Histoires Étranges du Quotidien 4. La Tasse.

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La ville de Vienne, Isère, pour faire original et demander autre chose que de l’argent à ses contribuables, décida de faire ériger une grande statue en l’honneur du Vivre Ensemble. Elle organisa une grande collecte, où étaient invités toutes les personnes voulant faire une bonne action : il suffisait d’apporter n’importe quel objet contenant du métal. Les éléments récupérés seraient fondus et serviraient à la construction du monument.

La place Francois Mitterand, en face de l’hôtel de ville, fut réquisitionnée. On évacua les sans-abris qui vivotaient là, afin de pouvoir stocker les dons. Rapidement, les contributions affluèrent, et l’esplanade se couvrit d’un immense tas d’ ustensiles divers : frigos, machines à laver, laves vaisselle, couverts, statuettes, bibelots, pieds de batterie, casseroles, passoires, poêles à frire, cloches, tables, chaises, épées, armures, voitures, vélos… Certes, l’endroit ressemblait à une décharge à ciel ouvert, mais la statue promettait d’être colossale.

À la même époque une jeune femme, étudiante en BUT Gestion des Entreprises et des Administrations, vivait dans le quartier Saint-Germain. Désirant profiter de l’occasion pour faire preuve d’audace, elle donna une vieille tasse en laiton, qui se transmettait dans la famille depuis plusieurs générations. Peu de temps après, elle regretta sa décision. L’humble récipient lui rappelait des souvenirs de sa maman, et elle se souvint que non seulement, il avait appartenu à sa mère, mais également à la mère de sa mère et à la mère de celle-ci. Combien de sourires ce gobelet désuet avait-il pu générer, quand il était rempli de thé, de café, ou d’alcool ? Impossible de le récupérer maintenant, il était perdu dans l’imbroglio de ferraille sur la place, et aucun service municipal n’acceptait d’aller fouiller là-dedans. Et à chaque fois qu’elle passait devant le tas, elle ne pouvait s’empêcher de penser à cette tasse, à ses bosses, qu’elle connaissait par cœur, au tintement particulier qu’elle produisait lorsqu’enfant, elle tapotait dessus avec un stylo, à l’heure du goûter que lui servait sa maman, et à la saveur spéciale qu’avaient les liquides que l’on versait à l’intérieur… Elle finit par faire une fixation, obnubilée par le moment où elle la retrouverait, et sur comment alors elle la chérirait… Mais elle eu beau fouiller dans l’immense dépotoir, de jour comme de nuit, quand elle n’était pas chassée par les policiers, elle était mise en fuite par de gros rats, et elle ne trouvait rien. Elle devint profondément mélancolique, se disant que non seulement elle avait trahi sa famille, mais qu’elle avait également jeté une partie de son âme aux ordures. Pourtant, elle n’osait pas confier sa détresse.

Vint le jour où on emporta tous les dons à la fonderie. À leur grande surprise, les fondeurs s’aperçurent qu’un des objets ne voulait pas se liquéfier, et pourtant, rce n’était qu’une petite tasse en laiton de rien du tout. Ils avaient beau tout essayer, elle résistait à toutes les tentatives. Haussant les épaules, ils plaisantaient : la personne qui avait fait ce don devait l’avoir fait à contrecœur, et être très froide. Si froide qu’elle en avait rendu la tasse dure et inchauffable.

La rumeur de cette histoire fut bientôt dans toute les bouches. À cause de la révélation publique de sa bévue, l’étudiante se sentit extrêmement coupable et frustrée. Ne pouvant pas supporter le ridicule, elle se jeta dans le Rhône, après avoir laissé une lettre d’adieux.

« Une fois morte » disait-elle, « on pourra fondre cette tasse et faire la statue. Mais si quelqu’un parvient à briser cette statue sur son socle, je viendrai personnellement lui donner de grandes richesses. » (Ici, il faut savoir que la promesse d’un individu qui meurt avec beaucoup de colère en lui, acquiert généralement un grand pouvoir de réalisation.)

Un fois la tasse fondue et la statue construite, une immense chose d’une dizaine de mètres, les gens se rappelèrent de ce que disait la lettre, et ils se persuadèrent que celui qui parviendrait à détruire la statue du Vivre Ensemble gagnerait beaucoup d’argent. Aussi, à peine l’œuvre fut elle installée devant la mairie, qu’une multitude se rua dessus pour tenter de la casser. Poings, masses, marteaux-piqueurs, perceuses, scies et tronçonneuses, on tenta par tous les moyens de la détruire, certains élus s’y mirent aussi, ainsi que des policiers. Mais la statue résistait à tous les assauts, on en venait aux mains. Le vacarme produit était si assourdissant, perpétuel et insupportable que le préfet dû intervenir, et envoya l’armée déboulonner le symbole. On le jeta dans un coin saumâtre du fleuve, qui l’engloutit. Par dérision, on se rappela de cette histoire comme celle de la statue de la Discorde Infinie

C’est le moment de parler d’un phénomène international, que l’on nomme magie mimétique. La magie mimétique considère identiques les choses qui se ressemblent et pense que l’imitation conduit à la réalisation. Par exemple, les moulins à prières du Népal. Faire tourner un tel moulin a la même valeur spirituelle que de réciter la prière du mantra, la prière étant censée se répandre ainsi dans les airs comme si elle était prononcée. En sorcellerie occidentale, on se sert d’une poupée représentant une personne pour lui jeter des sorts (on fait souvent l’erreur d’attribuer cette pratique au vaudou). Même en France, ces phénomènes peuvent exister, oui. La statue de la Discorde Infinie en est un autre exemple.

Ceux qui déploraient la perte de cette opportunité, cassaient des objets qu’ils substituaient en pensées à la statue, espérant satisfaire le fantôme de la jeune femme aux origines de tant de désordre.  Or un jour, un couple de personnes au chômage, Eugénie et Martial Bertrand, était aux abois financièrement. Eugénie, se souvenant de l’histoire de la statue, prit une timbale en fer, et se rendit dans son jardin. Elle ferma les yeux, visualisa mentalement la statue, projeta l’image sur la timbale, puis la frappa jusqu’à la casser, tout en criant la somme dont ils avaient besoin, soit trois milles euros. Alors que les voisins sortaient la tête par les fenêtres, pour lui hurler de se terre, son téléphone sonna : c’était la caisse d’allocations familiales. Il y avait eu une erreur lors traitement de son dossier, Eugénie avait moins perçu que prévu, on la remboursait donc de trois milles euros !

L’histoire se répandit vite, la statue de la Discorde Infinie devint célèbre, et nombreux furent ceux qui firent comme Eugénie, dans l’espoir d’avoir la même chance. Parmi ceux-ci était un garagiste dispendieux, vivant non loin de Vienne. Il dépensait tout l’argent du foyer en jeux à gratter et en paris sportifs. Il prit un robot métallique de son fils, qui ressemblait vaguement à la statue, le démantibula sur le carrelage de sa cuisine, tout en gueulant qu’il vous toucher une immense fortune.

Soudain, sorti lentement du sol le corps trempé et bleuâtre d’une femme décharnée, les yeux révulsés, qui tenait un gros coffret. D’une voix d’outre-tombe, elle dit :

« Ton souhait à été entendu, et il mérite d’être réalisé. Tiens, prends ce coffret. » Elle lui mit la boîte dans les mains, et disparu comme elle était venue.

Ivre de joie, l’homme appela toute la maisonnée. Femme et enfant se rassemblèrent autour du coffre, très lourd. Il se mirent tous à l’ouvrir avec impatience. Enfin le couvercle se souleva, révélant… Mais il serait malpoli ici de dire de quoi il était rempli.

 

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