Texte à l’arrache 351

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À vous, les prochaines générations, pour qui le rock, dans le sens large du terme, n’est plus qu’une phase de l’épopée des ringards, laissez moi vous narrer cette triste histoire.

Jesus Christ Allin, né le 29 août 1956, sous une mauvaise étoile, dans le New Hampshire, avait son destin écrit dans son nom de baptême : marginal, hors-sujet, et malheureux. Son père, suite à une vision, soutien mordicus que son fils sera le prochain messie. Merle, son grand fère (qui n’a pas encore adopté son look à la Adolph Hitler), n’arrive pas bien à prononcer son prénom. Il l’appelle « Jiji », et c’est ce sobriquet qui passera à la postérité : GG.

La petite famille vit dans une cabane sans eau et sans électricité dans la foret, dirigé d’une main de fer par le patriarche, qui, comme on l’a vu plus haut, est un siphonné fanatique, un obsédé du suicide, allergique au plaisir. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que la mère ne demande le divorce, et s’enfuie avec ses enfants. A l’école, GG est considéré comme un attardé. Il fait plein de bêtises, vole, cambriole, vend de la drogue, fait de la musique, il joue de la batterie. Tout le monde le déteste. Ça tombe bien, lui déteste tout le monde. Influencé par la british invasion, c’est surtout Alice Cooper qui le marquera de son empreinte. Sa scolarité finie en 1975, il consacrera tout le reste de son existence à la pratique du rock’n roll, qui pour l’heure ne s’appelle pas encore punk. Il chante dans un groupe nommé the Jabbers, mais devient progressivement de plus en plus fou et incontrôlable. Le groupe se sépare. Des lors, il passe de formations en formations, les Cedar Streets Sluts, les Scumfucs, les Texas Nazis. C’est le début de la fin des années quatre-vingt. Il est accro à l’héro, à l’alcool, et à tous ce qui défonce. En 1985 à Peoria, Illinois, pendant un concert, il fait caca sur scène. Pour lui, qui se considère comme « le dernier authentique rock’n roller », c’est tout à fait logique. La musique rock personnifie le danger, la réaction face à l’autorité, et la rébellion sous toute ses formes, en clair, elle n’a rien à voir avec de la soupasse familiale. Les shows se transforment en confrontations, où les dégâts sont considérables. Il tape sur le public, sur lui même, vomit, chie, se branle, se saigne, comme s’il essayait désespérément de réveiller un géant endormi. Évidemment, la police l’arrête tout le temps. Lui s’en fiche, préférant annoncer son suicide prochain sur scène, qui n’arrivera jamais. Il meurt d’une bête overdose en juin 1993. Kurt Cobain, un autre excédé de l’Occident, ne s’est pas encore fait exploser le râble, mais ça ne va pas tarder.

GG aura passé sa vie comme un rhinocéros. Ses journées étaient celles d’un chien. Il se sera employé, en attendant qu’on le suive, à faire de son existence un long suicide, à coup de drogues, de bagarres et de scarifications. Aujourd’hui, c’est une curiosité pour spécialistes, ceux qui se masturbent sur des choses sur lesquelles ils auraient craché avec un autre orifice s’ils les avaient vu pour de vrai. C’est l’avantage qu’ils en retirent, ces voyants en retard. Ils passent pour des pointus.

Alors d’accord, on peut dire qu’il n’avait pas une façon très subtile de nier la société. GG était probablement un bourrin crétin sans culture, comme 80% de la population occidentale moderne, mais ce n’est pas beau de se moquer de son reflet. Désormais ses chansons ont une étrange résonance.

Don’t talk to me, « ne me parle pas », ou comment évoquer l’horreur de discuter avec des gens qui monologuent sans cesse, et qui vivent la rébellion à plages horaires fixes. C’est une torture et une aliénation mentale. Imaginez vous enfermé dans une pièce avec des fondamentalistes idiots et heureux de l’être, qui ne veulent faire aucun effort pour comprendre autre chose que ce dont ils sont déjà persuadé, qui ne parlent que de ça, qui vous menacent de mort si vous les contredisez, et qui s’éclatent à la faire. De quoi avoir envie de sauter par la fenêtre.

I wanna fuck myself, « je veux me baiser moi même ». On dirait bien qu’il avait eu la vision du futur actuel, celui de la mise en scène de nos moi, toujours plus narcissiques, toujours plus à coté de la plaque.

Rarement aura t’on abordé le thème de la misanthropie moderne qui nous infecte (au moins nous, français), et qu’un grand nombre, sinon tous, à la mauvaise foi de cacher pour ne pas perdre sa face anonyme. C’est si nul que ça donne envie d’envoyer tout balader plutôt que de continuer. Et de dire plein de méchancetés aux passants.

On s’en amusera comme d’un exemple extrême, une curiosité fascinante par sa laide bizarrerie, une anecdote choquante ou amusante. Ce sont pourtant les soubresauts d’une âme qui refusait d’être rongée qu’on aura eu sous les yeux. Aujourd’hui, la terre ne remue plus

Il avait compris que la vie est une insulte si on ne laisse pas à tout le monde sa liberté de penser, même à Florent Pagny. Ce genre de constatation rend dingue. Il n’aura pas droit à la statue qu’il mérite, puisque nous n’avons pas réussi à nous libérer du joug de l’art bourgeois.

 

Heureusement que le pauvre n’aura jamais connu facebook, instagram, et autres conneries divertissantes, il aurait fait sauter une école maternelle. Là, il aurait été connu. Pauvre GG.

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