Bongzilla + Claque + Urethane Damage (le Molotov 24/06/23)

 Dans Chroniques de concert

Perdu dans ses pensée, Place Notre-Dame-du-Mont, Marseille, France, Raoul Duke cherchait un moyen de qualifier sa patrie aux tétons tristes, un prisme à spectre large pour analyser ceci. Mais ce pays aussi avait les tétons tristes, tout avait le téton triste. Titiller la pointe d’un sein avec une langue aguerrie aux chatouilles déprimait le premier léché venu. Le mot meme de tétons n’était plus qu’une énième barricade derrière laquelle des populations à l’agonie et indéfinies pouvaient se carapater à l’envie, pour bombarder depuis ce bunker de fortune l’inconnu qui, par définition récente, constituait la menace. « Ce haschich local me rend paranoïaque », se disait Raoul en titubant sur la pente qui perçait son tracé vers les entrailles du centre ville. La vague de l’occident était partie de ce port, lieu de liaison vers d’autres départs civilisateurs. A grand coups d’arquebuses et d’esprit de supériorité.

Venir suer dans le ventre de Marseille se révélait n’être pas une si bonne idée que ça. Les masses hébétés, exaspérées par toutes lectures excédant les trente minutes de concentration, bave au lèvres, slip en feu, le bousculaient jusqu’à le faire tournoyer sur lui même. A chaque coup d’épaule, le dilemme entre laisser tomber son fume-cigarette ou sa machine à écrire l’obligeait à se tortiller comme un vermisseau blessé par balle. À vrai dire, il se serait suicidé une seconde fois, si son âme ne s’était pas déjà éparpillé au dessus d’une rivière du Colorado, tirée de la gueule d’un canon. Finalement, il jeta sa Remington portative dans une poubelle pleine.

Si le cauchemar américain avait metasté quelque part, c’était bien ici. Quoique pour être exact, le cancer avait été contaminé par la maladie locale, prenant les couleurs, les comportements, et l’apparence des animaux maritimes : poissons, pageots, sars, muges, rascasses et mouettes, mélangés aux injections régulières de variole parisienne, tout cela renforcait la vulgarité insouciante des entités humanoïdes autour de lui. Savaient-ils, ces personnages qu’ils allaient flétrir plus vite qu’un disque de trap ?

Il entendit soudain rugir. C’était le bruit de la mescaline attaquant ses synapses, et du tsunami qui s’élevait au dessus des immeubles. La vague de la décadence revenait à son point de départ. Raoul Duke se precipita, s’emmêla dans son short, trébucha, tourneboula et termina sa dégringolade dans l’entrée du Molotov, jambes par dessus le bob, face contre terre, la colonne vertébrale arc boutée dans la posture d’un scorpion contrariée.

-Qu’est-ce que tu fais, ne te donne pas en spectacle, pauvre loque, dit Maître Gonzo en le relevant. Le bon avocat, tout juste éméché au pastis, l’avait suivi sans mot dire, jusqu’a ce que le délire schizoïde induit par la drogue ne fasse de Duke une gelée de panique.

Il se releva, s’epoussetta, tordit son cou pour le remettre en place

-C’est bon, ça va, pas de familiarité s’il vous plaît maître, répondit l’ecrivain d’un ton digne.

Dans le refuge rouge que constituait la salle de concert, les hommes poissons à l’entrée dénonçaient par leur existence les origines blasphématoires de la citée, née de sang versé a dieu sait quel dieux sur la terre encore grasse qui constiuait la base de ses multiples croutes de pierres superposés où s’enchevêtrait une mentalité très différente de celle du Winsconsin.

-Raoul Duke, docteur en journalisme, j’ai une invitation.

-Qu’est-ce que tu bois ? dit Gonzo, déjà accoudé au comptoir.

-Coca. grinça Duke entre ses dents

-Un coca et un double russe blanc.

L’avocat tendit le soda à son client. Il l’avala avec la furie d’un homme perdu dans le désert qui vient de trouver une oasis.

-Je vais prendre des photos dit Gonzo.

En acquiesçant, Raoul le suivi dans la salle.

Urethane Damage terminait son tour de chant. Tel des hérauts du roi de l’acide, le groupe publiait en public un solennel discours de notes. Le roi de l’acide déclarait qu’il saurait gré à ses sujets qu’ils dodelinassent de la tête, qu’ils se limitassent aux psychotropes, et qu’ils s’ouvrissent les portes de la perception, vautrés dans des canapés. Cette musique révélait aux nerfs optiques de Raoul une invisble fumée epaisse, dense comme de la barbe à papa. « De la beu m’aidererait à descendre à un niveau de réalité moins infernal », pensa t’il. Sur sol en damier noir et blanc, il était, avec les autres, une pièce d’un jeux d’échecs aux règles dont la finalité leur échappait. Comment gagnait-on, comment perdait-on ? Et pourquoi ? Les cranes du public enflaient, les yeux difformes se dilataient comme des montres molles. Le groupe joua son dernier morceau, et la foule coulante hulua des bravos profanateurs. Duke décida de se replier vers le bar, persuadé d’avoir affaire à des sectateurs rendus mutants par leur adoration des Grands Anciens. Il commanda un autre coca.

Alors que Claque commençait à faire résonner leur instrument, le docteur en journalisme profita que le public soit sorti pour aller fumer une cigarette phéncyclide dans l’aquarium/fumoir attenant à la scène. Une vitre permettait de voir le groupe juste de l’autre côté. La lumière devint bleue marine, renforçant l’impression aquatique offerte par le moment. La pesanteur du premier morceau tomba si fort sur Raoul Duke, (à moins que ce ne soit l’effet du pcp), qu’il fut immédiatement éjecté de son corps. Il se vit exécuter de petits de pas danse shamanique puis sortir en titubant du bocal à nicotine, avancer dans une posture de zombie pas frais jusqu’au au seuil de l’antichambre, pour enfin se retourner, et contempler le concert qui s’intensifiait. Alors qu’a l’extérieur, le tsunami ravageait la crasse des rues de la ville, lui restait planté, ses pieds prenant racine vers les profondeurs du spectacle. Le système tubulaire des eaux usées le suça sur des kilomètres avant de le recracher dans une grotte calcaire. Claque était toujours là, et Raoul s’aperçût que les parois étaient taillées de colonnes aux chapiteaux doriques, de bas reliefs figurant des créatures de l’Olympe, des faunes, des satyres, des nymphes, des feuilles de vignes. Sur les murs de ce temple, la musique ricochait, accélérait, propageait ses vibrations jusqu’au cervelet de l’auditeur. C’était un bruit incroyable, mineral, d’une brutalité toute antique. D’ailleurs, les musiciens de Claque portaient maintenant des chlamydes qui laissaient deviner les bouts de leur testicules, heureuses de se balancer aux cadences metronymiques dictées par le lacademonien à la batterie.
Dans la chaleur de ce Tartare, les rots au coca de Raoul Duke se perdaient dans le magma de larsens. Les faunes et les nymphes exécutaient des mouvements de quilles de bowling ébranlées, conformes aux rites de l’été qu’invoquait les trois hoplites de Claque. Ils les lançaient par blocs entiers, et le journaliste se recevait en pleine face, en plein foie, en plein dans l’aine. Il se raidissait et prenait des poses plus absconses qu’un Michel Polnarreff pendant une sceance de défibrillation.
Penser à Michel Polnareff, même pour un esprit trempé de came, ç’en était trop. Il sorti de sa stupeur, Claque venait de terminer. Duke était là, dans la salle d’où les spectateurs s’en allaient pour prendre l’air, et les musiciens rangeaient sagement leur matériel. Gonzo revenait aussi, en agitant son appareil photo avec désinvolture.

-Parfait ce fumoir, dit-il. Pas besoin de cigarette, une respiration et tu avales trois paquet de tiges d’un coup. Et un peu de purple haze aussi. Ils ont bon goût ces français.

Raoul Duke en était encore à décrypter les mots de son ami, que Bongzilla plaquait déjà leurs premiers accords. Le chanteur brailla d’une voix rapeuse, la trachée écorchée par trop de cristaux de verre, aspiré par le truchement d’un tube en pvc. Un marecage de notes embourba la salle, Raoul sentait la boue coller ses semelle. La tete d’ampli Green, couleur cannabis deversait des litres d’eaux usées, sursaturées de marie-jeanne.

Au même instant, une secousse sismique vint décoller notre héros du carrelage, un bruit de camion qui tombe d’un canyon beugla de l’extérieur. Il s’extirpa tant bien que mal des flaques de thc pour sortir.

Dehors, c’était Bongzilla en personne, le vrai, le stégosaure defoncé. La bête était la cause des tremblements, écrasant les bâtiments, hurlant exactement de la même voix que le chanteur à l’intérieur. Elle était prête à affronter Methra, la mite siffleuse, sortant du tsunami d’une humeur massacrante.

Le combat faisait rage. Le reptile géant vomissait ses lasers sur l’insecte, et ce dernier lui déféquaient des litres d’ephedrine sur le museau. Telle des fourmis folles, la foule terrorisée courait en tous sens, se tamponnait, se piétinait, renversait les tables des terrasses, cassait les verres, rendait ses derniers soupirs. Bongzilla et Methra s’arrêtèrent un instant, leurs regards se croisèrent. Était-ce la faute de la musique ? Quoiqu’il en soit, les deux animaux préhistoriques se mirent à copuler en proférant des cris sourds, puis Methra passa ses pattes sous les épaules de Bongzilla, et il s’envolèrent ensemble, des petits coeur au dessus de la tête, vers des lendemains radieux.

Maintenant il n’y avait plus rien. Dans les décombres, Raoul Duke ne se souvenait pas de grand chose, sauf des mélodies de la soirée. Étrange… Il n’y avait rien de plus impermanent que la musique, pourtant elle seule demeurait, et se cognait contre les coins de sa boîte crânienne.

Il enjambait les corps aplatis, tandis que Gonzo le suivait, contemplant d’un air satisfait ses prises de vue sur l’écran de son appareil. Triste spectacle de désolation et de chaos. Mais de toutes manières, se disait Raoul Duke en mâchouillant son fume cigarette, une société qui tolerait des reprises à l’accordéon des Chemical Brothers était forcément malade et à l’agonie. C’était dans l’ordre des choses.

Quelle bonne soirée !

Articles récents

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
%d