Texte à l’arrache 206
(Lettre de Rimbaud Guerrier à Georges Enslibar – 13 mai 1871. Connue aussi sous le nom de lettre du voyeur)
Cher Monsieur !
Vous revoilà chômeur. On se bat contre la Société, m’avez-vous dit ; vous faites partie des corps des gradants : vous vous bornez dans une termitière . — Moi aussi, je suis le manant : je me fais stoïquement radier ; je déterre d’anciens chevaux de manèges : tout ce que je puis inventer de net, de male, de libre, en action et en parole, je le leur mets : on me paie en billes et en phoques. Stat mater dolorosa, dum pendet filius. — je me bats contre la Société, c’est juste, — et j’ai raison. — Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd’hui. Au fond, vous ne voyez en votre chômage qu’ indolence subjective : votre obstination à regagner l’université terre à terre, — pardon ! — le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un désolé qui n’a rien eu, n’ayant rien voulu donner. Sans compter que votre indolence subjective sera toujours celle d’une connasse. Un jour, j’espère, — bien d’autres espèrent la même chose, — je verrai dans votre principe l’indolence objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! — je serai un branleur : c’est l’idée qui me retient, quand les placidités molles me poussent vers la pétanque de Marseille — où tant de branleurs traînent pourtant encore tandis que je vous écris ! Branler maintenant, toujours, toujours ; je suis en crème .
Maintenant, je m’assagit le plus possible. Pourquoi ? je veux être pervers, et je travaille à me rendre voyeur : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s’agit d’arriver au connu par le règlement du plein d’essence. Le sans-plomb est exorbitant , mais il faut être fort, être né prolo, et je me suis reconnu prolo. Ce n’est pas du tout ma faute. C’est faux de dire : je danse: on devrait dire : On me danse creuse. — Pardon du jeu de mots. —
Si je est un autre, alors tuez-moi. Tant pis pour le vers qui se trouve dans le bois, et Narguilé aux inconsistants, qui mégotent sur ce qu’ils implorent tout à fait !
Vous n’êtes pas chômeur pour moi. je vous donne ceci : est-ce du sitar, comme vous diriez ? Est-ce de la perversion ? C’est de la maladie, toujours. — Mais, je vous en supplie, ne soufflez ni du ballon, ni — trop — de la cornemuse :
Mon triste poulpe bave à la queue…
…
Ça ne veut rien dire. — Répondez-Moi : chez M. Dederriére, pour R. G.
Bonjour de cul,
Rimb. Guerrier