Chant Trente-Quatrième

 Dans L'Enfer de Dante

(Résumé : Dante et Virgile touchent enfin au but. C’est la dernière ligne droite !)

 

-Le drapeau du roi de l’enfer est en vue, a dit le Maître dans son latin natal, reluque donc si tu ne le vois pas, guapo.

Comme quand on aperçoit dans le lointain du brouillard ou de la nuit, la silhouette d’un moulin qui tourne, il m’a semblé voir une chose. Il y avait un vent de fou, et aucune grotte où se cacher, j’ai du me planquer derrière mon Guide. C’était intense (la peur revient en écrivant ces lignes). Ici les âmes sont entièrement prises dans la glace, comme des moustiques dans des morceaux d’ambre : il y en a des couchées, des debouts, des la tête en bas, des tordues, des toutes raides… Toutes les positions imaginables. Quand on a été assez loin dans la zone, mon Maître a estimé qu’il était temps de me montrer cette créature autrefois si belle. Il m’a barré la route.

-La purée de sa mémé torréfiée, on y est, mon fils, on est en plein cœur de Dité. Va falloir que tu fasses grossir tes cojones !

Si tu savais comme je me suis senti mal à cet instant, ami lecteur ! Je ne la décris pas, les mots sont trop faible pour expliquer cette sensation. je me suis senti ni vivant, ni mort : imagine cette impression bizarre.

L’empereur de la douleur sortait de la glace depuis le milieu de la poitrine. Pour donner une idée de sa taille, elle faisait celle de plusieurs géants réunis.
Il paraît qu’il était aussi beau qu’il est hideux maintenant, celui qu’il s’est rebellé contre son créateur. Il devait être très très très très très beau alors…
C’était ouf de chez ouf, complètement ouf de chez ouf : il avait une tête à trois faces !!! Celle de devant était rouge. Les autres, sur le côté de chaque épaule, regardaient des directions opposées. Celle de droite était d’une couleur entre le jaune et blanc, celle de gauche était cuivrée, comme la peau d’un éthiopien. Sous chacune sortaient deux grandes ailes proportionnées à cet oiseau de malheur. Je n’ai jamais vu de bateau avec d’aussi grande voiles. Elles ressemblaient à des ailes de chauve-souris, et c’est leur battement qui générait le vent que j’avais senti plus tôt. Voila pourquoi le Cocyte était gelé. Il pleurait de ses six yeux, et goutte à goutte, les larmes et la bave sanglante tombaient sur ses trois mentons. Dans chaque bouche, il y avait un pêcheur en train d’être broyé. Les plus matheux en déduiront donc qu’il y avait trois personnes ainsi mastiquées. Celui qui souffrait le plus, c’était celui du devant. A la fois mordu et dépecé avec les griffes, des morceaux de sa colonne vertébrale apparaissaient à nu.

-Aïe, tu l’as vu çui-la ? a dit mon Maître.  C’est Judas Iscariote, celui qui a trahit Jésus, la vérité ! T’as vu comme il gigote les gambettes ? La tête dans la bouche à Satan, ça doit sentir le fennec là-dedans. Les deux autres nazes, tchya vu, ils ont la tête dehors : l’asticot tortillard avec les cheveux noir, c’est Brutus, et l’autre, le trapu membru, c’est Cassius. Les deux ont assassiné Jules César, en traîtres comme des batards. Oula, ça s’assombrit, faudrait mieux qu’on s’arrache, de toute façons, on a vu tous ce qu’il y avait à voir…

Virgile m’a fait signe de venir contre lui, je me suis accroché à son cou, et lui, dès que les ailes se sont complètement ouvertes, en a profité pour s’accrocher aux côtes poilues du diable. Il a commencé à descendre, entre la fourrure et la paroi glacée.
Au moment où on est arrivé à la jonction de la hanche et de la cuisse, Virgile, stressé, a du se mettre la tête en bas pour continuer. J’ai eu l’impression qu’on retournait en enfer.

-Misère de misère, c’est galère , mon fils, a dit mon Maître en haletant de fatigue, si on veut quitter ce cul-de-basse-fosse, faut qu’on passe par là.

On a fini par arriver à une ouverture dans la roche. Il m’a posé sur le bord, et m’a fait m’y asseoir. Ensuite, il y a prudemment posé le pied. J’ai regardé en l’air, croyant voir Lucifer, et j’ai vu ses jambe en l’air. C’était hardos, ce moment, je ne pense pas que les blaireaux puissent imaginer le point qu’on avait dépassé.

-Allez, debout mon Dada. Il y a encore du chemin, et la route est mauvaise, aïe aïe aïe. Le soleil se lève.

Là où on était, c’était pas vraiment un palace. Plus un cachot naturel. Le sol était en terre battue, et on y voyait pas grand chose.

-Avant qu’on sorte de là, Maître, j’ai dit en me relevant, vous voulez pas m’expliquer un peu ? Où est passé la glace ? Pourquoi Lucifer à l’air à l’envers ? Et comment ça se fait qu’il fasse jour ?
-Pendant que je m’accrochais au poil du morpion géant, on est passé de l’autre côté de la planète, ça fait zarbi, hein ? Quand il fait nuit chez nous, il fait jour ici. Tout est inversé, même le sens du tourbillon dans le trou des baignoires. C’est là que le diable est tombé quand il a été déchu. La terre a eu tellement peur, qu’elle s’est voilée de mer.

Là où on zonait, il y avait un petit ruisseau qui descendait par une fente creusée par l’érosion. Il y avait un chemin obscur qui le longeait. Le Maître et moi, on est passé par là pour retourner à la lumière. On s’en fichait d’être fatigué, on est remonté, lui devant, moi derrière. On a finalement atteint un trou rond, et après l’avoir passé, j’ai revu les étoiles. On était enfin sorti.

FIN DE L’ENFER ET DE LA PREMIÈRE PARTIE DE LA DIVINE COMÉDIE

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Chant Trente-Troisième Dante, Divine comedie, Enfer, français courant, inferno, Virgile