Chant Dix-Septième

 Dans L'Enfer de Dante

(Résumé : Plus enterrés que des spéléologues, Dante et Virgile poursuivent leur irrésistible descente vers la sortie de l’enfer. Les visions de tortures diverses se succèdent. À la fin du chant précédent, ils se sont retrouvés face à un gouffre apparemment infranchissable. Mais Virgile connait un moyen de descendre. Qui va venir aider nos deux olibrius ?)

-Tchic-tchic à trois faces ! La voilà ! Tu la vois, cette bestiole avec la queue pointue ? Elle peut exploser les murs et détruire les armes… Misère de misère de misère… C’est la bête qui infecte le monde entier, la vérité ! m’a soufflé mon Guide, avant de faire signe au monstre de se poser près du passage rocheux où on était en train de marcher.

Cette incarnation maousse de la Fraude a atterrit devant nous, mais n’a laissé apparaitre que son buste et sa tête sur le bord. Elle avait une tronche d’homme, à l’expression plutôt placide, et en dessous, elle était comme un serpent, avec des pattes velues. Sur le dos, la poitrine et les flancs, on voyait plein de tatouages de nœuds et de roues. Sérieux, ils étaient plus colorés que les fringues que fabriquent les turcs et les tartares, et plus entrelacés que la plus tarabiscotée des toiles d’araignées. Comme une barque stationnée sur le rivage, à moitié sur la terre, à moitié dans l’eau, ou comme un castor glouton qui trempe ses fesses dans une rivière, le méchant machin géant s’étendait sur le rebord pierreux. Sa queue, qui se tortillait de haut en bas dans le vide, ressemblait exactement à celle d’un scorpion, avec un dard et tout.

-Euh… a dit Virgile, on va gentiment contourner cette sale créature, ok ? Tout doux, tout doux, guapo.

Du coup, on est passé par la droite, et on a fait une dizaine de pas le long du précipice, pour éviter les flammes. Un peu plus loin, sur le sable, j’ai vu des gens assis auprès du gouffre.

-Vas les voir, ça peut te servir, va, va, va, va voir comment ils sont, allez, zzt ! Reste concis, hein ? Je m’occupe du monstre, pendant ce temps. Je vais négocier pour qu’il nous transporte.

C’est comme ça que, tout seul, je suis allé à l’extrême limite du septième cercle, là où se trouvait les gens tristes. Ils éclataient de douleur par les yeux : on aurait dit qu’ils frétillaient sur une immense plaque de cuisson chauffée à blanc, et de fait, misérables, ils se contorsionnaient de ci, de là, tantôt la face contre le sol ardent, tantôt soufflé par la chaleur volcanique du bastringue, tel des chiens en été avec leurs museaux et leurs pattes, ils semblaient chasser des mouches, des puces, des taons, des tiques féroces ! J’ai bien tenté de reconnaître quelques unes de ces pauvres âmes au milieu du feu, mais non, je ne voyais personne. Il m’a semblé que chaque persécuté portait une sorte de bourse autour du cou, multicolore et bardée de signes cabalistiques. Ils avaient leur regard avidement braqué dessus. En m’approchant un peu plus près, j’ai fini par en distinguer une, jaune et en forme de tête de lion bleue, puis une autre, rouge sang, avec une oie blanche dessinée dessus… C’était clairement des armoiries de familles nobles de Florence.

-Hé toi ! Qu’est-ce que tu fiches ici dans c’te fosse ?! Barre-toi !

C’était un padouan qui venait de m’alpaguer, je le sais parce que lui avait un sachet blanc autour du goulot, avec une grosse truie violette en guise de logo. Il a continué à m’invectiver.

-Et puisque t’es encore vivant, gros malin, sache que tes florentins me cassent les oreilles du soir au matin. Et y en a encore des wagons qui arrivent !

Ensuite sa bouche s’est tordue de manière inhabituelle, et il s’est léché les trous de nez avec la langue, comme une vache. Flippant. Comme en plus, je ne voulais pas trop trainer, à cause de Virgile qui m’avait dit de faire vite, je me suis éloigné de ces affreux martyrs.

Quand je suis revenu, mon poète favori était déjà à cheval sur l’animal effrayant.

-La purée de ta mémé concassée, mon fils, hardi petit ! Vas-y, monte là dessus, on va se servir de cette goulmoute comme d’un ascenceur. Mets-toi devant, je me mets à l’arrière, pour te proteger des coups de dard, mon canard.

Quand il m’a dit ça, j’ai tellement balisé que j’en ai pâlit des ongles, et je me suis mis à trembler comme si j’avais une grippe aviaire carabinée. Mais je ne voulais pas passer pour un bidon auprés du Maître. Je me suis assis sur les énormes épaules, terrorisé. J’ai essayé de dire « tenez-moi  ! » Rien n’est sorti. Mais, comme plus tôt en haut, Virgile est venu à mon secours, en m’attrapant à la taille, puis en me soutenant.

-Gérion ! Il a dit ensuite, go, go, go ! On décolle, engeance maléfique de ta race maudite, tu fais doucement, ok ? Descends en faisant de grand cercles, ce sera plus cool. Pense qu’on a un invité.

On a quitté la terre comme la nacelle d’un ballon. Le monstre a étendu ses ailes, a plané sur quelque mètres, puis, une fois tout à fait dans le vide, il s’est servi de sa queue comme d’un gouvernail, en brassant l’air avec les pattes.

Vous connaissez Phaéton ? C’était le fils du soleil. Un jour, il a voulu conduire le jet de son père, alors que le vieux lui avait défendu. Evidemment, il savait pas faire, il a perdu le contrôle, l’appareil à commencé à débloquer, en ravageant tout sur son passage avec ses réacteurs… Zeus à du le foudroyer pour sauver les meubles, et il s’est abîmé comme une bouse, après une chute de vingt mille mètre. … Et Icare, vous connaissez aussi ? Bien sur, tout le monde connait Icare. Le coup de la cire qui fond, des plumes qui se barrent, du père qui crie « Redresse ! Redresse !», la chute vertigineuse, sphroutch, voilà. Et ben, lorsque je me suis vu dégringoler dans le vide à grande vitesse, à dada sur une phénoménale erreur de la nature, la peur que ces deux-là ont du ressentir, à coté de la mienne, c’était de la rigolade. La créature semblait nager dans les airs, en flottant lentement, lentement, en tournant, en virant, en descendant petit à petit comme un avion en papier, si bien que je ne me suis rendu compte de rien, à part du vent qui me frappait au visage.

En dessous de nous, du coté droit, j’ai entendu s’approcher le démentiel tintamarre de l’abîme. J’ai jeté un œil timide par dessus bord, je l’ai retiré direct : dans le gouffre, il y avait des feux, et je continuais d’entendre les pleurs qui s’y associaient. Je me suis recroquevillé, tout tremblant, en voyant, à chaque virage de l’hellbus 666, la collection de châtiments qui s’exposait sur les parois du gouffre.

Gérion, comme un faucon bourré qui déçoit son fauconnier, a mis un temps infini à toucher le sol. Il a décrit cent cercles, en bougonnant, mais finalement, il a atterit. Sans faire un signe d’au revoir, sitot sa mission accomplie, il est reparti comme une flèche vers la surface.

 

(Texte original : en italien, en français)

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
%d