jeune déesse encore vivante. Pas par pudeur, non, à cause de la stricte interdiction et surveillance de la police, désireuse qu’on n’ébruite pas ce cas de tueur en série trop discret. Pourtant, une photo du cadavre fuite par la plomberie du net : l’objectif de l’appareil de la section scientifique a capturé une pose digne d’une couverture de magazine de mode. Elle est vêtue d’une robe de soirée de soie noire, reposant sur le dos, désinvolte, insouciante, lascive, ses beaux cheveux en éventail sur le drap, l’air juvénile et absent. Ses longues jambes, placées en guillemets vers la gauche, laissent voir le trait marqué des bas qui assombrissent ses chairs, les rôtissant d’une sorte d’appétissante cuisson sexuelle. Sa taille dessine la colette d’un diamant de qualité. Le corsage de la robe s’évase sur une toute petite poitrine, aux seins absents, semblable à une chrysalide. Ses bras, étalés de part et d’autre du matelas, reposent dans la position de la plus parfaite détente. Ils sont fins, fermes, délicats, fixes. Aux poignets, des bracelets, gris-gris et breloques de créateurs . Ses poings d’enfant se ferment sur ce qui a du être sa dernière tentative pour s’accrocher à la réalité, voulant par réflexe saisir quelque chose afin de ne pas tomber dans ce gouffre sans retour. Sur son torse brillant est disposé un sautoir néo-nouveau, rappelant, dans cette situation macabre, un attrape-rêve hors d’usage. Il entoure la colonne d’ivoire de son cou, et au sommet, il y a son visage de poupée. Dans un losange bien tracé, on y voit ses lèvres, sucrées de gloss, légèrement ouvertes, et son minuscule nez retroussé de petit elfe des bois, mais ce qui frappe surtout, ce sont ses iris de glace, vides, creux, voilés, bloqués, reflétant la surprise la plus horrifiée. L’ultime vision d’un bourreau. Entre les deux reliquaires, au milieu du front blanc et pur, un minuscule tunnel s’enfonçe profondément dans l’obscurité de sa boîte crânienne, laissant deviner la coupe en tranche de l’os maculé de chair.
La petite plaie ronde, entre les magnifiques yeux de biche de Marianna déclenche une tempête de discussions chez les internautes. Mon Dieu, elle était si belle… Les portraits retouchés, recadrés, refiltrés, recyclés, retournés, apparraissent en masse, et les mouvements de soutien anti-monstre aussi. Malgré, ou à cause de cela, les meurtres continuent, s’intensifient dans leur cadence. L’ombre se met à estourbir des maniaques du selfie, ceux connus par plusieurs millions de personnes. Même cibles, même méthode. Simple. Efficace. Aucun message à la presse, ni à la police. Le tueur de canons est aussi mystérieux que le Zodiaque. Et on atteint les vingt et une victime.
Moi, ça m’est un peu égal. J’aime regarder les belles plantes, oui, mais leur quotidien m’importe peu. Les nouvelles des exactions du tueur de canons attirent parfois ma vision périphérique, mais j’ai d‘autres chats à fouetter. La vie ne m’a pas gâté, il faut dire. En plus d’un pied bot acariâtre, qui fait de ma vie un chemin de croix, je suis né doté d’un très important bec-de-lièvre. Très important. Trop important. En vérité, il m’avait emporté une partie de la cloison nasale, et je ne pouvais ni respirer, ni m’alimenter correctement, une fois sorti du ventre de ma mère. Les docteurs constatèrent qu’il me manquait trente pour cent du visage, que c’était problématique, mais que c’était opérable. Et c’est ce qui s’est passé. On m’a opéré. Mille quatre cent soixante-quatorze points de suture pour me rafistoler. Je ne suis pas très joli, joli, mais ça passe, si on n’est pas trop difficile. Mes parents ont été aimants, bien que j’ai toujours senti un certain malaise, recroquevillé comme un ver, derrière leurs pommes. Un je ne sais quoi qui refusera toujours de sortir, à cause du serment tacite qu’ils se sont fait tous les deux, en voyant ma tronche après l’accouchement. Cela m’importe peu, en vérité. Passer mes journées à souffrir en silence, à cause de la jambe tordue que je traîne comme un boulet, ne me laisse pas le temps de réfléchir à autre chose qu’a ma dignité personnelle lorsque je me retrouve à l’extérieur…
Dans ces conditions, logique que le tueur de canons soit le cadet de mes soucis, d’autant plus que ma modeste profession d’agent de ménage, et une tendance naturelle à la timidité, ne m’encouragent pas à m’intéresser aux remous de la mare sociale. Je m’y trempe rarement. Pour moi, tout est tout le temps pareil. Les hôtels, les hôpitaux, les gares, les morgues, les bibliothèques, les casernes, les postes, les bureaux, tous identiques et blafards, s’égrainent au long fil des jours, dans n’importe quel ordre, mais dans la même succession de linoléum et de faux plafonds blêmes. Sur le sol de faïence des toilettes et des salles de bain, je nettoie des crasses cachées dans des endroits que la pensée n’aurait jamais imaginés. Ces petits monticules de matières noires entassés dans les recoins les plus inatteignables, je mets toujours beaucoup de zèle à les rayer de la surface de la terre. Il y en a dans toutes les pièces, mais ceux des sanitaires me sont les plus odieux, les plus répugnants, les plus inadmissibles, les plus intolérables. Mes frottements enragés ne cessent que lorsque mes doigts trouent la serpillière ou l’éponge que j’utilise. L’avantage, c’est qu’après mon passage quelque part, tout est immaculé.
Ma conscience professionnelle (et obsessionnelle) me vaut l’admiration de mes employeurs. En rétribution, ils me confient souvent des missions dans des palaces à cinq étoiles, histoire d’approcher le luxe. La saleté est pareille, sinon pire, qu’ailleurs, mais j’ai le privilège de pouvoir apercevoir subrepticement le beau monde. J’imagine de belles dames, qui dans leurs chambres, mettent leurs atours les plus aguichants, pour séduire des hommes tout aussi élégants, préparés à l’amour comme pour la guerre. Ces personnages merveilleux, je ne les croise que quelques instants, en cachette, quand, dans les vapeurs des néons du hall d’entrée désert, juste avant l’aurore, je récure la saleté sous le comptoir du concierge. Ils passent parfois, le regard brumeux et le sourire dérisoire, fatigués comme les premières lueurs de l’aube naissante. Des messieurs, riants et titubants, accrochent leurs bras à la taille de femmes à la fraîcheur moqueuse, irréelles, toutes moites d’alcool, de fêtes, et d’envies…
Les femmes de rêve sont les plus sales, entre parenthèses. A croire que les personnes plastiquement privilégiées produisent plus de malpropreté que leurs congénères. Leurs impuretés se déposent partout, bouchant les rigoles des douches, obscurcissant le joint du carrelage, se collant sur le cadre des miroirs. Je n’en reviens pas que cette poussière infâme puisse être formée du conglomérat de peaux mortes, d’ongles coupés ou rongés, de poils intimes, de sébum, et d’autres fluides corporels de ces créatures délicates. Sans me l’expliquer, je trouve ces déchets du quotidien d’une trivialité grossière. Et, cette trivialité, je la détruis avec vigueur, avec acharnement, avec rage, bien qu’ayant parfaitement conscience de l’insignifiance de mes prérogatives.
Un soir, tard, plusieurs semaines après le dernier forfait du tueur, je brique une chambre de l’hôtel H… , un hôtel a thème XIXème siècle, un peu victorien, un peu steampunk, noyé dans les clichés post-moderne de notre époque, vis-à-vis de celle-là. Quand on franchit le seuil de la double porte, ornée d’une plaque de cuivre sur laquelle est écrite, en amples lettres françaises « Suite Impériale », on pénétre dans un séjour à la hauteur de ce que promet l’écriteau : la vaste pièce, d’une soixantaine de mètres carrés, est décorée avec tous les apparats du luxe. Un immense téléviseur dernier cri s’expose devant un canapé et des fauteuils Chesterfield rembourrés de cuir et de velours. Dans un coin de la pièce, un bureau, de style ministre, attendent qu’on vienne y poser un ordinateur portable, comme le laisse deviner le câble Ethernet discrètement inséré dedans. Ses tiroirs sont vides, à l’exception d’un seul, contenant toute la documentation en rapport avec les appareils électroniques de la chambre, ainsi que la liste des innombrables services proposés par la réception, accessible via le téléphone, imitation d’un poste à cadran des années cinquante. Sur un guéridon tripode, trône un vase où trois orchidées s’épanouissent dans toute leur gloire, et une table en chêne massif, ornée et travaillée pour emporter le voyageur dans une autre époque, se trouve là aussi, avec ses quatre chaises, prêtes à accueillir les invités potentiels. Au sol, une moquette moelleuse imite un tapis persan aux multiples bordures, à frises alambiquées, à arabesques entortillées jusqu’à en devenir narcotiques. Le revêtement étouffe les bruits de pas, en aspirant les pieds dans son épaisse densité. Evidemment, coffre-fort, climatisation, chaîne hi-fi, et minibar les plus sophistiqués sont installés. Le séjour distribue les autres pièces, à savoir, deux grandes chambres, avec deux lits simples pour l’une, et un grand lit à baldaquin pour l’autre, ainsi qu’une salle de bain plus équipée qu’un centre de thalassothérapie.
J’époussete des bibelots dans le salon, quand on toque. Je me dirige vers la porte, étonné qu’elle se soit fermée, car il me semble avoir mis le frein en l’ouvrant. Je m’attends à trouver un collègue ayant oublié son passe-partout, un employé, ou un client étourdi. J’ouvre, et le cylindre d’un silencieux apparait, pointé sur ma figure.
-Rentrez, je vous prie, dit une voix d’homme avec douceur, tandis que le canon rallongé s’avançe jusqu’à presque toucher le bout de mon nez.
Pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression qu’un revolver coiffé d’un chapeau mou me parle. L’adrénaline, plus piquante et plus tyrannique que du curare, inonde mon cerveau, pinçe mes nerfs, et tétanise mes muscles, comme une énorme crampe. Ma gorge se noue. Impossible d’ouvrir la bouche ou d’émettre le moindre son. Je m’exécute, sans avoir vu le visage de l’homme, toujours masqué par l’arme qu’il me pointe dessus.
-Tournez-vous, poursuit la voix d’un ton poli, mais ferme.
Avec habileté, il me lie les poignets. Je sens le courant d’air produit par l’arme, m’invitant à m’assoir sur le canapé en face de moi.
-Allez, allez, fait la voix.
J’obéis. Simultanément, il prend place dans un des fauteuils. Et alors je le vois.
Un trench-coat brun le recouvre presque entièrement, et le feutre mou ajoute au camouflage. Seuls sont visible les yeux, le nez, et la bouche, encadrée par le col relevé du trench-coat. On devine très vite que ses traits sont fins : la bouche, courte et délicatement ciselée, d’un rose frais, le nez, étroit, aux lignes fermes, aux angles nettement dessinés. Les yeux, surtout, d’un bleu glacial, entouré d’un cercle d’un bleu plus sombre, lancent des éclairs magnétiques, sensuels, féminins. Mais il s’agit bien d’un homme, d’un jeune homme, d’une vingtaine d’années tardives. Une fine moustache blonde surligne sa lèvre supérieure. Avec son déguisement, il est presque parodique, pourtant, un calme froid se dégage de son regard d’iceberg. L’arme me menaçe toujours, avec franchise. Il me contemple pendant ce qui paraît être des heures, observant particulièrement la cicatrice qui raccorde les différentes parties de mon visage ensemble, avec un intérêt médical. Ni haine, ni empathie, ne se dégagent de lui, aucun sentiment. Il ne me juge pas. Il m’étudie.
Finalement, tout en continuant de pointer son pistolet, il croise les jambes, et soupire.
-Je suis navré, dit-il, navré de me présenter de façon aussi grossière. Pardonnez-moi, je vous prie, je n’ai pas le choix, vous comprenez ? Mais j’aime beaucoup votre attitude, vous êtes très sage. Vous permettez ?
Il retire son chapeau, et le pose avec élégance sur le bras du fauteuil. J’ai la certitude à cet instant d’être en face du tueur de canons.

Je ne sortais pas trop, pendant ma jeunesse. Même si la chirurgie m’avait refait un visage qui ne faisait pas hurler les gens de terreur dans la rue, je conservais une nature solitaire, et préférais m’échapper dans la lecture, plutôt que dans un parc, ou un stade, ou n’importe quel autre lieu de socialisation. Un de mes livres favori était une mythologie grecque et romaine pour enfants, superbement illustrée. Une des illustrations, justement, me fascinait. Le peintre avait représenté Thésée en plein corps à corps avec le minotaure : les deux lutteurs sont à terre, dans une caverne du Labyrinthe. Thésée est au-dessus de l’homme taureau, la dague prête à égorger le monstre contre nature…
Le jeune héros grec était d’une beauté renversante, blond, bouclé, le nez droit, l’air implacablement viril. Nu. J’étais étourdi de la force de domination qu’il dégageait malgré son embarrassante nudité. Un mélange de délicatesse et de brutalité, qui cohabitaient en parfaite harmonie.

L’image du beau jeune homme est resté dans un coin de ma mémoire, et aujourd’hui, il est là, devant moi. Le tueur de canon est d’une beauté surnaturelle, universelle. N’importe qui le trouverait magnifique, et personne ne pourrait dire le contraire sans une mauvaise foi éhontée, tant l’auréole de charisme émanant de lui est radieuse. Oui, le tueur de canon est d’une perfection physique suprême. Maintenant, c’est moi qui le guette, l’observe, et le décrypte en détail…

Il jette les yeux sur le côté, poliment exaspéré, passe son poing ganté libre dans ses cheveux brushés, puis à sa bouche. Il tousse. Il ressemble à un loup sauvage, qui montre parfois des attitudes attendrissantes de chien domestique, sans cesser néanmoins d’être un insatiable prédateur.
-Bien. Assez d’admiration mutuelle, dit-il. Je n’ai pas beaucoup de temps. J’ai à vous proposer quelque chose. Ne parlez pas…
Il me vise. Je hoche de nouveau la tête. Il regarde la moquette, cherchant dans les bandes tortueuses une forme d’inspiration suffisamment éloquente, promène un petit bout de langue sur ses lèvres, puis me regarde de nouveau, avec des yeux qui me perçent de part en part, sans aucune amitié. Ce n’est pas l’arme de poing qui me terrorise, c’est cette œillade, attirante, mais froide comme un cadavre en rogne.
-Hum… Je n’aime pas les gens qui parlent, ça m’agace. Je m’agace moi-même présentement. Mais je n’ai pas le choix, puisque je dois le faire, dans cette situation… Je n’aime pas le son d’une voix, c’est si laid, si impermanent…Mais passons. Vous m’intéressez. Non, ne répondez pas s’il vous plait, je ne voudrais pas avoir à tirer sur votre si intéressant visage. Vous devez vous demander, pourquoi je m’adresse à vous, pourquoi je fais cela… Pourquoi je tue… Je sais que vous savez qui je suis. Alors, oui, c’est bien moi, le tueur de canons (dieu, je déteste ce nom, les journalistes sont méprisables). Moi je préfère rectificateur, harmoniseur… Mes parents ont été très durs, et je ne me suis jamais fait au monde. Je suis hideux, et en colère… Il y a des moments où il faut que je détruise quelque chose de beau, voyez-vous ? Enfin… Quelque chose que la majorité de la masse trouve belle. Moi je les trouve terrifiantes, ces incarnations. Devant un objectif, elles sont belles, parce que maquillées, éclairées, figées, transformées… Mais en réalité, elles bougent, et quand elles bougent, elles sont affreuses. Par contre, avec une balle dans le front, elles redeviennent magnifiques, elles ne bougent plus. Comme des tableaux, ou plutôt des statues. C’est ma revanche contre la vie, contre les corps. Ce n’est qu’un véhicule donné au hasard à des esprits. Si on attribuait une voiture au gens à la naissance, au hasard, lui, une Ferrari, lui une deux-chevaux, on trouverait ça injuste n’est-ce pas ? Ça l’est. Beaucoup ne méritent pas leur véhicule (il devient sombre). Moi, j’ai toujours été laid. On ne m’a pas donné le mode d’emploi pour comprendre les autres. Par conséquent, j’ai toujours été seul. Et jaloux de l’insouciance. Celle de ceux qui ne connaissent rien d’autre, ou qui sont juste faibles. Je déteste ça… Ça gâche la beauté, ces esprits non adaptés, ils tordent le corps dans tous les sens, font grimacer ces merveilleux visages… Est-ce que les statues bougent ? Je ne fais qu’expulser ces esprits dépareillés de leur logement. Je leur rends leur vraie fonction, celle d’objet d’art. Voulez-vous savoir comment je procède ? Ttt. Et bien, quand je repère une proie, je la suis un petit moment, je vois où elle habite, je calcule l’endroit où elle sera le plus longtemps isolée. Une fois que c’est fait, il n’y a plus qu’à attendre, et bang, une balle dans la tête. Pas de discours préalable, non. Ils font tous ça dans les films, ils perdent un temps fou pour rien. Il n’y a aucune jouissance à faire cela. Simplement de voir le corps s’affaler me suffit, ce moment précis où l’esprit est délogé, on pourrait presque le voir… Ensuite, je peux enfin œuvrer, c’est à dire placer ce simulacre d’une manière esthétiquement optimale, par rapport au lieu, à la lumière, à la date. La matière à l’inspiration ne manque pas. Il faut que les photos de la police soient de vraies toiles de maître. Moi, je n’en prends pas. Je ne veux pas noter ce souvenir. Quand on note, c’est pour oublier. Comme cela je n’oublie jamais… Mais venons-en à la raison de cet entretien, c’est le cas de le dire (il ne peut pas s’empêcher de relever le coin d’une de ses commissures de lèvres), je voudrais vous embaucher… Ne faites pas les yeux ronds, je ne plaisante pas. J’ai besoin d’un assistant… Pas pour les meurtres, évidemment, pour la suite. C’est à dire le nettoyage. Oui, je voudrais que vous nettoyiez intégralement après moi. Dorénavant, je ne veux plus laisser de trace, je ne veux même pas que l’on se rende compte que la personne est morte. Je veux passer à un niveau supérieur de crime, le crime inconnu, le plus parfait qui soit… Je suis las de mon petit manège, j’ai beau faire de jolies œuvres… L’œuvre qui subjuguera sept milliard de personnes n’existera jamais, je le crains… Ne vous tourmentez pas pour le corps, j’en fais mon affaire. Vous ne le verrez même pas.
-Pourquoi moi ? Je rétorque.
-S’il vous plaît, ne faites pas cette tête là… vous n’avez pas vraiment le choix. Ce serait dommage, vous avez le profil de l’emploi. Je vous observe depuis longtemps… Vous êtes bizarre et souffrant. Vous, vous n’êtes pas pareil, vous êtes prisonnier de votre corps. Vous êtes l’exact opposé de ma pâture usuelle : un esprit dépareillé aussi, mais ici, c’est un esprit beau dans un corps laid. Je pourrais vous faire le cadeau de vous libérer, mais j’ai vraiment besoin de vous. Soyez bon avec moi, acceptez… Les horaires seront très souple, je vais ralentir le rythme .Il va de soi que je vous gratifierai toujours d’une récompense pour vos missions spéciales, c’est naturel. Voici ma proposition, est ce que cela vous convient ?
Il se tait, et je ne sais pas quoi répondre. Je reste muet, à regarder intensément ce personnage incongru débarquer dans ma vie. Ce qu’il me demande est odieux. Devenir complice d’un assassin, même sans commettre l’acte principal, en fait un de moi, et je ne veux pas ! Un frisson de répression sociale m’attrape par l’entrejambe et semble me tirer la vessie par le bas. Je me vois arraché de mon quotidien paisible, renversant tout mon train-train, croupissant dans une salle d’interrogatoire blafarde, honnis, pressuré, insulté, agressé, lynché, haï, exilé… je ne veux pas de ça, je souffre déjà trop de ma jambe et de mon visage, pour réussir bon gré mal gré à faire ma place dans le troupeau serein… Mais pourtant.. Sa figure de style a un sens. Ce corps, cette prison… Oui, j’entends mon esprit hurler à l’aide à l’intérieur, fatigué des efforts pour le moindre acte futile. Je suis excédé par mon intellect : à quoi bon tous ces savoirs lus, puisque mon existence se borne à nettoyer les immondices des autres, comme un coprophage ? On s’en fiche pas mal de Thésée, de nos jours…
-Ne vous fatiguez pas à réfléchir, interrompt le jeune Adonis, ma proposition est juste rhétorique. Sachez qu’au moment où je vous parle, un spécimen de plastique parfaite va entrer dans cette chambre. Il doit être en train de faire son enregistrement à la réception. Je préférerais ne pas avoir me débarrasser de deux corps pour commencer ma nouvelle carrière, si vous voyez ce que je veux dire… Soyez aimable, il ne va plus tarder…
Du bout de son canon, il me fait signe de me lever.
-je vous mets au coin, là, derrière la porte.
J’avançe lentement vers l’angle qu’il m’a indiqué. Le viseur demeure pointé sur mon visage. Les yeux ne me quittent pas. Si je commets le moindre geste absurde, il me transpercera plus qu’avec son seul regard. Celui-ci suffit, il est dur comme une pointe de pioche, et creuse en moi jusqu’au fond de mes tripes. Une fois en place, il quitte son siège, et vient contre moi, me poussant de l’angle. Il pose une main sur mon épaule. Elle est ferme comme un étau.
-Tentez quoi que ce soit, et je vous tue.
Nous sommes tous les deux à côté de la porte, en embuscade.
J’ai mal, je transpire, et la sueur colle le tissu contre ma peau. Je la sens éclore des pores de mon front, chaude et humide. Ma jambe invalide tremble, me forçant à appuyer mon dos et mes mains contre le mur.
Soudain, la clochette de l’ascenseur tinte. Les portes coulissent avec un son de plaques d’aluminium frottées. Le tueur place un index sur sa bouche. Je bloque ma respiration. On entend gonfler le bruit de pas sur le tapis du couloir.
Horrifié par ce qui va arriver, je tente de me tourner contre le mur, pour ne pas voir, mais l’étreinte du tueur devient cruelle, ses doigts s’enfonçent dans ma chair.
-Ne fermez pas les yeux, regardez.
Il y a le bip de reconnaissance de la carte d’accès, suivi du cliquetis de la serrure. La poignée intérieure se met à bouger, et la porte à à s’entrouvrir. Lapersonne entre, dépose ses bagages, jette un coup d’œil autour d’elle, inconsciente du danger. Je ne saurais pas dire son sexe. Elle est vêtue tendance, pantalons brillants et veste en cuir rouge, sur un t-shirt troué. Visage androgyne sous des cheveux coupés cours, gracile comme un phasme. Par son allure, elle me fait penser aux orchidées sur leur tripode distingué. Me trouvant derrière elle, je n’aperçoit que fugacement son profil net et sa peau lisse. C’est étrange de regarder un animal à son insu.

Au moment où elle se retourne pour fermer la porte, et qu’elle va fatalement le voir, le tueur n’hésite pas : à peine leur regards se croisent que le pistolet émis le chuintement caractéristique du tir, le meme son qu’un carreau d’arbalète. Un troisième œil s’ouvre sur son nasion, qui ruisselle de sang. Le corps s’affale net, la machine s’eteint. Le tueur acheve de refermer la porte, revient vers la dépouille recroquevillé, la contemple d’un air critique, son visage bruiné de taches rouges.
-Non ça ne va pas…
Il ramasse le corps lourd et l’allonge au milieu de la pièce, saisit successivement les membres, les positionne diversement, teste avec les bras en croix, ou sur la poitrine, avec les jambes écartées, ou repliées…. Quand il est satisfait, il reste un long moment à contempler son œuvre.
-C’est magnifique… Nous allons pouvoir passer à la deuxième phase. Allez dans la chambre, je vous ferais signe quand il faudra vous mettre à nettoyer. Je m’occupe du corps.
Il me forçe à entrer dans une des chambres, celle avec le baldaquin, et m’enferme dedans. Puis je l’entends traîner le cadavre du salon jusqu’à la salle de bain. Il n’y a bientôt plus que les bruits affairés de quelqu’un qui s’active à une tâche difficile.
Je me retrouve seul, prisonnier. Toute tentative d’évasion est impossible, on est au dixième étage, et de toute façon, par sécurité, la fenêtre ne s’ouvre pas totalement, de façon à empêcher de se faufiler à l’extérieur. Ne me reste plus qu’à observer le mobilier… Mon attention se porte sur les piliers du baldaquin. On y a sculpté des esclaves portant des flambeaux, à bout de bras, au-dessus de leur tête, dans la continuité des colonnes. Ces personnages sont modelés avec un raffinement rare, tout en muscles, l’air sévère, vêtu d’un simple pagne végétal dont chaque feuille est délicatement ciselée. La brume m’envahit, je rêve comme un somnambule, perdu dans ses pensées. Une étrange remarque me vient: si ces belles statues se mettaient à bouger, elles perdraient subitement de leur superbe, d’une part parce qu’elles sont figées dans la position optimale de leur grâce, d’autre part parce que le spectacle serait aussi surnaturel que grotesque, et donc, horrible à voir. Dans sa logique démente, le tueur de canon n’a peut-être pas tout à fait tort, toute cette beauté agitée sous nos nez ne l’est vraiment, belle, que lorsqu’elle est statique. Je parviens à concevoir comme lui que le mouvement use la beauté. Ce qui nous est présenté sur un écran ou sur une scène est toujours longuement réfléchi, préparé, apprêté, calculé. Les jolies filles et les jolis garçons, une fois débarrassé de leur maquillage et de leur lumière, paraissent commun dans la rue, si n’est étrange. Leurs mimiques du quotidien les dégrades, et ils ne sont plus que de faibles humains aux membres frêles et facilement destructibles…
A ce moment de mes pensées, la serrure de la chambre clique, et la porte tourne un peu sur ses gonds. Je saute sur elle, l’ouvre en grand. Le tueur est parti, sa présence lourde a disparu de la suite. Au sol il y a une vaste trace de sang, qui coure du salon à la salle de bain. Son parcours se termine dans la baignoire. Mais il n’y a pas plus de corps que d’assassin, juste du sang. Beaucoup de sang. Des éclaboussures sur les faïences des toilettes, du lavabo, partout.
Je retourne tout fiévreux au salon. Quelqu’un a ramené mon chariot d’agent de nettoyage. Ce n’est pas difficile de comprendre par qui, et pourquoi, il a été placé ici.
Je prends les produits nécessaires, me mettant à frotter la moquette souillée comme un damné. A frotter à frotter, à frotter, le long du couloir, jusqu’à la salle de bain, puis dans la baignoire. Le sang ne veut pas s’effacer, et commençe à noircir comme de la crasse. Je frotte, je frotte, je ne sais pas combien de temps, mais quand enfin je termine, et que je peut enfin sortir, le chariot me parait peser des tonnes…
Il ne se passe rien de plus. Cette nuit-là, je laisse le chariot dans son local, et je rentre chez moi. Personne ne semble s’être rendu compte de quoique ce soit. Pas même une remarque. Rien de rien. Le meurtre est passé complètement inaperçu. Les jours suivants, j’épluche les actualités, à la recherche d’une disparition qui pourrait m’aiguiller, toujours rien. Au bout de quelques semaines, je finis par me lasser.
Je n’ai jamais revu le tueur de canons, pas plus que son nom dans les gros titres. Bizarrement, je trouve que la crasse est parfois plus visqueuse que d’habitude.
Serait-ce un indice de son passage ? Je ne sais pas. Je ne sais pas non plus pourquoi, mais je pense qu’il poursuit son carnage. Comme il l’a annoncé. En silence, insaisissable, il persiste à petrifier la beauté. D’ailleurs, je trouve les gens plus quelconques, depuis quelque temps. Quand j’en aperçois qui méritent d’être admirés, le simple fait de voir leurs traits se distordre sous le coup des émotions, de la joie, de la tristesse, de la colère, de la peur, ces plis mous qui déforment leur faciès… Tout cela fait naître en moi un dégoût qui me colle longtemps à la langue, amer et pâteux. Je les trouve soudain vilains, hideux, repoussants. Comme les petits dépôts de saleté que je continue d´annihiler. Dans ces moments, je pense aux statues d’esclaves sur le lit à baldaquins, graves et immobiles. A la créature que le tueur a exécuté devant moi, à la façon dont il la disposa. C’était d´une manière qui, je dois l’avouer, me parut harmonieuse, composée avec art, très appropriée au lieu, malgré l’horreur brute du meurtre. Probablement que nous avons des goûts similaires. Lui et moi ne sommes pas si différents. Nous savons tous les deux apprécier une belle nature morte…

 

Deuxième partie. Intériorisation.

Je viens de voir un cafard avec des jambes humaines. Il était derrière la porte de la salle de bain, allongé sur le dos. Brun, avec de longues antennes, un abdomen en caramel huileux, d’une belle taille, une blatte générique en tout point, à part les pattes. Six petites guibolles maigrichonnes, prolongées par des pieds, eux même garnis de cinq orteils chacun, minuscules. Au début, je crois qu’il est mort, mais soudain, une des gambettes remue. Il y en a plein en ce moment, de ces bestioles, elles remontent à cause de la température estivale. Il fait chaud, il fait tout le temps chaud. Je pense que c’est pour ça que je vois des cafards mutants. Ce n’est pas si anormal, vu la pollution qui règne en ville. Les gaz rentrent jusque dans mon appartement. Qui sait ce qu’ils font à mon organisme, et à celui des autres…
Ses petits doigts gigotent, ça me rend malade. Je l’asperge d’insecticide, et aussitôt, il commence à ramper par à-coup, toujours renversé, sous la traverse de la porte, en frétillant. Avec plusieurs feuilles de sopalin, je l’attrape, le jette dans les toilettes, et tire la chasse.
Je me pose plein de question sur le cafard. Le spectacle grotesque me hante, surtout la façon dont ses jambes bougeaient. J’aurais parié qu’il était décédé. Ils sont increvables.
Ce n’est pas encore l’heure de partir, je m’ennuie. Pour tuer le temps, j’allume la télé. Ils parlent du tueur de canons, sur internet aussi. Ça m’énerve. Tueur de canons, quel nom débile… On dirait que tout le monde veut être sa victime. Forcément, s’il vous tue, c’est que vous avez été sélectionné pour votre beauté. Voilà pourquoi le défilé de jolis minois, de moues de petits animaux suceurs, de cafards apprêtés . Ça me dégoute de voir ces faciès déformés. Pourquoi veulent-ils tous séduire ? Je ne comprends pas. De toute façon, je sais à quoi ils ressemblent en vrai, ces gens : ils sont laids.
Il est tard. C’est l’heure de mettre la perruque et la moustache, ainsi que ma tenue. Mon sac à outil en main, je pars au travail.
Il fait nuit quand j’arrive à l’hôtel, par l’entrée du personnel. Le gardien me salue sans me regarder. Je vais dans le local des agents techniques, pour récupérer un trolley. Ainsi équipé, je prends l’ascenseur, m’occuper un peu dans les étages avant qu’il arrive. Pas de quoi s’ennuyer, il y a de la crasse partout. Hôtel de luxe, tu parles… Sales menteurs. Heureusement que je suis là, sinon ils s’étoufferaient dans un bourbier d’impureté. Regarde, il y en plein les recoins, de cette morve noire. Je racle, je frotte, je brique dans toutes les chambres. Oh, je sais que tout à l’heure, ce sera de nouveau recouvert des immondices humaines et des déjections de cafards. Sisyphe, en comparaison, c’est un dilettante, mais qu’importe : on ne pourra pas me juger sur mon laisser-aller.
Mon cœur à l’ouvrage est si forcené, qu’une heure avant la fin de mon service, j’ai terminé. Mon timing est parfait. Je monte au dixième avec le chariot, je rentre dans la Suite Impériale, que je gardais pour la fin. Pour m’occuper avant sa venue, je brique la décoration. Frotter les colonnes du lit à baldaquin ressemble à de la masturbation, ça m’émoustille un peu. Une sorte de culpabilité vient me déranger, je me sens prisonnier de mes pulsions.
Je repense à la créature, que j’ai vu l’autre jour s’enregistrer à la réception. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. Pas que moi d’ailleurs, tous les regards se sont tournés vers elle, quand elle a débarqué dans le hall. Homme ou femme, c’était impossible à dire. Ses membres graciles, son visage dévoré par ses yeux, ça ressemblait à un très bel insecte, une sorte de phasme aux mandibules maquillées. Il ou Elle se déplaçait lentement, comme une branche ballotée par le vent. Quand elle s’est immobilisée devant le comptoir, je l’ai trouvé parfaite, et j’ai voulu en savoir plus. Je l’ai suivi un petit peu, pour voir dans quelle chambre elle allait. La suite impériale, évidemment. Un écrin à sa hauteur. Elle est ressortie, redescendue. Elle a dit au concierge qu’elle reviendrait le lendemain soir.
Et la voici de retour. J’entends l’ascenseur s’ouvrir. Dans mon sac, que j’ai sorti du chariot pour le poser sur le fauteuil du salon, je prends les gants et le pistolet. Vérifications faite, le silencieux est bien vissé, le chargeur est rempli. Je cours me cacher derrière la porte. Le tissus de mes sous-vêtements se tend et s’humidifie.
Elle entre. Le battant tourne lentement, et l’humain aux allures d’insecte entre en silence. L’espace d’une seconde, je suis fasciné par ses mouvements d’automate, à la fois précieux et désuets. Si fragile, si fragile. Soudain, elle se retourne. Son visage, d’une régularité parfaite, à l’air serein, comme si elle rencontrait une connaissance qu’elle s’attendait à voir. J’ai une trique de mulet. Mais soudain, son œil change, commence à se durcir. Je ne lui laisse pas le temps. Je tire.
La balle fore son chemin dans son front, à l’intérieur, la cervelle palpitante explose, puis jute par l’ouverture. Comme une poupée dont on coupe subitement les fils, elle s’affale sur elle-même, avec un bruit calfeutré. Son sang gicle sur mon visage. J’éjacule.
Dans le même mouvement, je referme la porte, tout en laissant tomber mon cul sur la moquette épaisse. La frustration cède enfin la place à la satisfaction… Elle parcourt mon corps par toutes les veines, mes nerfs se délassent. Je reste comme ça quelques minutes, sur le dos, les jambes en l’air, tressaillant de plaisir. Je déguste chaque seconde. Ça ne va pas durer.
La sensation disparait, je me redresse. Le machin que je viens de buter n’est plus si attirant. Encore un peu, mais pas autant. Je manipule le corps, dans l’espoir de me titiller une nouvelle fois. Je lui écarte les jambes, les bras, je le renverse dans plusieurs position, je gifle les joues, j’ouvre les yeux, plonge mon regard furieux dedans, mais non, pas moyen de retrouver une érection. Même si je le déshabillait, ça ne me ferait rien, je pense. Pas pour cette fois. Tant pis.
Je traine le corps jusqu’à la salle de bain. Dans la baignoire, il ne me fait plus du tout d’effet. En vérité, ça ne ressemble plus qu’à un tas de chairs molles. Je ramène le trolley dans la chambre, attrape un rouleau de sacs-poubelle, puis la scie dans mon sac, et je retourne finir ma besogne. C’est facile. Ses os sont si fins qu’il me faut moins d’une heure pour tout démembrer. Je les mets dans les sacs poubelles, que je fourre dans le trolley. Il n’y a plus qu’a en sortir les produits d’entretiens les plus décapants. Je m’échine comme un beau diable pour nettoyer le sang qui a giclé partout. Pour parachever ma tâche, je nettoie une nouvelle fois la suite de fond en comble, ainsi que les colonnes du baldaquin.
Le chariot chargé pèse des tonnes, mais je ne peux pas m’empêcher de sourire quand je sors de là. Quelle chance d’avoir surpris cette discussion hier, entre le directeur et son chef de la sécurité : la panne générale des caméras de surveillance ne serait réparée que dans deux jours. Une occasion pareille, je n’avais pas le droit de la laisser passer. Ca a même été une révélation : désormais, je serais mon propre nettoyeur. Arrivé au sous-sol, je n’ai plus qu’à balancer les sacs dans les containeurs. Le grouillot ne fait même pas attention à ma présence. Comble de veine, la benne à ordure arrive. Dans un coin discret, j’observe les éboueurs lancer mes paquets à l’intérieur du véhicule, sans rien remarquer. Tout est bon. On ne se doutera même pas du meurtre, tout au plus de la disparition du phasme. Je remonte. Je range le trolley dans son local. Je salue le gardien de nuit. Je rentre.
Les jours d’après, je vérifie qu’on ne se doute toujours de rien. C’est le cas. Aucun fait divers, aucune disparition signalée dans les gros titres. Désormais, je ferais comme ça, ça m’éviteras de lire les bêtises des journalistes. Ils ne comprendront jamais rien, et ça ne m’excite plus, cette phase-là.
Quelques jours plus tard, je trouve un autre cafard avec des jambes. Celui-ci est différent : il a des yeux humains, des yeux magnifiques. Je sais que c’est une hallucination, mais la symbolique est claire : je dois continuer l’extermination. Je l’attrape avec du sopalin. Avant de le jeter dans les toilettes, je ferme le poing. Ça croustille. L’envie est déjà revenue. Elle revient de plus en plus vite. Pas d’inquietude, maintenant j’ai un homme de ménage…

Je me regarde dans le miroir. La cicatrice en forme d’étoile traverse chaque coin de mon visage. Les longues tiges sous-cutanées dont on voit la boursouflure s’amarrent au centre de celui-ci. Mais cet effort de jonction est déjà énorme pour elles. Les deux parties de ma gueule ne sont pas exactement rattaché bien en face. Bien sur la peau a repris par-dessus, mais je suis quand même de travers, j’ai une moitié de figure un peu plus basse que l’autre, avec un nez refait pour completer le puzzle. J´ai l’impression de me voir derrière la vitre d’un bocal à poisson rouge.Un gros visage de bovidé , flouté, vague, et distordu. Depuis que je me suis rasé le crâne, l’effet est encore pire.

Excédé, je vais en boitant dans la chambre, prendre le livre de mythologie sur la table de nuit, et commencer à me branler. Les pages tournent  : Athéna bien cambrée, le corps cyphosé de Vulcain, Hercule qui étouffe Antée, leurs muscles saillants fixés dans une position d’étreinte suggestive. Feuille après feuille, je regarde toute les illustrations, mon membre dur en main, mais je n’en trouve aucune d’assez complaisante pour venir. Comme d’habitude, je referme le livre, afin de regarder la couverture. Thésée contre le minotaure. Corps à corps dans la terre. Le monstre avec sa langue baveuse, qui sort sur le côté du museau, prêt à recevoir la lame qui va lui ouvrir la gorge en grand, et faire sortir l’air et le sang à l’intérieur de sa carcasse. Le héros est beau, le monstre, contre nature. Je les imagine s’unir… Mais je ne parviens pas à jouir. Au bout d’une heure, j’en ai marre de cette perte de temps, alors je me rhabille. Le désir de sortir se fait pressant, tout d’un coup. Ce soir, j’irais en observateur. Je serais le Minotaure dans le labyrinthe de la ville, et les Thésée de second ordre finiront sous la bête.

 

Troisième partie. Dissection.

Jean Euhmann naît en 19.. dans une famille déchirée par les conflits dus à sa naissance. En effet, une monstrueuse fente labio-palatale défigure le nourrisson. Comme sur une planche anatomique, une grande partie de son visage est mise à nue. La moitié de sa mâchoire est exposée, il n’a pas de nez, une joue déchirée, les chairs à vifs… De plus, il est lourdement handicapé par un pied-bot qui vrille vilainement sa petite jambe gauche. L’opération requise pour la reconstruction faciale, une audace à l’époque, dure près de vint-deux heures. Une coque en plastique, des prothèses construites par les meilleurs fabriquant et des milliers de suture lui rendent un visage humain. Mais le souvenir encore frais de cette poupée sanguinolente aux vagissements hideux est un traumatisme trop important. Les parents succombent à la pression de la charge . Le père, représentant de commerce, divorce rapidement de sa mère, qui ne parvient pas à sortir de la dépression. D’abord gardé par ses grands-parents paternels, il est confié à ceux de l’autre bord. Sa mère est placée en « maison de repos ». Sous la férule de son grand-père maternel, ancien diplomate et grand chasseur, il reçoit une éducation classique : Tite-Live , Lucain, Pascal, Erasme, Hugo, De Quincey… La liste s’arrête au début du vingtième siècle. Il adore la mythologie grecque et par-dessus tout, le mythe du labyrinthe et du minotaure. Par dérision tendre, son grand-père l’affuble du sobriquet de « Thésée » . L’image que véhicule son aïeul, vénérable figure jupiterienne, le marque dans ses fibres et dans sa perception du monde. Il se passionne aussi pour les insectes, déclarant un jour à table qu’ils sont la nourriture préférée du minotaure. Il se régale des histoires de chasse que lui raconte son grand père. Ce dernier lui enseigne le maniement des armes.
A cinq ans, alors qu’il joue dans le salon de ses grands-parents paternels, le petit Jean heurte de la tête un coin de la table basse en marbre. Il se réveille quelques heures plus tard. Un médecin finit de lui poser des pansements adhésifs sur son oreille droite.

Euhmann est scolarisé quelques mois plus tard. Timide et studieux, il est de faible constitution, à cause des lourds traitements post-opératoires subits dans sa petite enfance, et de sa jambe à la torsion bizarre . A plusieurs reprises, il s’évanouit à la maison et en cours. Il est perpétuellement la cible des petits durs, qui se moquent de son visage, de sa démarche, et de sa stature chétive.
Chez lui, Jean est le constant témoin des violentes disputes entre ses grands-parents. On en vient souvent aux mains. Il fera remarquer plus tard que malgré les tensions, son grand-père était toujours bienveillant avec lui, tandis que sa grand-mère se montrait souvent dure et impitoyable à son égard
Euhmann adore toujours lire, et aime faire ses devoirs. Pour ses professeurs, c’est excellent élève, même si certains le qualifient de « sournois ».
Adolescent, c’est un lycéen modèle, rédacteur en chef du journal de l’école. C’est un lecteur avide de littérature et un amateur d’art éclairé. Souvent, il se plaint de maux de tête et de difficulté à mémoriser.

À l’aube de la puberté, Jean Euhmann découvre qu’il est impuissant. Son asocialité et son manque de confiance en soi s’aggravent. Il se sent mal à l’aise en présence des femmes. Son premier amour, à dix-sept ans, s’appelle Line Chéva. Elle travaille aussi au journal du lycée, elle est très belle. Mais il n’ose jamais lui demander de sortir avec lui. La même année, en jouant aux cow-boys avec sa cousine de onze ans, il éjacule alors qu’il la tient en joue avec un pistolet en plastique.

Après le bac, Euhmann s’inscrit à l’université, en histoire de l’art. Bien qu’ayant de bons résultats, il finit par abandonner. Il justifiera cette décision en prétextant que la mort de son grand-père, la même année, l’a empêché de se concentrer sur son année. En vérité, il a commencé à sécher les cours dès le second semestre. L’année suivante, il ne se réinscrit pas à l’université. Pendant trois mois, il travaille comme saisonnier, fait les vendanges, puis vivote de petits boulots divers. Durant cette période, il commence sa première vraie relation, avec une femme de deux ans sa cadette. Par trois fois, le couple tente d’avoir des relations sexuelles, mais à chacune de ces tentatives, Euhmann est incapable de maintenir une érection. Au bout de dix-huit mois, sa petite amie rompt.

Jean retourne vivre chez sa grand-mère, qui héberge également sa maman. Peu de temps après, il rencontre une jeune divorcée. Le couple se fréquente pendant trois mois. Chaque tentative pour faire l’amour se solde par un échec. Comble de malchance, la femme a demandé conseil à ses amis pour aider Jean à surmonter son impuissance. Résultat, la plupart de ses connaissances sont désormais au courant. Il déclarera à propos de cet incident : « J’entendais les filles dire dans mon dos que j’étais impotent. J’étais mort de honte. J’ai essayé de me pendre. Ma mère et ma grand-mère m’ont décroché. Je me disais que personne ne voudrait jamais de moi. J’ai fini par m’en aller. »

En septembre, Euhmann déménage dans une ville à trois cent kilomètres de là. Il y commet son premier meurtre. Le 22 septembre, il attire une jolie jeune femme de dix-neuf ans, Helene Vigouroux, dans une maison isolée qu’il loue en secret. Il essaye de la violer mais ne parvient pas à avoir d’érection. Pendant la lutte, il l’étrangle et la poignarde trois fois dans la poitrine, éjaculant à cet instant. Euhmann prétendra qu’après l’avoir « plantée », la femme lui aurait dit quelque chose « d’une voix très rauque », sur quoi il finira de l’étouffer avant de se débarrasser du corps dans le fleuve à proximité. On la retrouvera deux jours après.

Un important fil de preuves lie Euhmann à Vigouroux : des taches de sang dans la neige près de la maison louée par Jean, des voisins qui ont remarqué sa présence à l’intérieur le soir du 22 décembre. Le sac à main de Vigouroux a été retrouvé sur le bord opposé du fleuve, et un témoin donne à la police une description d’un homme ressemblant de près à Jean Euhmann, qui aurait discuté avec Vigouroux à l’arrêt de bus où elle a été vue pour la dernière fois. Malgré les faits, c’est un sans domicile fixe de 25 ans, Alexandre Casanova, qui est arrêté. Il a un casier. Adolescent, il a purgé une peine de prison pour viol et meurtre d’une jeune femme. On trouve des gouttes de sang sur son blouson. Les analyses ne donnent rien. Avec son passif, drogué notoire, mis sous pression par la police, au terme d’un interrogatoire éprouvant, Casanova avoue le crime. Il se rétractera lors de son procès. Malgré cela, il écopera d’une peine de quinze ans de prison.

Apres le meurtre de Vigouroux, Euhmann comprend qu’il peut atteindre l’orgasme par le meurtre. Le besoin de recommencer le ronge, même s’il confessera avoir tenté d’y résister.

Deux ans plus tard, le 3 septembre, Euhmann rencontre une jeune mannequin de dix-sept ans, Lilliane Batencourt, alors qu’il sort de la bibliothèque publique. Elle attend le bus. Sous prétexte de fumer un joint, « pour se détendre « , il l’entraine dans une forêt près du fleuve. Un fois assez loin de tout, il se jette sur elle pour la déshabiller. Elle crie. Encore une fois, Euhmann ne parvient pas à bander. Il lui enfonce de la boue dans la gorge, puis l’étrangle. Comme il n’a pas d’arme, il la mutile avec un bâton, lui arrache un téton, puis laisse le cadavre sous un tas de feuilles rougies par l’automne. Elle est retrouvée le lendemain.

Cet assassinat improvisé trouble Jean, qui passe une longue période à lire, et a réfléchir. Finalement, il achète un pistolet, et s’inscrit dans un club de tir.

Neuf mois après la mort de Batencourt, en prenant l’autocar pour visiter un petit bourg voisin, Jean remarque un passager au visage familier. C’est Santino Sarala, vingt et un
an, un jeune acteur, vu dans des séries télévisés. Beau physique, belle gueule, Euhmann ne résiste pas. Il a son arme sur lui. Il descend au même arrêt que sa proie. Coup de chance, ou de malheur suivant le point de vue, c’est sur une route de campagne déserte. Jean suit Sarala à quelques pas de distance, puis, dès que l’autocar disparait, il hèle Santino. Le comédien, habitué à ce qu’on l’interpelle, se retourne et s’approche du jeune homme balafré qui lui fait signe. Alors qu’il vient vers lui, Jean lui dit qu’il aime beaucoup ce qu’il fait, qu’il aimerait un autographe. Il fouille dans son sac à dos, mais ce n’est pas une feuille et un stylo qu’il sort, c’est un 9mm. Le coup de feu fait s’envoler les oiseaux paniqués, personne d’autre n’entendra. Santino vient de recevoir une balle en plein visage. Jean tire le corps dans les fourrés, le déshabille, puis le «sculpte » avec une lame de ciseau. Quand on retrouvera Sarala, une semaine plus tard, le médecin légiste ne recensera pas moins de 22 blessures infligées à la tête, au cou, à la poitrine et à l’abdomen.

Ayant décidé de ne plus résister à ses pulsions, Jean à quasiment trouvé sa signature. Le tueur de canon va bientôt faire parler de lui. Entre juin et septembre, il tue cinq nouvelles victimes. Maintenant, ses cibles types sont définies : homme ou femme, attirant(e)s) physiquement, comédien(nne)s), chanteur(se)s) de variétés, mannequin(s), entre seize et vingt-cinq ans. Il prend le bus qui passe à proximité des studios, des théâtres, ou des agences de castings, puis suit sa proie à pied ou dans les transports en commun, le cas échéant, Il attends ou les attire dans une zone isolée, et les abat d’un tir de pistolet (équipé maintenant d’un silencieux) dans la tête.  Parfois il mutile le corps, parfois il l’éviscère.
La plupart du temps, il le dispose dans une stance « artistique » renvoyant à la pose d’un personnage dans un tableau, ou à une sculpture. Systématiquement, du moins lors de ses premiers meurtre, Euhmann tente d’avoir une relation sexuelle avec les victimes, mais son incapacité à avoir ou maintenir une érection déclenche une furie qui le mène à tuer, en particulier si la personne se moque de lui. Pour séduire ses victimes, il use d’un charme paradoxal, lié à son apparence étrange. Séducteur expérimenté, cultivé, rodé à l’art de la rhétorique, il fascine souvent sa victime dès la conversation initiale.

A la fin de l’année, il décroche un emploi d’agent de nettoyage pour une firme reconnue dans le secteur. Il est décrit par ses employeurs comme « discret, poli, et efficace jusqu’à la maniaquerie ». Pour Jean, c’est la couverture parfaite. Le onze décembre, il remarque une jeune femme entrer dans la clinique ou il est missionnée : Svetlana Romanovna, danseuse de ballet. Elle vient pour un rendez-vous en chirurgie esthétique. Elle cherche à se lancer dans la chanson, son producteur l’a persuadé de se faire augmenter la poitrine. Pendant plusieurs jours, Euhmann la suit, note le numéro de sa chambre. Elle se rend à la cafétéria de l’hôpital, fait un tout aux toilettes. Jean l’attends, il la tue. Il l’enferme dans un des wcs, puis s’en va sans que personne ne le remarque. Le corps n’est découvert que huit heures plus tard, par un membre de l’équipe de nettoyage suivante. Après Sveltana, il ne tue plus pendant six mois, puis enchaine coup sur coup, aux rythme d’un tous les mois quatre autres personnes, deux danseurs et deux mannequins, deux hommes et deux femmes.

La police piétine, malgré le renforcement des patrouilles dans le centre-ville et dans les gares. Elle prend la décision de demander l’aide d’un psychiatre-profileur, Bernard Hulin. Celui-ci dresse un portrait psychologique du tueur, pour aider les forces de l’ordre à resserrer le champ de ses recherches. Son profil décrit un homme socialement intégré, entre 45 et 50 ans, ayant eu une enfance difficile, d’intelligence moyenne, probablement marié, avec des enfants. Homosexuel refoulé, son incapacité à d’admettre tel qu’il est le pousse à des actes de colère incontrôlable. Le couteau puis l’utilisation du pistolet représentant un acte de sodomie symbolisé. Il doit gagner assez bien sa vie, puisque la majorité des crimes se passe dans des lieux relativement huppés, hôtels, cliniques privées, boites de nuits. Les premiers meurtres, en rase campagne, sont marginaux et relève de son « apprentissage »

Hulin se trompe quasi-complètement. Jean à a à peine la trentaine, vit seul et reclus, est très intelligent, mais gagne médiocrement sa vie. Ses penchants sont plutôt bisexuels. Ce portrait erroné va le servir pendant encore plusieurs années, les policiers faisant fausse piste.

Euhmann suit l’enquête avec passion, lit les articles dans les journaux matérialisés ou non qui rapportent la chasse à l’homme de celui qu’on a baptisé « tueur de canons ». Jean retient ses pulsions, attendant le bon moment pour frapper. Pendant presqu’un an, il n’agit pas.

L’été suivant, en aout, les éboueurs découvrent dans un container le corps de Malika Ziane, secrétaire de direction de vingt-quatre ans. Ce n’est pas exactement la proie type du tueur, mais elle porte des marques reconnaissables : une balle dans la tête et des blessures sur le corps. Mais il semble que cette fois, Jean se soit acharné. Une profonde coupure court du cou jusqu’aux organes génitaux, un sein a été retiré, et un œil crevé. Alors que d’habitude, il laisse la dépouille en vue, cette fois-ci, il a essayé de s’en débarrasser pour des raisons inconnues.
En automne de la même année, les enquêteurs se demandent si le tueur de canon n’aurait pas décampé dans un autre secteur. Trois nouvelles personnes sont tués dans trois cités différentes. La police fait envoyer des dossiers résumant le modus operandi de l’assassin à ses forces sur place, demandant à tout policier ayant le moindre doute à propos d’un crime de le signaler et de faire remonter l’information. Aucun résultat. La vérité, c’est qu’ Euhmann est missionné trois fois par son entreprise sur des sites hors de la ville, et on ne fait pas le lien.

L’année suivante, Jean se déchaîne, et tue pas moins de six fois, en toute impunité. Le paroxysme sera atteint avec le meurtre hyper-médiatisé de Marianna Brunescchi. « Un de mes chefs-d ‘œuvres » déclarera t’il aux psychiatres. Après ce méfait, Jean continue, mais se débarrasse systématiquement du corps.

Deux semaines plus tard, il essaye sa nouvelle technique, et tue à l’hôtel Milton un individu masculin, Sabri Benisma. Il découpe le corps et le jette dans les poubelles de l’hôtel. Il y aura un témoin, un sdf de cinquante et un ans, Albert Sauvage, prétendant avoir surpris « un homme à tête de vache » lancer des sacs suspects dans une benne. Mais vu l’état alcoolisé d’Albert, les policiers ont du mal à croire au signalement.

Si on avait cru Sauvage, on aurait peut-être pu stopper le tueur de canons dans sa course. Hélas, l’erreur profite à Euhmann, qui dorénavant efface toute trace de ses exactions. Des gens disparaissent sans explications, et avant que l’on pense au meurtre, de trop longues semaines se sont écoulées. Durant cette période, Jean tue quatorze fois.

Deux ans plus tard, un homme se présente à la préfecture de police. Il déclare s’appeler Jean Euhmann, et être le tueur de canon. Devant l’incrédulité de l’agent d’accueil, il dépose sur le comptoir un pistolet 9mm équipé d’un silencieux et un couteau. « Prenez les je vous prie » demande t’il d’une voix douce. On accepte de l’interroger. Face aux inspecteurs, il donne une description précise des meurtres, donnant des détails que personne d’autres ne peut connaitre à part le coupable. Il donne la liste des « disparus », leurs noms, et la façon dont il les a supprimé. Toutes ont été exécutées d’une balle dans la tête, mutilées, et découpées. Il s’est débarrassé des corps en les jetant dans des poubelles qu’il savait en partance pour l’incinérateur.

On fait venir le docteur Hulin, l’auteur du profil, pour observer Jean pendant un nouvel interrogatoire. Celui-ci confesse que c’est l’impuissance qui l’a conduit au meurtre. Il justifie ses actes par des explications fumeuses. « Dans la ville nous sommes des insectes, dit-il. Des fourmis. Il y aussi des cafards, des mouches. Des phasmes. Ils sont beau les phasmes, mais trop gros, ils gênent le passage des fourmis, les ralentissent. Il fait s’en débarrasser pour que le flots des fourmis reprennent son cours  »

La séance tourne court. Jean se jette subitement sur Hulin, et lui plante un stylo dans l’œil. Le médecin meurt quelques instants plus tard. « Je ne l’aime pas celui la » se contente de dire Euhmann. Il est immédiatement placé dans un hôpital psychiatrique sécurisé. Après de nouveaux entretiens, où il confessera entre autre que tuer lui donne « un certain plaisir apaisant », il avoue la totalité de ses crimes, y compris les « disparitions » avec suffisamment de faits corroborant ses dires. Il s’enferme ensuite dans un profond mutisme, dont il ne sortira plus. Trente-quatre victimes. Le procès n’aura pas lieu, quelques jours après sa confession, il se fracasse le crâne contre la porte de sa cellule, laissant filer pour toujours la personnalité étrange que contenait son corps.

 

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