Saisons monégasques 2005-2012. Partie 3. Suite et fin.

 Dans Mémoires de musicien

« Les gens connus, on les r’connaît  

Sont pas comme nous, sans déconner  

Ils ont tout fait pour être connus  

Et c’est pour ça qu’on les connaît  

On s’fout de leurs gueules pour déconner  

On les a vus à la télé  

Y’en a qui kiffent qu’on les reconnaît  

Y’en a qui s’plaignent fallait pas la montrer (stupéflip) » 

Dites-vous bien que vous êtes prêts de la scène, côté cours ou côté jardin, accroupi dans la pénombre, près sauter sur scène à la moindre panne. Vous êtes le type en noir que personne ne remarque, en train de remettre un micro sur son pied, ou la tête dans la gueule d’un ampli, comme un ancien dresseur de lion. Que la musique vous plaise ou non, qu’il y ait des gens qui s’occupent de ça, ne commencez pas à vous défiler par ce couloir, vous êtes obligés de rester pendant tout le show ce soir.

Si une star nommée ici s’offusquait en lisant ceci, ce qui est parfaitement improbable, elle aurait un orgueil très fragile puisqu’il se sentirait blessé par un cure dents. Les noms sont ceux d’artistes du moment, mais tant qu’il y aura des humains, les caractères seront immortels, il suffit de changer un patronyme par un autre

Les musiciens d’Eryka Badu sont racistes. Noirs et racistes. Jamais rien je n’ai fait de mal, O Seigneur. Le raciste me traite comme un chien. Pas un sourire, pas un mot, il me désigne ce dont il a besoin sans même me regarder. Prends ce sac, Pose ça la, fait ci fait ça. Et quand sur son siège de batterie, il daignait me toiser de ce trône, dans ce regard se lisait : sale blanc, maintenant les rôles sont inversés. Qu’est ce ça te fait, hein ? Je sens que si je fronce le sourcil, je vais être fouetté. Doute, je me renseigne auprès des collègues : non, non, les zicos sont tous méprisant avec eux, les traitent comme de la bouse. Faire du racisme c’est faire des généralités, et c’est là l’erreur : la généralité, ça n’existe pas. Le raciste il avait sûrement des raisons, mais ce n’était pas une raison. Ce type se trompe de colère, et même ceux qui n’ont jamais lu des lignes de spiritualité le savent : la colère mène au côté obscur de la force. Vous allez vous aimer les uns les autres, bordel de merde ! Scrognegneu, je me dis qu’ils n’ont pas tort DRI, avec leur morceau « Violent Pacification » : « je vais vous forcer à etre sympas entre vous, vous tuer avant que vous ne vous entretuiez. » Bah, ce n’est pas si grave j’aurais pu me faire passer à tabac par une bande de néonazis. En tout cas, si vous êtes musicien et raciste, ben vous n’êtes pas musicien, vous êtes juste un estropié. Vous avez une jambe gangrenée. Coupez la pour continuer à marcher, meme à cloche-pied. Je n’ai jamais asservi personne, et je n’en ai toujours pas l’intention. De toute façon, je n’aime pas traiter les gens comme de la merde. A bas l’oppression. Lives matter.

 

Les vieux Who se sont radinés avec une liste de souhaits stipulant quelques stupéfiants aux saveurs colorées, issus du commerce équitable. La pauvre stagiaire de la prod’ se retrouve donc obligée d’aller toucher de la came dans les bas fond de Nice, pardon, de créer des opportunités pour les producteurs économiquement en situation de désavantage. De façon responsable, il va sans dire.

La légende du groupe qui demande un saladier plein de M&M’s de la même couleur n’est pas fausse. Ça vient de Mötley Crūe, je crois, qui faisaient ça pour tester si leur liste de prérequis était bien lue par les responsables des salles. Tommy Lee, Vince Neil et compagnie devaient demander des casques de moto remplis de glace au crack.

 

Peter Gabriel. Un bon concert. Première partie par le fils à Gaby, très moyen, comme 90% des groupes d’enfants à machin ou bidule. Et ce n’est pas parce qu’il y a pleins de lécheurs de slip qui vous disent que c’est cool que ça l’est. Si ça ressemble à un canard, que ça marche comme un canard, mais que ça fait sbeug sbeug au lieu de coin coin, ben c’est pas un canard. Le Peter est royal, il a concocté sa setlist après vote des fans. Résultat, c’est énorme. Tony Levine, armé de son bâton de guerre sautille comme un sioux derrière son grand sachem, entre les lampes à plasma géante. Un génie dépasse toujours les paillettes.

 

Aperçu Shakira en train de monter sur scène pendant une soirée privée. Elle fait un mètre deux, en forme de bouteille d’Orangina. Comme on dit chez nous, elle a un tafanari comme la Porte d’Aix. Et après ça fait des clips pornographiques qui me valent la venue de tous les pervers du cours Ju à la bouquinerie, à la recherche de dvds de cette « sal*bip* de Shakira ». S’ils savaient, ils ne paieraient pas. Le showbiz, c’est un numéro d’illusionniste. Beaucoup de triche, peu de prestige.

 

Carlos Santana nous sort une reprise horrible de Highway to Hell. Déjà que le morceau original n’est pas très baroque. La création est proprement monstrueuse, un blob de musique latine entré en résonnance avec la foudre. Des larsens lamentables de douleurs font se boucher les oreilles de types en smoking venus ajouter à leur liste-de-musiciens-qu’il-faut-absolument-avoir-vu-pour-etre-un-honorable-et-veridique-amateur-de-rock-du-vrai. Mais c’est pas grave c’est Santana. Qui aurait dû exploser dans une gerbe de jaune, bleu, et rose, façon Street Trash, sur la scène de Woodstock. Il y a Dennis Chambers à la batterie, un dunkleosteus de studio. Le tilteur du charley se dévisse pendant un morceau ou ça chauffe grave en polyrythmie polyphonique polypoulpesque. Le mec mâchouille son chewing-gum, fait des bulles, revisse son accessoire d’une main, tout en continuant de ravager son assortiment de tambours et de casseroles. On n’entend pas une variation. Le gars, il doit vivre dans sa batterie, avec un système de WC dans le siège et un bras articulé qui lui sert des sandwichs à la demande. Pratique pour le transport, il n’y a qu’à mettre tout d’un coup dans une grosse boite sur roues, drummer et drumkit ensemble. Validé par le docteur Octopus.

 

 

Charlie Winston a commis un hit forcé dans la gorge par une rotation en boucle sur les radios et les télés. Le genre de truc qui dure le temps d’une vie, et qui te rappelle que toi, tu n’as pas le swag. Bref, je maugrée tout du long, je peste sur l’industrie, sur pourquoi lui, pourquoi nous, pourquoi ça, je passe le chaud à rêver de Extreme Noise Terror en train de faire exploser des têtes de bourgeois par télépathie. Ça s’arrête, on démonte, et là, le hobo nous offre à chacun une excellente bouteille de bière, pas une petite en plus. Peu d’artistes, voire aucun, n’a ce genre de petite attention. Pardon, monsieur Winston, je n’aime pas votre musique, mais vous êtes un gentilhomme. C’est au-dessus de tout. Je ne jugerai plus jamais un artiste sur sa musique de merde.

 

Pendant les balances, James Blunt s’entraîne à pointer du doigt dans certaines directions. À gauche, À droite, à 27,3 degrés, etc. Mais pourquoi il fait ça ? Pour toi, midinette. Quand tu seras dans la foule, il y aura un instant que tu n’oublieras jamais, celui où James Blunt a pointé son index sur toi, oui, toi. Et la chanson, il l’a chanté avec ses beaux yeux rien que pour ton visage qu’il aura vu poindre dans la foule. Se remémora-t-il cette fugace seconde, plus tard, dans sa loge, pendant que bavasserons autour de lui des pies voleuses de buffet ? Non, il s’en bastonne les gonades avec une raquette de jokari, c’est un antique truc de chanteur de charme.

 

Eros Ramazotti, c’est la même technique, sauf qu’à la fin du spectacle, il fait un tri, et embarque des jeunes nubiles dans sa limousine. Si, c’est vrai, je t’ai vu ! Grossier personnage !

 

Ricky Martin, c’est le type qui chantait un, deux, trois, je m’en vais au bois, non ? Désolé, je ne m’en rappelle plus.

 

Quand Julio Iglesias est venu, il s’est pointé avec sa tribu, trois femmes et des enfants de toutes les tailles. Mon père était un pote à lui. Julio : « Ay, Guapo, comment ça va les femmes, tu en as beaucoup ? » Mon père « Oh ben tu sais, je suis marié, tout ça c’est derrière moi, hein. » Julio « Halala, moi tu sais, c’est fini, je ne peux plus ». Et le bellâtre septuagénaire de remuer ses hanches raides de manière équivoque. Bleuarg. Il traine la jambe et ses dents brillent dans le noir.

On discute avec l’équipe qui l’accompagne. Des gars cools, français et québécois. J’apprends que tout le matériel appartient l’hidalgo : de la prise aux consoles en passant par les amplis. Tout. C’est rare dans le métier, en général, les tourneurs louent le matos pour les vedettes, d’où les gros poids lourds, ou les commandes de Mau. Comme il est propriétaire du moindre élément, Julio Iglesias exerce un pouvoir de despote sur sa troupe. Si t’es pas content, hombre, tu jartes. Depuis deux mois qu’il est sur la route, il a viré quarante-deux ingés retour. Authentique. Balances. Le Galicien a la reverbe du pape. Quand il chante, ça résonne comme dans Saint Pierre de Rome. Ça joue à 75db, aussi fort qu’un aspirateur, on entend la vaisselle tomber dans la cuisine au loin, derrière 5 mètres d’épaisseur de béton. Interdiction de filmer son mauvais profil. Concert. C’est tout le temple de Karnak qui est là. Y a de la bandelette en veux-tu, en voilà. Je suis planqué côté jardin, tout seul derrière un retour. Il faut que je baisse le volume de mon walkie-talkie, pour ne pas couvrir la musique. Batterie électronique en sourdine, guitares bâillonnées, claviers avec silencieux, voix intersidérale. Ça donne l’impression d’être dans la zone entre la vie et la mort, tout flotte, tout resonne, limbique, impondérable. « Je n’ai pas changé » Jacques villeret m’apparaît avec une baguette de pain coupée en deux dans le sens de la longueur dans la pogne, pour s’en servir de mouillette à œuf à la coque d’autruche. Le demi-frère d’Hitler chante d’une voix aigrelette qu’il est toujours ce jeune homme un peu fou, et la moquette de la salle des Etoiles luit comme une patinoire olympique. Soudain, au milieu des mucosités, la vie me paraît plus vaine, l’entente entre les hommes plus improbable. Je contemple un barillet de colt 45, je le collerai bien contre ma tempe, après, tout, à quoi bon. Un couple de danseur de tango me sort de ma torpeur suicidaire. Combien de temps à t-elle duré ? C’est joli le tango. Ils font leur petit tour, et puis s’en vont, à la fin de la chanson. Au moment où la danseuse passe à côté du chanteur à femmes, il la chope par le coude, et là, schmleuarfff !!! il lui roule un gadin digne du face hugger de Alien. Tout le monde trouve ça très beau, applaudit. Quel latin lover, ce Julio. Dans la coulisse, la meuf s’essuie la bouche de tous ses avant-bras, en crachant spleurk ! spleurk ! de gros morceaux de salive. Elle doit y avoir droit chaque soir. Quel taf pourri.

 

 

James Brown joue dans une ligue loin au-dessus, loin, loin, là-bas près du big-bang. Mister Daï-no-maïte rassemble autour de lui deux batteurs, trois basses, trois guitares, percus, claviers plus la section cuivre, pour invoquer la transe la plus suintante de rites ancestraux jamais gravée sur sillons. C’est un tyran aussi, mais pétoncle, le jeu en vaut la chandelle, mes frères et mes sœurs. Le mac des macs avait trouvé la formule imparable, inimitable, inoxydable, pour mettre la fièvre pendant des heures. L’infame phacofouine inondé d’alcool de came, tapeur de femmes était un vilain bonhomme, mais tel un Faust, il avait vendu son âme au groove, et on ne pourra jamais lui renier ça. Ça joue serré au micro poil de testicule d’acarien, un truc qui te balance dans la machine à laver mode essorage complet du corps à cent cinquante degrés, comment peut-on arriver à un tel niveau de rigueur musicale ? À un moment, le chef d’orchestre hurle un de ses « breakdown! » annonciateur d’un changement. À cet ordre donné, un des batteurs et un des bassistes ratent la reprise d’un atome de fraction de millième de mesure. Le parrain du funk continue sans moufter, mais je le vois qui désigne les coupables du doigt, tel un James Blunt accusateur. Après le spectacle, derrière le rideau fermé, je vois les fautifs payer l’amende. Ils donnent un bifton au patron. Le système James Brown. Tu veux que ça balance ? Alors pas de pitié.

 

Texas. Ben, bien. Le groupe a connu les petites salles, ça s’entend que ce sont des vrais, et qu’ils sont ensembles depuis les rades et les pubs. Honnêtement incriticable.

 

Duran Duran fait partie de la catégorie « pop music prohibée par ma grand-mère ». Je ne connais rien. Jolies tignasses. Incarnation de l’expression « on ne peut pas être et avoir été »

 

Orchestral Manœuvre in the Dark. À part Enola Gay, qu’était de la bombe (gag), on ne peut pas dire qu’OMD ait enchaîné les tubes. Comme des tas d’autres formations marsouines qui ont connu une gloire éphémère, ils viennent s’échouer sur les rochers du Larvotto pour faire passer une dernière fois de l’air dans leurs lèvres phoniques.

 

Ricky Lee Jones est trop bizarre pour l’audience. Le public ne tolère pas le légèrement autre, il veut une originalité inoffensive et rationalisable dans son cadre de savoir. Des lors, il dévisage la chanteuse, les fesses collées sur les chaises, et une moue constipée sur les faciès. Ricky le sent, s’interrompt entre deux morceaux, « Si vous restez assis sans bouger, je me casse. » Bravo Ricky.

 

Herbie Hancock teste un nouveau clavier pour l’occasion. C’est brutal, la maitrise n’a rien à voir avec le bon. En fait, il a beau être un jazzman de légende, là il fait une musique affreuse. Shurik’n dirait « c’est pas de ma faute si c’est laid »

 

Pink à un look punk, je craque pour le look Tank Girl, mais c’est quand meme de la soupe, hé. Les Francois-Francois sont contents, ils font la première partie devant un public en configuration debout. Ça arrive parfois pour les artistes populaires, c’est à dire récents, et qui attirent les moins de 18 ans, qui passent. De nos jours, elle doit jouer devant une assemblée de miches posées.

 

Le consensuel Mika est venu couiner sa joie de vivre, dans un décor composé de centaines de tournesols. Ce genre de bonne humeur bondissante me donne envie de creuser le sol au marteau piqueurs pour ensuite m’ensevelir sous les décombres. Les gens tout le temps joyeux, ça me donne le cafard.

 

Tom Jones, venu du pays des corgis. Un magnétisme animal, mais le spectacle me laisse un mauvais goût d’aristocratie de bas étage. Ces gens libèrent ils des peuples, soignent ils les malades ? Arrêtent ils les guerres, donnent-ils un refuge et à manger aux nécessiteux ? Ne me sortez pas l’excuse des œuvres de charité, c’est un moyen de se donner bonne conscience sans mettre les bras dans le cambouis. Et la consolation qu’une musique peut apporter est passagère, et ne soigne qu’une surface. Il y aura toujours des illuminés pour affirmer le contraire, mais la lumière, ça aveugle. C’est surtout un truc pour arrêter de penser trois minutes. Penser, c’est douloureux. Ne sont-ce pas des géants ridicules ? C’est énorme d’influencer les foules. Je ne suis pas sûr que « Quoi de neuf, chatminou » « Ce n’est pas inhabituel » et « Bombe de sexe » aient rendu le fascisme moins virulent. Quoiqu’il en soit, la liberté de deux minutes cinquante, ça ne m’intéresse pas.

 

 

Johnny Halliday, je l’ai vu dix fois en deux sessions de cinq fois d’affilée. Johnny à lui seul permettait au Sporting de rentrer dans ses frais pour la saison. A 500€ la place le calcul est vite fait. Pensée sincère pour les fans qui économisaient au moins un an pour venir acclamer l’idole des jeunes. On les reconnaissait à leur t-shirt de loups et leurs casquettes. Le reste des spectateurs était en tenue de soirée. Les uns étaient debout. Les autres étaient assis. Comment voulez-vous critiquer quoi que ce soit, quand les fans se saignent aux quatre veines.

Johnny faisait la meme blague a la meme heure. 21h05 : « ah que cette chanson parle de deux garçons… C’est pas ce que vous croyez. Hohoho.»

Quelque fois, il attrapait une électro-acoustique et faisait le Woak !  Le jack qui partait de la caisse courait au sol jusque dans les coulisses. Intéressant… En le suivant, celui-ci tournait et filait jusqu’au fond de la scène. Remontez la piste, vous arriviez cinquante mètres plus loin, tout au bout du bout. Et là, il y a un ampli Marshall plaqué face contre le mur, qui faisait plunklonkpplinkplonk… L’ami Johnny ne plaquait que deux accords pas très sûrs, mais que voulez-vous, il faut une guitare pour faire le Woakénwol !!!

 

Le directeur de tournée de Polnareff est venu la veille. Michel est arrivé, il est scotché au bar de son hôtel. Quand le soir il se pointe, nous les techniciens, et tous les êtres vivants qui sont dans les parages, devons littéralement nous planquer derrière un paravent. Popol ne tolère que sa propre équipe autour de lui, il ne saurait souffrir la vision d’une autre forme de bipède. Sur scène, il chante avec des prompteurs, appel au vote pour Sarkozy. Il a dû rencontrer bien des fâcheux pour être aussi populophobe.  J’entends sa misanthropie, mais dans ce cas, je renvoie aux paroles de King Ju citées plus haut.

 

Deep Purple. Ian Gillan a la voix un peu fatiguée, solo d’orgue dantesque, les batteurs gauchers sont énervants, ils jouent trop bien !

 

Il y a beaucoup de variété italienne qui passe au Sporting. Paolo Conte, Angelo Badalamenti, Logique, vu la proximité de la frontière. Pas vraiment ma tasse de chianti. I Pooh passe, aussi vite que sa musique, un soir de routine parmi tant d’autres de la saison. La seule chose qui me marque c’est le pooh dans le nom. Y a t-il un rapport avec Winnie the Pooh ? Trop la flemme de me renseigner. Des années plus tard, on fait un concert avec un groupe de noise de Venise, la même ville que les susnommés. Je discute un peu avec le gratteux. « Ah, mais je connais un autre groupe vénitien, ça s’appelle I Pooh. » Les jambes du mec flageolent, il devient pâle, lève les yeux aux ciel, fait mine de vomir. C’est comme si j’avais demandé à un gars d’Enthroned s’il aimait Lara Fabian.

 

Zucchero bourré qui dit « scopate, scopate », baisez, baisez. Trop de sucre peut diminuer l’afflux sanguin et provoquer l’impuissance sexuelle

 

Ayo, j’ai appris un truc : plus un chanteur ou une chanteuse à de coffre, plus il ou elle chante loin du micro. Ayo a les lèvres qui touchent la grille du sm58, il est relayé à un amplificateur, lui-même relié à un autre amplificateur, lui meme relié à un autre… Un poème de Gertrude Stein appliqué.

 

La vague grunge m’était déjà passé dessus quand Ben Harper sorti ses premiers disques. Cool, mais j’avais déjà opéré la transmutation vers l’extrême violence musicale. Alors, ça m’a toujours paru mou du sboub, comme Radiohead. Ce sont des trucs pas trop mal, mais qui ont totalement insubverti le rock, qui l’ont rendu inoffensif. On pouvait écouter ça sans que les parents soit furieux. Avec un peu de chance, ils pouvaient même apprécier. Donc Ben Harper est là, bien des albums plus tard. Gina est venue aussi, je ne travaille pas aujourd’hui. Faut quand même qu’elle voit un concert ici, ça sort des sentiers battus. On se sape, elle est magnifique, on va voir le concert, au bout d’un quart d’heure, on s’ennuie. Je lui fais visiter les coulisses, la Grotte. Une fois là-bas, on nous dit qu’on ne peut pas redescendre avant la fin du show, parce qu’il y a des officiels qui rôdent. Ok. Au bout de trois heures et demie, le Ben n’a toujours pas fini. Le public en redemande, et il est généreux. On monte sur le toit, on regarde le paysage, c’est beau les cristaux de la nuit, mais la bande son, bof-bof. On reste perché là, au-dessus des fougères du Jimmy’z, à prendre notre mal en patience. Plus c’est long, plus c’est bon ? Pas forcément.

 

Déjà évoqué Robert Plant. Je me l’imaginais tout enflé de lui-même, à cause de sa prestance d’adonis de Led Zeppelin, il n’en est rien. Quand il vient, il est super sympa avec tout le monde, copain avec ses zicos, ils font un moulon général avant de monter sur scène. Le matos, tout est de la grande époque. Orgue Hammond avec cabine Leslie, tapis persan, encens. Un des meilleurs concerts que je vois ici. Il n’a pas tous les droits sur le catalogue de chansons des nouveaux yardbirds, il ne reprend que black dog, mais en changeant deux note à la fin du riff, ça fait bizarre. Il est suffisamment classe pour que ses propres compositions suffisent. Il aurait pu faire un medley du zep, et bé non.

 

« Hé les gars, ce soir y a Janet Jackson qui vient » « Ouah, Janet Jackson, Janet Jackson, la sœur de Michael quand même ! Dingue, Janet Jackson ! »  « Au fait, qu’est-ce qu’elle chante déjà ? » Ben Scream, avec son frère. » « Et puis ? »

Euh…

On fait la haie d’honneur devant la montée des loges. Miss Jackson arrive, nous salue. Devant les escaliers, elle freine, pousse un cri riquiqui. Elle ne monte pas de marche. À l’époque, je ne suis pas malade, je trouve ça pas si compliqué à faire, grimper un escalier. Son garde du corps arrive, genre rhinocéros, en plus musclé. Elle monte sur son dos, il l’emmène là-haut.

Les Souljaazz tout frétillants ont le droit de la saluer. RT revient de là perplexifié, il nous explique que pour serrer la main, elle tend la gauche. Lui, habitué à serrer la paluche de la droite, ne sait pas trop comment s’y prendre. Elle devait demander un baise-main, mais je n’ai pas la présence d’esprit de proposer cette explication. Quand il l’imite, on se fend la poire : on dirait un mélange entre E.T et un velociraptor, les menottes flasques collées l’une à l’autre, comme une vieille dame agrippée à son sac à main, pattes de kangourou et cou de poule.

Concert. JJ danse beaucoup beaucoup. Tant et tant qu’une auréole se dessine sensiblement au niveau de son entrejambe. Des gouttes en tombent. À la fin, il y a une flaque par terre, qu’un type éponge avec une serpillière. Renseignements pris plus tard auprès d’un toubib : il existe des cas de sudation excessive tel que celui-ci, ça ne touche pas que les aisselles. On a tendance à oublier que la glande sudoripare est très développée chez les grands sauriens du jurassique. Revenons au spectacle. Sur une heure de show, elle est en playback pendant trois quart d’heure. A 270€ la place, le tollé fait la première page de Nice Matin le lendemain. Cela parait presque désuet quand on voit Beyonce faire des places à 370€ au Vélodrome aujourd’hui. Fut un temps où cela aurait été 370 francs. Les majors sont en phase de pétage de plomb. Tout va s’écrouler, encore.

 

Pour Elton John en duo avec le percussionniste fameux Ray Cooper, on a fait venir un piano à queue de trois mètres de long. Sans exagération massaliote, vraiment trois mètres. On aide le livreur et sa ceinture dorsale à monter le machin d’une demi-tonne, beau comme une limousine. Je grommelle par devers moi, car je n’aime pas du tout la musique du sir. À part Benny & the Jets, que je kiffe pour des raisons subliminales, tout le reste me parait de la putridité se trainant au milieu de la route. Non mais oh, il se prend pour qui cet usurpateur ? Et puis Elton arrive. Pour se chauffer pendant les balances, il se torche le troisième mouvement de la sonate au clair de lune, comme ça, hop, limite en baillant. Je ne sais pas si vous entendez ce morceau du plus punk des compositeurs classiques, c’est en presto agitato, faut se lever tôt pour toucher cette quasi fantaisie. La seule chose qui a manqué à Beethoven, c’est que l’on avait pas encore inventé le « one,two,three,four! » aboyé façon Ramones. Ça se serait marié parfaitement.

Bref, le Elton m’a laissé sur mon maigre derrière de moins que rien. Vite, je me suis renseigné : c’est un enfant prodige du clavier, genre Mozart. Aaaah, d’accord… d’accord, d’accord. De ce jour, je me dit qu’il ne faut rien juger, même si ça parait ringardissime. Ceux en première division n’y sont pas par hasard. C’est à concert qu’on a pu admirer la poitrine insensée de Pamela Anderson s’agiter tel un pendule d’hypnotiseuse (voir dans la partie précédente). Merci, Elton John.

 

Il y a eu deux spectacles de danse cette année : un hommage à Michael Jackson, et une performance du Bolchoï. L’hommage au roi de la pop comprend une troupe de danseur, un groupe vivant, et une réplique en silicone de MJ, grandeur nature, disposée chaque jour sur l’estrade pendant l’entrée du gala. Vêtu d’un fedora noir, figé dans un pas de danse, la statue est effrayante de réalisme. Le sieur Jackson, de son vivant, était venu au Sporting Club, les machinistes les plus vénérables s’en souviennent avec émotion. C’était quelqu’un de très gentil. Cela renforce la présence spectrale du faux Michael. On dirait un corps empaillé. Au toucher, la texture froide et molle renforce le mal-être. Le soir, on range le mannequin dans le hangar à fournitures des machinistes. Le matin, je me fais des frayeurs. On aperçoit dans l’angle moribond des yeux, par une porte entrouverte, un homme étrange qui vous regarde, c’est le Michael factice en train de vous regarder comme un merlan. Impossible de s’y faire.

Ceux qui bougent leur corps interprètent les chorégraphies iconiques. Dans les praticables que nous avons construits se tient l’orchestre, de jeunes américains déjà pros, déjà blasés. Ils jouent les standards qui ont escaladé les charts : billie jean, beat it, jam, don’t stop til get enough. Répètent souvent et se donnent du mal à la tâche. Mon père est tout joyeux de prêter ses guitares de collection au frotte-cordes, tout joyeux lui aussi de tenir des Excalibur et des Durandal. L’ambiance est décontractée.

Le Bolchoï, ce n’est pas la même histoire. Dès qu’ils arrivent, c’est à coups de deux cents pompes que s’échauffent les athlètes. Ils et elles sont musculeux comme des discoboles de marbre. Les hommes ont des cuisses énormes, sautent quatre mètres sans élan, pumas de conservatoires, les femmes sont fuselées comme des spartiates. C’est une démonstration de force qu’ils offrent à voir, rigoureuse et surhumaine. Les danseurs britanniques de l’autre revue, sveltes, donne malgré eux une impression de désinvolture. Les chorés sont moins précises. Ils boivent des pintes le soir au pub.

Un jour, le groupe demande à passer une audition devant les directeurs artistiques et quelques chasseurs de labels, pour leur jouer des œuvres de leur cru. Je suis dans le coin, j’y assiste, les gars sont des tueurs de vingt ans, affutés comme des sabres de cavalerie. Après la démonstration, mon père me demande ce que j’en pense. Je lui réponds que ça joue, mais qu’il n’y a pas de tube. « C’est bien, mon fils ! » me dit-il, enjoué. Ça se sent qu’il est heureux de constater que sa sensibilité s’est transmise, et que son rejeton sait apprécier. On est fier tous les deux. Lui d’avoir un bon petit, moi d’avoir plu à mon vieux.

 

 

Stevie Wonder, plateau babylonien : deux batteries, deux stand de percus, trois gratteux, deux bassistes, deux claviers en plus de Steph Merveille, installé sur une ziggourat, il faut le voir pour le croire. Comme James Brown, c’est un golem musical monumental. Pendant la répétition Monsieur Wonder se fait expliquer le chemin par un guide : quatre pas tout droit, rotation à quatre-vingt dix degrés à droite, deux pas, rotation à gauche, encore deux pas, et tac, au micro. Ainsi, il se déplace tout seul jusqu’à son poste lorsque le moment est venu de se donner en pâture. Au royaume des valides, les handicapés ont dix fois plus de gnak.

 

Sting est passé trois fois. Deux fois en version rock et la dernière avec un orchestre symphonique. Les deux premières, ok, je n’ai rien contre Sting. La troisième, ça commence par Gentleman in New York qui se marie très bien avec le pizzicato, ensuite, André Rieux reprend du Police, c’est embarrassant.

 

Les nuits de l’Orient, on redoute ça chaque année. Des chanteurs accompagné groupe de vingt à trente personnes armées de darboukas, de ouds, de synthés, viennent jouer de la musique populaire du Liban, de Jordanie, d’Egypte…  Ça joue fort, très fort, trop fort, meme le volume des retours est à bure. On saigne des oreilles comme des fontaines de grenadine.

 

Un parquet sonorisé est installé pour la venue de Paco de Lucia, ceci afin d’amplifier le bruit des talons produits par les danseurs de flamenco qui l’accompagnent. Une fois posé, le sondier de Paco frappe planche après planche avec un gros bâton. Souvent une lamelle de bois pousse un cri de douleur déchirant. Un sifflement de rétroaction acoustique à arracher la peau. Le réglage dure des heures. Le soir venu, c’est l’hallu. Bien assis, le ventre plein, de Lucia joue si vite qu’on ne voit pas ses doigts bouger. Soudain, surprise, John Maclaughlin se ramène sur scène, pour un petit jam imprévu. Le guitariste classique est trop volubile, le virtuose de Taj Mahal ne parvient pas à rentrer, gratouille une note de ci, de là. Personne ne se rend compte de la médiocrité de la prestation. Ce qui compte c’est que cela est prestigieux. On pardonne tout à ceux qui ont fait leurs preuves, et qui restent dans leur rôle attribué.

 

Aznavour. Un concert grindcore de Charles. 25 morceaux en cinquante minutes. « Je voyais mon nom que les moins de vingt ans vraiment for me-for me-formidables au bout de la terre de mes amours mes emmerde… » etc, etc.

 

Monsieur Eddy est arrivé la vieille de sa date. Mon père et Marie l’ont invité au restaurant. A trois heures du matin passé, les serveurs n’en pouvaient plus, Shmoll est un colosse endurant : il enquille les get 27/vodka sans sourciller.

Le lendemain, Gina est là, moi en grand uniforme de technicien qui doit se rendre en salle, comprenez en costume trois pièces. Je vais rejoindre ma belle, mon père et Eddy Mitchell sur la terrasse, par les baies vitrées abaissées. Présentation faites, je lui parle sans trop oser.  Difficile de dire un truc intelligent lorsque on est juste un figurant. Dans ce milieu, les amitiés sont professionnelles, et le fils d’untel est une figure parmi celles qui tournent dans le kaléidoscope du quotidien, on ne s’y arrête pas. Sur scène, Brian Ferry glougloute. Je ne sais plus ce qui m’y fait penser, cela doit être quelque chose dans la scénographie, j’évoque le film de Godard, Alphaville, avec Eddie Constantine. Tel monsieur Spock, Eddy Mitchell hausse un sourcil. Il ne pipe pas un mot, mais à l’air étonné de voir cette référence sortir de la bouche d’un blaireau de la plage. Il porte une merveilleuse chevalière, la même que celle du fantôme du Bengale. Hélas, les complexes me nouent, je me vois mal le brancher là-dessus, moi qui connais à peine cette bd pour l’avoir survolé dans des strips de var-matin. Mais c’est dommage, je suis un gros fan de bds franco-belges de la grande époque Dupuis et Le Lombard, merci Grand-Père et Grand-Mère. La conversation qu’il tient avec l’auteur de mes jours dévie sur la performance en cours. Il chambre un peu le mec de Roxy Music, se mets à chanter par-dessus, mieux. « Oui, mais quand même, ils ont beaucoup répété » glisse-je avec une voix de navet. « Boaf, moi, je ne répète jamais » rétorque t’il en haussant les épaules. Que répondre ? Je vous renvoie au chapitre sur les répétitions.

 

Georges Benson, un habitué, c’est lui qui a connu la gloire en reprenant la version radio de « je danse le mia », à moins que ce ne soit l’inverse. Une choriste me demande mon numéro de portable, à l’époque je n’en ai pas. Comme Highlander je voulais être le dernier. J’ai fini par me faire couper la tête. C’est Cédric Trolux qui a gagné

 

 

Un épais nuage de fumée s’approche du bord de scène, c’est Liza Minelli qui fume cinq clopes en même temps. Une assistante attend, tenant un plateau sur lequel il y a un gobelet, immobile comme Anubis servant un coeur à Osiris. Madame Minelli sort une main de la brume, attrape le verre, le boit. Pendant ce temps un présentateur annonce des choses absurdes du style : « c’est la camarade de jeu d’Assurbanipal et de Line Renaud, elle est là ce soir, préparez-vous pour la baaaaaaggaaaarrrree, Liiizaaaa Minellliiiiiiiiiiiii ! » La chanteuse jette ses cigarettes dans la timbale, s’ejecte de la vapeur de nicotine, micro sans fil entre les doigts, et saute sur scène en chantant d’une voix de stentor plus claire que l’eau d’un lagon du Pacifique. Moralité, fumer conserve les cordes vocales.

 

On est obligé de mettre une espèce de paravent en plexiglas autour du batteur de Simple Minds. C’est un Hulk qui tape si fort que son jeu couvre tout le reste. On m’explique qu’il a commencé son apprentissage en faisant exclusivement de la caisse claire pendant. Ça fait les bras.

 

Jamiroquai, deux dates, j’étais en congé pour la première fois. Alex a regardé le show depuis le cintre, les passerelles suspendues là-haut. Il me montre sa vidéo. En plongée, on voit Jay Kay se dissoudre en danse et en chant sous l’acid jazz. Cool. Puis une femme monte sur scène. « C’est une groupie qui le suit partout, me dit le lynx, attends tu vas voir… ». Elle danse avec JK comme une chagasse, se frotte à lui, fait des passes suggestives. Il sourit, mais on sent quand même que son rictus est coincé par les épingles à linge de la gêne. C’est chaud, mais pas bien méchant. Soit. Et puis, elle fait la roue. Sa jupe se retrousse. Elle n’a pas de culotte. Son vagin éclot comme un coquelicot sur l’image, une seconde, mais juste assez pour piquer l’œil. Tout s’enchaîne très vite. Deux gorilles se jettent sur elle, la saisissent et l’embarque comme un sac de pommes de terre. Il y a une petite fille à la table juste devant la scène. Lorsque l’importune se fait virer, son pied emporté par l’élan va se ficher en plein dans la frimousse de l’enfant. Au ralenti, on distingue bien la frimousse malaxée par la Louboutin, les rides se plisser sur le visage qui ne devrait pas en connaître à cet ager. On ne se soucie guère de la victime. Le lendemain, je suis dans le cintre avec Alex. C’est chouette, ils font Deeper underground, too young to die, when you gonna learn, travelling without moving, mais il n’y a pas une seconde de chaos comme la veille. Zut.

 

Je rentre d’un week-end à Marseille. Des hauteurs de la gare, le Sporting est en vue. Par le toit ouvert, les notes égrainées par Mark Knopler s’enfuient sur la mer. Joli moment. La police va débarquer là-bas. Tous les soirs, il y a des personnes qui se plaignent du tintamarre émit par le club. Tous les soirs des carabiniers penauds viennent signaler au pompier de garde que ça rouspète. Le pompier leur répond, comme tous les soirs, qu’on ne peut pas faire grand-chose. Les archers soupirent et demandent sans y croire si on peut baisser un peu le son. A la console façade, on descend le potard du volume d’un milliardième de millimètres. Puis on le remonte. Vous imaginez s’ils programmaient SunnO))))) ? La tour Pastor s’effondrerait.

 

Yannick Noah et Vanessa Paradis, je les mets ensemble car ils ont la même particularité hors du commun : ils disent bonjour aux techniciens. Ce n’est pourtant pas compliqué de plaire aux plébéiens, il suffit d’utiliser une politesse basique. Ça marche. C’est pareil avec les marseillais, les touristes inquiets craignent les indigènes. Ils sont braillards certes mais ils aiment l’amabilité la plus simple : bonjour, s’il vous plaît, merci, comme tout le monde. La politesse c’est pratique, ça nous distingue des brutes, bordel à cul de pompe à merde. Yannick Noah, pour fêter la fin de sa tournée, à carrément offert une semaine en Guadeloupe à toute son équipe. Rarissime. Coolissime.

 

Deux dernières anecdotes glanées en discutant avec des roads. Eddy Vedder descend une bouteille de vin blanc sur scène pendant ses concerts. En fait, il n’y a pas d’alcool dedans. Ce qu’il boit, c’est du gatorade.

Prince/Love Symbol répète pour un show exceptionnel. C’est monstrueusement carré. Il s’interrompt, et demande au batteur « Au fait, tu sors un album bientôt ? » « Oui » « et ben si tu joues dessus comme tu joues maintenant, il doit être nul à chier. ». Sympa le nain pourpre.

 

Toutes les années où j’ai été là-bas, il n’y a pas eu de hip-hop. Je crois qu’il y a eu finalement IAM en version orchestrale, mais tout est dit mon ami, Hip et hop n’ont pu passer que lorsqu’ils furent institutionnalisés, domestiqués et calmés, gros. Bien des lustres, au moins quatre, après qu’ils aient surgi dans la rue avec des bombes dans les mains.

 

Quand mon père est décédé, les fleurs cachaient son cercueil, tant il y en avait. Mau est venu, une bouteille de chartreuse dans ses grosses mains, a posé un genou à terre, et l’a offerte de vive voix à la dépouille calme. « Tiens, c’est pour toi mon ami. » Ses larges épaules montaient et descendaient au rythme de ses hoquets de tristesse. Papa est resté cinq jours à l’athanée.

À l’église, je suis monté dire un dernier mot. Ma canne frappant les marches résonnait comme des ossements dans la nef et le transept. Le discours se terminait par une phrase qu’il me disait souvent avant que l’on se quitte : « fait pas le fou. » Mes larmes sont restées dans le poing serré que j’avais dans la poche.

Le prince était là, avec son état-major. À la fin de la cérémonie, il a présenté ses condoléances à toute la famille. En me serrant la main, il bredouilla quelques mots que je ne pus saisir, ces yeux brillaient d’une véritable émotion. Monarque ou Manant, l’affliction ne fait pas la différence. La mort est démocratique. Dans les danses macabres d’Hans Holbein, elle est amie avec tout le monde. Le roi, l’évêque, le marchand, le paysan, le fou, l’avare, le musicien… On est tous seuls quand on part, mais on part tous avec elle.

Quand on a soulevé le cercueil et que nous nous sommes mis à le suivre, un tonnerre d’applaudissements a jailli des travées. Je clopinais derrière mon père, vers la lumière du jour, sous les bravos. Étrangeté de certaines minutes.

Après la mise en terre, il y a eu un dernier verre au café de Paris, avec les proches. Il y régnait une atmosphère, comment dire, de sourire mélancolique, mais de sourire quand même. Mon père était plein de joie et de bonhommie.

 

Puis, quand on est sorti, et que je me suis retrouvé sur la place du casino, la réalité m’a sauté aux globes oculaires comme les serres d’une harpie, successions de plans et de zooms montés à la hache, les bagnoles de marques, le clinquant des boutiques hors de prix, les autoradios blatérant des comptines ignobles, les lunettes noires de dédain, les frimeurs gonflés de fitness et de billets, les grues emperlousés avec leurs yeux de mouches, leur téléphone au bout de leur faux ongles et leurs croupes liseuses de cartes bleues, le soleil impitoyable, enragé et vengeur, qui n’éclaire que les cyniques et les empereurs. Ô rage, Ô frustration, vous m’aviez retrouvé, l’ombre de mon père ne me cachait plus. Sa présence et son monde à lui m’avait masqué les dorures de ce territoire où vanité et fatuité déferlaient en cascades du haut des falaises et se rependaient par les rues comme une inondation. Sur le champ, je n’eus plus qu’une envie, quitter ces lieux et ne plus jamais y revenir. N’en déplaise au Prince, qui est fan de Magma.

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Saisons monégasques 2005-2012. Partie 2Les Webzines.