The Twelve Irish Tenors. Partie 1.

 Dans Mémoires de musicien
Vers 2007-2008, une société de production anglaise demanda à mon père si je serai d’accord pour faire le batteur dans l’orchestre decoratif de leur spectacle : les douze ténors irlandais. Il me soumit la proposition, c’était pour un coup d’essai au Sporting, je dis oui. Par courrier m’arriva un cd du spectacle et un tract. Le prospectus presentait le show. Douze fringants jeunes irlandais chantaient en chœur des airs traditionnels, O Danny Boy, des standards de Glenn Miller, Chattanooga Choo Choo, une version avec paroles d’In the mood, du bel canto, Funiculi Funicula, de l’Opera, Nessum Dorma, etc. etc. Comme d’habitude, j’écoutais le disque en boucle pour mémoriser mes parties, fastidieuse tâche, rendue encore plus ardue par le rendu dispositif de déplacement vertical des arrangements. Pour être plus clair, c’était de la musique d’ascenseur. Un truc stressant, c’est que le boulot n’était pas clair : est-ce que cela allait être en play-back ou joué pour de vrai ? Le flip m’entrechoquait les genoux, je potassais comme on révise pour le bac, dix minutes à fond, découragement, pipe à eau, soulagement, relativisation, retour progressif de l’angoisse, dix minutes à fond, ad infinitum… À la réflexion, je ne suis pas certain que tout le monde ait révisé son bac ainsi… Mais bref, avec labeur et déconcentration, j’apprenais péniblement mes notes au fil des jours. Entre deux crises d’anxiété, je me la racontais auprès de celle que je désirais. Et oui, quoi, j’étais un musicien professionnel rémunéré. Sarkozy nous mettait une grosse pression : si on ne travaillait pas, on existait pas. Mais si on n’aimait pas travailler, que faire ? Il n’y avait pas de cabine à suicide, comme dans Futurama.
Soyons franc, à la batterie, je suis pataud, emprunté, maladroit, fruste, brutal, la liste n’est pas exhaustive.
Un petit peu tout les jours, je bossais sur les pads de ma Roland, scruté par le guitariste de Rocket from the Crypt, les mecs de Pavement, et Tank Girl. Elle était sévère, avec un batte de baseball cachée dans le dos. Ils étaient tous bien plus libres et cools que moi. Ma flemmardise me happait dans ses tentacules. Même si ma vie en dépendait , je ne pouvais pas m’en dépêtrer. En authentique slacker des années 90, je ne peux faire quelque chose sérieusement que si on ne me demande pas de le faire. Je ne brqnlais rien, mais ca me travaillait. La nuit, la porte du tableau de Twin Peaks se fermait, les vannes à cauchemars s’ouvrait en grand. Pas d’aventures oniriques personnelles pour toi Vinzo, juste des rêves d’echec nul, de flingues qui ne tirent pas, de pantalons oubliés et de slips sur la tête en allant au lycée.
Le jeu du batteur sur le skeud, vraiment, je le detestais. Aucun automatisme que j’avais pu acquérir ne fonctionnait, le type jouait en suvant la Loi du Rythme, et je l’ignorais totalement. Incalculable, le nombre de fois où j’ai dû répéter un break de faisan pour le retenir. Et les morceaux jazz, n’en parlons pas, quand il faut etre ternaire, je suis léger comme une bétonnière. Je kiffe le hip-hop, je pense en boucles de deux mesures infinie, et suis hyper répétitif, inapte à l’improvisation.
Bon gré mal gré, les rythmes et les structures se creusèrent dans la matière molle de mon cerveau. C’était passable. Je croisai les doigts pour qu’il y ait des bandes enregistrées. Dans ce cas, je pouvais bluffer, et avoir l’air moins bidon.
Debarqué la veille à Monaco, je passais la nuit dans la maison paternelle. Difficile d’obtenir des informations auprès du patriarche, question interprétation. Sommeil en pointillé.
Les ténors avaient été programmé dans le cadre du Festival de télévision de Monte-Carlo. Les vedettes de séries, les réalisateurs, les scénaristes et les producteurs de l’industrie y convergeaient. Une sorte de Cannes, ou de Mostra de la lucarne. Il y avait donc un grand gala à la salle des Étoiles, avec mangeaille et saltimbanques. L’assemblée était donc composée de la croûte du gratin dauphinois, du point de vue des fans de Docteur House, de Greys’ Anatomy et de Jim Profit.
Arrivée en fin de matinée au Sporting. Les copains étaient là, Alex et le reste de la bande, en train de monter le plateau pour le soir. Bref moment de joie chimiquement répandue dans mon organisme, mais vite réfoulé par la direction que l’affaire prenait. Dans quelques minutes ce serait le moment de vérité : live, ou pas live ? Je suivais le backliner au niveau inférieur, là où le palais de la fête prenait des allures de bunker pour le jour d’après. Il y avait quelques câbles à descendre, une mixette, un lecteur cd. un haut parleur, et un ampli. Des câbles, toujours des câbles. Soupe de vermicelles de l’ombre. J’aidais mon collègue, direction la salle de répétition. Un grand espace tapissé de miroirs et de barres, que les troupes de danse de passage utilisaient. D’habitude, on y installait un petit système son, pour que les artistes puissent y travailler. Cette fois je faisais partie des servis. La porte ouverte, le matériel posé, je constatais que tout était prêt pour accueillir un ensemble réduit. Il y avait des chaises, un clavier, une batterie, des amplis, des stands guitare, violoncelle, des pupitres, et sur les pupitres, des partitions. Horreur ! Les miroirs me renvoyèrent le portrait en pied d’un guignol pétrifié, la face inexpressive et livide : moi. Des partitions, cela signifiait qu’il allait falloir jouer en suivant les lignes, les croches, les noires, les blanches, les soupirs, les charley ouverts et fermés, les descentes de toms et autres jongleries de bras. Et la blague, ami lecteur, c’est que les notes, je ne savais pas les lire ! Terreur.
Je saisissais la feuille qui m’était attribuée, rassemblais mes restes de méthode Agostini, et tentais de déchiffrer les symboles, en les parcourant du doigt lentement, comme un analphabète. Alors, le x, c’est le hi-hat, le rond en bas, la grosse caisse, quelques lignes au dessus la caisse claire… Le x avec un rond autour, charley ouvert ou cymbale crash ? Splash ? Ride ? Je ne sais plus… Bon, donc, là ça fait boum tchi, boum tchi tac, à moins que… Non, c’est tchi boum, tchi tac boum et aaaaAAAARRRGGGHH !!!
Je ne cillais pas d’un poil, sinon d’un sourcil, tel un vulcain de Star Trek, mais intérieurement, c’était l’alerte rouge. Je sentais mon sang bouillir, et mon coeur se prendre pour des castagnettes tombantes sur les barreaux d’une échelle. je fis un grand sourire débonnaire à Alex, lui tapotait l’épaule en le remerciant, yeux plissés et sourire replié comme un store, puis je prenais la direction du bureau paternel.
Au niveau de la régie, je tombais sur Mau et lui.
-Pap…Papa, je vais pas pouvoir le faire.
-Meuh non, ça va bien se passer, allez viens, on descend.
Gasp. Encadré de mon vieux et de Mau, il fallu reprendre l’escalier en spirale, qui me semblait mener à des catacombes de torture. Au murs pendaient les chaînes et s’entassaient les crânes des victimes antérieures, des rats visqueux longeaient les plinthes, une goutte d’eau, inlassablement, se dupliquait, quelque part dans les ténèbres que les torches ne pouvaient vaincre, et le bruit de sa chute résonnait à perte d’oreille, le contact avec la flaque s’amplifiant d’un echo assourdissant.
Les zicos étaient arrivés entre temps, des anglais joviaux qui me saluèrent le plus sympathiquement du monde. J’allais m’asseoir à la batterie. Mau m’ajusta la hauteur des fûts et des cymbales en plastique. Je voyais ses lèvres articuler des phrases, « est-ce que c’est assez bas ? est-ce que c’est assez haut ? est-ce que tout est bon ? » mais dans ma tête je n’entendais que : « tu ne vas pas y arriver, tu ne vas pas y arriver, tu ne vas pas y arriver, tu ne vas pas y arriver, tu ne vas pas y arr.. »
Je me suis levé d’un bon, ais commencé de partir. Mon père m’a arrêté dans mon mouvement en m’attrapant par le bras.
-Hé, qu’est-ce qui ne va pas ?
-Jenevaispasyarriver,jenevaispasyarriver,jenevaispayarriver, sifflais-je entre mes dents.
-Mais pourquoi ?
-Je…ne…sais…pas…lire…les partoches.
-Detends toi, fils, c’est juste un filage. C’est en play back.
-Ah bon ?
-Ben oui.
-Mais… et les amplis ?
-C’est pour si vous voulez faire mumuse avec après.
-Aaah… Ooookkk…
La vapeur est sortie par mes oreilles avec un bruit de chuintement. Agréable sensation, ce dégonflement me regonflait. Je me rasseyais.
En effet, le « chef d’orchestre », un type rondouillard au regard coquin, qui s’occupait de surveiller la troupe, mis un disque compact sur la langue du lecteur, la rentra dans la bouche de la machine, et une mélopée lisse s’évapora par l’enceinte. C’était la bande son que j’avais reçu. Je mimiquais la musique de salle d’attente. Les autres firent de même, plaquant leurs accords sur leur cordes, qui tintaient de toute leur faiblesse de fil de fer ou de boyaux. On ne me fit aucune réflexion, on verifia juste que chacun faisait semblant avec suffisamment de conviction sur tout les morceaux du spectacle. Je passais le test. Ouf. Le temps était venu de fumer des clopes dehors, et de boire des sodas dans les loges. Quel bonheur d’avoir la conscience soulagée, j’étais près à arnaquer les gens avec le sourire.
Le guitariste et le bassiste était vraiment sympas. On avaient le même âge, ils étaient gouailleurs, delassés, et plein de blagues pipi-caca.
Nous étions dans une pièce séparée des douzes ténors. Les stars, c’était eux, deux packs de six de jeunes hommes fringants.
Pour une fois, je profitai du statut d’artiste, les habilleuses étaient contentes de me voir. J’étais mort de honte qu’elles soient aux petits soins pour moi.
Dans l’après-midi, on a fait une courte répétition, en smoking. Les ténors sautillaient sur scène comme des lesprechauns, enchaînant les entrechats et les choubidouwahs. Eux aussi étaient en playback, enfin, il y en avait un différent à chaque morceau qui avait le micro d’ouvert, c’est à dire qui chantait vraiment au milieu des voix sur bandes. Pour être poli, tout cela ressemblait beaucoup à de l’onanisme decomplexé.
Maintenant que j’étais au front, je me rendait compte que mes comparses et moi n’etions qu’un décor animé. Dans le fond, j’étais vraiment bien caché. La planque ultime. Bon, on était loin des Pogues question Irlande, mais j’étais bien tranquillou là, en fait. Tout ce mouron ppur rien !
On a passé le reste de la journée ensuite.
J’ai fait la bouche en cul de poule et suis moi-même allé de mes vannes graveleuses. J’avais tellement envie d’être avec des gens qui m’acceptassent. Pour une fois, les britanniques ne me considérèrent pas comme un bizarro, c’était de joyeux lurons, sur la route du « further » (plus loin). Le bassiste était un rude gaillard, amical et sans façon, le guitariste étant l’ancien figurant batteur. Il jouait bien mieux que moi. Son nom était Neil Tit, Neil Nichon,  mais ce nom de famille semblait une malice fomentée par Neil lui même. Les deux me prirent en sympathie, et nous attendîmes l’heure H tandis qu’ils me racontaient des anecdotes cocasses sur les ténors. C’était de bons bougres, mais aucun d’entre eux ne venait du pays de la lyre Celtes. Ils étaient Anglais, Américains, Écossais, encore une duperie. Je ne comprendrai jamais pourquoi les gens ne s’offusquent pas de l’illusion du spectacle, je crois que je suis un trisomique qui s’ignore. Quand on m’affirme quelque chose, c’est vrai, sinon, c’est un mensonge, logique non ? Alors pourquoi tout le monde se fiche de ces accumulations quotidiennes de tromperies, certes futiles, mais fourbe quand même. Beaucoup de personnes que je croise se parent d’integrité et de vertu, mais à quoi, bon alors, si des qu’il y a possibilité de gruger, ils le font ? Une petite entorse arrangeante ne les dérange jamais. Si je comprends bien, on peut accepter volontairement de se faire arnaquer. Je crois que je viens de définir la notion de spectacle à mon insu. Passons, de toutes façon, je ne trouve pas mes mots. Je suis juste un inadapté, voila. Mais c’est quand même gonflé d’inscrire «Live in concert «  si ça ne l’est pas. J’entends la notion de suspension de l’incrédulité, pas de problème. Mais là on parle quand meme de l’Irlande là, un pays ca se respecte. Qui plus est, faire incarner des irishmen par des types de l’ile d’en face, qui leur ont tapé dessus pendant des siècles, c’est certes du mauvais esprit, mais bon, hein ? Alors ?
Mentir sur la qualité du produit pour un dollar rapide, bof. Je n’en demeure pas moins fasciné par toutes ces faces à double, triple, quadruple visages. Nous, l’humanité de l’occident, du royaume des morts, avançons munis de multiples masques. C’est dans les coulisses de l’art qu’on les voit le mieux changer, ou sur le banc de touche que j’occupe dorénavant.
La soirée venue, les discours et les auto congratulations achevés, nous prîmes place sur le titanic. Derrière le rideau, une voix étouffée annonçait l’arrivée du divertissement. Simultanément, Les ordres partirent dans les talkies, la mécanique cliqueta, le plateau grinça, s’ébranla, avança comme un monstre inéluctable. Les tentures s’ecarterent. Musique. Action. Gesticulation.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la sauce prît. J’aurais pensé que tout les spécialistes du déguisement ici présent, ces acteurs, ces producteurs, ces menteurs professionnels, resteraient de marbre devant le show ringard, il n’en fut rien. Tous jouait le jeu, applaudissant, sifflant, riant. Pour la peine, leur incrédulité était totalement suspendue. Le vin devait les avoir grisés, à moins que je ne fus qu’un triste cynique sans coeur. Mais pour paraître, on ne recule devant aucun compromis, quitte à se dandiner en costume de manchot empereur, n’est ce pas. C’était étrange de voir un public m’ovationner, alors que je faisais semblant. Il n’entendait qu’une piste audio jouée sur une platine.
Alex et Tatie Daniel, eux, m’entendaient dans les retours. Ils se gondolaient, je jouais comme une pastèque. Mais le public, lui, était totalement attrapé. Quand on a attaqué « Twist and Shout », les tablées se sont levées, et tout le monde s’est mis à twister. Vu la nature de l’événement, il y avait des tas de comédiens et de comédiennes, qui se sont empressés de placer leurs meilleurs pas de danse. De loin, je les voyais fourmiller et se tortiller, oublieux d’eux même. J’ai fait danser le bougalou a ice Cube. Fierté, tchyavu ?
Tout se déroula pour le mieux. La productrice du show était contente de mon « travail ».  Elle me demanda si cela me plaisait. Fallacieux, je repondis « oui,oui ».   La petite voix dans ma tête, elle, tenait un tout autre discours, un discours qui m’enjoignait à retourner dans mes caves interlopes et à combattre comme l’authentique artiste maudit que je voulais devenir. Pas de triche, pas de privilège. Du sang, de la sueur, et des larmes.
« Mais tu va le prendre cet instrument ? disait elle, et le faire gravilloner, et creuser des sillons dans le sol, et faire gicler le sang ? Ce dont tu as besoin c’est d’ejaculer tes frustrations par tout les trous, spasmodique comme la créature de Frankenstein frappé par l’eclair, et ressentir la vie a l’intérieur de toi, nom d’une grenouille en polystyrène ! »
Ce dont je m’acquittais, avec plaisir, entouré du gang des Nitwits. Entre temps, je devenai bouquiniste, et travaillais dans un petit magasin du Cour Julien, avec Richard et Olivier. Tout les jours amenaient leur lot de fatigués, du type qui vient tester son sèche-cheveux, à celui qui demande à pouvoir faire une démonstration de nunchaku. C’était somme toute un petit monde agréable, qui aurait pu servir de toile de fond à un roman/film comme Smoke, Brooklyn Boogie ou Clerks. Et puis, je croulais sous les livres, souvent bizarroïdes et distordu, que demander de mieux. Cette année passée là  meriterait une narration à part entière. J’y bossais un an, avant que la crise (et mon inaptitude au commerce) n’ait raison de nous. Les clients ne venaient plus que pour nous vendre leurs bouquins, parfois avec leurs plus précieuses possessions, pour pouvoir boucler leurs trente derniers jours du mois. Richard parti tenter sa chance du côté de Millaux. Olivier remua ciel et terre pour sauver le magasin. À la fin de l’été, il m’annonca que nous entamions nos six derniers mois ensemble, qu’il raccrochait, et me conseilla d’appeler le patron de la franchise (car notre enseigne de livres d’occasions était une franchise) pour voir à continuer. Celui-ci ne retint pas ma candidature à la reprise de l’echoppe, car mon theme astral ne collait pas. Ceci est authentique.
En novembre, la société de production m’appella. Elle me proposait une tournée d’un mois, en décembre, au Pays-Bas. Ayant a la fois envie de voir un peu de pays, et de fumer légalement de la bonne beuh transgénique, cultivée avec amour pour envoyer le consommateur dans l’espace, j’acceptai bien volontiers. Olivier me laissa mon ultime mois de service. Au point où en était, ma présence ne changerait pas grand chose au destin de la librairie. Je me mis à réviser le set des ténors.
(à suivre)
Articles récents

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
%d