Histoires Étranges du Quotidien 5. Le Poulpe Bleu.

 Dans Histoires Étranges du Quotidien

À la Ciotat, Cassis, et dans les calanques alentours, on sait que les poulpes sont intelligents, rusés, voire malicieux. La légende locale du Poulpe Bleu veut que ce mollusque géant sorte la nuit pour se nourrir des fruits des figuiers de Barbarie.

Quand on prend la rue Gueymard, on se retrouve dans une de ces ruelles capillaires qui irriguent les vieilles villes de France. Trop étroite pour qu’une voiture y passe, elle relie le port à la chapelle Saint Joseph, et on y sent le cheminement des humbles pêcheurs d’autrefois. À un bout, il y avait la croyance rassurante et consolatrice, à l’autre, la mer traîtresse et hasardeuse. Aujourd’hui encore, malgré les pizzerias et les boutiques à touristes, c’est un endroit qui reste sombre la nuit. Ses bords penchés et son caniveau central se parent de menaces médiévales. Ormis les riverains, on évite de passer par là quand les lampadaires blafards s’y allument. Des choses inquiétantes s’y passent

Dans la mélasse gluante des heures tardives, un homme s’y engagea. Il avait beaucoup bu dans les bars du port, et bredouille, voulait rapidement rentrer chez lui. Il coupa donc par la rue Gueymard.

Mais alors qu’il atteignait la moitié du chemin, il tomba sur une femme accroupie, près des poubelles. Elle avait l’air de pleurer. Elle avait de plus de belles formes, et était coiffée d’un fichu, à l’instar des anciennes vedettes de cinéma, ce qui ne manqua pas de l’allécher. S’approchant d’elle doucement, il lui dit d’une voix mielleuse :

« Mademoiselle, hé mademoiselle, ne pleurez pas ! Qu’est-ce qui ne va pas ? Si je peux vous aider, je le ferai volontiers. »

Elle ne répondît pas, et continua de pleurer sous son foulard.

« Mademoiselle, mademoiselle » insista-t-il , « écoutez-moi. Ce n’est pas un lieu sûr pour une jolie fille. Ne pleurez plus, s’il vous plaît ! Dites-moi comment je peux vous aider ! »

Elle se redressa lentement, restant de dos, tout en continuant de se lamenter.

« Mademoiselle ! Mademoiselle ! Écoutez-moi… Juste deux secondes ! Mademoiselle ! Mademoiselle ! » Et il posa une main sur son épaule.

Soudain elle fit volte-face, et son visage était une tête de pieuvre, tachetée de cercles bleus, dont les tentacules gluants se jetèrent sur lui. Il sentit la caresse des ventouses visqueuses sur ses joues et sur le bout de son nez, tandis qu’entre les appendices mobiles, il pouvait distinguer un bec claquer avec une excessive avidité. Il se mit à hurler, et s’enfuit à toutes jambes.

Paniqué, il se perdit dans les ruelles, ne rencontrant que portes closes et rideaux de fer baissés. Il courait et courait encore, quand il finit par voir une vitrine allumée, celle d’une petite supérette encore ouverte, du genre de celles où on peut trouver cigarettes et biscuits apéritifs même les jours fériés. À bout de force, il utilisa ses dernières forces pour atteindre l’îlot d’humanité. Tout pantelant, il jaillit dans le magasin…

« Holà holà ! » s’exclama le vendeur. « Qu’est-ce qui ne va pas, chef ? On vous a agressé ? »

« N…Non… Non, » bredouilla l’homme. « En…fin… Je… Je ne crois pas… C’était… c’était… »

« C’était quoi ? » demanda froidement le commerçant.

« Vous… Vous allez me prendre pour un fou. » s’asphyxiait l’horrifié. « J’ai vu… une femme, rue Gueymard… Mais en réalité, c’était… »

« C’était un poulpe bleu ? » réparti tout de suite le marchand, d’un ton assuré.

« Mais oui ! C’est exactement ça ! Comment le savez-vous ? »

« Mais c’est parce que j’en ai plein mes rayons. Je vous en prie, servez-vous ! » dit le vendeur en pointant son doigt par-dessus l’épaule du pauvre homme.

Et se retournant, il vit des rayonnages pleins de boites de conserves, et des boites de conserves sortaient des tentacules cerclés de bleu qui rampaient dans sa direction, et déjà elles commençaient à tomber des étagères, et subitement, les lumières s’éteignirent…

 

 

Articles récents

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
%d