Phocéa Rocks. Prémices 1.

 Dans Mémoires de musicien

Bien des ans auparavant, pendant une de nos soirées pastis et pétards, où nous passions, Gina et moi, des heures à regarder des absurdités sur YouTuyau, j’avais vu une vidéo d’un festival de hardcore à Brooklyn, et c’était génial. Il y avait des groupes énormes, surtout composés de noirs américain. C’était hors du commun. Il n’y avait pas beaucoup de peaux d’ébène dans le hxc. Je ne connaissais que le Bad Brains, Bodycount et DH Peligro, le batteur des deadké. Ça envoyait grave, et ça se passait comme ça, dans la rue, pour les gens du quartier. Une belle fête fait maison.

En suppléments, la scène jamaïcaine me faisait rêver, celle du reggae, du rocksteady, du ska, du dub des années 60-70. Dans un documentaire, les acteurs de l’époque, ingés sons, musicos, expliquaient qu’ils enregistraient en 45 tour le matin et vendaient le vinyle tout chaud pressé au marché, l’après-midi. Parfois je me disais que nous devrions faire un studio d’enregistrement, et proposer les disques enregistrés à celui de la place Jean Jaurès, à prix modique. Peut-être qu’au bout d’un moment, les riverains seraient plus intéressés par leurs voisins musiciens que par la daube des majors, encore un songe. Mais comme dirait Muge Knight en parlant de ses albums, « j’vais finir par les vendre au marché de la Plaine avec un sac ».

 

En 2011 j’enchainais les jobs à la gomme. Je me retrouvais de nouveau gardien de parking,  au centre des Lices, au pied de la Bonne Mère et du rempart datant de louis xvi. Vacataire, en cdd, ma non-autorité naturelle faisait que les bagnoles s’entassaient les unes sur les autres dans la modeste cour. Parfois, le moche maire de l’arrondissement venait, en carrosse avec chauffeur. Le colosse communal était toujours suivi d’une minuscule belette inversement jolie. Ça piquait la cornée de les imaginer en train de coïter. Qu’importe la laideur, le pouvoir avait toujours la côte à la bourse de la drague. Pour ma part, invisible, incongru, j’engueulais les ados qui fumaient des pipes à eau faite en bouteille en plastique, planqués derrière les charrettes. Ils étaient vraiment mal ficelés, leur bongs, ils gâchaient du matos pour rien. Dans ce petit cocon paisible, je bullais pendant un an.

 

Durant la même période, mon père me conseilla d’aller voir le secrétaire d’un élu, un personnage au nom stendhalien qu’il connaissait. Il pourrait peut-être me trouver du boulot. Il recevait dans une dépendance du parc du Pharo. Aimable et bienveillant, il n’avait pas d’emploi à pourvoir, mais me suggéra de présenter un projet pour le Off de Marseille 2013. Dans deux ans, les projecteurs se braqueraient sur la ville, c’était une opportunité à saisir pour se faire remarquer. Je m’en fichais un peu, ce que je voulais, c’était un cdi pépère et pas trop prenant, un parachute pour pouvoir continuer de faire de la musique, en dépit de l’investissement à perte qu’elle représentait.

 

Hmm… Un projet… En revenant par la rive gauche du Vieux-Port, mes engrenages tournaient. Depuis le temps qu’on rodait dans les parages, les copains et moi, on s’était bien rendu compte qu’il y avait pas mal d’endroits où jouer, et encore plus de groupes, pas mal de bons groupes. Mon petit plaisir gourmand pour les singles, et le simple fait que j’étais tout simplement fan de la musique qui se faisait ici, amis ou pas, y participait. Il y avait foule de eps et de lps qui ne déméritaient pas face aux assauts internationaux, en particuliers américains et britanniques, je le savais, j’en écoutais des quantités extraordinaires. C’était des œuvres pensées, ouvragées, léchées, fait avec des moyens pas si du bord que ça. La démarche était artistique, les influences digérées et régurgitées à travers le biotope autochtone, il y avait tellement de groupes, leur liste donnait l’impression d’un cadavre exquis perpétuellement pétillant. Crumb, Elektrolux, Rescue Rangers, x25x, Binaire, the Dirteez, Lo, Ntwin, Conger ! Conger !, Malin, Sunsick, Keith Richards Overdose, P38, Sicilian Disasters, Irritones, NSBS, Wake the Dead, the Third Memory, Eyeball, Jack Error, Cowboys from Outer Space, Cave Canem, Filthy Charity, Biocide, Unfit, Aggravations,RedLight, Gasolheads, Neurotic Swingers, Lazybones, Mystic Motorcycle, Unsane, Ed Mudshi, Tripod, Caedes, Fugu, Plastic Bag, Butcher Project, Ultrateckel, Laurie Strode’s Brother, Reverend Hector Boom, Full in your Face, Splash Macadam, Aeropigs, the Loving Dead, the Coyotes Dessert, Loathing, Inmate, Martyr, Partners in Crimes, UFO Gestapo, Odyssey, dont j’écoutais les albums, et des dizaines d’autres, me firent méditer. Ajoutez à cela l’impact de films et de documentaires tels que 24 hours party people à propos de la scène de Manchester, ou Hype, sur celle de Seattle, plus tous les bouquins que j’avais lu pour mon à-peine-entamé mémoire sur le Punk, les mémoires de Dee Dee Ramone, je baignais dans des visions de mythologies. Les similarités entre Marseille et ces viviers anglo-saxons étaient nombreuses, et la magie était là : ici, il y avait des tonnes de formations, et des très cools !

 

Et puis, j’avais la haine contre l’Institution. Elle me pointait du doigt en disant « musicien ! drogué ! fou ! inutile ! Comment osait-elle juger, cette modeleuse de médiocrité ? ça l’arrangeais. Pétrir des esprits bêtas, leur laisser la liberté dans le choix de l’uniforme, c’était quand même mieux à contrôler. Comme disait Devo, entre la liberté de choix et la liberté dans le choix, il y a une différence. Je vous laisse vous cassez les méninges dessus. Le morceau est super.

Ça ne servait à rien d’affronter le bulldozer de face. Vivre en parallèle de la chose, se déguiser en buisson, n’avoir aucun contact avec l’Engin, et lui faire un doigt depuis la colline, ça semblait plus faisable. Je n’étais pas persuadé que les chefs fussent des sanguinaires, mais la horde d’intermédiaires entre eux et moi, oui. La preuve, s’entredéchirer pour monter est une de leur caractéristique principale.

Entre nous, je voyais aussi une façon discrète de promouvoir les Nitwits, mais bon… Si au moins un groupe, n’importe lequel était repéré par une major, ça le faisait. Dans tous les cas, il y aurait un effet boule de neige, la scène exploserait, ce serait la mode, tout le monde se battrait pour avoir un groupe « marseillais » dans son catalogue, la fatalité nous ferait monter dans le convoi. Au pire, on aurait des dates en plus.

 

Bon. Alors je suis allé sur la plateforme de Marseille Off 2013, la structure qui fédérait tous les projets non officiels de la future capitale culturelle, et j’y ai écrit une bafouille décrivant le machin imaginé : un festival pour et avec la population de Provence. Dans ma tête il n’y avait pas que Marseille, mais aussi la région. Les formations du coin joueraient dans les salles du Plateau, L’endroit où il y avait la majorité des clubs. En guise de visuel, j’envoyais une statue tricéphale retrouvée sur le site de l’ancienne colonie hellénique, filtrée en noir et blanc, et le titre Phocéa Rocks écrit dans police rappelant l’écriture grecque antique, le tout sur fond bleu ciel. Pas de quoi se faire réveiller Ingres, mais cela avait le mérite d’être fait soi-même, avec un logiciel de dessin gratuit. Pas ultra beau, Moche, d’accord, mais dans le vrai esprit du rock n roll, bébé ! Le mot rock était souvent utilisé dans ce texte, mais vous aurez compris qu’il avait une valeur œcuménique. Il comprenait toutes les églises de la musique binaire et populaire, du folk au gore grind.

Il n’y avait pas la vanité de prétendre que c’était la meilleure scène du monde, juste la volonté d’affirmer qu’elle était là, qu’elle existait et qu’elle en avait le droit.

Au moment de donner un nom au projet, blocage. Association stupide d’idée. Qu’est-ce que Marseille évoque … Marseille… Marseille… Euh… Bernard Tapie ? L’Olympique ? Nah… Son bateau ? Le Phocéa ? Mmm avec « rocks » à côté, ce serait pas mal. « Rocks », du verbe « to rock », a la troisième personne du singulier ; ça balance, ça secoue ça ébranle, ça bouleverse… c’est rock quoi ! Et il y avait un double sens.  Le s à la fin indiquait qu’il y aurait des genres différents. Quand même, il était pas terrible ce nom.

 

Ce n’était pas trop mal tourné, le Off m’appela. C’était Stéphane Sarpaux, un des responsables à la manœuvre.

 

Ces trublions du off avaient été taquin, ils avaient enregistré le nom de domaine Marseille2013 avant la municipalité, qui s’était retrouvée fort dépourvue, quand la mise en ligne fut venue. Rien que ça les rendaient éminemment sympathiques. Ils avaient aussi réussi à récupérer des subventions, qu’ils avaient l’intention de répartir entre tous les projets validés. Je rencontrais trois des activistes du bureau Stéphane, Éric Pringels et Martin Carrese. Le premier était journaliste au « Ravi », journal poil-à-gratter qui éreintait la mairie, gouvernance montrant depuis des siècles tous les symptômes spécifiques d’une république bananière. Les deux autres étaient des artistes graphistes habiles et pleins d’esprit.

 

 

Les événements prévus étaient ravissants de décalage et d’ingéniosité. Audacieux, téméraires. Mon préféré était intitulé le « Festival du Film Chiant ». Uniquement des films de minimum cinq heures. Des œuvres d’auteurs hongrois, tchèques, argentins, philippins. Pas chiants en fait, juste longs, mais différents. Netflics ne peux pas s’empêcher de déféquer des péloches de plus de trois heures, finalement c’était prophétique. La banderole paradait fièrement au sommet d’un immeuble de la place Notre Dame du Mont. Ils avaient aussi lancé une nouvelle monnaie : le Gaston. On pouvait en acheter pendant leur rendez-vous et on acheter des trucs avec. On y trouvait également, Yes We Camp, un camping sauvage d’artistes, où la création allait bon train, la Trocadance une soirée ou on pouvait échanger une œuvre d’art pour autre chose. Dans le reste du programme, un Banquet de Platon, une mosaïque sur la corniche Kennedy, des interventions urbaines improvisées, et toute une cargaison d’autres projets qui montrait que les administrés avaient une masses d’amendements à ajouter au programme de la métropole.

 

La municipalité annonçait des choses niaises et fuligineuses. Le but non-affiché était de plaire avant tout aux touristes, pas au phocéens. Le toit-miroir sur le Vieux Port ? Ouais, c’est marrant pour prendre des photos, et après? Pour les touristes on vous dit. La transhumance des moutons par le milieu de la ville ? C’était une métaphore subtile, pour rappeler aux habitants comment on les considérait ? Et les pauvres ovins, ça allait être un méga stress pour eux, entre le bitume, les clapotis dégueu de l’eau, les barrières, les bruits inconnus, les grands singes sans poil en train de les scruter comme des aigles… Pareil, spectacle pour gogos. Dans les grandes largeurs, on nageait dans le joli, le rigolo, et le « vous ne pouvez pas comprendre, tas de manants ».

Oui, c’était condescendant. Du genre : « vous, la populace, vous n’y entendez rien à l’art, laissez nous vous expliquer comment cela doit s’apprécier ». Baudruches. Les fans de foot enregistraient cent fois plus de données que vous, les clubs, les villes, les pays, les noms, les stats, et vous les preniez pour des pignoufs ? La caste dirigeante de la cité avait lâché la main des citoyens depuis longtemps. On pourra reprocher au peuple de manquer de nerfs, mais il m’est avis que cela est dû au dressage qui les a rendus dociles, exécuté par le petit nombre qui les dirigent. D’Aurochs, nous sommes devenus vaches.

Caton l’ancien comparait les Romains aux moutons, qui, chacun en particulier, n’obéissent pas au berger, mais suivent les moutons qui les précèdent. « De même, disait-il aux Romains, quand vous êtes ensemble, vous vous laissez conduire par des hommes dont chacun de vous séparément ne voudrait pas suivre les avis ». Aujourd’hui c’est la même. Cela devait probablement être le sous-texte de la transhumance. Quant au Mucem tant vanté, et qui venait d’être achevé, le grand rorqual noir n’en avait cure, du menu fretin.  Donc, tant pis si nous étions différents d’apparence et de goût, le Off et nous. Il se dressaient contre l’officiel consensuel estourbisseur de sens critique, ça me parlait, j’en étais.

Je rencontrais le trio, ainsi que d’autres conspirateurs, dans un atelier situé vers Vauban, au pied de Notre Dame de la Garde. Etaient présents aussi ceux qui s’occupait des apéros en bateau, ils avaient des combines à passer. On discuta plan d’action, qui pouvait faire quoi, comment. Au fur et à mesure, le festos s’échafaudait dans mon armoire à concepts. On se donna rendez-vous pour un autre meeting. Des bulles, échappées par les naseaux des divinités primordiales ligures catatoniques, éclataient à la surface des eaux vertes. Ou alors, l’été faisait bouillir le Vieux-Port. Mes réflexions faisaient de même. Une grande terreur électrifiait mes nerfs : il n’y avait que deux ans (on était mi-2011, les événements se tiendraient mi-2013) pour sortir la structure de terre. Cependant, la possibilité d’être une sorte de Lawrence d’Arabie, unificateur des tribus rocks, avait un air enthousiasmant.

Oui le rock uni, le rock libre. L’enfant infusé dans les landes irlandaises, la Bretagne profonde, le bénin saigné, et les pleurs de fête des asservis du monde entier. Il fut Un au départ, puis se morcela en familles, qui finirent par ne plus se reconnaitre les unes les autres, bien que le fluide initial qui coulait dans leur veine fut le même. Une énergie sauvage et libératrice, celle qui nous tambourinait dans le cœur que notre monde pourrait, et devrait, changer. Même découpé en réseaux de canaux, drogué d’argent, lesté d’or, empaillé de billets, il n’en demeurait pas moins imprévisible comme un volcan. Sans prévenir, il pouvait se mettre à cracher de la lave et n’épargner personne, incontrôlable. J’espérais qu’en grattant la croûte ici, sait-on jamais, cela créerait une éruption. Présomptueux, il y a des chances, oui, mais ça valait le coût de mourir debout pour une fois, ne serait-ce que pour le côté jouissif-malgré-l’horreur de déclencher une catastrophe.

Je flippais, mais Gina était à fond avec moi, mon projet ne lui paraissait pas fantasque. Elle était sans cesse prête à m’aider. Elle fut une épaule sur laquelle m’appuyer. Inestimable Gin. Elle me proposa un plan en or. Proposer aux élèves de BTS graphisme du centre de formation ou elle travaillait de travail sur des visuels pour le festival. Ça s’est vite organisé, je suis allé les voir pour leur faire un topo. Avec mes 31 ans, je n’étais pas beaucoup plus âgé qu’eux. Le défi leur plu. De ce qu’ils m’ont proposé, tout était magnifique. Un boulot génial. Tom Miquel Garcia, qui faisait partie de la classe, dessina le rat en perfecto qui apparut sur la deuxième compil et l’affiche de la seconde Rue du Rock.

 

Entre temps, il y eu un deuxième meeting secret, lors duquel Eric Pringels me fit don de son superbe détournement. Les iconiques ondes de pulsar figurant sur la pochette d’Unknown Pleasures, de Joy Division, dessinait la silhouette de Notre Dame de la Garde. Avec le cadeau du talentueux artiste en main, je collais dessus le nom du festival, en police Aristotle Punk, chopée sur un site gratos. Le logo officiel était né. Il posa le code couleur : noir et blanc, en hommage aux tranches de bois mort photocopiées par centaines, pour faire des affiches à moindre coût, durant la glorieuse époque du punk hardcore, au début des années quatre-vingt.

L’initiative initiale, pendant le creux temporel qui nos séparaient de l’été 2022, fut de créer une compilation. Faire des listes de morceaux, chercher le bon ordre de passage, le lien d’un titre à l’autre, j’adorais. Ecouter de la musique, en fumant d’énormes stiflex de l’espace pour rentrer dans le dedans des compositions, j’adorais derechef. Donnez-moi la main, nous allons survoler ça. Voici une présentation succincte des groupes figurant sur la fournée initiale :

Rescue Rangers : Stoner de haut-vol.  Gras, lourd, headbangant. Page Hamilton, le fondateur de Helmet, les avait pris sous son aile. Helmet, nom d’un ornithorynque, Helmet ! In the Meantime ! J’avais croisé Pascal, le guitariste chanteur à l’époque de la fac. Avec les copains on était jaloux, il avait l’air trop en place, populaire, et beau gosse. Quand je lui confessais cela un jour, il éclata de rire. Rarement dans sa vie avait-il été aussi mal dans ses baskets qu’à l’université, ce grand timide. Il était fan de FEAR, moi aussi. Ça ne courais pas les rue. Il bossait à la régie technique de Marseille, où ils louaient du matos sonore. Cela aura son importance plus tard. Sur scène, les mecs avaient un son gargantuesque, et était plus en place qu’un régiment d’infanterie.

 

Conger! Conger! : Ces poissons-là ne plaisantaient pas. Une configuration surprenante, où le chanteur/batteur terrorisait son kit jazz avec un hachoir. Les mesures, découpées dans la sueur, tombaient de la scène, et donnaient l’impression que le groupe giflait le public avec des entrecôtes crues. Bref, c’était de la noise de haute volée, avec des membres de Kill The Thrill, que j’ai déjà mentionné plus haut. Leur premier album parlait du conflit entre tutsi et hutus. Un truc vraiment à part, qui en général, scotchait tout le monde, même les néophytes, sur disque comme en concert.

 

x25x : Mentionnés plusieurs fois déjà. L’incarnation de la nervosité. Ça jouait vite, sans fioritures, et ça donnait envie de marteler des clous sous acides. Tout en DIY, enregistré dans le local en live. Hypertendus comme une attaque coronarienne. Le morceau sur la compil, il mettait l’Amérique à l’amende, tellement ça donnait envie de sauter sur place et de hurler avec Lee Zeirjic. Ils n’avaient pas de look, mais une classe d’enfer. « Pour l’amour du son » un autre de leur titre, résumait tout. Pour l’amour du son, mec !!!. Ritchie est devenu leur batteur. Aujourd’hui encore, j’en suis mort d’envie.

 

Oh ! Tiger Mountain : Le morceau cassait net l’ambiance rugueuse installée par les trois premiers. Le tigre montagnard jouait simplement de sa guitare avec un comparse percussionniste. Ils avaient fait la couverture des Inbrocks. Indie folk, je n’ai jamais eu la chance de le voir en concert, de le voir tout court. C’est dommage, il y avait une ligne de démarcation entre famille musicale locale à ce niveau, il ne s’était pas trop mélangé avec les transpireux de la Machine à Coudre. Nous avons communiqué par courrier électronique, et il s’était révélé cool et cordial. Je le soupçonnais d’être fan du surfer d’argent, et un fan du surfer d’argent ne peut pas être mauvais. Il a accepté que son morceau apparaisse sur la galette.

 

Departure Kids : Des benjamins à l’époque. Pop puissance. Mélodies et rythme surf. Recherche de l’air qui reste dans les oreilles. Une sucrerie légère. Ils représentaient les nouveaux arrivés, venus pour saisir le témoin qu’ils passeraient à leur tour. Ils avaient monté leur propre label, Hess Records, preuve de leur instinct indé. Que sont-ils devenus ? Ils doivent zoner sur des plages californiennes. Non, je ne sais pas, je dérape alors que je réécoute le morceau.

 

Nitwits : c’était nous. J’avais choisi Wei Wu Wei, parce que d’une part, c’était un bon single, très pop, et d’autre part, parce que je l’aimais. Il avait une vibration qui me ramenait faire du vélo dans une forêt humide de l’Oregon, avec les goonies. En plus, il amorçait bien la remontée dans l’énervé, avec le groupe suivant.

 

Elektrolux : mes mentors cools allaient sortir un nouvel album, et ils eurent l’adorable attention de me faire passer une piste inédite.  Robert Mitchum, leur nouvel opus, montrait les signes évidents d’un raffinement dans leur style, d’un échelon de plus dans la sophistication du soviet twist. Pour être simple, Elektrolux, ça sonnait comme du Elektrolux. Cédric grognait comme un méchant prêtre, Eric sciait sa basse, et Manu, dont le titre vente les favoris socialistes, continuait de compliquer ses rythmique jazzcore. Final transshamanique et angle d’attaque pour foncer sur la piste suivante.

 

Binaire : Furieux duo de guitares, avec une boite à rythme brutaliste. En concert, c’était monstresque. Les deux jouaient face à face, en se braillant dessus. Le public dansait comme dans une rave. Normal c’était technoïde et hommes-machines simultanément. Si j’avais su qu’aujourd’hui, je serai soigné à la kéta pour mes douleurs chroniques… Le titre avait raison. Kétamine, bonne mine. À chaque traitement, je ressors de l’hôpital avec des pupilles comme celles de Bob l’éponge.

Technicolor Hobo : Patrick Atkinson était un vrai de vrai. Anglais, rockeur, il été parti en tournée avec My Bloody Valentine, joué des notes avec the Jesus and Mary Chain, partait pêcher avec Robert Smith. Il venait d’un de ces Mordors, où tant de choses légendaires s’étaient passées. En honnête grenouille, j’éprouvais une révérence absolue devant cet être mythique. Le groupe qu’il avait formé ici était pourtant aux antipodes de ces anciennes suite d’accords saturés. En s’assagissant, il était devenu plus ciseleur dans son approche. Sa musique plus veloutée, plus calme, plus jazz. Oui, j’ai écrit ce mot. Ben oui, c’était parfait d’élégance, et la piste trouvait sa place après l’enragement de la précédente.

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Les Jolis :  Le riff du couplet faisait dans le genre générique de Batman paranoïde. Sec comme une trique, le twist était imparable. Et le texte, Sickness around me around you and all of my friends. (Maladie autour de moi, autour de toi, et de tous mes amis), dans le monde parallèle, tout le monde comprenait le message, et dansait sur le morceau, avant d’envahir les trottoirs, et d’abattre pierre par pierre la préfecture, au nom du peuple souverain. Super titre. Ils étaient très jeunes à l’époque, le groupe a splitté, et ses spores se sont propagées. Il y en a qui jouent dans la Flingue, le dernier groupe du mythique et adhésif Olivier Gasoil, que l’on présentera plus loin.

Keith Richards Overdose : Derrière ce nom ultime se cachent encore des complices du père Gasoil. Ceux-là jouaient dans les Hatepinks. Notons également la présence de Paulo, que nous avons vu travailler au magasin de disque Lollipop, pendant notre visite du quartier, venu du flamboyant groupe parisien the Holy Curse. Encore un exemple de la nature virale des scènes locales. Les groupes se propagent par réplication, infectant des cellules pour produire de nouvelles unités. Le morceau proposé sur le disque est une sorte de reprise de Slow Down, beaucoup plus énervée que la version des Jams, pourtant déjà féroce. Tous les amplis à fond jusqu’à faire saigner les haut-parleurs, dans la tradition des Sex Pistols et de Guitar Wolf

Ultrateckel : profitons de ce passage pour parler de UT. Christian écrivait et enregistrait ses morceaux avec sa guitare en barbelé façon  Hüsker Dü , bien avant que la musique assistée par ordinateur ne donne à un seul individu le pouvoir de sortir des sons produit comme un album de Frankie Goes To Hollywood. Et ces compos avaient l’évidence de tubes de Daniel Johnston. Vers 2009-2010, il cherchait un nouveau batteur. Gina ayant eu vent de la chose, m’enjoignit à postuler.

Je pris le pseudonyme de Brutal Beauceron, notre duo m’éclatait. Cette lo-fi pop était géniale à jouer, elle avait un goût de gravier sur laquelle on avait envie de danser pied nu dessus, et ça plaisait à chaque fois. Holiday in the Arctic Sun, qui apparaît sur la compil, on la jouait a deux mille à l’heure, la foule reprenait en chœur les « to yhe body yeah ! » À un concert à la Machine à Coudre. Je m’affublais d’un masque intégral de chien. Il faisait une chaleur à crever là-dedans, mais c’était trop raccord avec son concept.

On avait une malédiction assez folle, nous n’avons jamais pu jouer hors du département. Tel les captifs de Longjumeau, dès qu’on voulait sortir hors du 13, il arrivait une tuile. Les concerts étaient annulés 24h avant. Une fois on devait jouer à Nice. On est parti dans la voiture du Teckel, avec Pippo Syzlak, qu’on avait embauché à la basse. En plein milieu de Toulon, la caisse à rendue l’âme. Dead. Muerto. Kaputt. Après des heures, à la faire réparer, on est retourné penaud à Marseille. Christian s’est expatrié, il anime une excellente émission musicale, Souladelic Bled El Radio, fait un clip pour Troy Von Balthazar.  Et continue l’aventure du canidé. Gloire à lui.

Je passais des heures d’écoutes dans un bocal de ganja, à inspirer la musique via la fumée. La gentille expérience psychédélique faisait à jauger et apprécier. J’aurais aimé mettre plus de métal, mais j’en connaissais peu, et ils passaient rarement dans les clubs du quartier. Pardonnez-moi. La compil coulait très bien, c’est à dire qu’on reconnaissait des genres différents, ça sautait du coq a l’âne, parfois énervé parfois calme, mais il me semblait qu’il y avait un dénominateur commun, une sorte d’urgence fonce-dans-le-tas identique à celle qu’on entendait dans tous les soubassements en ébullition. Vous savez ? Cette impression, lorsque on voit des groupes punks de 77 jouer sur des bandes d’époque. On a l’impression qu’ils vont tomber de la scene, qu’il y a quelque chose d’imminent qui va péter, une corde, un ampli, un bras. Une fragilité d’orque qui vient de naitre. Malgré l’hétéroclisme, il y avait une homogénéité. Qui perdure.

Je demandais l’autorisation à tous les groupes, ils eurent la bonté de me laisser utiliser leurs morceaux. Mon but avoué était de diviser le fruit des ventes entre tous. Au début, je les informais tous les mois, mais on en a jamais vendu des masses, j’ai fini par les retirer des plateformes. Aujourd’hui, le fruit des ventes dort encore. Il y a un peu plus de cent euros, à repartir suivant les ventes de chaque volume, et à diviser par douze, ça fait des clopinettes. Si une formation a envie de s’acheter un paquet de granolas avec son butin, qu’il me fasse signe.

Le constat, dès le volume 1, c’est que c’était du sérieux. La plupart de ces combos tournaient, faisait des clips, avaient des albums studios avec un son pro, des articles dans la presse spécialisée. Un total respect ils méritaient. Et en prospectant en vue de prochaines éditions je me rendais compte qu’il y avait plus de trésors que prévu. Nous en parlerons dans la suite. Sachez que s’il avait été possible de sortir une anthologie des bons groupes régionaux, une bibliothèque aurait été nécessaire pour y stocker les cents volumes qu’elle aurait comporté. Malheureusement, je n’ai pu qu’en effleurer la surface.

Parallèlement à cette tâche, il fallait recruter. Gina, JB Loi et Myriam « Mymy » Madi furent les premiers à rejoindre la troupe. Puis, je reçu un coup de fil, de la part de Vincent Fraschina. On ne se connaissait pas, il se présenta. Il jouait de la basse dans le groupe the H.O.S.T, que je connaissais de nom. L’avantage de vivre dans le quartier du Plateau, c’est qu’il n’y avait qu’à regarder les murs pour savoir ce qu’il se passait. Les affiches de concert, comme des peaux de cigales, apparaissaient, s’arrachaient puis se reformaient. De fait, on y voyait les noms qui étaient actifs sur le moment, et j’avais vu celui du groupe de VF déjà plusieurs fois.  Nous avons bien percuté. Lui avait déjà expérimenté la force de la volonté, du côté de Strasbourg, en participant activement à la mise en place du Molodoï, une salle autogérée au statut légendaire. Elle existe encore aujourd’hui. De surcroît, c’était un bassiste terrible, il allait être un des rouages les plus important de notre coalition.

Il ne fut pas difficile de recruter la troïka des purs de Concertandco-Liveinmarseille, dont j’ai déjà parlé plus haut : le Mystic Punk Pinguin, Pirlouiiit et Philippe Boeglin. Depuis le temps qu’ils raclaient les salles, et faisaient la promotion active de la scène depuis déjà un lustre, ils montèrent d’un bond à bord du rafiot .

Durant cet intervalle, je me rendais à la préfecture déclarer officiellement la création de l’asso Phocea Rocks. Ce n’était pas difficile à faire, il n’y eu point de cauchemar administratif, juste un peu de paperasse. Sur le premier statut, Gina était secrétaire, Mymy trésorière, Vinzo président. C’était important d’être dans les clous législatifs, nous ne voulions pas être considérés faiseurs de n’importe quoi. Il fallait que nous nous armions comme notre ennemi, celui qui mettait des milliards de règles partout, puis vous écrasait comme un punaise à la moindre erreur, sous le prétexte fallacieux et un ton moralisateur que « nul n’est censé ignoré la loi ». Admiration pour les squatteurs anarcho-punk, qui sont obligés d’être au fait du droit pour pouvoir faire survivre leurs utopies le plus longtemps possible. Dans ce registre ultra-légaliste, Gina et moi sommes partis au Diable-Vauvert pour trouver une assurance qui couvrit les risques des futurs événements en préparation. Elle était bien cachée, mais nous la trouvâmes, aux confins de la ville. Pour les distribuer aux raouts organisés par le Off, je me fis livrer des cartes de visite. Sur un fond blanc apparaissaient une silhouette noire de la bonne mère, la vierge tenant une guitare à bout de bras. C’était une des élèves de BTS qui avait trouvé cette excellente idée, Cécile Eberschweiler. On pouvait lire PHOCEA ROCKS. Vinzo. Directeur artistique. Un numéro de téléphone, et l’adresse mail où nous joindre.

A propos du nom du festival, il convient de signaler que 95% des gens prononçaient « « phocea roque » au lieu de « phocea rox », avec un bel accent marseillais.  Je ne pouvais pas vraiment blâmer cette dyslexie, vu que j’avais dit doBly surround au lieu de dolby pendant des années. L’adresse mail était au nom d’Iggy Merguez. Gina avait soufflé le gag. Quand on se croisait, on blaguait beaucoup avec Martin Carrese sur la saucisse rouge. La merguez, au même titre que la mouette et le rat, était un insigne fort du centre-ville. Ah… La fête du Panier, avec la charcuterie berbère qui suintait des murs… Logique que le représentant électronique de l’association se nommât ainsi. Ce brave Iggy est toujours fidèle au poste.

 

Le Off possédait un carnet d’adresse impressionnant, connaissait mille lieux à investir pour organiser des événements pre-2013. En cette fin d’année 2011, il m’avait déjà convié à participer à des interviews sur Radio Grenouille, à la Friche Belle-de-Mai, pour la Provence, pendant une soirée au Waaw, etc. Je martelais doucement nos intentions. Une fois, une dame qui tournait des documentaires pour Arte m’appela, nos desseins avaient piqué sa curiosité. Malgré toute mon éloquence, mes parallèles avec Seattle, Londres, Manchester, mes connaissances sur le mouvement rock, et mon enthousiasme, elle n’a jamais donné suite. J’ai dû passer pour un allumé. Vu le niveau de la chaine de nos jours, et son manque d’audace, ce n’est pas étonnant. Elle était déjà à côté de la plaque, et un pied dans la bouche d’égout.

Bien sûr, je fumais des oinjs comme un cochon mange des truffes, avec voracité. Avec Nitwits, SuperTimor et Ultrateckel, je me produisais plusieurs fois par mois, je bossais aux Lices, et j’essayais d’oublier qu’irrésistiblement, la planète avançait dans l’espace et le temps, pour se rendre à son rendez-vous de 2013. Je me rendais aux réunions du Off avec une casquette du Viêt-Cong. L’une d’entre elle, au Panier, avait pour objet de nous inciter à chercher des mécènes. Je n’y croyais pas trop, ça m’ennuyait surtout de quémander à des gens que je n’avais pas envie de rencontrer, des sous dont nous n’avions pas vraiment besoin. Par la baie vitrée, les rues propres du Panier réhabilité me renvoyaient à une période où j’habitais tout près, à la Joliette. A travers les craquelures de ma mémoire de faïence, j’épiais les souvenirs…Dans les années quatre-vingt-dix, par ici c’était glauquissimus. Carcasses de voitures brûlées, débris, ordures, bâtiments débandant. Dans les escaliers descendant à la place Sadi Carnot, des mecs se faisait des fixs d’héro sur les marches. Quand je traversais la place de la Vieille Charité, c’était un territoire de décombres, ça ressemblait à une zone de guerre, les chars et le sang en moins. Une bonne méthode pour édifier la population locale sur les malheurs du monde. Les gabians remplaçaient les vautours, et les rats restaient des rats, se posant ou se glissant sous les gravats qui jonchaient les lieux. Il y avait un immeuble en ruines. Sur sa face déchirée se supposait encore les formes des murs, des volumes et des pièces. Des graffeurs avait entièrement peint cette façade, modélisant plusieurs écrans de télévision à tubes cathodique. Je me rappellerai toujours de l’inscription : « C’est Mars C’est Yeah. Cette culture graphique et musicale, ça se mélangeait dans ma tête, et pas que dans la mienne. Le hip-hop s’était incrusté dans ma génération, ça existait déjà, mais nous étions de celle où il y avait autant d’enthousiastes que de réfractaires. Marseille était un décor idéal pour le groove et le rock des ruelles. Dommage que l’accouplement rap-rock ne se soit fait que du bout du gland ou de la pachole. Ici aurais pu naitre le plus grand groupe de crossover (ou fusion) de la planète, à en faire trembler Rage Against the Machine. Mais passons.

Au même moment, je décrochais un master en documentation. On m’y avait appris à construire des cartes heuristiques, je mis ce savoir à profit pour clarifier l’organisation, les intervenants, et le plan où se situerait l’action. Le site web fut péniblement monté par mes soins, en utilisant mes compétences rachitiques sur Wordpest. Le résultat n’était pas vilain, on pouvait consulter les différentes dates du festival, une description des lieux, un abécédaire des groupes participants, avec des biographies, des liens vers leurs musiques, vers leurs clips, s’il y avait. Comme un benêt, j’ai oublié de renouveler l’abonnement au nom de domaine, le site a disparu, il n’a été reconstruit de zéro que quelques années plus tard. Mea maxima culpa. J’envoyais les premiers mails aux salles pour les prévenir qu’un futur évenement se préparait pour 2013. La Machine, le Molotov, le Lounge, le Dan Racing, la Salle Gueule. Claire, Hazem, Roger, Dan, Tout le monde me dit ok. Seule la Salle Gueule refusa. Ils ne voulait pas se compromettre avec des subventionnés. Dommage, j’aimais beaucoup cette salle, c’était à deux pas de chez nous, et il y avait à bloc de shows, j’y avais joué plein de fois avec Nitwits, et même SuperTimor, pour quatre pistaches. Mais ils avaient leurs principes, et ils s’y tenaient, voilà, il n’y avait pas de quoi leur en vouloir. Ça faisait quand même quatre endroits sur quatre qui se sentait de participer. Ça commençait bien.

 

Le volume un de la compil se présentait sous la forme d’un petit digipack en carton, que je fis fabriquer dans une petite imprimerie près de la Timone. Pour une centaine d’euros, je pu avoir cent exemplaires. J’achetais également une centaine de cd vierge au recto blanc, afin de respecter la charte graphique, et me procurais des tampons chiffrés. Il fallut ensuite graver un à un les cds, vérifier que les morceaux passaient convenablement, apposer le chiffre « 1 » sur le disque encore chaud, sans bavure, puis glisser la galette dans sa jaquette. Évidemment, je n’ai pas tout fait en une fois, le pauvre Mac du ménage aurait grillé. J’en gravais à coups de cinq, dix exemplaires. Quand j’allais voir un concert, c’est à dire deux ou trois fois par semaine, j’en laissais quelques-uns au comptoir. Ils étaient offerts, il n’y avait qu’à se servir. A ceux qui les ont pris, gardez-les, ce seront des pièces de collection.

 

Stéphane réussi à obtenir un rendez-vous avec Scotto, le propriétaire du magasin de musique du même nom, rue de Rome, et conseiller municipal. Nous nous rendîmes à la mairie des premier et septième arrondissements, à la date convenue. Nous nous assîmes devant son solide bureau. La première chose qu’il nous dit fut : « le rock c’est dépassé » et tout de go nous demanda de passer à autre chose, ne voulant pas que la discussion s’éternise en débat. Ce vieux schnock anesthésié nous proposa, avec une grande largesse, de nous donner 1500 balles et de nous prêter un ampli, sous condition de pendre une banderole aux couleurs du magasin, à l’occasion d’un événement qui n’était pas encore la rue du rock. Ma foi, Sa Seigneurie était trop bonne. Mon cœur de sauvage voulait lui sauter à la gorge. Si durant toute mon existence, je m’eusse laissé aller à écouter ce sauvage, et étrillé tous ceux qui me révoltaient, j’aurais passé la majeure partie de ma vie en prison. Le dégoûtant de l’affaire, c’est que si ce condescendant commerçant avait été prévenu de mes ascendances bourgeoises, de petit fils de haut fonctionnaire, et de fils d’exécutant princier, il aurait été d’une obséquiosité à faire baver d’envie un contingent d’escargots. Il n’aurait pas joué les revenus de tous, les tout-voyants, les tout-sachants, les munificents. Dans le fauteuil, il n’y avait qu’un parcheminé au bord du néant. Qui s’en soucie ? Ce qui me laissa muet c’était le paradoxe. Vouloir de la nouveauté tout en méprisant la jeunesse, vendre des instruments d’un genre qu’on estimait dépassé. C’était normal ça ? Une famille dont l’artisanat originel était de faire des chapeaux chinois pour l’armée, l’instrument ridicule dont parle Villiers de l’Isle-Adam dans la nouvelle du même nom ? Ce bonhomme avait dû avoir une vie très dure, et semée d’embûches. Il n’aimait pas les groupes. Le groupe, c’est un mauvais exemple pour le peuple. Ça lui montre que s’en mettant ensemble, et en s’entraînant, on peut devenir très fort, voire dangereux. Qu’importe le point de vue, ce qui compte, c’est de regarder dans la même direction. Ça peut déplacer des montagnes. Qu’il est facile de détourner les masses avec simplement un chanteur/chanteuse faisant des cabrioles, et qui n’écrit pas ses paroles. Je fis profil bas, acceptait l’offre. De toute façon, je m’en fichais de son aide, avec ou sans, il se ferait le festival. C’est le Off que je ne voulais pas embêter, en rentrant en conflit avec eux.

 

Juste après, Philippe Petit, un musicien d’avant-garde bien connu des cercles internationaux, m’invita à passer le voir chez lui, pour discuter de mon projet. Cela faisait des années que j’entendais parler de lui. Journaliste, auteur, c’était un homme d’une grande érudition. Hyperactif, il avait collaboré avec des pointures, Lydia Lunch, Justin Broderick, Graham Lewis, Cosey Fanni Tutti. À l’époque bientôt chef d’orchestre de l’European Contemporary Orchestra, il représentait pour moi un archétype que l’on pouvait trouver au hasard de la ville, celui de l’individu discret aux véritables aventures prestigieuses. Des gens qui faisaient des choses dingues pour un amateur de musique, tandis qu’ils passaient inaperçus aux yeux des mémères à caddie et des garagistes retraités (quoique ceux-là aussi devaient compter dans leurs rangs des individus aux destins, aux anecdotes hors du commun). Sans hésiter, Je me rendais a son appartement à proximité de la place des Danaïdes. Dans son salon, il y avait un mur de films, des séries b, des longs métrages de Santo, le catcheur mexicain, les trois tomes de Ze Craignos Monsters. Quel bonheur de voir que je n’étais pas seul à aimer ces bizarreries poétiques au trente septième degré ! Mon hôte fut très cordial, on passa en revue les groupes de Marseille, les genres. Le style sludge fut cité. « Oh, un groupe d’ici que j’aime beaucoup, c’est Supertimor »dit il

« Je suis le batteur » répondis je tout fier. Il n’en revenait pas, et cela scella notre confiance. Il me demanda à pouvoir participer à l’événement, j’acceptais avec plaisir. En se serrant la main, nous convînmes de nous tenir informé. Trop cool, je préférais entre pote avec lui plutot qu’avec monsieur Scotto des magasins Scotto.

 

 

A la fin de l’année, j’aidais pendant trois jours à déménager les locaux de Dushow, une entreprise de backline, de la Pomme à Vitrolles. Là encore, je n’étais pas une foudre, mais soulever des caisses et démonter des étagères, j’en étais encore capable. J’ai dû taxer quatre cents clopes à un chauffeur polonais qui bossait avec nous. Au début il m’en donnait de bon cœur, a la fin son regard devenait noir dès que j’apprpchais. Dans la foulée, je trouvais un emploi d’assistants vétérinaire, mais cela sera pour un autre chapitre.

 

En décembre, nous étions à Senozan, Saône et Loire, chez les parents de Gina. Dans leur petite maison, entourée de champs et de brouillard, et la nuit hantée par les crieuses dans les bosquets, sur leur ordinateur, je mettais en ligne la page facebuk Phocéa Rocks. La première publication, le 12 décembre 2011 indiquait :

« Bon, ça part de là. »

 

(à suivre)

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