Histoires Étranges du Quotidien 16. La femme du préfet des Yvelines.

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La femme du prefet des Yvelines se mourrait. Lui, Jean-Bernard Bulin, s’en rendait bien compte. Elle n’avait pas quitté le lit depuis trois ans. Neoplasie disséminante perturbée.  On était au printemps, bientôt le premier mai. Elle pensait au défilé du premier mai, qu’elle regardait du balcon de la préfecture. Au bout du jardin, derrière les grilles et les platanes tout verts de joie défilaient la multitude multicolore. Une procession de pancarte blanche, rose, jaune et rouge, mouvante et bourdonnante, la mer de jeans sous un ciel de vestes ou de tshirts, les chants, les slogans, l’odeur poivrée des fumigènes aux épais panaches comme des cheminées de veilles locomotives, les sourires, les musiques de bal de village, le son plosif des slogans braillés dans les mégaphones, et tout le florilège, entre les branches, des ouvriers croquants, des fonctionnaires manants,  et des autres citoyens passifs. Qu’est-ce qu’elle s’amusait à les scruter, les observer, , les décortiquer du haut de son perchoir. Qu’est-ce qu’elle aimait ce carnaval.

« Ma chère, » dit Jean-Bernard « vous souffrez le martyr depuis trois ans. Nous avons tout essayé, cure, chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie, radiesthésie, magnetisme, incantations, sacrifices. Les meilleurs médecins, les meilleurs sorcières. Nous t’avons meme veillé jour et nuit. J’ai bien l’impression que c’est la fin Tu vas nous manquer beaucoup, plus que l’inverse. Rassure toi, tu auras droit à rout les honneurs républicains, je pense que le ministre, voire le président viendra. On se rappellera de toi longtemps, tant qu’on se souvient de nous, nous sommes toujours un peu là. Il la serrait dans ses bras, et sa voix avait les intonations de la plus sincère tendresse. Les yeux clots, elle lui répondit avec une voix d’insecte.

« Vous êtes bien bon, mon tendre. Je vous suis reconnaissante. Vous avez raison… Il n’y a plus d’espoir… Tout ce temps, on m’a traité avec soin et affection… Merci pour ces honneurs que vous me ferez… Vous allez me trouver terre à terre (elle toussa) dans ces circonstances, mais j’ai une dernière demande, juste une… Je voudrais vous donner mes instructions pour continuer à gérer ce foyer »

Le préfet vint s’assoir près du lit de la mourante. Lentement, celle-ci ouvrit les yeux.

« Mon ami… » dit elle en le contemplant. « Je suis si heureuse… Approchez un peu plus, que vous m’entendiez mieux… Je ne peux pas parler très fort… Jean-Bé, je vais mourir très bientôt.. La vie n’a pas toujours été simple pour nous, il y a eu beaucoup d’écueils, beaucoup de tempêtes… Quand je ne serai plus de ce monde. Je voudrais que vous vous remariez, avec une que vous aimerez mille fois plus que moi… Faites tout pour la garder, ne laissez personne te la prendre … Comprennez vous  ? »

« Ma chérie ! » se récria Bulin  « Ne parlez pas comme ça, vous me mettez mal à l’aise ! Il ne me viendrait jamais à l’idée d’en aimer une autre que vous ! »

« Pas de manière », repondit la presque morte d’une voix enrouée, «  Pas de chichis, parlons franchement. Une fois partie, vous saurez avec qui vous marier… Je veux cela… Encore plus que le Président à mes funérailles ! Mais je m’emporte… Et j’oublie… Il y a une dernière chose que je voudrais vous demander… Le premier mai est pour bientôt… Peut-être même demain, non, c’est aujourd’hui ! J’en entends la rumeur ! Je voudrais tellement le voir du balcon de la préfecture… Une dernière fois… Je voudrais que vous m’emmeniez le voir, que je puisse voir d’en haut le monde d’en bas, avec vous qui en êtes le grand administrateur, le garant du pouvoir… Portez moi, prenez moi sur votre dos, par pitié, prenez moi sur votre dos, maintenant… Ma fin arrive… Maintenant ! »

Tout en demandant, son ton était devenu plus impératif, plus sonore, comme si l’intensité de son voeu lui avait donné des forces. Elle éclata en sanglot. Jean-Bernard restait là sans bouger, ne sachant pas quoi faire.

« C’est sa dernière volonté », se dit-il, « Elle a toujours adoré le défilé du premier mai, et c’est bien aujourd’hui. C’est beau l’instinct, quand même. Allez, tu peux faire ça pour elle. »

Alors il s’accroupit, offrant son dos à sa femme.

« Allez y, madame, je vous tiens, dites moi ce que je peux faire pour vous aider. »

« Ça ! » répondit la mourante en prenant appui sur les épaules de son mari avec un effort surhumain. Mais alors qu’elle se redressait, ses mains glissèrent des deltoïdes du préfet pour aller s’immiscer dans son pantalon, sous son caleçon, où elles saisirent fermement son entrejambe, enfonçant leurs ongles dans les tissus fibreux. Elle éructa un rire de hyène.

« Mon voeu est exaucé ! Je voulais le bas monde, maintenant je l’ai ! Quel délice ! »

Et à ces mots, elle s’effondra sur son conjoint, raide morte.

Immédiatement, les employés prirent le corps pour le retirer du préfet et le poser sur le lit, mais, chose étrange, ils n’y parvinrent pas. Les mains désormais froides s’étaient impitoyablement soudées au service trois pièces de Jean-Bernard, incrustées dans son intimité. Le pauvre representant de l’État ne se sentait plus de peur et de douleur.

On appella les docteurs, qui furent incapables de dénouer le noeud du mystère. Impossible de détacher les mains, sans arracher la peau de l’infortuné, c’était comme si les paumes avaient fusionné avec leurs prises !

On fit venir le meilleur spécialiste français. Le plus éminent, le plus superbe, le plus cher. Après un examen attentif, il déclara que la seule chose à faire pour soulager tout de suite le préfet était de séparer les mains du cadavre. Il ajouta qu’il serait extrêmement hasardeux de les extraire de leur butin. On écouta ses conseils, on coupa les mains au niveau des poignets. Elles restèrent implacablement fixées à la plomberie. Elles noircirent et séchèrent, comme celle d’une personne décédée depuis longtemps. Ce n’était qu’un commencement.

Bien qu’elles fussent flétries et exsangues, elles étaient encore vivantes.

Par moments, elle remuaient, furtives comme de grosses araignées grises, faisant frémir le tissu du pantalon, qui déjà montrait un bourrelet inquiétant, d’une manière inconvenante. La nuit, dès que minuit sonnait, elles serraient, compressaient, torturaient. La souffrance ne s’arrêtait qu’aux premiers rayon du soleil.

Le préfet fut démis de ses fonctions, son gros paquet palpitant étant une source d’embarras pour l’image du pays, sans parler de ce qui en avait été la cause. Sans soutien, sans ami, conspué de tous, dégringolé dans les abîmes de la fosse sociale, il se tondit, et se fit mendiant, en signe de repentance désespérée. Mais ses tentatives spirituelles ne furent d’aucun secours. Toutes les nuits, à partir de minuit, les horribles mains recommençaient à le tourmenter. Pendant dix-sept ans, il endura ce calvaire. Puis il disparu sans laisser de trace. Un premier mai.

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