Tournée Lo Elektrolux 2005

 Dans Mémoires de musicien

 

(EXTRAIT DE MES MÉMOIRES : MOI, JE, PERSONNELLEMENT, SORTIE PRÉVUE LE 23 FÉVRIER 2021, AUX ÉDITIONS MASTURBARD, QUI SERONT DISPONIBLES DANS LA POCHE INTÉRIEURE GAUCHE DE MON COSTUME DE MACCHABÉE. PASSAGE ISSU DU TOME 9, LIVRE 23 : MES ANNÉES ROCK.)

Tournée Lo Elektrolux 2005

Préambule :

À l’époque je fumais beaucoup de ganja, plein, tout le temps, en permanence. Tout les jours un joint garde au loin le malin, dit le proverbe jamaïcain. On était en odeur de sainteté. Avec mon copain Scoff, on tapait des bongs, on claquait des caps, on se mettait le front chaque soir. Ça durait depuis quelques années. Scoff m’avait fait goûter à ma première cigarette qui fait rire. On devait avoir quinze ans. On était amis depuis la sixième, c’était le genre d’expérience qu’on fait avec sa bande de l’école. Bref, quasiment chaque jour depuis ce jour, Scoff, Belzémouk et moi, on allait squatter dans la chambre du premier, rue Saint Savournin, pour se saturer la gueule de THC. Et de son.
Je schématise un peu, il s’est passé plein de choses, d’aléas et de mésaventures qui n’ont pas leur place ici. Ce qui est sûr, c’est qu’au moment que je m’apprête à narrer, on s’enfumait comme des porcs en écoutant Cypress, le Wu, NTM, Dr Dre, l’album de reprises hardcore de Slayer, Pantera, LCD soundsystem, NOFX, Stupéflip, la bande son de Fight Club par les Dust Brothers, les Chemical Brothers, Death in Vegas, Gainsbourg période jazz et percussion, les Beatles, Paul Macartney solo, les soubresauts d’agonie de RATM, Dub Trio, Fantomas et les miliards de projets de Mike Patton, Pink Floyd, Dutronc, Joe Taxi et son Parcmètre, plus tous ce qui pouvait tomber sous nos mains hagardes. Scoff achetait des tonnes de disques, la plupart ne souffraient qu’une seule écoute, certains tournaient en boucle sur la platine. J’en ai encore des trous pleins la rapière à pensées.

Tou ça, évidemment, en jouant à Pro Evolution Soccer, en se moquant de Walker Texas Rongeur le week-end, en regardant un nanar en dvd, ou un vieux best of thrash enregistré sur M6 des siècles auparavant. Ceci est juste une liste sans autorité, on est passé à côté de plein d’autres trucs de haut vol, mais, nom d’un petit canard en plastique écrabouillé, qu’est ce que c’était BON ! La fumée me rentrait dans les circonvolutions du cerveau, et je le sentais palpiter, éjaculer sa dopamine dans mes récepteurs neuronaux, ce qui me donnait sensiblement une impression humide sur certaine partie de l’encéphale. Je le sentais se ratatiner puis pulser, suer, laissant couler sa liqueur. Cela me faisait réfléchir à fond, associer tout ensemble, la musique avec les idées, les images avec les intentions. J’étais pris d’une synesthésie qui me permettait de décoder le réel. Quand je fermais les yeux, je voyais le tunnel de ma vie, noir et violet, qui avançait, avancait, avancait. J’avais plein de visions, de plans, de rythmes, de phrases, de designs, que je notais bien sagement, et sur le chemin du retour s’echaffaudait devant moi, devant les luisances visqueuses de la ville, de grande cathédrales d’alumettes. Le matin, vers 14h, gueule de beu, nerfs en compote, moral en mode souffrance du jeune Werther, c’était un chouïa dur de demarrer sans un petit starter. Coca-weed, le petit dej des champions. C’est ça le secret, faut mélanger avec rien d’autre pour en profiter, surtout pas d’alcool, sinon dodo fatal, et néant sidéral.

Fumez des pétards les jeunes, droguez-vous, mais gardez votre dignité. La dignité c’est la classe, c’est l’élégance. Si vous ne parvenez pas à la garder, alors laissez tomber la came, ce n’est pas pour vous, c’est tout, et ce n’est pas l’apocalypse. Regardez Trainspotting ou Requiem for a Dream, vous verrez le degré de bassesses où l’on peut tomber. Droguez-vous avec du psychédélique, les produits qui rendent endurants, amoureux, ou apaisés, rendent surtout abruti. Les drogués magnifiques sont des tricheurs. Soit ils mentent sur la quantité, soit ils se font des fixs avec du vomi, n’est-ce pas, Sid et DeeDee ?
Pour les vrais shamans, c’est un moyen, pas une fin. si c’est juste pour faire passer le temps plus vite, oubliez. Ah, et une chose importante aussi : ne vous forcez pas. Il n’y a aucun déshonneur à ne pas aimer ça, et vous ne serez pas moins stylé parceque vous n’êtes pas tout le temps stone, comme Hippie Johnny. Ecoutez « I’m straight »des Modern Lovers.

Parents aimants, je suis sûrement un drogué, j’ai juste remplacé la fume par le fingolimod, mais je n’ai pas suivi Pinocchio sur l’ile des plaisirs. En fait si, mais j’y travaillais en tant que musicastre, dans un club de billard, et vos enfants, j’en ai vu beaucoup se transformer en ânes. Ensuite, on en dresse certains à devenir présentateurs ou influenceurs. Les autres les regardent. Prudence, mes congénères, prudence.

Mais je m’emporte… Fin du préambule.

Je vivais dans la chambre de bonne que j’ai décrite ailleurs. Un jour, le téléphone fixe sonne. De qui était la voix dans le combiné ? Mémoire manquante, insérez la disquette correspondante. En tout cas, c’était celle d’un des membres de Lo ou d’Elektrolux. Les deux groupes partaient en tournée, or, leurs batteurs respectifs n’étaient pas disponibles sur les premières dates. Ils me proposaient donc de les remplacer. Il restait juste assez de temps pour apprendre les sets et les répéter, voir si je faisais l’affaire ensuite, puis va-va-voum sur les autoroutes et départementales de France. Beaucoup de bafouilleries ont dû sortir par ma bouche, mais en substance, j’acceptais plutôt deux fois qu’une.

Je venais d’arrêter le kung-fu, au bout de cinq ans. La pratique de la Boxe des Sourcils Blancs, c’était enthousiasmant, je faisais des coups de latte sautés retournés, le singe, le tigre, le serpent, la mante-religieuse, la chauve-souris, le renne, le coelacanthe… Mais à ma deuxième dent fêlée, j’avais lâché l’affaire. La bagarre, c’était vraiment pas pour moi. Grâce à l’art martial encore frais dans mes muscles, je possedais une énergie débordante, et la certitude qu’on pouvait atteindre tout ce qu’on se fixait comme but, à la condition d’avoir une volonté de fer.
De surcroît je m’ennuyais ferme à la fac. En master d’Anglais. Au début , ça a avait l’air alléchant : Edgar Poe et le Frankenstein de Mary Shelley. Edgar Poe, je l’avais rencontré dans le cdi du collège du Sacré-Coeur, je devais avoir douze ans. J’ai lu « double assassinat dans la rue Morgue » et j’ai immédiatement accroché. C’était bizarre et morbide, et il y avait quelque chose dans ce qu’il écrivait qui me paraissait évident. Ce qu’il pensait, ce qu’il observait, je le pensais aussi ! C’est ça, trouver une âme sœur. Depuis, j’ai absolument tout lu, en français et en anglais, et je le redéguste régulièrement. Du Frankenstein de Mary Shelley, je n’avais vu que le film de la Universal des années trente, adaptation plutôt lointaine, certes, mais grand, grand traumatisme d’enfance. Fascination pour cet homme-cadavre joué avec génie par Boris Karloff, des scènes qui m’ont traumatisé à vie, la petite fille qui jette des fleurs dans l’eau avec la créature, enfantine et bestiale, puis le père qui porte le corps noyé de son enfant dans la grand rue du village… Toute les scènes sont iconiques. Un concentré de poésie de même pas une heure. Blam ! Prends toi ça, Netflisque.
Bon. Sauf que la feinte, c’est qu’en maîtrise, on allait étudier les différentes ÉCOLES CRITIQUES de ces deux œuvres, saisissez la nuance, ou comment rendre, à mes yeux de l’époque, des classiques immortels en choses ennuyeuses à mourir. Adieux lectures enivrantes. On voulait nous apprendre à disséquer, et je trouvais cela dégoûtant. Merde quoi ! Le gothique ! Le fantastique ! La Flamme ! Le fun ! Rendez le nous !
Ajoutez à ca que j’avais décidé de faire mon mémoire sur le mouvement punk américain, le magazine, Richard Hell, Tom Verlaine, les Ramones, Patti Smith, CBGB, Dead Boys, Wayne County, et tout le toutim, en tentant d’expliquer pourquoi c’était une énième prolifération du Romantisme. Quand mon directeur de mémoire, à qui j’expliquais balourdement le concept, me repondit : « Le punk ? Ah, Deep Purple ! » je baissais les bras. Non pas que je trouvais que le bon monsieur Hassaïne n’y entendais rien (au contraire, il m’avait donné de précieuses et immédiates informations linguistiques sur le mot, que l’on trouve déjà chez Shakespeare). En réalité, c’était la dernière bonne excuse fallacieuse qu’il me fallait pour laisser tomber l’affaire et monter dans le van. Sale petit morveux prétentieux.
En résumé, assurer la batterie pour deux groupes, ok ça roulait, j’étais prêt. Comme un hobo, j’avais une occasion de sauter dans le wagon de la vie mouvementée. J’étais bien décidé à profiter du voyage.

Il faut savoir qui était Lo et Elektrolux dans ce contexte. Lo c’était du rock cru avec deux chants : Isa et Tom, dont les voix se complétaient en un incessant entrelacement, dialogue grave et aigu. Yann, cerveau taciturne et créateur, à la guitare, concoctait des compos qui s’accrochaient le portemanteau des airs entêtants, Xavier, qui venait d’arriver, était le nouveau bassiste. Éric, que je remplacais le temps de quelques dates, était à la batterie. Ils avaient des compos stoogiennes, abrasives, aux harmonies parfois épiques, l’équilibre parfait entre pop et punk, des fans fidèles, des papiers élogieux. C’était avant l’explosion de la société internet, enregistrer un disque et en avoir des retours, ce n’était pas donné au premier venu. Ils avaient donc du succès sur leur scène, et c’était très mérité.
Quant à Elektrolux, le trio assénait un rock rouge sang, à la faucille et au marteau. Ils avaient un super logo, définissaient leur musique « soviet twist », et Manu, le batteur, était un marxiste du plus beau tonneau, catégorie : j’ai lu le Capital en entier, donc me prends pas pour un neuneu, gamin. Eric jouait des lignes de basses groovy comme celle du Capitaine Sensible. Cédric aiguisait sa guitare et chantait comme si Tom Waits s’était fait greffer les cordes vocales de Howlin’ Wolf. Les Nitwits avait déjà partagé la scène avec chacun. Ils étaient plus âgés que nous, à peu près dix ans de plus, comme les mecs d’x25x. Quand on marchait dans les couloirs de l’hôtel, Leur zique nous faisaient nous arrêter devant la porte de leurs locaux lorsqu’ils jouaient. Avec des moues sérieuses, on se regardait d’un air savant : « mmm, c’est bien ça…» Ils nous trouvaient sympas, et le courant passait. Ces beaux messieurs et ces belles dames ont fait d’autres groupes depuis, mais j’en parlerai plus tard. Chaque formation avait sorti son album.

J’ai donc eu droit à deux disques gratos, hé hé hé, Black Kites de Lo et l’éponyme premier Elektrolux. Comme je suis autodidacte et que je déchiffre à peine les partitions, j’ai fait suivant ma vieille tactique : apprendre d’oreille les parties batteries, par cœur évidemment, sinon la fraude est moins magistrale. Dans une société où le par cœur c’est maaal, où il faut compreeendre, gueeeuuuu, il a fallu que retenir soit quelque chose à laquelle je sois bon. Ironie karmique. Six ou cinq semaines avant le départ, on s’est mis à répéter. Leur tutorat commençait. Joie, ça le faisait, ils étaient content de moi. À la Capelette , Josh, le gardien, me voyait souvent.

Mais au même moment dans l’obscur castel de sa seigneurie Scoff, je me matraquais l’hypophyse a grand coup de bongs-mururoa-dans-ta-tête-à-toi. Hmmpppf Pop, Hmmpfff Pop, raaah lovely, encore, encore.
Le jour de la dernière repet avec Lo, juste avant de partir de chez mon poto, il m’a préparé une dose royale : Hasch plus Herbe. J’ai allumé la douille, fait glouglouglou, aspiré le bouzin d’un coup, plop. Je me suis pris la claque, whizzz shazam, si forte et si courte, caractéristique de la pipe à eau, puis j’ai pris congé de mon hôte. Direction l’Hôtel de la Musique depuis la Plaine.

Et vas y que je remonte la rue Saint Savournin, que je traverse le Plateau, que je longe la rue de Lodi jusqu’à l’avenue de Toulon, d’un pas guilleret de légionnaire. Et puis, vers Menpenti, mes pensées commencèrent à s’accélérer. Je suis bien incapable de les livrer ici en détail, ce dont je me rappelle, c’est que ça tourbillonnait en essaim dans ma tronche. Impossible de saisir la moindre pensée, elles filaient comme des mouches enduites de vinaigre. Sous le pont autoroutier, au début du boulevard de la Capelette, des voix de nains me parlaient, de gros nains de jardin barbus, avec des bonnets rouges et des joues roses, aux timbres aigus, accélérés, comme dans une chanson ratée de Bowie (the Laughing Gnome, dites m’en des nouvelles). Progressivement, les sueurs froides s’installèrent, les vertiges, la sensation de lourdeur dans les membres. Fallait que je remplisse mon ventre, avec n’importe quoi qui me cimente un brin. En vacillant, je parvenais à commander un merguez-frites au snack près de l’impasse du Portugal, et je m’affalais dans une chaise sur la terrasse du trottoir. Les clients, mines inquiètes, me demandaient si ca allait, me trouvant pâlichon. Je bredouillais un oui d’une inquiétante placidité. Ce qui comptait pour moi, c’était de me ressaisir, en agonisant tranquille dans ma chaise en alu. Sauvé !
Quand le cuistot m’appella pour chercher ma commande, je me levai. Et puis black out. Ce jour là, Josh ne me vit pas.

Dégringolade dans le néant. Un cercle de dogons, torses nus et sagaies en main, m’observaient de leur masques effarés. Ciel bleu, soleil de plomb, terre craquelée, souffle du vent, boules de poussières.Était-ce le passé ? Était-ce le futur ? Sur l’instant c’était présent.

Quand je rouvrais les yeux, j’étais allongé dans une ambulance. Yann et Isa me regardaient d’un air inquiet. Je me reveillait frais comme un gardon surgelé. Soulagement. À l’hôpital , on ne m’a gardé qu’un instant. Après s’être assuré de mon bon état de marche, le couple électrique me ramena chez moi. J’étais à la fois honteux et heureux. Honteux parce que j’avais été pris en flagrant délit d’ébriété cannabique, ce qui ne m’étais jamais arrivé avant, honteux d’avoir perdu le contrôle, ce qui ne m’étais jamais arrivé avant, honteux d’avoir fait peur à mes amis, ce qui ne m’étais jamais arrivé avant, honteux d’avoir été ridicule, ce qui m’arrivait souvent. Et j’étais heureux car les dits amis avaient été la pour me porter secours, heureux parce qu’ils me gardaient malgré ma déloyauté, h eureux car le trip avec les dogons était quand même sensass, plus réel que le réel, et source inépuisable de théories sur le voyage du Kâ (nda : double-spirituel égyptien) dans l’espace-temps, heureux parce qu’a la fin de la semaine, ON PARTAIT EN TOURNÉE !!! Ça ne se voyait pas, mais c’était la première fêlure dans ma coquille.

Alors oui, à l’echelle cosmique du vedettariat international, cette petite aventure qui commençait n’était qu’une minuscule particule de pet de souris. On y allait juste confiants et joyeux compères, partenaires dans le crime audible. Parenthèse, (l’industrie à juste besoin de bouffons avec des clochettes. Elles les aligne et les remplace. C’est comme la pêche au canard a la foire. Il y en a plein, c’est facile à attraper, mais c’est juste du plastique qui s’écrase sous la première semelle venue. À l’heure où j’écris ces lignes, un documentaire hagiographique bourgeois défile sur Arte : « Il se branlouillait des heures, puis envoyait tout sur la toile, en gros éclats bien gras… ». Eh, c’est bon ! Vinzo, tu es présentement en train de te masturber sur ta misérable existence, ferme-la, et ferme cette parenthèse ! ok.)

La tournée Lo Elektrolux, confidentielle certes, c’était partir pour exister, voir du pays, au delà du département, là où rodent les krakens, les tarasques, les serpents de mer et s’amasser des trésors dans le coeur. L’aventure, moussaillon !

(la tournée proprement dite dans la deuxième partie. à suivre ! Illustration : affiche survivante en basse résolution.)

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