Phocéa Rocks. Prémices 2.

 Dans Mémoires de musicien

2012. Les mayas prévoyaient la fin du monde pour novembre. En attendant le grand stop, je travaillais, depuis décembre 2011, comme assistant vétérinaire. Avec ma blouse trop petite, j’étais mignon comme un lapin anémié. Le docteur qui m’avait engageé était vain et cruel, en un mot bourgeois. Les premiers jours, dans le cours d’une discussion, je lui appris que j’avais des rats domestiques, il répondit « quelle horreur ! » Il me parut évident, à cette phrase sortie spontanément, que je n’étais pas en présence d’une bonne personne. En tant qu’Hippocrate animalier, n’était-il pas censé respecter toutes les bestioles ? Hypocrite.

Doublement hypocrite. Divorcé de sa femme, père de deux enfants, il avait découvert son homosexualité sur le tard. Il accueillait des amis dans son appartement, situé au-dessus du cabinet. Des amis qui venait sac au dos, et repartaient le lendemain matin, l’œil brumeux, la barbe naissante, la toison en bataille, le sourire en coin.

Et la preuve indubitable vint en vitesse. Le soir, il partait avant moi, me laissant le soin de tout éteindre. Quand venait le tour de l’ordinateur de son bureau, je tombais souvent sur la page d’accueil d’un site de rencontre pour Bear Men, les hommes ours, des gros poilus barbus, en tenue légère, et aux postures polissonnes. Ce nigaud laissait la page ouverte, rose, jaune et bleue, avec son fond d’écran en fesses touffues. Peut-être était-ce de l’étourderie, peut-être était-ce un stratagème, dans ce cas pas très fin. En aucun cas du spam. Je me pris à songer. Avec mes manières précieuses, qui étaient le fruit de mon éducation, il avait dû croire que j’en étais. Triste de constater que même un gay pouvait avoir la tête pleine de clichés sur l’uranisme. Quand Gina vint me chercher un soir et qu’il la vit, il se glaça définitivement à mon égard.

Eh, Je ne lui en voulais pas d’être homo, je lui en voulais de penser que j’étais assez bête pour ne pas m’en rendre compte. Je l’ai déjà dit mais je le redis pour que ça rentre (gag), l’amour n’a pas de loi, donc, qu’est-ce qu’il voulait que ça me fasse qu’il en soit ?

Ne l’accablons pas totalement, je faisais pas mal de bêtises, du genre m’occuper de son chat lorsqu’il partait quelques jours, et fermer son appartement en oubliant les clés dedans, galérer en ouvrant les emballages de compresses, de seringue, etc. Pour ma défense, je disais que je ne sentais pas mes doigts (c’est la maladie qui se réveillait à mon insu), il me rétorquait « tu ne m’en as a pas parlé lorsque je t’ai engagé ». Ben ouais, ces symptômes, je ne les avais pas à ce moment-là. Il m’avait enrôlé car j’avais le statut de travailleur handicapé.

La salle d’opération, le labo, les cages, la réserve, le frigo à cadavre, tout se trouvait au sous-sol. Mes journées se passaient en grande partie sous la terre. Je préparais son matériel, l’assistais pendant les opérations, commandais le matériel et les croquettes, les vendait, répondais au téléphone, notais les rendez-vous, amenais les chèques à la banque, nettoyais et désinfectais les sols, les tables, les comptoirs, faisais la lessive, développais, très mal, les radios, tenais les bestioles pendant les consultations, tentais, les larmes aux yeux, de consoler les familles qui avaient dû consentir à faire endormir pour toujours leur vieux copain ou vielle copine à quatre pattes, emballais les corps, les mettais au freezer, appelais le four crématoire, leur donnais le tout chaque vendredi, récupérais les urnes… Je repassais même ses chemises. Là aussi, j’ai vu des coulisses, mais ceux-là, je n’ai pas envie d’en parler. Au bout de trois semaines, Je me rendis compte que je n’aimais pas obéir à des ordres. Ni fainéant, ni besogneux, il n’y avait aucune rébellion de ma part. Beaucoup de choses étaient intéressantes, mais être au service d’untel, comme commander autrui, m’ennuyait dans les grandes largeurs. J’étais indifférent. En effet, encore bien portant, l’existence me fatiguait déjà.

Voilà ce que suscitait l’absence de pulsion de vie. Quand ils s’en rendaient compte les gens se mettaient à vous détester. Et le toubib me détestait. Ça avait été de la déception, de la colère, puis du mépris. Je n’arrangeais rien, j’étais plein de mon festival. Quand l’Esculape était parti, je m’occupais de la page fracebuk de PR. Tous les sept jours, j’injectais quelques piécettes, pour que le site fasse un peu de publicité en faveur de notre cause. Petit à petit, à pas de fourmi, le nombre de personnes à aimer l’initiative augmentait.

Une fois, Au lieu des 5 euros habituels j’en ai mis 100, par étourderie. Jb m’a contacté « dis donc ça explose aujourd’hui ! » Toutes les heures, cinquante profils ralliaient la cause. Affolé, j’ai immédiatement coupé le robinet, je n’avais pas assez sur mon compte bancaire, pour me permettre ces dépenses somptuaires. Cette mésaventure en disait quand même long sur le pouvoir de trucage de l’argent. Ceux qui pouvaient miser gros dès le départ, avaient plus de chance de gagner. Un concept vieux comme le monde.

 

Entre midi et deux, je rentrais jouer à Skyrim, le pays nordique plein de dragons c’était quand même plus sympa que le sous-sol aseptisé ou je marinais. Avec un pétard dans le sang, je n’étais pas l’employé du siècle. Un mois avant la fin de mon contrat, Le doc m’annonça qu’il ne le renouvellerait pas. Je ne m’en affligeais pas. Je lui révélais la vraie ,ature de mon handicap

 

« Je suis schizophrène »

« Je m’en doutais. » dit-il avec un hoquet de suffisance. Gros pédant. Le jour suivant, je me mettais en maladie, et finissait mon cdd à reprendre mon existence de fumeur avec un projet à concrétiser. Je n’ai plus jamais croisé son chemin.

 

C’est que pendant cette période de labeur médical, je continuai de me démener pour le festival. Je me rappelle être aller à une interview de radio Grenouille en bus, toujours attifé de ma petite blousette d’infirmière. C’était super important, cette interview, il s’agissait d’un débat entre officiels de la mairie et intervenants du Off

 

« T’es en retard ! » me dit on en arrivant. L’émission avait commencé. Je hochais la tête, enlevait mon uniforme. Intérieurement je répondais « C’est que je bosse, à côté de ces simagrée, glandot. » Je pris place sur le grand canapé à quatre bande, on me donna un micro. Le débat faisait rage entre Stéphane et un je-ne-sais-quel adjoint, ou secrétaire, ou responsable, ou directeur de la culture communale. Un représentant du In. Un vieux costard. Il justifiait le IN en des termes tel que : « Nous sommes dubitatif quant à la compréhension globale par l’ensemble de la population, en terme d’absorption du véhicule artistique que nous comptons piloter et injecter dans l’écosystème phocéen, afin de créer une synergie. Nous avons des lors fait appel aux meilleurs artistes de la capitale… » traduction : vous les marseillais ne comprenez rien, on a donc payé des artistes de Paname pour vous montrer ce que c’est que la culture qui a de la gueule.

 

Stéphane (qui avait un dictionnaire français /technocrate intégré.) « Ca veut dire que la population locale n’est pas capable de produire de la culture ? »

 

Le représentant, haussant les épaules : « boaf… »

 

L’animateur de l’émission : « et vous Vinzo, qui préparez avec votre asso un festival de rock, qu’en dites-vous de tout ça ? »

 

« Et bien je pense que c’est un faux débat… » Éric Pringels manqua de s’étrangler de rire, la dispute devait durer depuis une bonne demi-heure entre Stéphane, du off, et le représentant du In complètement out. Ayant mis les pieds dans le plat, je poursuivais.

« La culture, tout le monde peut en faire, il suffit de descendre en bas de chez soi, et montrer son travail, c’est comme ça que j’imagine la capitale de la culture. Tout le monde peut participer. Phocea Rocks d’ailleurs, est pour l’œcuménisme artistique ».

 

Stéphane me regardait d’un air de dire « Vinzooo… ». Le représentant me dévisageait, bouche bée, œil pendant.

 

« Et ce sera le mot de la fin, notre émission s’achève. »

 

Alors qu’on se levait, le type qui s’occupait du Festival du Film Chiant, me regarda en souriant malicieusement.

 

« Le mot œcuménisme, t’avais parié de le placer, hein ? »

J’ai dit « oui », mais je pensais « non ». Je n’avais pas trouvé plus précis pour exprimer ma pensée. Comme les Ramones, je voulais juste dire un truc du genre « Hé les gars, on s’en fiche, si vous voulez faire un truc, faite le, allez-y à fond, ce qui compte c’est d’avoir le courage de tenter. » Et à titre personnel, j’aurais ajouté la leçon que j’avais retenu de Ritchie : il fallait s’impliquer si tu voulais qu’on s’impliquât pour toi .

 

Maintes fois, au fil des changements de saisons, du-je me produire dans des conférences de presse/soirées, afin de défendre ce que nous voulions présenter. Balbutier devant des bandes de pilleurs de buffets, peinturluré par le jet d’un rétroprojecteur. J’avais bidouillé cartes heuristiques, carte géographiques et photographies, présentables devant un parterre de curieux culturels, aux visages inconnus des salles et du quartier.

 

Un soir, lors d’une présentation du projet, l’hôte, passablement cuit au vin blanc, m’interrompit depuis sa chaise et me posa une question absurde. Sur une antique carte de la ville, j’avais indiqué, à l’aide de traits rouges, les endroits stratégiques de la « zone rock » de Marseille, et où se déroulerait les concerts. Il me demanda d’une voix pâteuse, pourquoi les traits étaient rouges. La question n’avait aucun sens, c’était comme de demander « quelle est la différence entre un pigeon ? », mais un grand silence se fit dans l’auditoire. On attendait ma réponse. Devant le maître des lieux, je ne m’imaginais pas lui répondre d’aller se coucher pour cuver son picrate à bas prix, je balbutiais donc une explication. Cette couleur c’était euh… et bien… Pour qu’on voit plus clairement sur ce plan de 1789… Un petit peu décalé… Amusant… Haha… Hum… Mais le malicieux éthylique ne voulait pas me lâcher à si bon compte. Les gens saouls sont bloqués à un stade où ils pensent que plus ils sont désagréables, plus ils font preuve d’esprit. Il ne comprenait pas, et ne voulait pas comprendre, il haussait la voix, et malgré mes réponses de plus en plus implorante, dans son regard, je voyais que ma tête, mon ton, et ma veste de caporal la RAF ne lui revenait pas. Dans son cerveau nébuleux, il devait penser que je m’étais habillé en SS, et que son devoir de Français était de collaborer à la résistance en me ridiculisant. Au bout de dix minutes, et grâce à l’aide de Stéphane, qui demanda à ce qu’on me laisse continuer, je finis mon discours. Sitôt terminé, je prenais mon ordinateur portable sous le bras, et m’en allait, vexé comme un pou. Je rentrais du 3eme arrondissement en bus, jurant mais un peu tard, qu’on ne m’y prendrait plus.

 

Le Off dégottait des tonnes d’endroits assez dingue pour organiser ses soirées. Ils s’étaient liés avec Terrasses en Ville, qui leur refilaient des bons plans. Souvent dans l’arrondissement que je viens de nommer. Nombre de bâtiments désaffectés, d’anciens hangars, de vieilles usines. Des lieux spacieux et encanaillants, pour les amateurs d’urbex tout frais émoulus esthètes.

 

Pour une occasion, le Off me demanda d’organiser un concert dans un de ces larges environnements. Je fis venir Conger! Conger! et ils furent largement à la hauteur. Interprétation précise et téméraire. Quelques jeunes eurent un flash en les découvrant. Le lendemain, dans une gazette moqueuse, on racontait que le Off avait organisé un concert, ouvrez les guillemets, de « death metal ». Condescendant pour la noise, le death, le groupe, le Off, et le rock en général.

 

Au club Pernod, pour un brunch, je fis une autre présentation. Le Mystic Punk Pinguin, présent, me fit remarquer qu’il y avait un journaliste de Telerameur qui était là. Il le connaissait, il nous présenta. Le gars me dit bonjour, de très haut, de très loin, avec un sourire automatique, puis me snoba, voyant que je n’avais aucune intention de le flatter pour suçoter son influence.

 

Pour le banquet de Platon, un festin énorme dans un immense ancien garage du boulevard National, on me demanda une expo photo montrant la scène. Il en fallait une bonne douzaine. Je demandais à Pirlouiiiit des clichés, j’y rajoutais, cahin-caha, des citations piochées dans des chroniques de Liveinmarseille, avec mon logiciel graphique du pauvre, puis j’allais les imprimer à un bon format, A2, A1, je ne sais plus, dans une reprographie du boulevard Baille. Ne disposant que de trois bouts de ficelles, d’aucun cadre et de peu de temps, Gina eu l’idée futée d’utiliser des lames de plancher auto adhésives qui nous restait de notre dernier emménagement. En les combinant ensemble, en les découpant au format voulu, il n’y avait plus qu’à coller les images sur la partie adhérente et à installer une petite attache à l’arrière. Ce système D fonctionna à merveille. Ça pesait très lourd, mais ça faisait l’affaire. On a pu les accrocher pour le banquet. Le soir, les pros de photoslop nous firent remarquer que certaines photos étaient un peu déformées. C’est tout. Dans les films, les livres, les bds, les interviews d’artistes, ont fait toujours l’apologie de la débrouille, de la planche vermoulue face à la vague furibonde. Les personnages sentent que le héros et ses amis se sont donnés du mal, et on les félicite. Dans la vraie vie, ici, on s’en battait les flancs, du fait-le-toi-même, c’était même une perche à saisir, pour se moquer de la faiblesse des moyens, de l’urgence exigée, de la foi inébranlable. Le festin rameuta une foule incroyable, c’était bondé, ça débordait de gens, on ne pouvait plus rentrer. Le Off lui-même était un peu terrifié par cette marée imprévue. Hormis les activistes et les sympathisants, il ne me paraissait voir qu’une multitude de gredins respectables, venus s’émoustiller de ce qu’ils pensaient n’être qu’un fiasco annoncé, et manger des mignardises au passage. Était-ce un restant de cours royale française, façon Louis de Rouvroy de Saint Simon, cette avidité à piétiner, à mépriser, à ridiculiser ? J´en ai vu beaucoup, de ces petits seigneurs locaux, se gausser de la faiblesse. Ce soir-là, je devais également taper une vieille reprise des Stooges avec Michel Basly, mais il n’a pas pu venir. Je parlerais de lui un peu plus bas.

 

À part les autres porteurs de projets, qui étaient amènes, et discutaient volontiers, les invités à ces réceptions ne s’intéressaient pas du tout à nos idées, à l’exception des plus baroquement conceptuelles et stériles, où l’on prononçait volontiers les mots à la mode du jour, Synergie et Mutualisation. Je vous renvoie à la citation de Jean Jaurès.

 

À cause de ma tête à claques, et magnétique au mauvais sort, je suscitais un air de mépris souverain chez les gens à petite réputation. Leurs yeux me disaient « T’es qui toi ? tu sors d’où ? » Je n’allais pas leur débiter mon pedigree à chaque fois, ça aurait été trop long, et surtout, d’une prétention lamentable. Et ils auraient été jaloux. Ils voulaient quoi, que je leur distribue des cvs ? Faire la première courbette était au-dessus de mes forces, flagorner, détestable. Étaient-ils trop pleutres pour parler au grand Duduche ?

Quand on lançait le mot rock, les ignares suffisants croyaient tout savoir sur le compte de ce mode d’expression, et se figuraient des crevettes du Muppet Show piailler et sautiller sur des morceaux provenant de leur maigre collection d’albums falots, un truc soit inoffensif soit outrancier, balisé par des dinosaures extrêmement célèbres, de la variété froide, du punk d’opéra de qua’t sous, du rock gominé, et rarement tout à la fois.  Ils n’y étaient jamais allés mais ils en étaient déjà revenus.  Il y en avait abondance, à me toiser froidement lors des présentations, à attendre que je leur parle d’émissions spatiale de séquences sonores et de synergie mutualisée résilientes. Avec ma dégaine de krill, je passais pour d’un convenu, ma chère, avec mon rock drelin-drelin. Ce n’était pas assez original pour leurs envie d’empereurs.

 

Nonobstant ces histoires, sommes toutes assez futiles, l’aide de fond du Off fut plus que précieuse. Ils persuadèrent l’Espace Julien de concocter un truc avec nous. Olivier, le régisseur, organisait des plateaux locaux au café Julien, la partie bar des lieux. Un endroit parfait, ambiance plateau de télévision, sans les bouffons de cour baveux, une mezzanine pour observer les artistes en vue plongeante, un son excellent. Il y a eu plein de super shows d’Elektrolux, Hummingbird, Human Toys, Nitwits, Crumb, plein d’autres. En 2013, la scène avait été déplacée. Elle jouxtait les toilettes. Les sanitaires les moins bien disposés de l’histoire, en plein milieu de la salle. Ce qui voulait dire affronter les hordes de clients, traverser et faire la queue parmi la foule, patienter de trop longue minutes la goutte au bord du slip. Quand votre tour arrivait, vous n’aviez qu’une fraction de seconde pour vous lancer dans l’unique cagoince disponible et faire votre affaire, avant qu’une armée d’incontinents furieux n’abatte la porte et vous éjecte du trône les fesses à l’air. Pour une salle d’une capacité de plus de mille personnes, un seul cabinet, c’était rapiat et sadique. La scène du café Julien fut donc déplacée dans le fond, face à la porte d’entrée. Pour les spectacles, c’était mieux, mais, au jour où j’écris ces lignes, le 1er février 2024, il n’y a que deux toilettes, tout le temps en panne. Mais là n’était pas la question. Olivier me fit venir, et me proposa de nous laisser la salle gratuitement, pour un soir. A nous les entrées et le marchandisement, à eux le bar. Il croyait au potentiel de l’événement. Il proposa le 31 mai 2013, une date parfaite pour ouvrir la saison du festival. Fin du printemps, température optimale pour vaquer légèrement vêtu le soir. Nous avions droit à la petite et à la grande scène. Il nous laissait carte blanche pour la programmation. Quant au nombre de formations, nous tombâmes d’accord pour présenter 13 groupes. C’était un clin d’œil au numéro du département. Malicieux, mais ça faisait beaucoup. Le souvenir de la Chine, et de Beijing, déboula comme une bille en acier sur le bumper de mon cerveau. En faisant se chevaucher les sets, on pourrait faire rentrer tout le monde dans le créneau 19h-minuit dont nous disposions. Faire un backline commun, partager les corps de batterie et les amplis serait indispensable pour faciliter au maximum les changements de plateau. On se donna rendez-vous a dans deux mois, histoire de choisir la programmation avec l’asso, et de faire un point sur la situation.

 

Toujours désireux de m’aider à rencontrer le plus de personnes possibles, Stéphane et Éric me demandèrent de les rejoindre aux locaux du festival Marsattac, rue Consolat. Dans la belle cour arborée, au sommet d’un double escalier de pierre, je rencontrais Dro Kilndjian, le programmateur. Doux et avisé, il accueilli nos intentions avec une bienveillance simple. Il était prêt à aider. En grignotant un croissant, et en écoutant Dro, je contemplais le jardin, rendu plus beau par sa sauvagerie. Les lianes pythonnaient autour des balustrades, le mobilier et les constructions grêlés de mousse et spongieuse, avaient été témoin d’un défilé de gens, revêtus de redingotes, de pantalons de lin, puis de jeans de modistes. Les herbes avaient poussé plus que de raison. C’était une spécificité du centre de Marseille, dehors, pas de parcs, pas de plante, surtout du bitume taché de chewing-gum fossilisé. Mais à l’intérieur des pâtés de maisons se cachaient des espaces verts salvateurs. Analogue avec la scène. Camouflée derrière des façades sévères, aux fenêtres ruisselante de larmes sèches, une faune de tambours et de cordes en liberté remuait de vie. Il suffisait de fouiller un tout petit peu. De retour sur le pavé, on alla boire un café au bistrot des Danaïdes, devant la fontaine où les pauvres maudîtes étaient condamné à verser de l’eau éternellement, en haut de la Canebière. La réunion-bilan devint une discussion sur le quartier où nous nous trouvions. Stéphane m’appris que la rue Consolat était celle qui comportait le plus de garage individuel de la ville. Je plaisantais sur le rock garage, ce genre américain né dans les années soixante et soixante-dix, nommé ainsi car les groupes qui se formaient, adolescents mordus par le bacille rockus nrollus, répétaient la plupart du temps dans le garage de leur maison, Cela avait développé un son particulier, rugueux, bruyant, brut. En plein ère du psychédélisme, ces moults musiciens enregistraient un tube, deux, trois s’ils avaient de la chance, puis, pour la plupart s’évanouissaient dans les limbes. Stéphane trouva l’analogie marrante. « Vinzo, et si tu faisais jouer des groupes dans les garages de la rue Consolat ? Marsatac à un garage, ils nous le prêteraient. » Le duo s’enthousiasma du concept, et me demanda de tout faire pour le monter. Je trouvais l’idée géniale, j’opinais. En dedans, je fissurais. « Comment vais-je bien pouvoir créer ça, en partant de zéro ? ». Sur le papier, c’était marrant, mais en vrai, ça l’était moins, ça demandait un boulot monstre. Ce bastringue, ça promettait d’être le D-Day, et je n’avais pas d’idée.

 

En se séparant, je retournais dans la rue, essayant de faire un état des lieux. Elle était d’une longueur conséquente, très conséquente, trop conséquente ! Impossible de l’utiliser en entier, il aurait fallu plus d’une cinquantaine de groupes. Mentalement, je circonscris une zone, la partie de la rue partant de son milieu, jusqu’à la place où nous venions de nous remplir de caféine. Il y avait quelques rideaux de garages, mais aussi des commerces, des assos, des bars, un théâtre… Mouais… Pour commencer, il faudrait déjà demander à tous ces gens si ils seraient ok pour prêter leurs lieux, ou leur bout de trottoir, un jour donné de l’année prochaine. Je me décidais à revenir faire ce sondage dans quelques jours. Le chronomètre s’était lancé, et je voyais avec terreur la petite aiguille se mouvoir irrésistiblement vers son terme. Je voyais déjà la catastrophe, les problèmes, les refus. Vinzo nul, malchanceux, destructeur, décevant, pour vous servir.

 

Le soir, rue Jean Roque, au zinc de la Machine à Coudre, je parlais de la chose au Mystic Punk Pinguin et a Phil Boeglin, en y mettant un ton gentiment désabusé, afin d’insinuer que c’était une bonne idée, mais qu’enfin, ça demanderait trop de travail, avec ce qu’on prévoyait déjà. Mais ma tentative de programmation neurolinguistique pusillanime échoua. Le Pinguin et Philippe s’enthousiasmèrent pour ce plan, et en buvant des coups, on délira sur ce qu’on pourrait faire. C’était d’autant plus intéressant que le Pole info musique, la structure d’accompagnement des zicos, ou travaillait MPP, se trouvait pile dans ladite rue. On aurait un agent sur place, plus ses deux collègues, Isa et Cyril. Ils rentreraient avec plaisir dans l’association.

Certes, ça me faisait flipper, mais ils avaient tous raison, les enthousiastes. Un truc hors du commun, ça renforçait le programme des hostilités, ça annonçait que les indés n’étaient pas des rigolos, et qu’ils pouvaient envoyer du lourd.  Me dégonfler maintenant aurait fait de moi un petit zizi légendaire dans la ville et alentours, mieux valait donc se lancer dans l’entreprise, en serrant les fesses. Quitte à se ramasser, au moins, on aurait tenté. Le phénoménal phizibule phantastique phantabulaire qui allait devenir la Rue du Rock commença ainsi, sur un jeu de mots et des rêveries de comptoir, rue Jean Roque. I rock for it street. Ça ne s’invente pas.

 

Peu après la mise en œuvre du plan RdR, le Off nous donna plus de précision. Le 5 juillet 2013, de 16h à 20h, auraient lieu les concerts urbains proprement dit, puis le soir, se tiendrait une autre soirée, à Sud Side, un grand hangar de la Cité des Arts de Rue, aux Arnavaux, dans lequel Michel Basly et sa bande avait installé, non seulement un garage à bécane somptueux, mais aussi une station essence des années cinquante, grandeur nature. Une faille intemporelle créée à quelques encablures de la mer. Un spectacle incroyable. Nous étions chargés de louer les lieux et d’y organiser un plateau avec deux orchestres.

Grace aux subventions récupérées, le Off nous octroya la coquette somme de 7000 euros, de quoi largement produire des CDs et des t-shirts. Après des tractations dans lesquelles je me distinguais en inanité, et grâce à la carnassière intransigeance de Gina, le coup fut négocié, et 4000 belins partirent pour louer Sud Side. Il nous restait 4500 euros, don de Scotto compris, pour finir d’édifier notre grand cirque.

 

Le gang PR partait en petit groupes pour ramper dans les ruelles, et surprendre, à la lumière d’une obscurité tamisée, les concerts des combos locaux. Le trio LIM était parfait pour ça, ils sortaient tous les soirs, Gina et moi c’était pareil, plus les concerts perso. Entre temps, Jord, et Thierry nous rejoignirent.

Écouter la musique pour moi, c’était le point principal. Chercher la qualité, c’est ce que j’avais appris à Monaco. Il vaut mieux un truc béton cher, qu’un machin miteux au rabais. Les gens ne se sentent pas floués, ils sont contents, et au final, c’est plus rentable. Tout le monde devrait avoir droit à un tel traitement. Alors oui, j’ai fait jouer des potes, c’est parce qu’ils étaient bons. Et de fait, beaucoup de bons sont devenus mes potes.

Des heures à chercher dans les décombres de Byspace, à regarder sous les pierres, à observer les parterres de pousses Glandcamp, à ratisser les champs caillouteux de l’Interbet en général, à trouver du son pour se faire une idée. Merci Massilia’s Burning, Ganache Records et consorts.

Maintenant, là, tout de suite, la scène est toujours vivace. Protéiforme, la scène reste la scène, comme la Cause reste la Cause. Il y aura de nouveaux instruments, il y en a déjà, d’autres seront remis dans des caves, puis des musées, à côté des violes de gambes et des dulcimers. Quelques passionnés les ressortiront de leurs cages en verre pour les faire chanter, bien sûr, mais ce ne seront plus les articles bon marché avec lesquels des gamins joueront à faire de la musique populaire.

 

La musique est un business qui consiste à vendre de la nouveauté comme d’autres du poisson frais. Je ne suis pas dupe, tout ça c’est superficiel, volatil comme du teen spirit, ça passe et on oublie la chanson du moment, c’est juste une matérialisation de l’air du temps, à un endroit particulier.

La scène, il ne fallait pas attendre qu’elle soit morte pour la disséquer (la disséquer serait revenu à la tuer de toutes façons), mais observer la bête vivante pour la comprendre. Depuis la fac d’anglais, le ver de Wordsworth m’entêtait. « We murder to dissect ». C’était donc ça, ne pas analyser, mais garder la vie telle qu’elle était. PR visait cela.

 

Pour alimenter l’année en infos palpitantes, Marseillaise Off 2013, me demanda également de sortir deux nouvelles compilations, à égrainer pendant ces mois de préparation. Cette fois, avec l’argent glané, l’asso a pu trancher, on a voté pour faire graver des CDs en boitier cristal. C’était encore une idée viable, le crépuscule du disque compact touchait à sa fin, mais il restait quelques ultimes rayons de jour à l’horizon. Notre étal pouvait être vu des derniers chalands du soir. On décida aussi de passer par une entreprise locale pour faire faire des T-shirts aux armes de notre guilde : en noir et blanc, évidemment. On vendrait fringues et disques lors des événements, afin de gagner un peu d’argent. Un de nos château en Espagne était de reverser des sous aux musiciens, afin de leur donner le crédit qu’ils méritaient. On verra plus loin à quel point nous n’avons pas pu assurer cette vertueuse intention. Remercions l’état d’avance, de réprimer toute tentative légale de générosité. Saviez-vous que donner des sous à quelqu’un, juste parce que cela vous fait plaisir, c’est interdit ? Nous reviendrons là-dessus plus tard.

 

Cette narration linéaire et fastidieuse, empêche de retranscrire la simultanéité de tout ce qui est décrit ici. Dites-vous que tout avait lieu en même temps. Les conférences de presse, les rendez-vous, les réunions de l’asso, le recensement des groupes en activité, les pourparlers financiers, la mise en place de la Rue du Rock, la réservation des lieux , et des artistes, les impératifs administratifs, les demandes d’autorisation, la location d’un service de sécurité, de consoles, de hauts parleurs, de camionnettes, plus le boulot à côté . L’animation de la page Fessebrouk. Pour aller dans le sens de Liveinmarseille, Massilia’s Burning, de Ganache et du Vortex qui venait de poindre le bout de sa feuille, j’y publiais au quotidien les concerts du soir, avec les flyers disponibles. J’ai fait ça un moment, il y avait le vortex, qui est parfait, tout ceux que je viens de citer, mais je trouvais sympa de montrer les objets souvent magnifiques qui sortaient, il faudrait faire un beau livre avec toutes ces affiches, il y en aurait pour 48 volumes au moins. Tous les jours il y en avait minimum deux. J’avoue je n’ai pas eu le courage de continuer.

 

Revenons aux compilations. Les volume 2 et 3 furent plus éclectiques que le précédent, qui était, quoiqu’excellent, plus resserré sur un type de son : bruyant, tendu, condensé, fulminant. J’achetais pour une bouchée de pain les illustrations des pochettes à Tom Miquel Garcia, rencontré dans la classe de BTS graphisme que Gina m’avait fait rencontrer. C’est mort de honte que je confesse avoir payé ça moins d’une centaine d’euros, signé aucun contrat, etc. Tom a un peu râlé de ne pas toucher plus. Mais objectivement, au vu du nombres de skeuds vendus, son pourcentage aurait été dérisoire, voire insultant. J’en ai déjà parlé précédemment, sur les 150euros de bénéfices fait, divisés en parts égales entre les groupes et lui, il aurait touché de quoi s’acheter pour cinq euros soixante-quatre de bonbecs. Quoiqu’il en soit, je n’ai pas assuré, et fait preuve d’un amateurisme certain dans ma conception du droit d’auteur. Je ne recommencerai plus, je te prie de m’excuser, Tom. Cette digression termine, Voici un tour d’horizon des groupes figurant sur ces miroirs ronds.

 

Johnny Hawaii : d’entrée de jeu, le ton était donné, il serait balnéaire. Une boucle comme un rouleau de vague, sur laquelle s’écossent des notes de guitare. À la fois agréable et psychotant, bizarre tel un morceau de Hotline Miami, nous voici allongés sur le sable brun de la plage du Prophète, ensuqués aux pilules de Stablon, entre les joueurs de beach-volley et les otaries rôtissant au soleil. Devant nos yeux enspiralés, le smurfeur solitaire exécute ses trucs de breakdance, debout sur une planche de surf. Il passe et repasse, va et vient, pareil à un trucage de film muet. Hypnotiqool.

 

Wake the Dead : La claque pour vous réveiller de la sieste. J’adorais vraiment leur son, mais je n’ai jamais eu la chance de les voir ou de les rencontrer. Du hardcore tape-dans-le-bide, comme il y aurait dû y en avoir des  caisses entières dès l’élection de Sarkozy, et comme il devrait y en avoir encore. Avec un climat politique pareil, les groupes de hardcore devraient pulluler. Les Réveille les Morts ont également tenté l’aventure en Asie, je crois que ça a bien marché pour eux. Mucho besos à eux.

 

Devilish Piranhas : Un autre avatar des Dirteez, c’est à dire 90% du groupe, plus Keïssa Piranha à la batterie. Au moment où je composais ce digest, ils faisaient des tas de dates. Si la créature du lac noir avait fait un enfant avec Poison Ivy (ou Lux Interior, on s’ne sait pas), c’est ainsi qu’on entendrait jaser dans les marais le rejeton, tandis qu’il tapait sur des souches, avec des silures faisant les chœurs.

 

Crumb : je vais m’étendre un peu, car j’attends depuis des lustres de pouvoir en parler. Je ne suis pas objectif, mais je m’en fiche, ne pas être objectif, c’est le principe du fanatisme, non ? Je préfère l’être de Crumb que de la domination sous toutes ses formes. Au départ, c’était le premier groupe de Pippo, Ritchie, et Juan Lucas, leur toute premières armes de musique. Pippo à la guitare, Ritchie à la batterie, et Juan Lucas à la basse. À seize ou dix-sept ans, ils avaient enregistré une démo, dans un local de la Capelette. Quand bien des années plus, tard, je rentrais dans les Nitwits, j’ai pu mettre la main dessus. Dans n’importe quel pays, ils auraient fait lever l’oreille des chercheurs de talents. Ici, on s’en fichait. Ce n’était pas encore totalement maîtrisé, mais c’était d’une fraîcheur et d’une personnalité évidente. Leurs influences étaient déjà digérées. Au début de Nitwits, Juan Lucas jouait encore de la basse dans ce groupe. Ils étaient en recherche d’un nouveau tapeur. Ils en changeaient souvent à ce moment là.

Pippo était, et reste, une superstar. Son côté dirigiste à l’époque avait donné l’envie aux deux autres de tenter autre chose, mais ses compos étaient super cools, quoique dans un genre plus rock psyché que les énervements grunge de ses compères. Dans une dimension où le rock aurait pris en France, Pippo aurait été une grande vedette. Non seulement chantait-il bien, et composait de super titres, de surcroît il avait la personnalité flamboyante qui allait avec. Scandaleux, cynique, sensuel, charismatique, il était fait pour saccager des chambres d’hôtel, faire hurler des millions de groupies, abuser de la drogue sous toutes ses formes, dans une quête absolue du continent des bardes, et enfin, pour écrire de magnifiques chansons. Il n’a pu faire que cette dernière chose. Quand je l’ai rencontré la première fois, à l’espace Pom, il était venu pour jauger ce que je valais, comme batteur dans le groupe de ses potes. Heureusement, je faisais l’affaire. Quand on s’est rendu compte qu’on connaissait bien la Rubrique à Brac tous les deux, nos caractères ont coïncidé.

Il y avait une petite compétition entre Crumb et Nitwits. Chacun cherchait à épater l’autre, non par un travail de sape ou de mauvais esprit, mais en tentant de se dépasser techniquement et artistiquement.

Olivier est rentré dans les Miettes peu de temps après mon arrivée. C’était un tueur au style, comment dire, je ne sais pas, il connaissait plein de truc des sixties et seventies. Un jeu à lui exceptionnel. On ne se le disait pas franchement, mais on se tirait la bourre. Dès qu’il jouait un plan de malade, je n’avais qu’une envie, savoir le faire aussi. On avait parfois des discussions existentielles de batteurs, à essayer de trouver l’état d’esprit satorique pour avoir le feeling parfait. On se creusait la tête pendant des heures, on ne trouvait jamais. C’était une super époque, on passait nos vies au local, à jammer comme des fous, à se relayer aux instruments, aux bières et aux pétards.

Juan Lucas s’est concentré exclusivement sur Nitwits. Pippo a embauché Damien, un méga bon bassiste du conservatoire. Olivier n’était pas encore arrivé, j’ai fait l’interim quelque temps en attendant. J’ai eu le privilège de jouer avec lui, sur un des rare eps que la formation a enregistré. Ça me rendait dingue que Pippo ne grave pas ses compos dans la pierre. Olive est arrivé, ils ont fait quelques dates, puis Damien est parti pour un orchestre symphonique. C’est un peu flou dans mon cerveau macéré dans le chanvre. Ensuite, Romain a repris le manche à quatre cordes, Roland de Ntwin est venu jouer du clavier, et Bertrand est venu attraper une guitare.

C’est difficile de résumer en quelques phrases l’histoire d’un groupe, on ne peut pas tenir un livre des minutes de chaque répétition, avec toutes les blagues, les discussions, ni faire l’inventaire de tous les concerts et de toutes les affaires qui vont avec : anecdotes, aventures, mésaventures, etc. Je conclurai cette grosse parenthèse en disant simplement que les Crumb, je les aime, parce qu’ils ont été mes copains de galère et qu’on a ramé ensemble assis à la même rangée. On continue d’ailleurs.

Quant au morceau sur le disque, voici un exemple des précipités tubesque que le groupe pouvait produire. Allez écouter le deux titres Shake/the Park sur Bandcamp. Si

Fred Sonic Smith avait entendu ça, il l’aurait mis dans une compil Nuggets, ni plus, ni moins. J’ai gardé précieusement tous les rares titres enregistrés. « Devotion », qu’Olive a écrit, est pour moi un des plus géniaux morceau garage-psyché de l’histoire. Ils ont son très beau, tres ancien, à des kilomètres des étalons de superproduction de ce pays. C’est juste réel. Dans le secret de mon salon, je les écoute comme si je me mettais des sucres d’orges dans les oreilles. Je suis tellement fier de connaitre les gars qui ont composé et joué ces morceaux. Étrange, quelque part, je préfère qu’ils aient connu l’anonymat. Ce qui est tout de suite célèbre meurt immédiatement après. Par ces lignes, j’espère qu’ils connaîtront la gloire qui dure plus de dix ans, la vraie, celle des légendes. Alors, si je les tue en parlant d’eux au passé, c’est pour les rendre immortels.

 

 

Ntwin : Un morceau extrait de leur dernier album, avant que le groupe ne se dissolve et se reforme sous les traits de Fillette. Une irrésistible envie de balancer mon corps d’avant en arrière me saisit lorsque j’entends Ape. Juan Lucas avait une théorie pas mal, pour savoir si une musique etait bonne ou pas. Si tu hochais la tête de haut en bas, c’était du sûr, si tu la gigotais de gauche à droite, il y avait de fortes chances que ce soit bidon. Ça marchait souvent. Deux notes de basse legato, à la texture corrosive, se dévident au loin, sur une toile noire, tandis que par surprise, des étincelles d’harmoniques éclatent de ci, de là, en tintant. Ambiance de tétanos. Tout se fige. Silence. Coup de triques simultanés sur le tom medium le tom basse. Quatre fois. Comme des pistons réveillés par l’explosion d’un moteur. Nouveau silence. Tout jaillit en même temps. La même ligne de basse, beaucoup plus près des oreilles, régulièrement coupée par des accords de guitare mordante comme une scie circulaire. La rythmique, lente, lourde, constitue le châssis et les chenilles d’un bulldozer qui lamine tout sur son passage. Pia chantais d’abord, prisonnière d’une cage attachée à une chaine qui, maillon par maillon, inexorablement, descend vers une piscine d’acide. Apres le couplet, cassure. Retour de la machine au point mort, la basse ronronne à distance. Copeaux métalliques, clapotements de peaux, réactivation, jets de vapeur, les cylindres sont pris de quatre hoquets. La masse biomécanique recommence à pulluler. Roland hurlait, alourdissant la calandre avec des cris épais comme du ciment. C’était les mêmes paroles que celle chanté par Pia, mais cette fois vomies avec une colère de gorille furieux. Un fois passé sous le nez, le morceau s’en allaient, ne laissant, pour preuve de sa venue, que des débris de ferraille sur le sol. C’est Ritchie, invité, qui ajoutait les limailles et les balançait par la fenêtre

 

The H.O.S.T : Comme de grandes carapaces de kératine, les nuages s’accumulaient au-dessus de la plaine, et faisait disparaître les troupeaux de mustangs dans leur ombre. Les équidés fuyaient au grand galop, l’instinct de survie le cravachait d’inquiétude. Une tempête se levait. Le grincement d’une vielle éolienne rongée par la rouille hululait par toute la terre, avec les accents lugubres d’une terrible prédiction. Oh, au début ce n’était qu’une brise, un petit souffle qui faisait à peine vibrer les cordes d’une guitare. Puis le courant d’air commença a faire siffler les orbites des crânes de bœuf suspendus au portail du corral. Les cowboys chantaient pour se rassurer et se liaient de cordes, s’attachant aux arbres, en attendant l’orage. Le tonnerre déjà, striait la contrée avec des grognements qui faisait mugir les vaches. Bientôt, des ronds noirs apparurent sur le sol craquelé. Les gouttes tombaient comme des doigts sur des bongos. Les buissons virevoltant, alourdis d’eau, cessèrent un instant de rouler. Mais soudain, ils furent propulsés dans les airs avec violence. La tempête était là. Les vachers hurlaient de terreur, alors que d’énormes pierres tombaient du ciel et s’écrasaient entre leur jambes. Ils ne pouvaient plus se détacher, les nœuds étaient trop serrés. La sueur soudait leur stetson à leurs cranes. La roche dégringolait comme une descente de toms. L’une d’entre elle, en tombant, rompit la porte de l’enclos. Eux qui pensaient être pulvérisés par les cailloux, furent piétinés par le bétail affolés qui cherchait à fuir. Les vachers éclatèrent sous les sabots, et quand tout le cheptel leur fut passé dessus, ils étaient aussi plat que des feuilles à rouler. The H.O.S.T, dans leur bulle protectrice, avait tout d’un groupe qui monterai jusqu’à la délivrance, ils étaient si bon qu’ils auraient mérité d’être logés et nourris, juste pour continuer à faire des chansons. Vincent Fraschina était, comme ses acolytes, un maitre de son art. Mais l’inconscient collectif, l’indiffèrent collectif, n’y prêta pas attention. Malheur à celui par qui le scandale arrive, en l’occurrence, la masse. Et qui pourra prétendre qu’elle n’est pas maudite ?

 

Filthy Charity : Le grindcore était la matérialisation la plus parfaite de la colère trop contenue. Comme un cœur sous pression, il finissait par exploser dans une déflagration énorme et brève, laissant à genoux les libérateurs de cette frustration. Plutôt que de tuer, Filthy Charity, des pionniers dans la déclinaison française de ce genre, considérait le style comme une catharsis, pour eux et pour leurs auditeurs. Après le déferlement d’exaspération exprimé, la tension retombait, et tout le monde se sentait paisible. Le grindcore était d’utilité publique, il empêchait la destruction des familles, car s’il n’avait pas été là, des légions d’âmes injustement frustrées se seraient trompées de combat, auraient défoncé la porte du foyer pour égorger maman, décapiter papa et égorger bébé. Grâce à cette dose d’endorphines, elles pouvaient à la place se poser pour réfléchir. Le déferlement sur les symboles du pouvoir, à la place se prépare, et je n’aimerai pas être dans les pompes des gouvernants quand la vague déferlera. Le grindcore a des vertus calmantes, et compte dans ses rangs parmi les gens les plus paisibles et ouverts d’esprit qui existent, dont les membres de Filthy Charity. Souvenir ému de mes premiers concerts à Marseille, où on allait les voir jouer, Belzémouk et moi, boutonneux et avides de violence, dans les bas-fonds de Noailles. J’étais trop fier d’avoir un badge qui disait : « J’ai vu Filthy Charity en concert, je peux mourir. » Je l’ai perdu, et j’en suis inconsolable. Avant d’aller manger de la terre, je devais dire au monde que ce groupe était génial.

 

Strings of Consciousness : Bienvenue dans l’intoxication. Bienvenue dans le continent qu’Aldous Huxley n’atteignit qu’avec 100 ug de lsd dans le sang. La transe est agréable, et surtout, elle est compréhensible quand on s’y abandonne. On descend dans la plaine des asphodèles, où errent les défunts de l’antiquité gréco-romaine, des gens comme vous et moi. Sur le gazon plongé dans l’obscurité, nos ombres déambulent dans l’éternité, maussades, nostalgiques, et en même temps tranquilles, car le souci n’existe plus. C’est la quiétude, tout au contraire. Les petits tracas de nos vie d’avant, la soif, la faim, la peur, l’envie, la honte, la fierté, la tristesse, la joie… Il n’y a plus rien. Avec un peu de chance, on pouvait croiser un membre de notre famille, un ami, un amant. Au final, n’est-ce pas l’apaisement ? La musique crée par Philippe Petit et ses amis donne un aperçu de ce désordre calme, déroutant et reposant. Allons donc cueillir quelques asphodèles.

 

The Spectrum Family : Le légendaire Phil Spectrum, à la stature de géant, avait été, avec Leda Atomica, un fer de lance du rock marseillais des années 80. Comme beaucoup des personnages qui hantait le plateau, des clochards célestes tel Cécile ou Papillon aux musiciens de terrasses, il faisait partie du décor. Je croisai souvent sa silhouette massive, et j’avais entendu par mes oreilles indiscrètes qui était le bonhomme. Trop timide, je n’osais pas me présenter. Comme un Olivier Gasoil, un Nicolas Dick, ou un Philippe Petit, je me sentais trop blanc bec pour avoir l’outrecuidance de me présenter tout de go, de peur qu’ils me mangeassent. Pourtant, quand je lui envoyais un courriel pour lui demander un morceau, il eut la gentillesse de m’envoyer par la poste un album entier, avec l’autorisation de piocher dedans à ma guise. Non seulement l’enveloppe contenait le disque, mais elle était accompagnée d’une carte postale Spectrum Family. Même le timbre était aux couleurs du groupe ! Un joli portrait de la dynastie, Phil, lunettes noires, au centre arrière, escorté du triangle fils-femme-fille. Marseille était la fosse où tout ce qui tombait dans le déversoir du néant atterrissait. Il n’était pas étonnant que des lopins de Transylvanie soient tombés ici, avec des familles entières de voïvodes. Beat électro, synthétiseurs des Carpates, guitares grasses comme des pals en fonction, et voix de nosferats se complétaient pour adapter à la ville des rats marins cette danse qu’on appelait « la purée de monstre », le hit des cimetières, qui prît en un éclair.

 

The Coyotes Dessert. Pendant leurs sessions dans le désert, ces canidés dorés cherchaien tà capturer par tous les moyens leur dessert favoris : le grand géocoucou, l’oiseau coureur de route, plus connu sous le nom pouet-pouet de « bip-bip ». Ils construisaient des machines alambiquées, afin de pouvoir remplir leurs systèmes digestifs de poulet à grande vitesse, faites de gros amplificateurs et de bois d’érable importé. Des bretelles extra-élastique attachées à leurs futals de combats, ils se suspendaient à de grands mats fixés à des bicyclettes. Armés de guitares et de baguettes, propulsés par ceux d’entre aux possédant les plus gros mollets pour pédaler, Tel les war boys d’Immortan Joe, ils passaient les plateaux arides au peigne fin, en jouant très fort du stoner de l’âge de pierre, pour rabattre la volaille supersonique à l’endroit voulu : la table de la cuisine.

 

Cowboys from Outer-Space. Les fringants desperados d’outre-espace étaient fameux dans la galaxie. En effet, ils avaient été probablement les seuls de la planète à avoir été nommé album du mois par les journaliens de Focknrolk, et c’était mérité. Space o phonic xenomorph.  Le trio maniait le lasso comme personne. En un clin d’oeil, ils faisaient tourner un riff jusqu’à ce qu’il devienne une boucle, puis le lançaient et attrapaient toutes les chevilles du public. Ils les envoyaient valdinguédanser sans pitié. Michel Basly était responsable du Sud Side, un incroyable trou de ver qui vous teleportait dans une dimension de bécanes, de greaser et de Rock’n Roll. Par l’entremis du Off, il avait été nommé parrain de notre événement.

 

Splash Macadam : J’ai des scrupules à avoir choisi ce morceau, car les comparateurs de gouttière, ayant un brin d’énergie et beaucoup de suffisance, monteront au créneau en braillant « Oui, mais ça ressemble à Arctic Monkeys ». Certes. C’est aussi bien, voire mieux qu’Arctic Moncul. AM représentait la mainmise des majors sur la terre de liberté d’internet. On nous avait croire que les singes polaires avaient été découvert sur Byspace. Vaste fumisterie. Que le jeune groupe qui n’a pas imité un artiste me jette la première pierre. Splash Macadam, c’était plein de force et excellement bien fait. Frais et apte à faire chavirer les arènes. La formule était imparable, et c’est ce qui compte. Le secret c’est la qualité, un concept incompris. Qualité ne veut pas dire cher, qualité veut dire bien fait. Earvin Macadam après ceci, a monté Claque et Sable Sorcière, deux formations aussi ténébreuses que Splash était éclaboussant de soleil.

 

Volume 3

 

Lo : Il aurait été insensé de ne pas réserver une place pour mes autres mentors. Ce titre résumait l’essence primordiale du groupe : de la nervosité, du tranchant. Il arrivait souvent qu’un poignet ou deux de spectateur soit sectionné par un riff une note ou un lâché de cymbales. Et même si on ne retrouvait pas toujours les paluches, on passait un moment à chérir dans le secret de son cœur, au petit déjeuner, à la nuit mourante, avec une bonne tasse de cafe-moshka, la décharge qu’on s’était pris la veille.

 

Mechanical Breed : Un nom presque prophétique. Nous ne l’étions pas encore complètement devenu, mais peu de temps après 2013, une grande partie d’entre nous, plébéiens, se métamorphosa en race électronique, si ce n’est mécanique. Nous nous croisons dorénavant en tenant d’étranges postures, entre la prière, la pénitence et la retraite aux flambeaux. La filiation avec QOTSA était visible, mais l’influence du groupe californien avait été comparable à celle d’Elvis des Beatles des Stones, des Ramones, du Clash, de Joy Division, de Pantera, de Rage, quoi encore ? Tous ces groupes qui ont apporté de nouveaux ingrédients dans le gumbo du rock. C’est vrai que dans les années 60, quatre-vingt-dix pour cent des merveilleux d’un coup chantait soit comme Jagger, soit comme Lennon-Maccartney. Ça n’empêcha pas qu’il y eu des morceaux géniaux qui ont été engendrés par ces légions d’imitateurs. Pas de panique, quand une nouvelle chose arrive, elle enfle au départ, on pense qu’elle va tout détruire, mais au final elle dégonfle et s’harmonise avec son environnement. Regardez, la télé, on disait qu’elle tuerait le cinéma, et ben non, pareil pour internet. On peut aller en sens inverse, c’est la même chose. On va toujours dans les salles obscures, on va toujours au théâtre, on lit encore. Les nouveaux médias rognent un peu de place, mais tous se tasse. l’IA vous verrez, ça fera la même chose. Dieu merci, on ne va plus au spectacle de gladiateurs… Ah si, ça s’appelle du catch. Non seulement c’était bien fichu donc, mais le nom était cool. Quand je scrute aujourd’hui les réseaux sociaux, je vois qu’Henry Facey, le chanteur, continue de taquiner activement la muse, outre-manche. Cher Henry, je vous souhaite une vitesse divine, comme disent les anglais.

 

 

Kill the Thrill : La vrille Kill the Thrill se devait de figurer sur ces sillons. Encore un groupe marseillais à grand statut. C’est évoqué précédemment, Belzémouk et moi, on était pétri d’admiration, en lisant le nom de la formation indus dans les pages des magazines de hard et de métal. De se dire que des gens vivants dans la même ville que nous, pouvaient sortir des frontières et être reconnus, dans un genre que nous affectionnions, ça nous mettait en transe.

Comme tous les grands, en leur écrivant directement, ils acceptèrent le plus simplement du monde. Nicolas Dick, ayatollah du son, m’envoya une piste bichonnée par ses soins. Soave. Tapis roulants qui grincent, huile acide récupérée dans des barils défoncés, chaudière crachant des flammes. Les marteaux automatisés écrasent de la tôle, les perceuses forent des crânes et la cervelle gicle, avant d’être expulsé par des pousseuses robotiques vers des bouches de tuyaux, pour tomber comme des excréments dans la gueule d’hommes-singes aveugles, enchainés et hurleurs. Fumée chuintante, vapeur bouillante. Tout suinte, tout brûle, tout tue. Usine de mort crée par un dieu fou.

 

Tonnerre Mécanique : Impossible de retrouver le morceau. Les compils qui me restent sont dans un carton au fond de mon placard, inaccessible pour mon corps débile. Je me rappelle néanmoins, qu’outre un nom génial, le groupe tapait dans la noise corrosive. Ne possédant pas le don de vision, je n’ai pas pu prévoir le décès prématuré de la formation. Mais c’est ce qui est beau dans cette scène, les corps enfouis sont le meilleur des engrais, et d’un cadavre, fleurissent une ribambelle de nouveaux orchestres, qui mourront peut-être aussi, mais engendreront encore d’autres servants du son. Cela fait soixante ans que ça dure ici. Repose en paix, Tonnerre Mécanique. La mort n’est pas la fin.

 

 

Tomy and the Cougars with Heart : Tomy devait toujours se planquer, car dès qu’une ou plusieurs cougars l’apercevaient, elles lui donnaient la chasse, en y mettant du cœur à l’ouvrage. Pauvre Tomy, obligé de raser les murs couverts de colle à affiche, de rester tapis des heures dans l’ombre, sous les effluves suffocants des graffitis tout frais bombés, de sauter derrière les poubelles degueulantes, et de s’immobiliser à plat ventre entre deux crottes de dogues argentins. Au moindre bout de truffe sortant d’un coin, il en allait de sa survie. Les cougars avaient l’odorat aussi développé que la vue, et en moins d’une seconde pouvait sauter jusqu’à lui pour festoyer de son corps. Pour se donner du courage Tomy se fredonnait à lui-même de petits airs que l’effroi accélérait. Seulement lorsque les bêtes étaient assoupies pouvait il s’octroyer quelques minutes de sommeil inquiet. Même lorsqu’il dormait, sa bouche continuais de murmurer comme des mantras ses rengaines angoissées. Quand le dernier lundi du mois venait, il y avait trêve. Tomy sortait de l’ombre, les cougars venaient, et lui serraient la patte. Bras dessus, bras dessous, comme s’il n’avait jamais été question de traque, la bande se rendait dans son local de répétition, prenait les instruments, et jouait à toute vitesse les notes fébriles que Tomy avait chuchoté. Et ils chantaient la vie.

 

Blah Blah : Un duo de guitare avec une boite à rythme. Piérö et Vener n’avait pas besoin de plus pour faire du ramdam, articulés des phalanges comme ils l’étaient. Un groupe qui se différenciaient des autres, tant dans les cadences que dans les paroles. Ils chantaient en français, ce que peu d’entre nous faisait. C’était une erreur pour nous, que de ne pas nous exprimer dans la langue de Bossuet. Même si on était tous d’accord pour dire qu’écrire dans notre idiome natal était un exercice qui ne souffrait pas la médiocrité, on aurait quand même dû y aller. Les Anglo-saxons avec qui j’ai discuté, m’ont tous dit qu’ils adoraient la sonorité de notre langue. Ils aimaient son exotisme. Entendre du pseudo anglais baragouiné avec un accent de fromage qui pue, ils trouvaient ça bébête. Nous nous planquions derrière une fausse modestie qui, si nous l’avions transgressée, aurait empêché maintes paroles atterrantes de la variété rap trap naze d’aujourd’hui. Donc Blah Blah osait, ils avaient bien raison. Outre le plus bel emballage d’album jamais pensé, mentionné précédemment dans ce recit, ils faisaient une giga-bonne version du thème de New York 1997. Rien que pour ça, une profonde prosternation.

 

Sunsick : A Marseille, l’esprit las et affamé de poésie quotidienne peut être malade de soleil . Baudelaire prétendait que l’été constituait la saison où on l’on pensait le plus à la mort (il lui est difficile de ne pas penser à la mort ; et l’idée de la mort d’une personne connue ou chérie assiège son esprit plus obstinément pendant la saison splendide.). Ici, l’été dure huit mois sur douze, alors imaginez. La présence permanente de l’astre de joie a de quoi dégoûter celui qui sait que rien ne dure jamais, en particulier la chaleur. Profiter de l’instant présent ? mais il est déjà passé ! et celui d’après ! et celui d’après ! Oh il peut bien avoir la mer bleue de Prusse et les iles en blanc calcaire taché de vert, et les bateaux qui vont et viennent comme des noix placides. Le malheur ne se soucie pas du décor.

Blague à part je raffolais de ce morceau, et de ses braillements joyeux de gamins sautant d’une calanque. Leur gaité me plongeait dans des affres de nostalgie inexplicable, elle filait comme le bonheur qui s’enfuit.

 

 

Belphegorz : Les fantômes du palais Longchamp hantaient le musée d’histoire naturelle depuis des années, terrorisaient les renards mal empaillés aux regards se croisant les bras, et les visiteurs égarés dans les couloirs. Mais je m’égare encore.

Le single Vintage Girl m’avait plu. Le riff de basse était mortel. On se rencontra à la terrasse du Court-Circuit, avec la chanteuse et le guitariste. Il s’avéra qu’ils étaient des membres de Lady Godiva, une formation qui n’avait pas traversé la ville entièrement nus, montés sur des chevaux, mais qui caracolait durant les âpres années 80, quand le rock amenait des bagarres de gangs de guerriers de la nuit. Une ambiance décrite par Robert Rossi, je vous renvoie à son « Histoire du Rock à Marseille ». Je me rappelle de l’affiche du groupe qui est resté collée un moment au premier étage de l’hôtel de la musique, et que je voyais à chaque fois que je montais les marches jusqu’au troisième niveau et au local. Qu’il fut agréable ce moment, à parler de la scène punk anglo-américaine fin 70, début 80, à faire jaillir tous ces noms, qu’en bon mélomane, j’avais appris à écouter et a révérer, dans cette quête sans fin de cultivation personnelle.

 

Mick Wigfall and the Toxics. Comme Patrick Atkinson, Mick était un expatrié de Grande Bretagne, qui, pour sa part, était venu au commande d’une imposante contrebasse jusqu’à notre rade. Il bossait comme cuistot. Sa contrebasse, il la faisait claquer tout en dansant le paso doble avec. Un vrai cador. Il avait débauché Seb et John Kuriac le mystérieux luchador masqué, respectivement guitariste et batteur des Warrior Kids, un combo punk oi! connu du coin, mais qui, si je ne me trompe pas, était en hiatus au moment où le festival se montait.

Les Toxics jouaient un rockabilly qui déboîtait les épaules, dans la tradition de ce rock primitif si dangereux et si lascif, qu’on avait interdit « Rumble » de Link Wray à la radio, sous prétexte que cela incitait à la violence. Et c’était un morceau instrumental.

On a fait une ou deux dates ensembles, le trio de Mick et The French Revolution, un groupe pou rigoler qu’on avait monté Cédric Trolux, Pat Atkinson et moi. Mick était fan des histoires de pègre londonienne des swinging sixties, les jumeaux Kray, le gang richardson, George Cornell, Frankie Fraser… des brutes en costumes de chez kingsman

 

Reliques : de jeunes mages timides qui pratiquaient les arcanes d’une pop-folk au accents sombres, si sombres qu’il se rebaptisèrent Black Relics. Entre les cordes molles et graves, les voix trainaient. Une ambiance funèbre qui se mariait à merveille avec l’ambiance de mort de la garrigue. Seuls les touristes trouvaient cela riant. Ils n’avaient pas le temps de constater que la chaleur plombait le pays comme un sarcophage et que le mistral vous rentrait dans les pores des os pour vous geler la moelle.

 

 

Rendez-vous compte de la quantité d’encre qu’il m’a fallu rien que pour décrire cette grosse poignée d’ensembles. Imaginez l’océan noir nécessaire pour raconter toutes les formations existantes ou qui existaient, rien que sur les dix dernières années. Et les « amis » de la culture balayaient ça d’un revers de main ? Autant de groupes en activité, il fallait être aveugle pour ne pas s’apercevoir qu’il y avait quelque chose qui se tramait. Dommage que le personnel autorisé du monde de l’art français ait les yeux crevés par les cure-dents du snobisme et de l’apathie. À force de se blaser de tout et n’exiger que de l’inédit, ces personnes vont se castrer, si ce n’est déjà fait. Comme Herr Starr dans la bd Preacher, à la fin, il n’y aura plus qu’un espadon dans le fondements qui pourra un peu les exciter. En ce moment, depuis longtemps, ils sont friands de l’idiot savant. Le genre, « oh je n’ai pas fait exprès de faire un truc génial. »  Mensonges, mise en scène, trucage. Ils s’en repaissent dans des festins de cannibales. Cette mentalité affichée de ce qui se fait d’artistiquement désiré déteint insensiblement sur la contreculture. Un signe de cette contamination de l’underground d’aujourd’hui est de regarder la musique comme une machine-outil bien huilée. Ce n’est plus la chansonnette qui compte, c’est l’agencement et la forme tarabiscotée des rouages. C’est parfait pour apprendre des techniques, mais pas pour composer des rengaines. On ne se rappelle pas d’une ligne, comme disait Pavement. A l’heure du numérique, la musique en est à la révolution industrielle, construite d’usines à gaz. La sophistication étant une amélioration superflue, on peut dire que la musique de la civilisation capitaliste est très sophistiquée. Il n’est pas question de parler « de c’était mieux avant », cela date du moment où le rock s’est intellectualisé bêtement, dans les années 60, bêtement parce qu’il a cru que compliqué, voulait dire intelligent. Encore le désir d’appartenir, et de, sous couvert de changer la vie, juste prendre la place des adultes.  Beefheart et Zappa étaient recherchés et géniaux, mais ils s’ostracisaient les maisons de disque.  Avec les copains ont se gaussaient su terme math rock, pourquoi pas histoire -geo rock ?

 

Mais je sens que je m’enlise dans un débat sans fin, surtout du a l’amertume et a la rancœur contre le système. Ce ne sont pas les musiciens que j’accuse, plutôt les critiques mystifirlifonneur, les chasseurs de têtes des labels, qui pensent avec le portefeuille, les gardes du mauvais bon gout. Non. Non. Les musiciens-musiciennes sont mes frères et sœurs.  Même si je suis un médiocre interprète, je peux au moins babiller avec eux via la musique. Faites absolument tout ce que vous voulez les amis. La musique c’est comme l’amour cité plus haut. Ça n’as pas de frontière, ni de loi.

 

Pour faire la sélection, il fallut chercher. Et s’il n’y avait pas eu Massilia’s Burning et Ganache Records, il aurait été impossible de compiler ça en peu de temps. MB, qui était encore en activité à l’époque, j’en ai déjà parlé dans la partie consacrée au webzine. Ganache, pour sa part, était une initiative de Fabien Malin, le génial fondateur du groupe du même nom, des Fencies, de Mumuse, de Bernard Sauvage, de dixaines de groupe d’un jour. Sur scène, il redonnait le sens du mot danger au rock. Comme à un concert de Suicide, on ne savait pas ce qui risquait de se passer. Ce bonhomme était d’une versatilité incroyable, faisant des clips, des sons, et donc, ce trucmuche qui s’appelait Ganache, le tout dans l’humilité la plus totale, juste par enthousiasme de faire des trucs et des machins. Ganache, donc, il s’en servait pour annoncer les concerts de la semaine. Ce faisant, il choisissait un groupuscule qui lui plaisait dans cette sélection, et le mettait en avant sur son site bandclamp. Grace à lui, j’ai trouvé plein de choses extras. Aujourd’hui, il presse même des cassettes de groupes signés sur son label, une à une, à l’ancienne. Qu’il soit béni.

 

Ritchie a équilibré les morceaux pour qu’ils aient tous le même volume. On me les envoyait souvent en bonne qualité, mais parfois je n’avais qu’un pauvre mp3 téléchargé à la sauvette. Tout a été prêt dans les temps, et on a pu les présenter aux dates convenues. Si mes souvenirs sont bon, un des deux volumes est sorti lors d’une soirée au Waaw, rue des trois rois. The H.O.S.T a assuré un show acoustique. Ils ont mis le feu.

 

À la deuxième moitié de l’année 2012, toutes les dates étaient posées.

31 mai : Espace Julien

28/29 juin : Machine à coudre

5 juillet : Rue du Rock/Sud Side

6 juillet : Molotov

12 juillet : Intermédiaire

13 juillet : Lounge

19 juillet : Dan racing fest (Dan Racing + Lounge)

 

Il y avait encore les groupes à engager, une cinquantaine quand même. On se répartit la tache entre le Pingouin Mystique, Pirlouiiiit et, à vrai dire, tout ceux qui avaient des connections avec telle ou telle formation. Je dois dire que les réseaux sociaux ont été un avantage précieux, j’ai quasiment booké tout le monde en passant par là. Il suffisait de se présenter, d’être clair. Comble de chance, les zicos étaient tous super gentils et ravis de participer. C’était des vrais.

 

Toute cette effervescence m’a fait mousser la tête. Est arrivé un moment où cet événement me paraissait vital pour l’avenir monde. Eh oh, ça va, hein ? Peut-être qu’un peu d’orgueil était nécessaire pour que ça arrive. En tout cas, c’est ce qui m’a permis de tenir devant la cuistrerie des vieux adolescents qui regardait cela avec mépris. Pour illustrer la grandeur de mon hybris, je ne doutais pas qu’on allait révolutionner sinon le pays, déjà, la ville. Ce que j’ai constaté, c’est qu’ici, sûrement ailleurs, il y avait beaucoup de mèches et de barils de poudre, mais les briquets étaient rares et les mains encore plus. Il y avait beaucoup de rêveurs, mais qui s’empêtraient dans leurs songes. Derrière le rideau de leur fantaisie, il n’y avait que des espoirs de richesses. Le véritable révolutionnaire se sacrifiait à la barricade. En 1871, Les communards ne pillèrent même pas les coffres des banques vidées de leur financier. On les massacra quand même, mais en deux mois, ils laissèrent une emprunte plus forte sur le monde que deux millions d’influenceurs. C’est ce qui me tranquillise. Même si l’appât du gain lobotomise les activistes, en fait juste des pilotes frustrés, chacun avec sa casaque, qui veulent saisir le volant, l’impulsion, juste l’impulsion, du désordre, du combat contre la misère, le pognon, de l’art, de la culture qui ne sert pas d’uniforme, demeurera immortelle.

 

Avec toutes ces belles pensées, j’étais taraudé d’angoisses nocturnes. Des angoisses qui, une fois réveillé, m’interdisaient de dormir. Soudain mon cerveau travaillait vers le bas. Si je pensais à mes proches, je me demandais ce que j’allais faire lors de leur décès, puis toute les affaires courantes me tombaient sur le râble. Allaient on obtenir l’autorisation de bloquer la rue Consolat à temps ? Aurait-on le matos nécessaire ? Et si un groupe se désistait ? Et nos comptes, ils étaient bons ? Si on nous contrôlait du jour au lendemain ? Si personne ne venait à l’espace Julien ? Et s’il y avait un accident ? Si, pendant un concert dans la rue, des bandes de défoncés agressaient des gens ? Les tuaient ? Si un fou fonçait dans la foule avec une voiture, un camion, un tank ? Si tout le monde s’en fichait ? Si une bande de mécontents se jetaient sur moi, fourches et torches à la main, me recouvraient de goudron et de plumes, me pendaient à un lampadaire ? Et si c’était, tout simplement, un ratage total ??? Je le cachais, mais en verité, on s’apercevrait que j’étais juste un gros nul. L’inquiétude de la mort revenait. Qu’allais-je faire quand maman disparaitrait ? Qu’allais-je faire des monceaux de meubles qu’elle avait gardés obstinément, et en dépit de tout bon sens ? Le passé était si lourd, mais n’était-ce pas important de se souvenir de ses ancêtres ? Mais je n’avais pas d’argent, et incapable d’en gagner. Il fallait pousser, dégager, écraser, duper, abandonner, se battre, pour gagner. J’étais si faible, vivre, ça me pesait, et mordre, je n’osais pas. Sinon j’allais tuer. J’étais coincé. Moi si passif, si indifférent à la vie, à la transmission de mes gènes. Je mourrai pauvre et seul. Je mourrai pauvre. Et seul. Dans l’espace bleu foncé de la chambre, sous le vacarme familier de l’appartement, le ronronnement des appareils électriques, les grattements des petits rats domestiques, le son sourd des heures qui grain par grain, goutte à goutte, tombait en bruit flasques sur le bord de mon lit, synchronisé sur mes battements cardiaques. Mes paupières se fermaient, mais pas mes yeux. Seul. Et pauvre. Je mourrais. Les heures passaient, Le matin, les réveils étaient douloureux.

 

Début octobre, je rentrais en formation de web design. Si comprendre le code était dans mes cordes, le design lui, me fientait sur le nez tel un condor dédaigneux. Mes collègues qui avaient une patte, un trait, un style, s’amusait à faire des petites animations croquignolettes au fil des cours, des choses bichonnées et très jolies. De mon côté, je faisais des montages découpés a la hache de mecs entrain de dégobiller. Honnêtement, je ne me voyais pas bosser là-dedans

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Le 21 novembre 2012, donc, ce fut la fin du monde. On nous avait bassiné toute l’année avec les mayas. Avec mes camarades d’écoles, dans la rue en pente de Vauban, où se trouvait le centre de formation, nous ricanions. Cette apocalypse, rabâchée depuis des mois par les voyants, les médias, et Hollywood, ressemblait surtout à une journée grise d’hiver. Ce n’est que plus tard que je compris qu’une fin du monde, ce n’était pas soudain comme un coup de tonnerre, ça se prolongeait dans le temps, ça se distillait pendant des années, ça prenait un temps fou.

Nous entrions dans la période des cours, où il fallut trouver un stage. Ça me déplaisait profondément, car en fait, ce métier ne me plaisait pas du tout, ça me paraissait informe et instable. Pourtant, sans rechigner, je trouvais une place dans un studio a deux pas de chez nous, chez le copain d’un copain, super sympa. Miracle de Ragnarok, en même temps, je recevais une réponse positive de la part de la sécurité sociale.

Trois ou quatre mois auparavant, j’avais postulé sans trop y croire à une annonce de pôle emploi : on cherchait des agents rqth pour la sécu. Alors que j’avais entamé le webdesign, je fus convoqué, au Prado. On nous expliqua que nous allions passer des examens, des oraux, que les sélectionnés auraient le droit de passer des entretiens d’embauche, que les grands vainqueurs auraient un poste pérenne dans cette belle institution du remboursement de la santé. Il fallait lutter, donc, juste pour avoir une opportunité de se planter à une interview. Rendez-vous était donné dans quelques semaines : épreuve de français, math et euh… logique ? compréhension ?

 

Gina m’a fait réviser les maths, je ne savais même plus poser une division ! Elle me prépara aux entretiens, elle excellait pour entrainer les soldats. C’était une des rares prof que je connaissais qui faisait ça par sacerdoce.

Au final c’était moins ardu que prévu. Lorsqu’il fallut mettre des cubes des sphères et des pyramides dans une boite, en passant par l’ouverture adéquate, beaucoup s’y perdirent, s’échinant avec des cris de désespoir, de faire entrer des boules dans des trous carrés, par exemple.

La possibilité de rentrer dans ce genre d’emploi me plaisait beaucoup. Enfant, j’enviais mes camarades dont les familles travaillaient dans l’administration. Certes ils avaient des vies humbles, mais elles étaient stables, ils étaient soudés, la famille était tout, en cas de pépins, ne lâchait personne du clan, les rejetons pouvaient compter sur le piston pour avoir du travail. Et un pas fatiguant. L’assurance d’une existence peut-être peu grandiose, mais sans gros soucis du lendemain. La tranquillité d’esprit, comprenez, une source de revenus sure, je la cherchais depuis toujours. J’ai été un des heureux peu nombreux à être choisis. Restait une dernière épreuve, l’audience auprès des recruteurs. Grâce à une année à palabrer devant des auditoires indifférents, souvent gris, et à l’entraînement spartiate de Gina, on accepta ma candidature. Sur six cent, je faisais partie des deux retenus. Exultation. Soulagement. C’était juste avant que le stage ne commençât. Il n’y avait plus qu’une condition à remplir pour commencer à travailler pour la bureaucratie : passer cinq mois de formation, dès janvier, dans un centre situé à la Gaude, un village dans les montagnes du côté de Saint Laurent du Var. Ça valait le coup de se contraindre à ce séjour, certes isolé, mais probablement pépère. Je serai de retour à Marseille un mois avant le premier concert, je pouvais continuer d’organiser le festos en passant par internet, et il y avait les copains sur place.

C’était la dernière ligne droite avant de passer au feu. Malgré la pression, la fin du monde commençait bien.

 

(A suivre)

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