Histoires Étranges du Quotidien 13. La femme-pluie.

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Dans le village de Saint Ouen des Besaces, en Basse-Normandie, il y avait deux hommes qui aimaient la randonnée, Jean-Charles, le père et Thibaud, le fils. Tous les jours, ils allaient faire une longue balade dans la forêt avoisinante, située quelques kilomètres à l’est. C’est une région où la pluie tombe souvent abondamment. Souvent, ils devaient camper sur place, en espérant que les trombes d’eau ne les emportent pas, mais ils aimaient cette vie simple soumise à la nature.

Or une fois, la nuit était tombée, il faisait très froid. Un véritable déluge s’abattit sur eux. Ils tentèrent d’installer leurs tentes, mais les gouttes étaient lourdes comme des pierres, et les écrasèrent. L’obscurité était totale, il se perdirent entre les arbres. Par chance, ils trouvèrent, à la lumière tremblotante de leurs torches électriques, une vieille cahute. Ils se hâtèrent de s’y réfugier. Il n’y avait rien pour se réchauffer ou faire du feu, mais ils n’avaient pas d’autre choix. La porte fut solidement barricadée, Jean-Charles et Thibaud se résignèrent à y passer la nuit. Le temps n’était pas encore trop glacial, la tempête allait bien finir par cesser.

Le père s’endormit aussitôt, mais Thibaud n’y parvint pas. Il entendait le vent hurler, la pluie frapper contre les murs, la boue couler tout autour d’eux. La masure craquait de toutepart, prête à s’effondrer comme un château de carte. L’air se rafraîchissait, le fils grelottait dans son ciré. Il finit cependant par s’assoupir.

La porte s’ouvrît d’un coup. L’eau furieuse lui inonda le visage, il se réveilla. À la lumière de la lune, il vit une femme dans la pièce, une femme trempée toute vêtue de gris. Elle se tenait au-dessus de Jean-Charles, et lui soufflait dessus, d’un souffle qui ressemblait à un nuage noir. Soudain, elle se tourna vers Thibaud, se courba vers lui, approcha lentement, très lentement, son visage près du sien, presque front contre front. Le pauvre jeune homme ne trouvait pas la force de hurler, tant il était pétrifié par l’apparition. La figure était celle d’une très belle femme, mais ses yeux… avaient quelque chose d’effroyable. Elle le fixa un moment, puis murmura avec un sourire : « Je comptais te réserver le même sort qu’à l’autre, mais je te trouve beau garçon. Tu as de la chance, Thibaud, je t’épargne. Par contre, si jamais tu avais le malheur de parler de cette nuit et de moi à quiconque… Qui que ce soit… Je reviendrai te tuer. Rappelle-toi bien de cela. »

Sur ces paroles, elle franchit le seuil, et la pluie l’enveloppa. Thibaud trouva subitement la force de bouger, bondit à sa poursuite Aucune trace de la femme. L’averse rageuse envahissait la bicoque, défonçant le sol bourbeux. Il ferma la porte, la bloquant avec les cales de fortune qu’il put trouver, tout en se demandant s’il n’avait pas fait un cauchemar. Il avait dû confondre la lumière de la lune, réverbérée sur l’eau,pour la silhouette d’une dame en gris. Difficile de s’en persuader. Sa frayeur augmenta quand, appelant son père, celui-ci ne répondit pas. Avançant sa main dans le noir, il toucha la joue de l’auteur de ses jours. Elle était maculée de boue ! Jean-Charles était raide mort, la bouche remplie de terre.

L’orage cessa au petit matin. Un garde forestier trouva Thibaud évanoui auprès du corps fangeux de Jean-Charles. Le jeune homme fut promptement pris en charge, et repris connaissance, mais il resta longtemps malade, des suites de l’humidité froide de cette éprouvante nuit. La mort de son père l’avait fortement traumatisé, mais il ne dit rien à propos de la femme grise. On conclut à un accident. Une fois remis sur pied, il ne retourna plus dans la forêt. Désormais, ses plus grandes expéditions se limitaient à faire le tour du village.

Un an plus tard, alors qu’il rentrait chez lui, en marchant le long de la départementale 185, il rattrapa une fille qui avançaitdevant lui. Elle était grande, fine, diaphane, très jolie. Il la salua, elle répondit avec une voix mélodieuse comme un chant d’oiseau. Ils firent la route ensemble :

Oya, c’était son nom, emménageait tout juste dans le petit bourg, car elle venait de trouver un inespéré travail de vendeuse dans un magasin de Saint Martin, la commune d’à côté. Elle n’avait pas de voiture, mais elle apprécierait ce trajet campagnard. Plus il la regardait, plus il la trouvait belle. Dès lors, Thibaud s’arrangea pour tomber sur elle et l’accompagner sur le chemin de son emploi. Ils finirent par se connaître, puis par s’apprécier. Bientôt ils se marièrent. Deux enfants naquirent de leur union, à la peau douce et pâle comme leur mère. Les habitants alentours trouvaient Oya hors du commun. Même après ses accouchements, elle paraissait jeune et fraîche comme au premier jour de son arrivée.

Un soir d’automne, les bambins couchés, Oya bouquinait à la lueur timide de l’halogène du salon. Thibaud, qui l’admirait, lui dit :

« De te voir ainsi, avec cette lumière, me rappelle une histoire étrange qui m’est arrivée lorsque j’étais plus jeune. J’ai vu une personne aussi belle que toi… En vérité, elle te ressemblait beaucoup. »

« Dis-m‘en plus. Raconte-moi. » dit Oya sans lever les yeux de son ouvrage.

Alors il lui raconta l’affreuse aventure de la tempête, de la nuit dans la cabane, de la femme en gris qui lui avait chuchoté à l’oreille, de la mort de son père.

« De ma vie consciente et inconsciente, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi magnifique que toi, bien que je pense qu’elle ne fut pas humaine… »

Oya lança son bouquin à travers la pièce, se jeta sur Thibaud. L’inondant de postillons, elle lui hurla à la figure.

« C’était moi ! Moi ! Moi ! La femme-pluie ! Tu étais prévenu de ce qu’il t’adviendrait si jamais tu parlais ! Je t’épargne encore… À cause des enfants. Tu as intérêt à bien, vraiment bien t’occuper d’eux. Si tu leur fais le moindre mal, physique ou psychologique, je reviendrai m’occuper de toi comme il se doit ! »

Ses braillements devinrent de plus en plus tonnants et crépitants, jusqu’à ce qu’elle devienne elle-même un nuage orageux, qui fila et se glissa sous la porte d’entrée. Par terre, il n’y avait plus qu’une flaque d’eau

 

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