L’hôpital psychiatrique (200~?).

 Dans Mémoires de musicien

Avec Lee Zeirjic de x25x et Georges Binaire, on avait commencé un groupe, qui pour l’instant se nommait Schumpeter. On visait la hargne. Dans la scène, j’avais une réputation de bon batteur, je répétais quasiment tous les soirs.

Gina et moi entretenions une relation depuis quelques mois, mais pour passionnée qu’elle fut, je n’en demeurais pas moins braqué sur la capture de Bérénice. Gina était angélique, elle me soutenait, me supportait. Ingrat face à cette attention, je me consumait de plus en plus, je raclais le carrelage avec les moignons de dents attaquées par le coca qu’il me restait. Plus bas que terre, tout paraissait trop inatteignable pour ce misérable cloporte sans cervelle.

 

Avant d’en arriver à ce stade, il y avait eu les antidépresseurs, mais, trop impatient, j’en attendais un effet immédiat. Les pilules du bonheur, c’était bien gentil, mais le bonheur, on été censé sentir quoi ? Il me semblait ne l’avoir jamais expérimenté. Le résultat, c’est qu’au bout de deux jours d’euphorie induite par l’inconscient, je repartais illico ans les ronchonnements en dedans. Quand je voyais Bérénice, malgré ma sympathie de surface, c’était le constat douloureux de l’échec qui me perçait le flanc. Chez Gina, il y avait de l’amour et de la tendresse, mais je n’avais toujours pas réussi à m’enlever l’autre de ma ligne de mire. Trop de temps à attendre en vain. Il aurait fallu me retirer le lobe frontal. Phases de bonne humeur parfumée de sinsemilla et de blagues, puis phases de névroses, prise de conscience de mes délires, constat de nullité, déprime, ennui, exaspération.

 

Ecouter de la musique me rendait dingue. J’essayais de jouer par-dessus des morceaux que je ne connaissais pas, et me lamentait de ne pas les exécuter sans faire d’erreur. Devant une vidéo de Sonic Youth, où je trébuchais sans cesse, je m’effondrais. La musique, ma forteresse imprenable, mon dernier bastion, tombait. Pire, l’obsession devait plus prégnante, s’incarnait en une voix sonore. Je l’entendais dans ma tête. Entre deux crises d’abattements dégénérant en caprice de pleurs, de danse de saint Guy et de coup de poings portés à mes tempes, je percevais ce commentaire qui me disait d’un ton persifleur, comme celui des nains lorsque je m’étais évanoui dans la rue, « Vinzo, tu es nul. Vinzo, assassine-toi. » Gina s’inquiétait beaucoup, elle me dit qu’il serait peut-être utile que je me rende aux urgences de l’hôpital psychiatrique de la Conception, tout frais bâti. Pour mon bien, elle craignait trop que je ne fasse une bêtise. Sur le coup, bien sûr, je n’en eu aucune envie, mais après une soirée calamiteuse où elle avait fait venir Bérénice, j’acceptais. Ma cervelle était translucide et flageolante comme du papier calque secoué, recouverte de tâches, de plaies, d’irritations qui la faisait pulser douloureusement. A chaque moment, la voix se faufilait dans les sillons de mes gyrus, raclant leurs parois avec l’abrasivité d’une tornade de lame. Un 31 décembre, l’éponge fut jetée, j’acceptai. Deux ou trois jours après, elle m’emmenait aux urgences psy. L’hôpital venait de se construire, on avait détruit un boulodrome où se réunissait les papets du quartier, pour y mettre un radiateur géant aux angles aigus, la structure de soin proprement dite, et un parking à niveau. L’entrée des urgences se faisait en passant par une clôture grillagée, plantée dans des cales de béton. Malgré la nouveauté de l’endroit, cette enceinte frêle et tordue donnait un aspect de ruelle mal famée à cet accès. On sentait que la misère municipale commençait déjà à imprégner les murs comme du salpêtre. A l’intérieur, il y avait un guichet, des chaises et des ondes de tristesse qui tournoyaient dans la pièce, pareilles à un cyclone noirâtre. Gina s’avança après la personne précédente, qui avait l’air légèrement échevelée par on ne sait quelle menace. Était-ce elle ou un proche qui défaillait ? Elle parla à l’infirmière, son regard se percha sur moi, analysant mon aspect pour se faire une idée à la louche. Elle hocha la tête pour Gina, vint s’assoir à côté de moi. On allait m’ausculter, enfin, me parler. Ma belle insista pour que je dise franchement ce qui n’allait pas : les voix, la déprime, les désirs de disparaître… à l’intérieur, je moulinais du pédalier, à l’endroit, à l’envers. La seule chose que j’entendais avec persistence était les paroles de Sick boy, par GBH

 

I’m a sick boy and there’s no cure
I’m a sick boy there should be more

(Chuis un gamin malsain, y a pas de remède

Chuis un gamin malsain, on devrait être plus)

 

Les infirmiers me posèrent des questions, mais je ne m’en rappelle plus. En fait, une brume empoisonnée de marécages recouvre cette période étrange. Après avoir décliné mon identité, le discours que je leur offris devait contenir en lettres fluorescentes le message « j’ai envie de mourir », mais ma rhétorique, comme mon esprit, n’était plus qu’un sac de nœuds. On m’invita donc à séjourner ici quelques temps, histoire de me reposer. Gina était émue, on s’embrassa, puis, blême et silencieux, escorté par un infirmier catcheur, je me rendais dans une aile du bâtiment. On y entra. Le lutteur en blouse blanche ferma le verrou à clé. A cet instant, tout fut clair : on ne sortait pas d’ici comme ça.

La porte de l’enfer était en bois aggloméré, peinte en rouge fraise. Voilà ce qu’était en réalité le monde souterrain représenté si souvent en four et en flamme, de roche et d’écarlate, de fourches et de fouets. Les couleurs étaient pastelferés (entre le pastel et la peste), déteintes, piochées dans le nuancier du bonheur législatif stipulé à l’article 54.3 du code civil : jaune pisseux, bleu blafard, rose rance, vert vitreux. Et puis faux plafond masque-tuyauterie, néons nerveux, sol en lino salement propre, odeurs de produits ménagers, mornitude aseptisée, où folâtrait les bactéries en joie d’envahir ces surfaces récurées par tant de mains suantes et sous payées. Triste endroit. Sitôt passé le seuil, un seul désir m’anima, celui de sortir de ces lieux. Cela devait faire partie du processus de guérison.

 

Une fois dans ma chambre, Gina arriva quelques minutes plus tard, me donna mon sac. Elle n’avait pas pu me suivre par le même chemin. Symbolique et protocole. Ainsi, on signifiait mon passage dans le monde flottant. Voilà où mon obstination m’avait emmené, dans une pièce terne, sans joie, ni avenir. Une chambre d’hôpital avec de grosses gaines électriques, un placard, une douche plastifiée sans bac. Bravo Vinzo, trop malin. Bien joué.

 

On ne m’a pas mis dans une cellule rembourrée, il n’y avait pas de carrelage blanc aux joints sales, mais, lors de mes errances dans ces couloirs sans joie, j’ai entendu derrière certaines portes des hurlements à faire dresser les cheveux sur la tête. Une fois j’ai échantilloné un « laissez-moi sortir !!! » qui n’avait plus rien d’humain. On aurait dit Ritchie quand il hurlait « Aidez-moi ! » dans le titre éponyme, mais en plus surnaturel. La Détresse incarnée. C’était caché dans un recoin de l’aile, mais elle était là, la pièce molletonnée. La lobotomie, les électrochocs, l’insulinothérapie, le bardeau, tout cela s’était démodé. La camisole elle, restait la tenue correcte exigée pour les soirées de nouba, quand les cocktails d benzodiazépine coulent à flot. Sous les teintes de bonbonnière du bâtiment, la folie conservait sa face hurlante, dans les orbites et la bouche de laquelle résidaient d’autres faces hurlantes, dans les orbites et les bouches desquelles résidaient d’autres faces hurlantes, et ainsi de suite, selon un effet Droste se perdant dans les confins.

 

Chaque jour, il fallait se rendre à la cantine. Tour à tour, on recevait chacun nos médicaments. Il y avait un ou deux patients qui ne voulaient pas manger, les infirmières s’épuisaient d’efforts diplomatiques. Le soir, même cinéma, sauf qu’on venait dans nos chambre nous apporter nos cachets sur un plateau, avec un verre d’eau.

 

Après quelques jours, on m’a fait aller dans une pièce pour avoir un entretien avec le psychiatre qui désormais, me suivrais. Le docteur Benway, accompagné par une interne. Il m’invita à m’assoir, souriant. Chacun de ses doigts était une seringue.

 

-Vous faites quoi dans la vie

-Musicien

-Vous consommez du cannabis ?

-Oui

-Bon…

 

Ensuite des questions vagues, pour me faire parler de ce que je ressentais, mes symptômes, les voix. L’interne prenait des notes. Au bout de vingt minutes, on me renvoya. Il y eu de nouvelles pilules dans mon traitement.

Les toubibs avaient dans le regard une compassion étudiée. Il ne faisait aucun doute que cela était une posture. Certes, ils avaient certainement senti une vocation dans leur jeune temps, visualisés un sacerdoce où ils jouaient le rôle de bienfaiteur du genre humain. Mais plusieurs années plus tard, leur envie de rentrer vite chez eux, et de poser leur sac de misère humaine à la patère de l’entrée surpassait tout le reste., Derrière leur palissade de médecin, ils s’en fichaient, et ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Si j’avais été dans « Vol Au-Dessus un Nid de Coucou », j’aurais été Chef Bromden. Je ne parlais pas, simplement parce qu’on ne m’adressait pas la parole. Les experts en comportement, je les trouvais tellement peu en droit de me juger. L’analyse psychiatrique me semblait comme une confession, mais payante. C’est vrai quoi, on déballe son sac pour se faire absoudre, c’est idem. Sauf que dans un cas l’absolution est gratuite, à défaut d’être efficace dans les deux.

 

Toi aussi camarade, as-tu ressentis que tu étais indésirable aux yeux de la meute ?

Que faisons-nous ici, hein, camarade, dans ce goulag de la sentience ? Toi, tu écrivais des poèmes sur des feuilles froissées que tu donnais au gens ? Ne cherche pas plus loin, c’est pour ça qu’ils t’ont largué ici. Pour ma part, je voulais amener le feu sur la terre… On s’ennuie dans cette coquille, n’est-ce pas ? Mais elle trop dure à percer, même avec une mèche en diamant. Alors, fais comme moi, attends jusqu’à ce que l’heure vienne, l’heure où les portes laisseront passer les rayons du soleil. Dehors, il fait froid, et les loups ont faim. Plusieurs jours dans la neige avec les troncs morts comme unique soutien, sans maison en vue. On se serait échappé, mais on serait revenu. Après tout, dans la cellule, il y a manger, et il y a un toit pour nous protéger des intempéries. De toutes façon, viendra un jour où ils en auront marre, et ils nous rejetteront dans les ténèbres extérieures. Ô, on criera et on grincera des dents, ça ne fait pas un pli, mais je serai avec toi camarade, je serai avec toi. J’avais de la sauce blanche a la place du cerveau, et les pensées pataugeraient comme de gros grumeaux.

 

Je m’excusais par texto auprès de Schumpeter, je ne pourrais plus répéter. Damnation, j’aurais pu rejoindre la caste des zicos tellement cools qu’ils n’ont pas besoin de mettre leur nom sur la pochette du disque, qui font ça juste pour la musique, celle dont ils ont envie, et qui font caca sur la tête des branchouilleux, des labels en place, à dix milles kilomètres d’altitude. Ils imposent le respect. Les intègres, les vrais de vrais, les parallèles, les super bons, les super classes. Je serai toujours trois ligues dessous. Fichu complexes, ça aurait pu être génial.

Armé d’un gros bloc note laissé par Gina, je passais le temps à gribouiller des visages tentaculaire et à écrire. J’ai retrouvé un texte.

 

Stop the music movement

Stupid sonic esperanto

Let us dance stupido

On a single rock rythm

Smashed and smashed

Till a fire tilt from it

Then let us sleep

Let us skip the day

Fed up by speeches

Void leeches actin species

Stop talking for once

Let the world take a deep breath

Can’t stop loving you

Can’t stop wanting you

Just wanna possess you

Juste wanna make me you

 

Est-ce que cela s’adressait à Bérénice ? A mes voix ? A la musique ? Cette dernière avait été ma maîtresse pendant des années, et je ne l’avais jamais dompté. Elle était cruelle, exigeante et si belle… Ces lignes en disent long. j’avais eu presqu’envie de me retrouver là, cela faisait partie de ma liste de chose à faire pour devenir artiste, mais je déchantais. Pas de musique en fond, je n’en écoutais plus, pas de Bérénice qui s’apitoie et me sorte de l’emprise de Belzebuth. Comme un alchimiste dément, je me morfondais de trouver la pierre philosophale, celle qui change la vie en beau. Je croyais qu’elle existait.

 

On me donna le diagnostic : névrose morbide avec signes de schizophrénie. J’ai l’impression qu’ils m’ont classé comme du courrier dans une case, mais bon. Sur le coup, je trouvais ça classe. Ça faisait super cinématographique, schizophrène. À la Fight Club (bien qu’il s’agisse de dédoublement de la personnalité dans ce film). Parfait pour la biographie : « Vinzo, artiste génial et torturé ». Un homme schizoïde du 21eme siècle. Nickel. Sous un projecteur, avec le bon angle, la plastique tragique sera impeccable. Si Jello Biaffra lisait ça, il me traiterait de gros poseur. Il serait tout à fait en droit de le faire. Mais ce qui me paraissait superbe, interprété par Brad Pitt, se révéla cauchemardesque

 

Bienvenue dans les coulisses de la vie, non, dans le débarras où on met en vrac tous les trucs et les machins pas franchement hors d’usage, mais ni utiles, ni fonctionnel pour la vita normalia. Comme Boone visitant Midian, dans Cabal, je visitais cette cité des marginaux. Je croisai des êtres aux yeux caves, clopinant dans les couloirs, les regards semblant vouloir voir autre chose, comme enfermés dans leurs observatoires en os. La plupart étaient muets, ou marmonnaient à eux-mêmes. Certains avaient des membres oblongs, d’autres étaient court sur pattes, figures d’oiseaux maigres ou de loutres malades. Habillés de survêtement de l’OM trop vastes sur leurs os coupants, jeans prétroués aux genoux, tricots moulants, sweat-shirts aux mailles écartelées. Certains rasaient les murs, d’autres se cachaient dans les alcôves, comme d’ignobles idoles païennes, silencieux et sévères, se pendaient aux chemises des docteurs tout puissants, pour leur implorer on ne sait quelle faveur, une permission, un médicament, le droit de sortir de cette antre de nécrose, serpillant le sol de leurs jambes, alors que les toubibs, indifférents aux ennuyeux à leurs basques, les traînaient dans tout le service, jusqu’à la porte rouge. Là, on les décrochait aux pied de biche, et on refermait l’huis sur leurs pifs captifs. D’où venaient-ils, qu’avaient-ils, qui étaient-ils, tous ces pauvres pendus en balade ? J’étais trop tractopellé par les antipsychotiques et à fleur de peau, pour avoir l’envie de me renseigner.

 

Il y avait un foyer principal, où les fatigués (nous l’étions tous) se retrouvaient pour boire du café et contempler leur désarroi. Quand Gilbert venait me voir, on jouait au ping6pong. Le son de la balle en celluloïd ricochait contre les parois de mon crâne bien après la partie. Cela dit, sachez que les tables de l’hp de la Conception sont superbe. A cent vingt lieues à la ronde, il n’y en a point de plus girondes.  Je le dis à tous ceux qui veulent se faire une bonne partie.

 

 

Il y avait une fille qui grattait des clopes sans cesse. Même si vous ne vouliez pas, même si vous n’en aviez pas, elle insistait, toujours de sa petite voix geignarde.

 

-T’as pas une clope ?

-Non.

-Ok, mais t’as pas une clope ?

-Non.

-Mais t’as pas une clope ?

*soupir*

Un disque rayé.

 

De l’autre côté de la baie vitrée, le boulevard Baille vivait de gens sur les trottoirs,s de voitures se pliant aux rythme des feux. Deux centimètres d’épaisseur devaient nous séparer, le monde et moi. Vous vous rappelez du dessin dont j’ai parlé avant, qu’a dix-sept ans j’avais dessiné, un squelette derrière une vitre observant la vie ? L’oracle s’achevait. J’étais là, squelettique, derrière la surface transparente, à témoigner de la ville en train de vivre. Si près, et pourtant si loin.

 

C’est là-bas aussi que je suis devenu pote avec Dawn, une artiste qui expose maintenant. Une écorchée vive comme beaucoup d’entre nous. On fumait des tiges. Je ne me rappelle plus trop des autres pensionnaires, j’étais trop dans le coltard. Tendresse pour les égarés, les torturés, les ramassés, les dingues et les paumes d’Hubert Felix Thiefaine. Le conformisme détruit l’anormalité. Les zinzins, il y en aura toujours, il y en a des méchants, des meurtriers, à ligoter, mais ils ne sont pas la majorité. La plupart des fous, des freaks sont comme ceux dans live des Cramps au Napa State Hospital, des gagas qui tournent en rond quand on leur joue de la musique, juste des gens comme moi, peut-être vous, qui n’appartiennent pas au troupeau. Leur fragilité de funambules tombés de leur ficelle, elle est partagée. On devrait être plus

 

Mon quotidien se passait dans une caverne de solitude, où l’écho de la voix ne revenaient pas. Le décompte du temps se brouilla, il ne se découpa plus qu’en fonction des routines : lever, rien, déjeuner, rien, diner, rien, coucher, nuit sans rêve, etc. De la fenêtre de ma chambre, je voyais un fou, en chemise d’hôpital. Chevelu, son nez dépassant pour distinguer son devant de son derrière. Assis sur son lit, Il ne bougeait pas d’un pouce de toute la journée, sauf le soir. Une infirmière entrait, alors il s’animait, montait sur le matelas, et lui montrait ses fesses. Ensuite les deux couraient en cercle autour de la chambre, dans une course-poursuite où on ne savait plus qui était le poursuivant du poursuivi. La nurse, une seringue à la main, le fou agile comme un orang-outan. Une histoire sans parole de cinéma muet. Ça finissait toujours de la même manière. Deux gros-bras vêtus de blanc débarquaient, aplatissaient le foldingo par terre. Les miches offertes, on lui plantait l’aiguille dans le gras, on le rallongeait sur sa couche, puis le personnel s’en allait. Le bonhomme ne bougeait plus.

 

Un soir, l’infirmier de garde m’apporte le plateau quotidien, mais cette fois, il n’y avait pas de cachetons, juste une verre d’eau blanchâtre. Inhabituel. Je fis la remarque. Le geôlier, désinvolte, répondit que c’était ce qu’il y avait marqué pour moi. Bon. J’avalais la mixture. Exactement au moment où je déglutissais, le soignant se ravisa, il venait de regarder sa fiche.

 

-Oh non, je me suis trompé, c’est du valium !

-Ah. Et qu’est-ce que ça change ?

-Et bien, je vous dis « à dans deux jours », vous allez dormir. Excusez-moi.

-Y a pas de mal, soupirais-je. Et j’allais me coucher.

 

Je ne me rappelle pas du tout de ce qui se passa pendant ces quarante-huit heures, comme si on les avait tout simplement retranchés de ma vie. D’habitude, même avec les produits abrutissants que je prenais, je gardais la connaissance de moi-même, mais là, tout est tombé dans le vide. Gina et des amis me dirent qu’ils étaient passé, que j’étais réveillé, que je parlais, où plutôt que j’ânonnais. Pas le moindre souvenir. À cause d’un étourdi. On m’a souvent dit que je n’avais pas assez confiance en moi. Erreur. Ce sont les autres qui sont beaucoup trop sûr d’eux. Depuis l’enfance, j’en vois des cohortes rater, échouer, décevoir, sans que cela ne les trouble. Beaucoup demeurent arrogants, sans remise en question, dominateurs. C’est un constat.

 

Psycho therapy, psycho therapy, psycho therapy
That’s what they want to give me
Psycho therapy, psycho therapy, psycho therapy
What they want to give me

 

Entre autres médicaments, je dû prendre de l’Abilify. Cela faisait l’impression d’une attaque de titans contre les murs de mon village mental. Sous leur effet, j’avais l’impression que mon squelette voulait traverser mon tissu cellulaire et s’arracher de mon enveloppe en la déchirant.  KO, je me sentais mal à l’aise pendant des heures, dans ma tête c’était « Unsquare Dance » de Dave Brubeck. Une signature rythmique en 7/4, et encore, pas tout le temps. Écoutez le morceau pour vous faire une idée. Ces dragées blanches, j’ai dû en prendre pendant des années.

 

Hormis Gilbert, Pippo venait me voir régulièrement, ce cynique séducteur cachait un coeur d’or. Yann était à Paris. Ma mère vint, elle confondit Gina avec Bérénice. Elle crut que c’était celle qui était la cause de ma déchéance, elle fronça les sourcils en la voyant. La vraie passa entre les mailles du filet maternel.

Bérénice est venue. On a bavardé. Le « comment ça va convenu ». Je commençais à réaliser que je n’avais rien à lui dire. Ravagé sur mon lit, je lui ai dit « tu es jolie ». Pas besoin d’être devin pour comprendre que c’était la goutte d’eau. Son regard changea et dit soudain : « c’est la dernière fois que je viens, espèce d’irrécupérable arapèdes ». Elle avait dû espérer que je reprenne mes esprits, mais c’était tout le contraire, c’était mon entêtement qui nous menait là, un énième plan pour voir, juste pour tenter encore une fois de gagner ses faveurs. Elle prétexta qu’elle devait y aller, et quitta la chambre. Elle ne revint plus. Jamais.

 

Les Nitwits sont venus me tirer de là pour quelques heures. Nous avions un entretien avec l’association qui organisait les Class’Eurock pour être parrain. Le docteur Benway me donna une dérogation pour sortir. Je ne sais plus ce que j’ai dit pendant la conversation, il me semble avoir sorti un bon argument, avec du Kurt Cobain dedans. Ensuite je regagnais mon quartier pénitencier. On a été pris. Un ou deux mois plus tard, après une semaine de résidence patronné par Matt Firehair, des Washington Dead Cats, on a ouvert pour Eiffel et No One is Innocent. Tout ça, c’était naze, mais les concerts étaient cools.

Sortir pour de bon s’avéra plus difficile que prévu. Les portes rouges ne s’ouvraient pas pour les matraqués du bulbe dont je faisais partie. Pas de « sésame ouvre-toi », pas de claquement de doigts, pas de poignée déverrouillée. Impossible de s’évader. Il me fallait l’autorisation du Dr Benway. Or, il était insaisissable. Attraper une mouche avec du vinaigre était plus facile. Quand je parvenais à l’alpaguer dans un couloir, le bon docteur me promettait de voir avec moi dès le lendemain. Le lendemain, il n’apparaissait pas de la journée. Il ne passait jamais me voir dans ma chambre, comme si on avait prévu simplement de me laisser moisir ici. Son impermanence ne me rendait que plus angoissé. Il tenait rarement parole. Par ci par là, je parvenais à lui faire me dire que je sortirai bientôt. Il y avait des papiers de sortie à signer. Encore plusieurs jours furent nécessaires pour le coincer, et lui faire rouler son stylo sur le bon formulaire. Les toubibs avaient installé une distance telle qu’elle en était à la limite du dédain. Je n’aurais pas insisté semaine après semaine, je serai resté dans ce trou pendant des années. Voilà pourquoi j’avais vu ces patients accrochés aux nippes de ce chef de service. Alors, les pros ont peut-être leurs raisons, ils sont peut-être débordés, ils ont certainement des excuses, mais dans tous les cas, ce système mal fait . Je l’ai vu de l’intérieur

 

 

Néanmoins il y eu une heure d’éclaircie dans la grisaille, cours d’initiation au percus. Assis en rond sur des chaises pliantes L’animateur nous distribua qui une crécelle, qui des bongos, qui un tambourin, qui un djembé, qui des claves, ainsi de suite. Il nous fit faire un exercice de question-réponse, successivement, par groupe de deux. Exemple.

 

Toi tu me dis : tugudu doum doum avec ta darbouka

moi je te reponds : tchiki tchiki tchik avec mes maracas.

 

C’était une introduction à l’écoute plus qu’au ramdam. La musique, quoi.

Quand a la fin on nous autorisa à faire du boucan tous ensemble, ce fut glorieux. Tout le monde avait compris, il naquit de cette lave le son le plus ancestral, le son de la tribu de chasseur cueilleur, un truc inné tapis sous notre gras moderne. C’était Grand.

 

Quand enfin je pu sortir, le jour me fit mal aux yeux. La consigne était de consulter un psychiatre régulier, ça faisait partie du marché. Pendant une heure, je parlais devant un homme impassible, qui ne bronchait pas. Durant mon monologue, je suivais la logique de mes pensées. A force de raisonner dans le vide, j’arrivais au bord du précipice. Je disais que je voulais me tuer. Le toubib ne pipait un mot, me laissait me décomposer dans ma perdition. Quand enfin, il ouvrait la bouche, c’était pour dire que la séance était terminée. Je lui donnais cinquante balles. Quand je sortais, j’étais encore plus aux abois qu’en arrivant. La psychiatrie a juste ajouté le doute a la tristesse. La vie me paraissait encore plus absurde. J’ai vite arrêté. Il a fallu des années, et Gina, pour remonter la pente. Elle en a vu des vertes et des pas mûres. Combien sont morts à cause de ce type ?

 

J’ai eu accès à mon dossier médical concernant ce séjour. La seule chose substantielle qui en sortait était que je puais. Oui, la douche froide de ma chambre ne me tentait pas. Question diagnostic, rien. Aucune information. Peu de style. Au vu des articles d’Albert Londres sur les asiles, ce qui a changé, c’est qu’il y a plus de plastique, des couleurs pastels et le nom, aujourd’hui, on dit Pôle Psychiatrique. Quand on n’arrive pas à changer les choses, on change les mots, n’est-ce pas ?

 

 

 

Il y a eu un avant et un après hp. Vince Venckman, mon alter ego, commença a dévier vers son terrible destin, la rencontre verticale imprévue avec un piano à queue. Comme je l’ai mentionné avant, cela a modifié mon jeu, j’ai perdu la fougue irréfléchie qui lui donnait sa force. Depuis, je me sens encore moins capable de communiquer. Schizophrène, je ne l’étais pas, si quelque chose m’a brisé, ce sont les médications. On ne pouvait pas me soigner de ce que je n’avais pas. A prendre des traitements sans raison, on peut s’empoisonner, le premier étudiant en médecine vous le dira.  Cela n’aura fait que sceller mon dédain à mon ennui de notre société nationale. Finalement, comme dans la chanson de The Human Expression, j’ai recollé mon esprit en miette. Il est fragile et égrillard tel le son optique de leur chanson. Il n’y a pas que du négatif, en touchant le fond, j’ai pu y prendre appui, et remonter un peu vers la surface. Entre deux eaux, les poissons sont moins effrayant que ceux de l’abysse. La vie est une asphyxie, on ne crève jamais la ligne de flottaison.

 

Je ne sais pas combien de temps je suis resté. 15 jours ? un mois ? deux mois ? Tout ce que cela à fait, c’est m’abrutir au plus bas niveau, à celui d’un ouvrier de Metropolis, d’une ou d’un ado vissé à son smartphone, d’un adulte ivre mort, d’une masse gélatineuse, d’une mer tumultueuse, qu’on a fait bouillir jusqu’à évaporation. Il y a quelque chose qui cloche icu, et c’est la norme de notre civilisation.

 

Les bons sentiments du « tous ensemble » s’arrêtent sitôt le journal télévisé terminé et l’écran éteint. En public, c’est un discours qui donne bonne conscience, et on a une image qu’il est bon de présenter comme bienveillante. Mais en vrai… La plupart d’entre nous préfère esquiver les problèmes, et montre les crocs en aparté. Si je faisais l’erreur de dire que j’étais schyzo à un entretien d’embauche, qu’importe le cv, qu’importe l’expérience, on ne me rappelait pas. Étiqueté, marqué au fer rouge, c’était fini, j’étais un indésirable. La société joue l’empathie, mais les boiteux sont priés de se mettre dans l’enclot prévu à cet effet, en silence. Bizarre, je vois tous les jours des valides qui sont de gros boulets. Mes doigts commencèrent à me picoter, la RQTH permit de couler sur la maladie mentale une chape de fibromyalgie.

 

 

Il s’avéra que les voix n’étaient qu’un autre prémice de la sclérose en plaque. Les lésion que mon cerveau subissait les causaient. Elles s’en allèrent du jour au lendemain. On avait toujours trouvé ça étrange, que je me rendisse compte de ma propre folie. Ben voilà. Les savants s’étaient complètement gourés. Tous ces produits chimiques pour rien. Et pour l’instant, on ne savait toujours pas quel mal était en train de me ronger. Tout cela se passait pendant la période de temps que j’ai raconté jusqu’ici. Il y encore Phocéa Rocks à raconter.

 

(A suivre)

 

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