Les Webzines.
À l’époque où se déroule cette histoire, le fanzine tel que l’on a pu le connaître n’existait plus vraiment. Les feuilles tapées à la machine, puis photocopiées et distribuées, c’était pratiquement fini. Il devait encore exister, mais seuls les plus durs du noyau dur s’y adonnaient encore, les plus farouches opposants au dématerialisme. Et puis surtout, il y avait Internet et les webzines.
Punk Magazine a cimenté la scène qui lui a emprunté son nom, en 1975. Maximum Rock n’Roll continue d’étaler son élitisme sectaire, à mille lieux du véritable hardcore, parce que celui-ci a refusé de se congeler en 1983.
À Marseille, on a plus de chance, on ne révère pas un mythe, on le vit depuis 2600 ans. Pour ma part depuis 7300 jours. Mon esprit manque de curiosité, mais des vétérans pourront certainement me parler de revues indépendantes, où l’on parlait de musique locale et autres. Je me contenterai de raconter ce que je connais, donc, de supports informatifs traitant de l’exposition et de la mise en valeur des médias créatifs régionaux, ainsi que le régurgiterait le président de la république.
Le narcissisme m’a fait découvrir ce journalisme. Notre seul exploit relayé par la presse avait été un entrefilet dans la Provence : « Des tables volent dans un Pub », mais j’en ai déjà parlé. En cherchant des échos de cette confrontation, qui n’en étaient pas moins un récital méritant commentaire, je farfouillais dans le cafoutch du web. Et je trouvais quelque chose ! Trois lignes publiées sur un site nommé Liveinmarseille. Diantre ! Ils existaient les fanatiques, hors de l’espace balisé des avis autorisés. Le net à cette époque offrait le trésor alléchant de la célébrité parallèle, hors des canons de l’industrie commerciale. C’est bien révolu depuis. L’industrie a colonisé ce Far-West fatras fracadingue, et a fait de la masturbation sur soi-même la moins chère et la plus efficace des drogues. Pourquoi se rebeller contre un espace où l’on peut être admiré, où on peut râler et se battre sans craindre pour son physique, où on peut se donner de l’importance ? Les nigauds y foncent tête baissée, se surdosent de dopamine, et se donnent dans les plus bas spectacles, analysés par d’autres nigauds qui ne se rendent plus compte qu’on les mène à la baguette. J’arrête là, je retombe dans le piège. Quel nigaud. On s’en fiche de mon avis. On s’en fiche des avis. Même si tout le monde en a un. Surtout si tout le monde en a un. La sur-individualisation empêche de se regrouper pour faire des trucs, genre, la révolution, la vraie. Celle avec des morts et des banques en feu.
Retour aux trois mots : « La folie dans un pub bien trop sage. Un groupe qui a une folle envie de jouer. » Ça fait zizir. Un, ça posait la réputation, deux, ça sous-entendait que ce n’était pas mauvais. Joie ! Famosité ! Début de fortune ! C’est par cette voie pas très saine que je rentrai dans ce monde que je ne connaissais que par la lecture de Please Kill Me ou The History of Hardcore in the USA. Le raisonnement était simple : si on continuait à jouer comme on jouait, on aurait d’autres articles. Et on en a eu, avec nos potes de Spin Ash Land, puis avec Zbeb et Ravaltakich, vous connaissez l’histoire. Quand Crumb a commencé à en avoir aussi, et des flatteuses, mon for intérieur s’est dit « woah les mecs, on fait partie de la scène »
Mais ceci n’est pas un énième bouquet de fleurs, j’aurais encore plein de place pour le faire. Parlons plus avant de Liveinmarseille, puisque c’est le sujet du propos.
C’était la branche localisée d’un site plus généraliste « Concertandco ». Avant tout un agenda de spectacle, jour après jour, dans la France entière. Déjà, il s’avère que la division Marseillaise était très active. Non seulement elle annonçait les concerts « conventionnels », grosses salles, tourneurs, noms connus, billets à acheter à la Fnac, au Virgin Megastore, et supermarchés divers, mais aussi pléthore d’artistes internationaux peu sût du grand public, et de petits groupes des environs, tout genre confondu : rock, metal, hip hop, funk, reggae et toute catégorie imaginable.
Le Mystik Punk Pinguin gérait tout ça de son ordinateur du Pole Info Musique, rue Consolat. Son vrai nom, c’est Stephan, mais j’ai toujours trouvé ce pseudonyme excellent. Malgré sa stature de palmipède, c’était un marathonien de l’art vivant, capable de voir deux, trois, ou quatre concerts dans autant de lieux différents. À chaque fois, il renseignait dans son site un avis argumenté de ce qu’il avait pu voir. Car c’est là que « Concertandco/Liveinmarseille » devenait intéressant : on pouvait déposer des chroniques de shows, virtuellement où qu’ils soient dans le monde, de la pièce de théâtre balinaises vue à Denpasar au concert de Bazaza à la Maison Hantée. Comme il a été montré plus tôt, Marseille ne manquait pas d’endroit où voir des spectac’. Et on a vu que le rock, au sens large. Bref, une véritable bande d’amateurs du genre se mit à fournir régulièrement des articles. Parmi ceux-ci, les complices les plus acharnés du Pinguin : Pirlouiiiit et Philippe Boeglin.
Pirlouiiiit etait de la même nature que le MPP. Un peu moins branché punk qui se fâche, il était néanmoins autant stakhanoviste que son confrère, avec de surcroît un appareil photo en main. Il doit avoir fait au moins un million de clichés. Au moins. Archiviste de la mémoire musicale de Marseille, la somme de son travail est inestimable.
Phillipe Boeglin etait le journaliste-écrivain de la bande. Le genre de personne qui mériterait d’avoir ses articles et ses reportages en double page de Rolling Stone. Ils sont plein d’humour, d’étude et de style. Ne cherchez pas, nous avons notre Lester Bangs. Non, nous avons Philippe Boeglin . Si tous les magazines musicaux du monde avaient des gars comme lui, il n’y aurait plus de majors, juste des minors, qui sortiraient des tas de bons disques.
Ces trois-là, je les croisais régulièrement à la Machine, au Poste à Galène où à l’Inter, en train de distribuer des flys pour le site. Grâce au raclage de fond de tiroir et aux économies de bout de ficelles que l’on nomme capitalisme, le Mystic a dû quitter son poste, mais cela n’empêche pas cette Troïka des purs de poursuivre sa passion : raconter la musique sur le site. Ils vinrent me prêter main forte aux balbutiements de Phocéa Rocks, mais ceci est une autre histoire.
Le site est moins fréquenté, l’indifférence grignote peu à peu le cœur des hommes. Il n’en reste plus qu’un trognon, et quelques pépins malingres. Cependant, Phil2Guy, Roo Ha Kim, Miss X Jewel, Sami, Catherine B, Vv, qui fait des critiques de concerts qu’il n’a pas vu, Jacques2chabanne, lol à Paris, Pierre Andrieu à Clermont Ferrand, les prévenus précités et une foule de rapporteurs occasions alimentent toujours le site en offrandes textuelles. Je sais que j’en oublie beaucoup, pardonnez moi.
Un après-midi, à la fac, mon ami JB Loi me dit « Hé dis donc, vous avez une super critique de votre album sur Massilia’s Burning ! » Massilia’s Burning, hein ? Je filais chez moi pour me jeter sur l’ordinateur. Un beau site bleu gauloise s’afficha, une Bonne Mère en flamme se consumait sur l’en-tête. Trop cool. La chronique était là, et elle était bonne envers Death to lo-fi. « Un disque de rock éclectique remarquable. » Je me mis à explorer le site. Mazette, il y avait des coffres entiers de reportages, de concerts, de critiques de disques, d’interviews, de musiques à télécharger, d’annonces de shows à venir, avec de beaux flyers, de fiches de groupes… Que de l’indé d’ici et d’alentour, les formations de dingues venues de la Fare-les-Oliviers, les combos d’Aix, Aubagne, Auriol, Toulon, Roquefort la Bédoule… Que sais-je encore ! Beaucoup de hardcore, de punk et de metal, un relevé précis de la scène d’alors. Vand, Zhou et Gas se démenaient à un rythme pratiquement quotidien pour y mettre des infos fraiches. La photocopieuse, ils l’auraient fait trembler, puis fumer, puis exploser, si nous avions été dans les années quatre-vingt. Ce qui était beau dans la démarche, c’est qu’elle était faite juste pour la beauté du geste. Le site a duré dix ans. Vand, je le croisais encore un peu, au détour d’un concert vénère., puis je l’ai perdu de vue. Mais je sais qu’il est là. Rendons ici hommage aux soldats inconnus de la bataille du rock, en brandissant la flamme éternelle. Si elle brûle encore dans le cœur de quiconque est tombé amoureux de ce genre, c’est grâce à vous, qui avez fait ça pour que dalle. Récoltez au moins l’expression de notre reconnaissance indéfectible, il y en a par porte-conteneurs entiers pour vous. La Plate-forme a pris le relais un certain temps, dans le même état d’esprit mais en y rajoutant cinéma et littérature. Faut-il s’étonner d’y trouver le MPP dans ses rangs ? Je ne crois pas, le MPP est l’albatros de l’indé Marseillais, tout le monde le voit dans le ciel. Pauvre aède, je saisi ma lyre et viens chanter les louanges de vous tous, amis de la musique et des autres muses. Je parle au passé, cela rend les choses historiques. Citons encore quelques noms.
Il y avait également le site Nawakposse, spécialisé dans le HxC, mais qui chroniquait aussi ce qu’il avait envie de chroniquer. Leur activité n’a pas cessé, l’équipe s’est agrandie et parle de toute la France désormais. Kudos.
Metal II Mars est un vrai fanzine, sur parchemin et en couleur. Un monument construit chaque mois avec amour pour vous tenir au jus de l’actualité ferreuse du département. Courez lire ceci, vite, maintenant, right here, right now, tout de suite.
Je voudrais aussi nommer le Ventilo, un journal pro mais qui parlait de ce qui se fait ici, avec des chros et un agenda, avec la Marseillaise, ils font parti des médias qui savent encore parler à la cité. Il y a également le Vortex, mais j’en ai déjà fait l’apologie.
Une revue sur papier glacé nous a toujours pris de très haut, elle était de la même nature que les feuilles qui la composait : froide et lisse. Je me permettrais de le rendre la pareille : à part la bande dessinée, ce n’était pas terrible. Consensuel et obséquieux. Honte à ceux qui se parent des oripeaux d’un mouvement honnête et austère, pour mieux les dénigrer quand ils se présentent à eux. Autrefois, on appelait ça des Pharisiens, ça court toujours les rues. Juste en dessous de rien, ils ne méritent pas plus de mots.
Le fanzinat, dans l’acception large du terme (articles, radio, chaînes, etc.) est indispensable à l’existence d’une scène. Il la dynamise, énerve les egos (le musicien qui n’en a pas vous ment), instaure une compétition, qui peut être saine si il ne se pose pas en prétendu gardien d’un temple dont l’entrée devrait être libre d’accès à tous, ou s’il hyper-sacralise ce qui n’est pas sacré, force les orchestres à un certain niveau d’exigence, pour apparaître dans les colonnes d’un revue qui importe vraiment, puisqu’elle vit près d’eux. Il justifie la légitimité d’un style artistique, lie ensemble des groupuscules qui seraient isolés sinon. Et puis c’est marrant. C’est comme cela, par exemple, que des gens de New-York ont fait remarquer qu’il se passait quelque chose de nouveau et de chouette qui renouvelait enfin une musique engoncée dans les bons sentiments d’un mouvement hippie d’opérette, et sous le contrôle de corporations dominatrices, vendeuses de soupe et intolérables. Le média en fait-le-toi-même encourage la volonté d’avoir un esprit critique, une liberté d’opinion, peut faire apprendre la différence entre l’art et la réalité, à faire la part des choses. Ne vous étonnez pas si les gens se comporte comme des pikas anxieux si on leur masque la moitié des choses. Et une meute de pikas anxieux, c’est très dangereux.
La reconnaissance nationale ou internationale sont des appâts pour acheter les âmes a bas prix. Mieux vaut commencer par être le premier dans son village, comme dirait Jules.
La presse nationale est un instrument faussé, pipé. Elle ressemble à celle du « Portrait » de Nicolas Gogol, le protagoniste maudit se sert de l’argent qu’il a gagné magiquement pour se payer un article élogieux dans une revue à gros tirage. Ensuite un petit coup de chance le propulse, il devient riche et à la mode. Mais il est perdu par son pacte, et reste un médiocre incapable de produire un chef-d’œuvre. Il meurt enragé. Tout le monde l’oublie. en conclusion, elle ne sert que de mode d’emploi pour les trop ramollis pour penser par eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin de cela.
Ce n’est pas si mal, qu’une scène reste confidentielle. C’est dur, c’est sûr, ça ne nourrit pas son homme ni sa femme, mais après tout… Ces instants où la musique est insouciante… Quand on n’a plus rien. Elle peut encore nous amuser, comme elle amuse les malheureux des « Bas Fond » de Kurosawa. Son rôle est magnifique, elle partage l’existence. C’est quand un commerçant se rend compte que l’art est vivant qu’il meure. Afin de le vendre, il le confie aux scientifiques, pour qu’ils le déclarent licite. Alors ils l’auscultent, le dissèquent, et dans le processus, le tuent. Bizarre. Le passage entre les entreprises mastodontes est étroit comme un boyau de spéléologie, mais on peut encore s’y faufiler. Qui sait, à force de frotter les murs, ils finiront par s’écarter. Nous vivons dans un pays bicéphale. Une tête qui donne des ordres, et une qui rêve de libérations. C’est une moitié d’homme qui vous dit ça.
Pendant ce temps, les roudoudous, pensez à imprimer le contenu de vos disques dur, Blade Runner 2049 n’est plus très loin. Quand la civilisation occidentale s’effondrera pour de bon, quand internet sera mort, on sera content d’avoir des traces du passé.