Saisons monégasques 2005-2012. Partie 2

 Dans Mémoires de musicien

Après cette mésaventure, la honte me taraudait. Nul j’étais, certes, mais ma lâcheté me travaillait. Avec un peu d’abnégation, j’aurais pu m’en sortir. Aussi, l’année suivante, la gorge et l’estomac noués, j’acceptais de retenter une nouvelle fois ma chance. Mon père pensa qu’il serait plus sympathique, à mon âge, d’avoir mon indépendance. Riche initiative, je n’aimais rien mieux que cela.

On me plaça en logement social. La phrase peut prêter à sourire, mais cela existait à Monaco, pour les saisonniers. Un petit immeuble tout frais sorti de la roche, à deux pas de la frontière est du pays. Concrètement. On pouvait se tenir une jambe en France et une chez le sire de Matignon. En face une petite plage, traversé la route, ne prêtait aucune attention aux fondations du Monte Carlo Bay surgissantes de la mer, comme une carcasse de megalodon. Passé le chantier, le Sporting était à deux cents mètres.

En ces lieux, je fus acteur de la justice a deux vitesse. Lorsque je sortais de mon trois pièces, le premier jour, le concierge m’interpella dans le hall. Je paraissais suspect. Il me demanda mon identité. Je répondis que j’étais Vinzo X… « X ? » répéta-t’il, « comme monsieur X ? » « Tout à fait, c’est mon père » rétorquais-je. Le concierge changea complètement. Il s’excusa de son attitude, et me laissa tranquille. Avantage amusant que d’être le fils d’un Jupiter, mais quand même… La rapidité à laquelle on peut passer du statut de quidam louche à celui de noble favorisé, et inversement, de celui de privilégié à celui de manant, m’a toujours confondu. Cela en dit long sur le regard porté sur son prochain. Si je m´était montré arrogant et dominateur, le domestique se serait courbé sans moufter devant mon pouvoir. Mais de quel droit ? A cause d’un titre possédé par un membre de ma famille ? Je croyais que c’était la valeur personnelle qui générait le respect. On ne se balade pas avec notre cv sur le front. Le monde est cruel, et c’est ainsi. Je suis faible par nature, ma chance aura été d’être né bien placé, pendant une durée limitée. La société homo sapiens est fourbe. Dès qu’elle a le dos tourné, elle redevient impitoyable, et ne tolère pas la fragilité. En fonction des critères du moment, elle élimine ce qu’elle considère défectueux. Hobbes est désespérant, mais il n’a pas tort, nous sommes sans cesse en guerre contre tout un chacun, pour pouvoir tenir les commandes de ces grosses bêtes qu’on nomme la famille, la cité, le pays, l’humanité. Alors oui, j’avais de la chance, mais la chance est une chienne arbitraire.

À partir de là, ça s’est beaucoup mieux passé. L’équipe ne m’était plus inconnue, il y avait de nouveaux visages, je n’étais plus tout à fait un bleubite intégral. Thomas et Philippe étaient les recrues de cette année. Thomas avait le même profil qu’Anthony, école d’ingé son, mais il était avant tout fan de reggae, tendance The harder they fall, avec Jimmy Cliff. À vingt-trois ans, déjà mature dans sa tête, réactif, intelligent, il se retrouvait avec un boulot de rêve.

Philippe était plus âgé, la trentaine tardive. Comme Guy, il était à fond dans son office, mais possédait un humour à contre temps qui nous faisait tous rire. Monac’ c’était pas trop son milieu favori, mais il était là, et faisait son job avec conscience.

Il y avait également Guillaume, qui était stagiaire. De mon âge, il avait son propre studio chez lui, au Cap d’Ail. Dégaine et verve de surfeur, j’en reparlerais un peu plus tard.

Kevin et moi avions changé de section. Nous étions désormais backliners, c’est à dire en charge des instruments de musique possédés par le Club. Nous devions toujours monter les plateaux avec les sondiers, mais nous n’étions plus tout a fait sous leur commandement. Soulagement pour eux, il n’avait plus à confier certaines tâches délicates, fastidieuses à expliquer, à des chatons turbulents.

Notre mission supplémentaire était de tenir à l’abri dans une cage tout le matériel sonore que nous possédions : les guitares du groupe maison, une batterie, des amplis, des jacks, des prises électriques, des câbles xlr, des stands, des pupitres, des cordes de grattes… Nous étions en charge du matériel qui arrivait sporadiquement pour telle ou telle dates, à nous d’assembler les percussions, les drum kits, les claviers, avant que les saltimbanques n’arrivent.

En cette première année, ce poste était une sinécure. Mettant mon temps à profit, j’apprenais petit à petit le métier. Je résolu d’arrêter mes jactances de jeune adulte mal dégrossi, pour me taire et écouter.  Je n’étalais plus mes préférences musicales, je ne contredisais plus, je n’émettais plus d’avis d’expert, alors que je ne savais rien, je ne critiquais plus un seul artiste, ni groupe, ni genre. Même Tatie Daniel s’en rendit compte, et approuva mon attitude. « Prends exemple sur Vinzo, Kevin. Lui, il écoute ! »

Pultarque avait raison, il y a une manière d’écouter, qui est plus que nourricière pour un esprit encore malléable et enclin à recevoir un enseignement, si on sait faire la part entre l’utile et le malhonnête. Bien m’en prit. En un an, même si je ne comprenais pas encore tout, je savais au moins à quoi je servais : pour une fois, à quelque chose. Le jargon rentrait.

La jeunesse est obtuse, fonce sans regarder. J’étais persuadé d’être environné d’incultes. Ignoble courge prétentieuse et aveugle, regarde donc devant toi ! Il y avait un mot d’Henry « Black Flag » Rollins placé bien en évidence devant les bureaux de la régie : « Ecoute le régisseur et monte sur scène quand il te le demande. Personne n’a le temps pour des conneries de rock star. Les techniciens en coulisses n’en ont rien à faire que tu sois David Bowie ou le laitier. Quand tu te comportes comme un imbécile, ils ne sont pas impressionnés par ce comportement infantile que tu estimes digne de ton statut douteux. Ils étaient là des heures avant toi à monter la scène, et ils seront là des heures après, pour la démonter. Ils devraient toucher ton salaire, et toi le leur. »  J’avais l’impression d’entendre sa voix s’adresser à moi.

De surcroît, cet été loin de la maison était un prétexte idéal pour stopper momentanément la fumette. Un arrêt définitif demeurait hors de question, mais une cure nettoyante de deux mois ne présentait que des avantages. De retour, ma pratique de batteur serait revitalisée, et mes idées se seraient éclaircies. Il faut dire qu’avec Scoff, on atteignait à l’époque des paroxysmes de défonce. Lobotomisés, nous restions stupéfaits pendant des heures devant la télé, à baver et à marmonner des monosyllabes du style « beeeeeuuuu » ou « gaaaaah ». Ces pratiques ne tendaient pas vers l’avenir.

Guillaume, avec qui je partageais des goûts similaires en musique et en lecture, me proposa de venir chez lui, un soir. J’étais en train de lire Ulysse, de James Joyce, lui avait calé. Trop long. Voyage au bout de la nuit, nous l’avions lu tous les deux, et étions devenus de fervents racistes. Je plaisante. Nous étions devenus pacifistes après la lecture de ce brûlot contre la guerre, n’en déplaise à ceux qui juge une œuvre sans l’avoir lue. C’est en lisant ce livre d’un sale collabo que j’ai compris pour de bon que nous étions tous humains, et par conséquent, tous frères et sœurs. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Il m’emmena sur son Africa Twin jusqu’au Cap d’Ail, une commune française collée contre la principauté. Il n’y avait pas de cale pied à l’arrière de la bécane, mes semelles raclaient l’autoroute et ma peur, le plafond du tunnel Rainier III.

Son père était artiste et habitait une villa construite sur un terrain en escalier. Comprenez bien : il y avait trois terrasses, et une bicoque par niveau. Guillaume logeait dans celle tout en bas. Une baraque coupée en deux parties. On entrait par un salon-cuisine américaine, marquant le centre de l’habitation. A droite, chambre, salle de bain. A gauche, un studio d’enregistrement complet, avec cabine et plancher surélevé ! Un truc dingo que seul peuvent se permettre les gens aisés. C’était épatant, mais en mon fort intérieur, je me disais « avec les potes on enregistre du bon son avec trois bout de ficelles dans notre local. C’est qui, les vrais ? », mais je digresse.

« Tiens » me dit mon hôte en me tendant un bong gigantesque, déjà rempli de sa capsule. Après avec tiré une douille d’anthologie, mes bonnes résolutions disparurent avec la fumée expectorée par mes bronches. Tant pis pour l’abstinence, ce serait pour l’année prochaine.

Je passais une super saison, à me charger la mule dès que possible avec Guillaume, en écoutant Gong et en essayant de convertir ses potes à la no-wave, complète inconnue de ceux de ma génération à cette époque. Parfois Anthony et Thomas venait, et on boeuffait dans le studio jusqu’à l’aube.

D’autres fois, après une longue nuit de labeur, tous les sondiers allait manger un morceau à Fontvieille, le quartier populaire de Monaco. Oui, à part les milliardaires étrangers, le prince à de véritables sujets, de petites gens humbles, simples, et laborieuses, comme la majorité ded petites gens du monde entier. L’atmosphère d’ancien comptoir phénicien me rappelait ma chère Marseille. Hubert m’emmenait sur sa Triumph monstrueuse. En une seconde, plusieurs litres d’anxiété déversés dans la coupe de la vitesse, je mangeai une pizza nocturne avec les collègues, parmi les auréoles dorées de l’éclairage public, les feux rouges crus, les feux verts éthérés et les enseignes électriques. Les revêtements routiers brillaient comme si on les avait saupoudrés de diamants. De temps à autre, je montais manger chez mon père, avec Marie et mes sœurettes, il y avait du temps à rattraper. Il y en avait trop. On n’a jamais pu tout récupérer. Guillaume, je le retrouvais des années plus tard, au commande de l’enregistrement de l’album du groupe de mon pote Flo, Startrucker.

L’année suivante, j’étais pratiquement autonome. Lire un plan de scène, fastoche, brancher le bazar, fastoche, commander des cordes à Pilou, euh… Mon pouvoir de backliner avait ses limites. A mon arrivée, il y avait tant de matériel, tant d’accessoires, de médiators, de baguettes, de cordes de ré, etc. etc. Ok. Mais ces divers objets consommables, justement, ils se consommaient, et quand François, le guitariste du House Band, venait nous voir car il avait cassé un fil d’acier pour la cinquième fois, Kevin et moi étions bien embêtés. Il n’y avait plus de ressources. Aussi j’appelais Pilou, qui apportait souvent du backline, pour qu’il me dépanne en jeu de cordes. Pardon Pilou, je te harcelais.

Arriva alors Mau. Maurad Azougi, un pote de toujours de mon père, avec qui il avait affronté toutes les tempêtes, du temps de Vienne et de Grenoble. Si mon père avait été Monkey D Luffy, Mau aurait été Zoro. C’était le grand maître de l’équipement sonore, doublé d’un bassiste hallucinant. Il n’y a pas d’autres mots. Il existe des basses à son nom. Mau était un golgoth, gros, grand et costaud. Quand il prenait une basse, elle avait l’air toute petite, et quand il la faisait claquer, elle chantait comme si Marcus Miller ou Les Claypool l’avait tenu. Je pense que s’il avait rencontré Flea, il l’aurait mangé. Comme ça. En une bouchée. Mon vieux le fit venir, histoire de rationnaliser un peu ce fouillis et parce que, l’aimant beaucoup, il ne pouvait pas se passer de lui.

Enfant, je l’avais connu avec une tignasse bouclée, jovial, faisant pirouetter en riant une minuscule Alison de trois ans. Dorénavant il avait la boule à zéro, l’air bougon, ce qui lui donnait un aspect encore plus impressionnant.

Mau opéra un changement radical, fit aménager une pièce au troisième sous-sol pour emmagasiner un véritable parc d’instruments en tout genre, de pieds, de cymbales, de peaux, de cordes, qu’il fit venir spécialement. On avait tout, même un vibraphone: Suivant les demandes, il commandait à la volée des produits spécifiques, un piano électrique dernière génération, ou une contrebasse de deux cents ans. La cage devint le réceptacle des objets dont on aurait besoin semaine après semaine, nous la vidions et la remplissions souvent. C’était ardu, mais nous avions toujours un coup d’avance. Le général qui gagne possède toujours un coup d’avance. Et le responsable du backline était un grand général. Le malheureux Mau, qui vivait maintenant dans le même appartement que moi, travaillait sans repos. Je le voyais bricoler des fichiers Excel immenses en fumant clope sur clope, la sueur aux tempes. Il se donnait du mal pour que tout soit nickel, et résultat, tout était nickelissime. On a dû filer droit direct, Kevin et moi. Mau m’épargnait un peu, car même si j’étais un nigaud patenté, j’étais le fils de son frère de sang, mais Kévin, au contraire, se prenait tout dans la face. Les coups de gueule, les engueulades du farouche Maurad étaient terribles. Pour nous annihiler, il n’avait qu’à s’asseoir sur nous, il pesait plus de cents cinquante kilos, on aurait pas fait un pli.

Je crois que cette année j’ai eu un ticket avec une habilleuse, mais je ne comprenais rien. Ma réceptivité des signes de la séduction étant digne d’une casserole. Elle était magnifique, comme l’ébène dans lequel elle avait été sculpté. Les derniers jours du festival, avec elle et d’autres employés, nous nous étions accaparé la salle des Étoiles vide, et nous avions balancé du son dans le système audio. Du matos de première, à plusieurs millions d’euros. J’ai passé Nitwits et Crumb sur les hps en forme de bananes de la façade, trop marrang. Alors que nous dansions, elle me dit d’un ton sucré, « Oh, Vinzo, pourquoi n’est tu pas venu frapper à ma porte ? » Elle habitait l’appartement à côté du mien. Je n’étais pas venu toquer, parce que je ne souffrais pas d’avoir un comportement cavalier avec qui que ce fut, et surtout, j’étais plus idiot qu’un caillou puceau, je n’avais rien vu venir. Histoire sans intérêt, mais comme l’érotisme ne sera pas un élément prépondérant de ces mémoires, je me permet de rapporter les rares miettes dont je dispose. Excusez-moi, lecteurs.

2008 ne me voyait pas au Larvotto, je larvottais à l’hôpital Saint Joseph, comme raconté ailleurs.

Mon contrat terminé, je revenais l’année suivante. L’infortuné Kevin en avait eu assez de subir les ires de Mau, il était parti. Je me demande s’il a continué Delightful Bliss, son groupe de métal. Sinon, il doit encore jouer de sa guitare, je l’espère.

Guillaume n’était plus stagiaire, signifiant la fin des banquets de bongs. Tant pis, j’apportais régulièrement un peu d’herbe pour pouvoir méfu tranquille de temps en temps.

Au backline, je faisais la connaissance d’Alex, un jeune batteur, qui venait d’être engagé. On sympathisa très vite, partageant de nombreux goûts commun, que ce soit musicaux, télévisuels, cinématographiques, ou vidéoludiques. Au début, il énervait beaucoup Mau, qui l’accablait de tous les maux, de ses gros mots de Mau. Notre statut de sous-fifres cimenta notre alliance, et malgré, ou à cause, de l’autorité tonitruante de notre patron, nous devînmes bon à la tâche, surtout Alex. Dans le véhicule utilitaire qui nous servait à trimballer des objets du point A au point B, on chantait « Backliners! » sur l’air de Ghostbusters. On installait des scènes partout dans la principauté. A l’Opéra, , j’ai entendu crier de joie les moguls qui avaient eu de la veine aux tables de jeu.

Combien d’heures passé dans le magasin d’instruments, à nettoyer des pieds de cymbales déjà rutilants, au milieu des odeurs de moquettes, de fast-fret et d’égout (les tuyaux du Léviathan traversaient le plafond nu) ? Beaucoup. Ponctué de petites aventures. Chercher au dernier moment du matos oublié, faire passer des flycases à roulettes dans un minuscule ascenseur, pour les rouler avec une discrétion de ninjas, au nez et à la barbe des spectateurs qui arrivaient en Lamborghini devant l’entrée principale, transporter des Ampeg gros comme des frigos dans les escaliers, se chamailler avec les machinos impatients de passer la cireuse et préparer l’entrée gala. Pendant notre temps libre, nous montions une batterie et nous montrions chacun des plans rythmiques. J’apprenais beaucoup à regarder les musiciens, j’apprenais tout en étant dégoûté de mon impossibilité à atteindre ces niveaux de batterie himalayens. Néanmoins, je revenais au local boosté, plein de nouveaux atouts dans mes manches

Au S-Club, J’allais en jouer dès que possible, pour ne pas perdre la main avec les Nitwits. J’étais pressé de faire des concerts avec eux, de faire des copeaux de mes baguettes 5B. Travailler dans le spectacle, c’est la pire situation pour un artiste : il n’a plus le temps de pratiquer son instrument, et comme il bosse de nuit, il peut oublier ses propres shows. Deux mois de ce régime tous les ans était plus que suffisant. Un plan d’enfer, en soixante-deux jours je gagnais de quoi payer mon loyer pendant un an à Marseille, tout en continuant de me grattouiller l’entrejambe, un spliff dans la bouche et une manette en mains.

Il y eut Julien, juvénile stagiaire à la voix grave. Surdoué de la six cordes qui se préparait pour Berklee, la prestigieuse école pour virtuose. Il mouchait des soli malmsteeniens à la diable, et il était très drôle. Je l’ai un peu converti à la musique mal élevée grâce à Zeke, avec leur musique monotone sous speed et la gratte qui fait des embardées héroïques. Je tentais Double Face de Nitwits, il apprécia le solo de guitare détraquos de Ritchie. C’était super de voir un petit génie grandir, curieux de tout, j’espère qu’il est devenu grand.

Quelques anecdotes encore. Thomas, le jeune ingé, s’est mis à la coke. En moins d’un mois, de très rapide et efficace, il est devenu très bête et suffisant. Il se tapait des lignes de chemin de fer dans la Grotte, puis courait dans tous les sens sur scène, admonestant tout le monde. Il savait, pas nous. Amouraché d’une musicienne de l’orchestre maison, c’est devenu la spirale à la Oliver Stone. Puis pendant trois jours, on ne l’a pas vu se pointer. Inquiétude et appels téléphoniques dans le vide. On a fini par le réveiller. Il avait dormi trois jours, après 76 heures de beuverie non-stop. Autant vous dire que le pouvoir d’en haut n’a pas apprécié. Viré aussi sec. Dans le Sporting, je l’ai croisé alors qu’il venait rendre les clés. Il s’était rasé le crâne, portait un sac à dos, un étui à guitare au bras. Ça sentait le départ vers une longue résurrection mystique. Je ne l’ai plus jamais revu. Pauvre Thomas, peut-être avait-il eu un trop bon jeu au départ de l’âge adulte, un boulot extra, un avenir tracé dans un milieu excitant, et ne s’était pas rendu compte qu’il s’approchait trop du soleil ? Qui suis-je pour juger. Je regrette le Tom malicieux et plein d’initiatives, qui l’année précédente, nous avait persuadé de monter un groupe, les habilleuses au x chœurs, Anthony et lui aux guitares, le bassiste du house band, un machiniste fan de Johnny au chant, et moi à la batterie. On avait enregistré un morceau bouffon en piquant un micro à droite et à gauche, en squattant un bout de studio ou la Grotte. C’était une chanson à la gloire de Lolo, un machino. Complètement bancal et compréhensible uniquement pour une poignée de personnes, mais c’était fendrad. Pour toi aussi, Thomas, j’espère.

Au fil des éditions du Summer festival, l’équipe me devenait familière. Ivan, primesautier comme Pirlouit, rejoins l’équipe des sondiers, je m’entendais bien avec Jean-Charles, Salvator, François, en fait, tout le monde. Honte à ma mémoire de ne pas me rappeler de tous les noms. Heureusement, on me les rappellera quand je publierai ces lignes. C’est l’avantage de raconter ses souvenirs, ça les rappelle à d’autres, qui s’en souviennent mieux.

Avec Alex, on faisait une bonne équipe. On a fini par digérer le travail, on a gagné en assurance, on s’est habitué à Mau. La routine s’est substituée à la peur. Aller au charbon sans la boule au ventre, c’est en général bon signe. C’est devenu juste cool. On se ferraillait gentiment quand, par miracle, on avait le droit de tester pour le sound check une batterie pantagruélique qu’on venait de monter. Alex jouait grave bien. Méga batteur de métal, il me montra des astuces de MAO excellentes. Pour ma part, je suggérais à Anthony, qui cherchait à monter un combo, de le prendre. L’alchimie a fonctionné. Ils ont formé More Than Monkeys, et ils ont déchiré la région.

Un de nos rôles principaux consistait à bichonner la scène latérale, sur laquelle reposait un piano à queue, des claviers et les amplis de l’orchestre. Chaque jour, nous sortions les instruments de leurs étuis, les accordions si besoin (c’est une tache dont Alex se chargeait, il savait jouer de la gratte, je n’ai jamais été fichu d’accorder une guitare), les disposions sur leurs présentoirs, afin que les artistes n’aient plus qu’à les saisir quand ils arrivaient. On mettait des piles neuves dans les micros et les dispositifs en nécessitant. On vérifiait avec l’ingénieur retour, que ceux-ci fonctionnaient tous, en envoyant du bruit blanc dans chacun d’eux. Quand cela était nécessaire, nous changions les peaux de toms, passions un coup de chiffon dessus. On nettoyait le piano pour effacer les traces de doigts. Tout devait être rutilant. Des fin d’après-midi passés à ça, en écoutant la radio Wefunk pétarader par l’enceinte anémique de mon smartphone…

Qu’ils étaient agréables, ces moments à tuer le temps en fumant des clopes devant l’entrée, semblable au pavillon d’un coquillage, et le parc planté de pins, tripotant machinalement nos badges de techniciens autour de nos cous, à regarder Arthur le canard caguer en cancanant, que les machinistes nourrissaient avec une constance maternelle. On attendait les groupes, on tchatchait en angliche avec leurs roadies. Sous le vrai soleil, on oubliait nos journées souterraines éclairées artificiellement, et les nuits illuminées par des astres de substitution. L’obscurité rodait près des voitures de sport. Cela devenait douillet, agréable comme une vie de famille. Je me souviens des siestes de marin faites après le déjeuner, du festival international du feu d’artifice, de Pamela Anderson saoule, dansant seins nus à sa table devant Elton John, ainsi que des techos tout ébaubis et qui tombaient des nues, en se relayant l’infos par talkies interposés, des danseuses qui se changeaient à toute hate en coulisses et que les habilleuses aidâtes avec la célérité d’agents d’un pit-stop de formule 1, des festivités privées, de la bar-mitsvah où le devenu adulte jouait d’un piano qui s’envolait, tracté par des machinos, pendant qu’Enrico Macias et Patrick Bruel, en personne, braillaient, des anniversaire de magnats russes, de la panthère du magicien enfermée dans une cage à peine plus grande qu’elle, des mariages de familles nanties, des déroulés d’évènements précis à la seconde près, des coups de bourre épiques pendant le bal de la Croix Rouge, où on bossait quatre-vingts heures en quatre jours. La fête ne commençait que lorsque Son Altesse Sérénissime arrivait, ça finissait toujours plus tard que prévu. Des animateurs célèbres venaient toucher un bon cachet pour présenter une tombola où des personnes exagérément friquées et parées de bijoux gagnaient des rivières de diamants. On persiflait qu’ils auraient dû gagner un enfant de pays en guerre, ou un assortiment de chaussettes Sloggi. J’ai vu cote à cote Adriana Karembeu, et Victoria Silvstedt, la différence entre le véritable et le plastifié. Le véritable l’emporte, sans photo-finish. Souvenir de nos poilades et de nos facéties derrière la console retour, soir après soir, du déroulement rituel des nuits de spectacle : mise en place entrée gala, qui se faisait par la scène, entrée des clients, nos commentaires sur eux en pouffant, fermeture entrée gala. Le rideau se fermait, les machinos débarrassaient le tapis rouge et les plantes vertes, le groupe à domicile montait sur la scène latérale, les habilleuses disposaient des bouteilles d’eau à chaque poste, la mise en branle du bidule, dont j’accompagnais les câbles en imitant Tarzan, les dernières vérifications, le responsable qui s’assurait que les zicos étaient prêts, l’équipe technique se cachait en coulisses. Alors, le régisseur demandait à la console façade l’autorisation de donner le top, top musique, top rideaux, les rideaux s’écartaient, et roulez jeunesse. Protocole de lancement de fusée ou de torpille de sous-marin . C’était la première division du divertissement.

Parfois, après une rude journée, on allait boire un verre au Jimmy’z. Le genre d’endroit où  Bob Sinclar et David Guetta venaient brancher une clé USB dans la sono, puis faisaient du vélo sans selle On était trop crevé pour faire rien d’autre qui siroter une boisson et rentrer, mais pendant ces minutes fugaces, je percevais un monde bizarre, éloigné, qu’on ne voyait qu’au détour d’un film ou d’une série : le monde des riches. J’y ai vu des femmes incroyables, les plus belles de la création, la plupart du temps au bras de messieurs très vieux, ou très gras, ou très rassis, et très blindés de thunes. De temps en temps, en fin de saison, les machinistes faisaient des barbeucs sur la partie de toit où débouchait leur vestiaire. Il fallait faire attention, car quelques pas plus loin, c’était la zone interdite. Les mouettes nichaient par-là, il fallait mettre un casque pour aller dans ces parages, sous peine de se faire mitrailler l’occiput par des becs énervés. Du nuage de mes réminiscences pleut des rires, de la camaraderie et un bien-être fugitif. De l’éternel qui n’existe plus.

Après cette description, je voudrais vous parler de l’orchestre à résidence. J’ai connu deux formations. D’abord, il y a eu l’ensemble François-François. Ce sobriquet leur avait été attribué par les sondiers, du fait que le pianiste et le guitariste portait le même prénom. Wizz. J’ai logé dans le même hôtel qu’eux pendant une saison. Un matin, je croisais une des instrumentistes. « Dans quel chambre loges m-tu ? » me demanda t’elle, mutine. « La tant » répondis je. « C’est bon à savoir… » conclut-elle en souriant. Le batifolage se termina là, moi toujours balourd et incapable de saisir un indice. Souvent, au lever du jour, je l’entendais crier des airs d’opérette, derrière la porte jouxtant la mienne. Une autre des artistes fut celle qui tortura le cœur de Thomas. Mais oublions ces futilités. La FF team reprenait des standards de la pop, genre The Cure version bossa-nova. C’était très bien interprété, avec dextérité et voix de chérubins, mais terrifiant, genre postmodernisme à Guantanamo. Au bout de trois soirées, cela devenait douloureux d’ennui. Un mois plus tard, Robert Plant vient. Pendant la performance de la première partie, il se pointe à la console retour, à dix centimètres de moi. Il écoute, il regarde, tourne la tête vers votre serviteur, plante son regard de lion dans mes yeux, et me dit, en anglais : « mais c’est de la merde ! » J’ai failli tomber à genou, m’accrochant aux pans de la chemise du chanteur de Led Zep, en sanglotant : « Oh, monsieur Plant, si vous saviez ! Cela fait trente jours que je subis ça, s’il vous plait, délivrez-moi ! » Je me suis contenté de lui donner un sourire contrit. Ce n’est pas très sympa pour François Family, les membres de l’ensemble étaient adorables, mis à part Richard, le batteur, qui nous méprisait. Je n’ai jamais su s’il était ironique, en tout cas, c’était vachement bien imité. Après le Sporting, ils sont devenus le backing band de l’émission de Nagui, « n’oubliez pas les paroles ». Une autre idée de l’enfer, pour les amateurs de bon goût et d’élévation. On oubliera tout ça demain, si ce n’est pas déjà le cas.

L’autre formation se nommait Souljaaz, et c’était tout autre chose. Ty, RT, Richard, Ron, Eric et Tony étaient des loups noirs de Brooklyn, des aguerris aux cœurs légers. habités par la musique. Sur l’estrade, ils étaient irréprochables, c’est bien simple, je ne les ai jamais entendu faire UNE SEULE fausse note tout le temps que je les fréquentais. Eux faisaient dans la soul, le funk et le rythm & blues. On les adorait tous, ces baladins dont la vocation profonde semblait être de pourvoir en bonheur la population autour d’eux. De temps en temps, on fumait un petit blaze avec Alex et RT. Un joint pourri, à la française, avec du tabac dedans, qui faisait cracher ses poumons à l’infortuné Arthur. Il était requin de studio, avait posé des riffs pour Dr. Dre et Snoop. Ce mec était débonze du soir au matin, nous disait-il, il fumait des quantités pures de weed à assommer un hippopotame, mais le Dogg ne bronchait pas. Respect.

C’était déprimant de voir ces talentueux cantonnés à ce rôle de chaine haute-fidélité, que des oreilles distraites par la boustifaille écoutaient de loin. Obligés de jouer les potards bloqués sur 1, alors qu’ils auraient dû mettre le feu dans des clubs bondés. Eux s’en moquaient, tant qu’ils pouvaient jouer, ça leur allait. Ils musiquaient comme ils respiraient, c’est à dire que c’était vital. Jouer, j’ai dit. Oui, ces personnes bénies avaient conservé le sens propre de ce verbe. Ils jouaient, ils s’amusaient comme des gosses, et leur bonheur rendait les autres heureux. Ils auraient fait du gore-grind qu’on aurait quand même eu la banane à les entendre.

Ils reprenaient un titre des Stylistics « People make the world go round » les gens font tourner le monde. Il y a-t-il quelque chose à rajouter ? J’y pensais en observant mon père regarder la France du haut de sa plate-forme.

Chaque soir, le concert d’ouverture de gala devenait une friandise qu’on ne manquait jamais. On dansait, on faisait des singeries pour les faire marrer, et on se gondolait.

Un jour ils ont lancé un bœuf impromptu sur la scène latérale. Tony m’a tendu ses baguettes, je me suis dégonflé. « Espèce de foie jaune », m’a t’il dit gentiment, comme dans une bédé de Lucky Luke. Quel abruti j’ai pu être. Si j’avais joué avec eux, ils ne m’auraient pas repoussé, je me serais eclaté. Si je n’avais pas été pas assez bon, ils se seraient juste adaptés. Quel coing, mais quel coing. Les vrais musiciens sont comme ça, ils font rentrer les autres dans leur danse, et ne repoussent personne. Si seulement l’humanité se comportait ainsi, il n’y aurait pas de guerre dans le monde. Je les ai portraiturés dans mon roman Serat, mais j’y reviendrai un peu plus bas. Eric et Ron sont décédés.

Mes domiciles de fonctions changèrent au fil des solstices. Les dernières fois, j’avais un petit appartement près de la gare, collé à la roche. Ça ne captait pas grand-chose, ce qui importait peu puisque le plus clair de mon temps se passait au boulot. Ainsi, en milieu de matinée, je me rendais à pied jusqu’au Sporting, et rentrais tard dans la nuit. Le jour tout brillait de stupre et de luxe, les bimbos en bikinis se doraient la pilule sur les plages, les voitures chères paradaient, et Wipers jouait à fond dans mes oreilles. Mon groupe préféré recouvrait les bruits de la ville de ses guitares spatiales, Greg Sage chantait l’aliénation, et tandis que les beautiful people me regardaient passer tout de noir vêtu, un badge battant ma poitrine, en me scrutant de la tête aux pompes avec des moues écœurées, je me sentais plus ostracisé que pouvait le chanter le leader des Essuie-glaces. Au niveau de la plage, j’écoutais Supertimor. J’étais en train de mixer notre dernier effort, Double Impact. Le sludge pégueux se mariait à merveille avec la vision de la ville, vénéneuse, horrifiante, gluante comme le clip de Black Hole Sun par Soundgarden. Je prenais conscience ici que les corps n’étaient que des véhicules conduits par des esprits malveillants, manipulateurs, le genre important peu. Une voiture de sport peut être conduite par un tyran. Je me sentais horriblement seul pendant ces trajets, cela se tamisait quand je retrouvais les copains du boulot. Mais une fois le labeur terminé, et que je rentrais par le dédale de ruelles tordues, de montées, de pentes et de rambardes, j’avais des visions saugrenues : Tel soir, un type ivre collait des tranches de jambon sur le capot de sa Ferrari, en dansant sur le toit, tel autre, une femme maigre comme un squelette se faufilait dans la rue, soucieuse de ne pas être vue. Elle était comme moi, trop de traviole pour être soutenue par les lunettes de soleil de ces gens si beaux, si sveltes, et si peu concernés par l’anormalité.

Le gros des événements est résumé. Le reste fut une suite de révolution de la terre autour d’elle même, comme un rouet actionné par une Parque sous stéroïdes. De plus en plus vite. Mis à part les fluctuations de ma déprime, c’était des jours heureux. J’avais du mal à accepter ma condition. Moi et les collègues étions dans le décor, des larbins déguisés en buisson pour qu’on ne les voit pas, des robots programmés pour servir. Pour faire simple, je voulais profiter, et ne savais pas comment faire. On sortait quand on le pouvait avec Alex, au pub et dans les bars. On pouvait tomber sur la troupe de la comédie musicale qui passait, mais les relations demeuraient distantes. La ganja, c’était super pour se faire apprécier, mais ça restait superficiel. Le long des trottoirs roses, je broyais du noir. A mon passage, les palmiers semblaient vomir.

J’étais jaloux. J’exsudais d’incompréhension. Je ne comprenais pourquoi untel avait le droit d’assoir son ego plus qu’un autre. Il y avait quelque chose d’animal, reposant plus sur les phéromones que sur d’authentiques qualités. La force du pousse-toi-de-là-c’est-moi-le-plus-fort. Les dominateurs n’étaient pas meilleurs, juste les plus charismatiques. Une fois, le copain de ma sœur Elodie m’emmena au Scandal, une boite de nuit. Je suis allé sur la piste de danse, elle s’est vidée illico. Pourtant, je ne gesticulais pas, lourd je n’étais point. Mais la foule sentait que j’étais non viable. J’avais l’aura de Charles Manson. Je m’éclipsais bien vite, vexé. Sur le chemin, je tombais sur deux des Souljaaz, qui attendaient le bus de nuit. On discuta. Je leur dis que je sortais de boîte. Ils me demandèrent comment c’était, je leur répondis en anglais « it was lame », c’était naze. Ils rirent à gorge déployés. « Tu parles comme un mec de Brooklyn ! ». Ça me remonta un peu l’amour-propre. Heureusement qu’ils étaient là.

La problématique sous-jacente de mon mal-être, c’est que je n’avais toujours pas terminé le roman que je m’étais juré d’écrire. Alors, la plupart du temps, plutôt que de me délurer, je rentrais et me forçais à taper quelques mots sur mon ordinateur. Mon effort précédent « les contes du cinquième étage » essuyais les refus. Dès que j’avais cinq minutes, je consultais convulsivement internet sur l’ordi de la Grotte. Rien pendant des semaines, puis le laconique courriel négatif :  « ça ne correspond pas à la ligne éditoriale », suivi de longues heures de désespérance. C’était urgent  de sortir ce chef d’œuvre garanti. Ce serait le déclic où d’obscur, on braquerait le projo sur moi, où je serais reconnu, admiré, bien payé, et n’ayant plus à m’en faire pour les jours restants. Le pari étant d’accumuler les œuvres en attendant qu’on les repère et les porte aux yeux de l’assemblée en pamoison devant cette réussite complète. C’est comme cela que je composais une grosse partie de « Serat ». La partie au Alpha Club est un calque de ma vie au Sporting. On y retrouve Alex, Guy, Mau et des caricatures. Il y a une description d’un show de Souljaaz, et Bobo, le dégénéré qui se fait écraser la gueule par un projo, c’est moi. Le trait est souvent forcé. Hé, ho, c’est de la science-fiction.

Session après session, supplice après supplice, dans le film que je me jouais, je commençais à entrevoir la traîtrise des biographies d’artistes. Le travail et la mélancolie, c’était sexy le temps d’un plan de caméra, mais dans la réalité, ce n’était juste que des heures de souffrances ignorées de tous. Ce sont les cadavres incompris qui sont célèbres. Enfin… Ce qui compte, c’est que j’ai tenu ma promesse, j’ai fini le roman. Je peux me regarder en face.

L’effet combiné du cannabis, de la décompensation, de mon système immunitaire en rébellion, et de la malchance me plongeait à intervalles réguliers dans la dépression paranoïaque.  Un mois chaque saison à prendre des douches froides pour cause de chauffe-eau irréparable, dévoré par les punaises dans un hôtel trois étoiles, tourmenté par des copains qui disparaissaient sans prévenir, enguirlandé par un Mau féroce au point de fissurer, une réflexion anodine à la cantine… Un lac de goudron porté à ébullition, voilà ce que c’était. Il m’entrait dans la bouche à grosses goulées, pour ressortir par mes narines et par les autres orifices jusqu’à ce que mon corps trop gonflé finisse par déborder. À s’en cogner la tête contre les murs, ou à faire une grosse bêtise. Je m’enfermais chez moi comme un junkie en sevrage, c’était la moins pire des solutions.

J’ai évoqué des possibilités de m’abandonner, de m’oublier dans des aventures. Jeune homme, j’étais écartelé entre ma timidité et ma libido. J’étais comme Andy dans la chanson des Rita Mitsouko, pareil à Jean-Claude Dus, je percevais les ouvertures, mais je préférais toujours « éviter les ennuis ». Lâcheté ou sagesse ? les deux. Je considérai les gens comme des objets passant dans mon champ de vision, je savais que c’était mal, et ne voulais ni tromper ni traiter personne de la sorte.

D’où des étés de psychose, à voir les passants devenir des démons, moi comprenant qu’il y avait deux castes, les servis et les servants. Les regards méprisants, étaient il réels ? Pour moi et mon complexe d’infériorité, ils l’étaient. Ma famille et Gina veillaient sur moi comme des anges gardiens. Au moindre signe, ou plutôt, à la moindre absence de signes, de délire fiévreux au téléphone avec ma blonde, ils frappaient à la porte de ma turne. En vérité j’étais juste une mauviette qui ne trouvait pas mieux pour attirer l’attention que d’inquiéter ses proches avec la perspective d’un acte inconsidéré. Mais j’avais trop peur de souffrir vraiment pour me suicider. Le passage à l’acte de Yann a mis le holà à ces caprices de choupinet stupide. C’est la honte de s’être comporté ainsi les amis, j’espère qu’on me rédimera.

Ma dernière année de service, je commençais à monter Phocéa Rocks. Stéphane Sarpaux m’appelait pendant que je traversais la place du Casino. Je disais d’accord à tout ce qu’il me demandait. En passant par le jardin japonais, je m’arrêtais devant le bassin, et je disais aux carpes koï : « mais comment je vais faire ? » Ceci est une autre histoire qui sera développée plus tard.

Il est temps d’arrêter de raconter. Tout rapporter prendrait un bouquin entier. La troisème et dernière partie de ce chapitre concernera les vedettes proprement dites, j’y rajouterais des trucs que j’ai oublié ici. C’est dur de sortir un épisode chaque semaine. Que rajouter ? Mises bout à bout, ces saisons ont la saveurs d’un été perpétuel. J’ai appris un métier, même si je ne sais toujours pas ce que c’est qu’une alimentation fantôme, juste que ça n’a rien à voir avec une épicerie hantée. A la fin, j’étais quand même fichu de monter une scène et de suivre une patch list. J’ai accumulé des historiettes et des leçons. Mon père était un renard, grâce à cette formation dans le cœur de l’action, j’ai appris comment on montait un spectacle, et un des ingrédient majeur est la qualité, pas l’argent, la qualité. Ça m’a aidé pour Phocéa Rocks. Désormais, je connais les coulisses et je les vois partout. La supercherie du divertissement, de la diversion, la tactique du « regardez par-là ! » pendant que de l’autre côté, un machin inavouable se trame, ça ne fonctionne pas. Je la vois, qu’elle soit du salon ou du soubassement. Elle est identique partout, c’est un déguisement pour garder le pouvoir ou le prendre. La société du spectacle est devenue l’apologie de la triche. Regardez ces téléphones-appareils photo qui permettent d’effacer les détails gênants. Maudit sois tu, Malcom Maclaren. Désolé mais je ne peux pas vivre en sachant que j’ai menti pour réussir. C’est peut-être pour ça que je vis au fond d’un trou. Je pense au joueur de bonneteau de Bosch, trompé, volé, et qui gerbe un crapaud.

Juger le Sporting ? Je crois que je n’ai pas le droit. Tout est une question de génération, je l’ai déjà évoquée dans un article sur Concertandco. Si à cinquante ans, je me retrouvais programmateur de la salle des Etoiles, je ferai venir Cannibal Corpse, NoFX et Naughty By Nature, adoubant et ringardisant à la fois les groupes préférés de mon adolescence

Vinzo, me direz-vous, tu es bête, pourquoi n’en as-tu pas profité, avec tout ça, avec le prestige de ton père ? Je n’aime pas tricher, sauf aux jeux vidéo. Etre indiscutable est mon désir le plus ardent. Et puis, qu’est-ce que c’est que cette façon de penser ? je croyais que vous étiez punk intransigeant ? Bah… Ce n’est pas ce qui compte dans ce récit. Malgré les flips, c’était une belle période.

Ô mes amis, Qu’êtes-vous devenu ? Il doit y en avoir qui sont morts, mais je ne veux pas le savoir. Laissez-moi le souvenir de leur vie, pas de leur disparition.

(à suivre)

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