Texte à l’arrache 97

 Dans Textes à l'arrache

Un jour comme les autres, tourmenté, abattu, masochiste. J’ai envie d’un sort pire que la mort, alors j’allume la télé. Remise des Funskyrj awards, catégorie « meilleur groupe de l’année ». Le nominé est, oh surprise ! Casssino ! Exultation. Pour une fois que c’est de la bonne musique… Mais ce ne sont pas les artistes qui montent sur scène : voilà Vincenzo di Pallazzo, leur manager, marchant vers le pupitre. Avec un visage inexpressif, il prend la récompense.Il ne regarde même pas. Son œil lorgne sur les lignes plastifiées, mais cordiales, de la maîtresse de cérémonie, une endive générique de plateau télé (à moins que ce ne soit Ophélie Winter). Devant le micro, il racle sa gorge, puis se met à parler :

-Ma qué jé souis très content qué cé soit Casssino qui l’est remporté lé prix, grazie, grazie mille. Ma les mousiciens, ils né viendront pas, parcequ’ils pensent, et moi aussi, que cé genre dé cérémonie, ma, c’est de la grossé merda. Ennormissimo caca, si. Ma qué c’est n’importé quoi « meilleur groupe, meilleur chanteur, meilleur ci, meilleur là » , ah ! Ils sont meilleurs par rapport à qui, par rapport à quoi ? Qué la question, ellé tourne dans ma testa tout lé temps, mais en fait j’ai la réponse dépouis lé débout : ça ne veut rien dire, c’est oun souperchérie, stupido, cavolata, connéria ! Qué Casssino c’est magnifico, c’est tout, pas besoin d’oune trophée merrrdique…

Une rumeur de colère enfle dans l’audience. Un éclat protestataire file droit sur Vincenzo, qui ne se démonte pas.

-Ma, c’est vrai, chiudi il becco, fermé ta gueule ! Votre trophée en forme de vibratore, là, on le prend, on vous l’enfonce dans le culo ! Eh ! Basta ! Basta ! C’est vous les facista, avec toute votre crotte commerciale, furfante ! Brigante ! Commerciante !

Encore une émeute… Les cris et la discorde disparaissent, sitôt le bouton de mise en veille pressé. C’était marrant… Maintenant, j’ai envie d’écouter Casssino. Le disque se met rapidement à tourner sur la platine. Le diamant se pose sur le sillon de mon morceau préféré : Goth. L’intro pose une ambiance de caverne humide, dont l’ampleur est dessinée par une rythmique lente et réverbérée. Des gouttes, les notes, tombent d’une stalactite, la guitare. Un homme s’avance dans la salle, se met à chanter d’une mélodique voix rugueuse, des mots italien dont on saisit l’accent, mais pas vraiment le sens. Seul les plus universels, « amore », »morte », trouvent le chemin des bons synapses. Ce qui est parfaitement compréhensible, c’est la totale mélancolie qu’exprime l’ensemble. Une tristesse calme, qui semble refluer, de plus en plus fort, jusqu’à ce que le couplet verse dans le refrain. Un tremblement de son fait tressaillir l’échine, et dresser les poils sur les avants bras. Une harmonie démentielle, créée  par l’action d’une basse duveteuse, d’une suite d’accords parfaitement agencés, d’ une voix qui s’éraille dans le typhon. Voici l’instant qui transcende la psycho-acoustique, celui où le cerveau et le morceau se calent sur la même longueur d’ondes. Une inondation remplit le corps d’un sentiment de beauté grave, propre à faire frissonner les esprits sensibles. Le solo de guitare piaule, soupire, se lamente au fond de la fosse, observant la lame sur le funeste pendule, et son irrévocable descente… C’est une compos excellente, me dis-je, meilleure , ô, un milliards de fois meilleure que les excréments que Vincenzo dénonçait dans le poste. Ici, on a l’élément de comparaison qui justifie leur victoire. Casssino c’est le meilleur groupe, comparé à de la daube. Alors je lève la tête, et je ris.

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