Pavement + The National en concert Le Zenith, Paris 7 mai 2010

 Dans Chroniques de concert

Stephen Malkmus allait monter sur scène, quand toute sa vie se rembobina devant ses yeux. Dès le lycée, ses gratouillements de guitare chantaient leur anomalie, et autour du Tchernobyl Nirvana, il s’était toujours senti comme un lapin irradié. Il se voyait, la vingtaine ingrate, dans le home studio bancal de ce vieil hippie de Gary, en train d’enregistrer avec Scott ce petit rond de goudron qui était devenu la clé. Une sorte d’hommage au Replacements et à The Fall, humble et sans avenir. Dans un pas, il allait jouer pour des dizaines de millier de grenouilles venues spécialement pour eux.

Il était un peu fier maintenant, et esquissa un sourire au visage de jeune lièvre qui se reflétait dans le vernis de sa guitare. Les spotlights faisaient tout briller, et le Zénith était une grotte aux cristaux mexicaine. Malgré le bourdonnement de la foule, il contemplait ses souvenirs dans le silence de sa boite crânienne. Il vivait de la musique. Qui l’aurait dit ? Certainement pas ces connards permanentés de Stockton, qui se branlaient sur du hard-rock de footballeurs américains à la virtuosité pleine de bière, et qui se foutaient de sa dégaine informe. Ce n’était pas non plus ce certain monsieur R… , voleur de petites copines patenté, et son groupe de pop élitiste, qui jouait ce soir, ou les centaines de milliard d’arrogants musicaux qu’il avait subit toute sa vie, ni les robots-pétasses hurlantes désincarnées par le docteur Shitenstein. Ce soir il était le héraut sonore, et avec ses amis, encore une fois il allait latter à grand coups de masse ces 4 murs qui l’oppressaient depuis toujours: Préjugés, Tendances, Déguisements, Sérieux.

La lumière s’éteignit, et l’ingénieur fit passer la courte bande sonore que les gars avaient trouvé: une polyphonie française dont les mots, si incompréhensibles et rigolos, embrassaient parfaitement leur humour bizarre. C’était le signal. La clameur grossit dans la fosse, Stephen s’avança sur la scène et salua la grande masse noire… Une image de millions d’esclaves.

Dans le train, j’exultais en silence, au rythme des églises perchées derrière les arbres électriques qui s’enfuyaient de mes yeux à une vitesse supersonique. Pavement enfin ! J’attendais ce moment encore plus fortement que Pénélope espérant son Ulysse. Ma chère et tendre avait eu vent de la reformation du groupe, et m’avait offert les places pour mon anniversaire (qu’a partir de ses lignes ses pieds foulent pour toujours des millions de pétales de roses).
Nous posâmes pied à la gare de Lyon pour courir illico dans le métro. La foule moyenâgeuse et grouillante contrastait avec les courbes froides de la technologie et des publicités géantes.
Descente Porte de Pantin. Des esquimaux géants avaient installé leurs igloos gonflables devant la halle des Suds, tandis que nous crachions de la bière sur les pubs poussent-au-cul et menteuses installées sur les bords de l’allée du Zénith. On passa la première barrière de distributeurs de foyers, et c’est feuillus comme des arbres plastifiés que nous entrâmes dans la boite à chaussure géante qui accueillait le concert.

 

Je jetais un oeil à The National du haut des gradins, pendant que pieds-fleuris discutais dans le hall avec des connaissances des Eurockéennes. Une grande flaque humaine stagnait déjà dans la salle. Ici je dois dire que je n’ai fait aucun effort pour apprécier la performance de la première partie. Trop impatient et trop con certainement pour laisser le barrage de mes oreilles s’ouvrir. (Le connard de critique rock en moi notera quand même sur un bout de papier : « musique pyramidale qui doit donc logiquement se savourer avec un gros cône d’herbe à pharaons », je laisse les comparaisons groupistiques à d’autres) Je restais cinq minutes avant de redescendre.

Je trouvais le Norvégien en train de papoter avec ma belle. Nous fîmes une petite danse pour la récente victoire olympienne. Pour patienter avant le concert, le Viking s’acheta une douzaine de bière. On alla fumer une clope en fredonnant. Mon cadeau d’anniversaire comprenait aussi un bon pour un trip solitaire, aussi, pendant l’entracte, allais je me perdre seul dans la fosse à un endroit stratégique, ni trop loin, ni trop près. La foule était compacte.

 

 

Stephen s’amusa à dire quelques absurdités françaises dans le micros, des souvenirs de collèges, des bribes de « bonjour » et de « merci » et de « voila » et de « alors », en prenant l’accent grave et monotone des bouffeurs d’escargots. Il égrena les premières notes de silence kit et la clameur dégénéra en râle de satisfaction. Ça lui faisait quand même bizarre de se retrouver la, devant cette salle qu’il s’étonnait de remplir. A des journalistes frenchies, il plaisantait sur le fait que c’était The National qui allait faire venir les gens. Bonne vieille fausse modestie, les scribouillards se régalaient.
Et tout était comme autrefois. Steve se plantait dans les temps, et Bob faisait de son mieux pour lui rappeler le tempo sur son petit kit. Après tout, il s’en foutait, ce n’était pas Metallica non plus hein ? Pourquoi s’étaient ils battus sinon pour montrer qu’on pouvait écrire de belles chansons sans être un Paganini diplomé ?
Il aperçut dans la foule un guerrier nordique qui s’était frayé un chemin tout devant à grand coup de hache. Le Viking n’arrêtait pas d’hurler « No more shoes ! » et Stephen ne pu s’empêcher de lui adresser un petit rictus complice. Un fan bourré de sa carrière solo ne pouvait qu’être sympathique. De plus il coupait les têtes avec un sens innée de la délicatesse.

Le son, qui avait été bancal sur les premiers morceaux, fini par se stabiliser. Enfin les lourds amplis vomissaient harmonieusement avec la voix et le reste. Stephen sentait les infra-basses lui pétrir les couilles comme des masseuses thaïlandaises, et ça faisait du bien. Les pensées se mélangeaient dans sa tête. Le groupe, son départ, leur retour, peut être leur split à nouveaux. Elles se mêlaient tant qu’elles disparaissaient, laissant la place à une douce ironie qui se traduisaient chez Stephen par de petits pas de danse absurdes.
Il pensait à toutes ces lignes de textes écrites sur eux, aux analyse, aux critiques. Qu’est ce qu’il y avait à comprendre finalement ? Ne sentaient ils pas, ces juges, que ce qui leur importait c’était de jouer, jouer, et encore jouer ?
Fuck’em all, se dit Stephen.

Je fixais le bassiste Mark Ibold, qui s’appliquait toujours sur son instrument comme si ça ne faisait qu’un an qu’il en jouait. Je sautillais depuis une heure en ânonnant d’un voix de fausset les quelques bribes de vers que je connaissais. Dans mon corps, ça vibrait. Je regardais la grande guirlande qui figurait un ciel étoilé au dessus de nous, puis mon regard descendait sur les petites palourdes noires tout autour de moi, qui ouvraient leur capot et qui du bout de leurs longues langues nues portaient leurs perles I-phones pour capter le moment.

 

 

Une profonde mélancolie m’attira dans le sol pour un voyage dans le temps, et je comprenais pourquoi ce groupe s’appelait Pavement. C’était la musique des trottoirs sur lesquels on se traine quand on ne sait pas trop où l’on va, quand la nuit est méchante et qu’on à la solitude comme seule amie, parce qu’on à que trop bien compris le message et qu’on à qu’une envie: être définitivement diffèrent, même si ça n’amène que l’indifférence mortifère de la masse des palourdes que l’on côtoie tout les jours. Il y en a qui mettent un petit costume-cravate autour de leurs coquilles, et celle là vous explique dans de grands claquements pourquoi vous avez tort sans le dire vraiment, et intérieurement vous bouillez de bouffer la morve qui leur sert de corps. Vous étiez habillé pour le succès, mais le succès, il n’est jamais venu. Et vous êtes la seule personne qui rit à leurs mauvaises blagues, et leurs blagues sont toujours mauvaises. Alors on tombe un jour sur un groupe qui s’appelle Pavement, et eux n’ont pas de costume-cravate, ils n’ont pas de costumes tout cours, et ils jouent des chansons qui ne plaisent qu’a eux. Un jour pourtant ils ont de la chance, et une case quelque part dans le cerveau des palourdes s’ouvre et se sent touchée par cette fragile anormalité. Un miracle ce produit, des centaines de petites palourdes se font happer dans les filets. Elles ont envie de se faire couper les cheveux.
Depuis la scène, un grand panorama se déverse, gras et saturé, celui d’un paysage où il n’y a pas d’empêcheur de rêver en rond, même si le rêve est noir ou triste, et dans ce désert je regarde les cactus mauves et je me sent bien. Pourtant quand je réalise que ce n’est qu’une carte postale, je ressors du plancher et je me sens vaguement nostalgique de je ne sais quelle chose qui n’est jamais arrivée. A 864 kilomètres de la, j’imagine Pipo Syzlak qui tambourine sa guitare et se la donne comme jamais, et m’invente plein d’histoires sur le concert de Crumb. Il se sont camés comme des chameaux et on donné une leçon à 600 zombies rockers qui n’était pas la. J’envoie ma prière à tout les Pavements cachés sous les rochers au fond de la mer, puis quitte la fosse après le rappelle avec une furieuse envie de me battre contre cette génération de mollusques qui se posent et fond des bulles.

Voila la fin du concert, du haut des gradins. Bob Nastanovich gueule qu’il essaye, pendant que la grande flaque s’agite. Je vois le Norvégien au loin, faire des vagues et tournoyer sa hache. C’est beau.

On rentre finir le week-end, et le malaise ne me lâche pas (au début je pense avoir trop fait de métaphores à base de fruits de mers), mais non c’est pas ça. Ça me travaille toute la journée,impossible de mettre le doigt dessus. Pourtant il y a bien quelque chose qui me pourchasse depuis que j’ai entendu cette supplique : « fight this génération ». Ok, d’accord, combat cette génération, mais laquelle ? Parce que l’histoire des palourdes c’était juste une image pour faire genre dégaine hein ?

Et puis boum, ça me tombe dessus d’un coup ce matin, en buvant mon café. Une image reléguée dans mon subconscient mais qui tape à la porte avec insistance, et me donne la nausée depuis.
Quand je pense qu’une large partie de ma génération préfère remplir Bercy pour Dorothée, ça me fout la gerbe !

 

 

 

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