Igor

 Dans Nouvelles

Tout est calme, le robinet goutte comme toujours, on devine… les arêtes brutes des murs de la cave dans la demi-obscurité. La lueur chancelante de la chandelle invite les ombres. Des monstres silencieux qui dansent au rythme de la flammèche et du plic-ploc tribal des éclats d’eau dans la flaque. Je resserre mon étreinte sur le manche de la clé à molette. Satané robinet…

A t’on idée d’acheter un château humide aux tuyaux percés ? Encore une lubie du maître. Non seulement a-t’il fallu que le fils du vicomte soit un gothique amateur de musique déprimante, mais il a fallu aussi qu’il dilapidasse la fortune familiale en bicoques effrayantes, où j’enrhume ma pauvre bosse à exécuter toutes les basses besognes.

« Igor, le robinet de la cave fuit encore. Je l’entend résonner jusqu’à ma chambre. C’est insupportable. Ma vie est déjà une torture… O fatalité ! Que n’ai je besoin de ces souffrances supplémentaires ! Va me resserrer ça. » On ne pourrais pas simplement appeler le plombier ?

Non, bien sur. Parce que la ruine où nous avons emménagés est carapatée tout en haut d’un python rocheux quasi-inaccessible, entouré d’ une forêt de sapins épaisse et sombre, à des kilomètres du premier magasin de bricolage. On a pas idée…

Alors, vas-y Igor, parcours toutes les pièces pour retrouver la boite à outil, retrouve la dans un cagibi poussiéreux, retape toi tout le trajet pour faire taire un robinet capricieux qui est bruyant comme milles autres choses dans cette bâtisse. Les meubles qui grincent, les portes qui claquent, les lattes qui couinent… Je ne risque pas de manquer de travail ici. Mais pour le vent qui hurle, je ne pourrais rien faire.

Bon… Le boisseau proteste aux torsions que je lui inflige. Ça me demande un effort considérable, les avant-bras tendus comme des cordes. Vaincre la rouille ainsi me fait serrer les dents à m’en exploser l’ivoire, et les paupières à m’en arracher la peau du front. Gnnnnnnnn ! La sueur tombe dans mon œil divergent, qui s’exorbite à la brulure acide. J’ai un flash de la cave. Elle semble plus grande qu’il n’y paraît. On distingue une ouverture dans le mur, qui donne sur une pièce plus vaste, vide.

Au bout d’un moment très fatiguant, l’égouttement cesse. Je m’essuie mon front bombé sous la capuche et souffle un gros soupir de soulagement. En ramassant la bougie, je ne peux pas m’empêcher de lorgner le passage. M’enfin, le bruit a cessé, je vais pouvoir remonter. J’ai une brochure de « modes & donjons » qui attends d’être lu sur ma table de chevet. Avec une bonne tasse de t…

Un grondement discordant monte des entrailles du sous-sol. Proféré par une chose innommable qui rode dans les recoins. ‘Manquait plus que ça. Des nuisibles. Quand le maître va l’apprendre… Autant prendre les devants.

L’autre pièce. Un scolopendre probablement venimeux ondule lentement entre mes pieds, dessinant un sillon de terre aux formes cabalistiques. En avançant de quelques pas, je distingue dans le mur d’en face le départ d’une volée de marches en pierre. Je m’y dirige en tremblotant du bougeoir… Mon cri dévale l’escalier en colimaçon et se perd dans de profondes ténèbres :

« Eho! »
« Eho! »
« Eho! »
« Eho! »
« Eho … »
« Oh… »
« o… »

Un air froid et funèbre s’imprègne dans mes chairs au fur et à mesure de la descente. Chaque claquement de mes semelles explose solennellement comme des coups de gongs dans une chapelle vide. Dans la solitude, mon ombre géante grelotte à la lueur du halo portatif.

Un nouveau grognement se fait entendre, un macabre appel qui plante ses crocs visqueux dans mon échine, perfusant son venin paralysant dans mes veines. Je repousse toutes tentatives de mon esprit pour imaginer la créature qui peut vomir de tels hululements. Et si je remontais dare-dare ? Mais si je fais ça, la pensée me vient, le maitre me renverra explorer chaque recoin de cette crypte, et ça doublera mes heures de sueurs froides. Je reste quelques instants pétrifiés, à l’affut du moindre nouveau son, mais je n’entend qu’un murmure glacé et le crépitement de la cire qui fond. D’un pas peu assuré, je plonge plus avant dans l’inconnu.

Au bout d’une descente angoissante qui n’en finit plus de s’enfoncer dans la roche, je débouche sur un vaste hall. Vaste, le mot est faible, tant les dimension sont cyclopéennes. Du dallage pulse une lumière bleue pâle qui fait deviner la hauteur vertigineuse de l’endroit. A quelle profondeur abyssale ai-je bien pu descendre ?
D’immense colonnes sculptées partent se perdre dans l’abîme du ciel. De part et d’autres ces mégalithes, des arcades déploient leurs cintres imposants, recouverts de bas reliefs. Tout est enduit d’obscurité et de grandeur. Je suis dans l’atrium d’un millier de niveaux mystérieux, et l’atmosphère emprisonnée qui tourbillonne à grande brassée dans ces lieux exagère encore la petitesse du nabot boitillant que je suis.

Les représentations dans la pierre montrent d’étranges scènes de luttes entre des entités indescriptibles et poisseuses, des actions violentes d’agressions, des représentations de la folie. Tout est d’une beauté terrifiante. Des tentacules finement ciselés dans les colonnes s’entremêlent jusqu’aux arcades dans des ébats impies, d’une gluance et d’une viscosité écœurantes mais qui fascinent dans l’imagination de la technique graphique, concrétisant la somme de toutes les perversions non-euclidiennes que seule une puissance cosmique, bien au dessus de l’humain, puisse rêver, oh oui, des cauchemars ignobles et dégoulinant de matières collantes qui ferait vomir de dégout le plus infâme des démons de la terre. Oh par Belzébuth ! Cette vision !!! Quelle horreur !!! Le maitre pourrait s’extasier de cet art et de cette architecture extraordinaires, si il n’était pas si auto-centré et obnubilé à écrire ses critiques de disques périmés sur internet, en se lamentant comme un poète torturé. Je lance un cri en l’air comme on jette une pierre dans un puit.

« Eho ! »
« Eho! »
« Eho ! »
« Eho! »
« Eho! »
« Eho! »
« Eho! »

« GGGRRRJIHYTRFGGRFHHIIJJNJIIHFRTUIII!!! »

Je me retourne, et la chose est là. Gigantesque. Accroché aux colonnes, quelques mètres au dessus.

Elle m’assaille immédiatement. Je m’enfui sans demander mon reste, sentant derrière moi ce qui lui sert de membres tenter de m’attraper. Sous une pluie de bave, j’arrive de justesse à m’échapper par les escaliers dont je ne m’étais pas trop éloigné, en les remontant quatre à quatre jusqu’à n’avoir plus d’eau dans le corps pour continuer. La chose me poursuit de ses cris dégueulasses jusqu’à la sortie de la cave.

« Igor, par tous les saints, as tu réglé son compte a ce maudit robinet ? »
C’est la voix étouffé du maitre, en provenance de son bureau
« Ou..ou..oui maitre. Tout est en ordre.

-Bien. Laisse moi en paix maintenant. Je dois offrir au monde un bout de mon âme, en l’arrachant cruellement à mon être. Ô souffrance ! Mais je dois livrer mes réflexions sur ce vinyl bootleg de Jean-Michel Jarre pour satisfaire mes lecteurs avides comme des poussins attendant la becquée, et… »

Pendant que le maitre déclame son monologue théâtral, je fouille avec frénésie les pièces du château. Je monte, je descend, je remonte.
Pourtant certain d’avoir vu une arme quelque part… Le maitre a acheté un fusil l’autre fois, je le jurerais. Tant pis, je dérange les habits dans les armoires, je claque les portes…

« Igor !
-Désolé maitre ! »
Je n’ai vraiment pas le choix là. On a un très très gros problème, un très très gros nuisible dont la découverte ne manquera pas d’irriter le maitre. Et si il le mange ou le rend fou, fini salaire pour Igor.

Cherche que je cherche que je cherche, vide les malles et les placard… Le voila ! Dans une vieille cantine tordue. Une petoire qui fait de bons trous. Je bourre mes poches de cartouches, recupère une grosse lanterne dans la cuisine, et redescend avec hâte à la cave.

Il n’y a plus rien dans le hall souterrain, a part le courant d’air gelé qui virevolte dans l’immensité architecturale. La lanterne, malgré sa puissance, n’éclaire pas beaucoup mieux. La chose a disparue. Elle doit être tapie quelque part, dans le noir, je sens sa présence. J’arme le fusil doucement, mais le silence amplifie les cliquetis malgré tous mes efforts de discrétion, et le son s’enfuit prévenir le prédateur, comme un délateur zélé.

Je prend le fusil et mon courage à deux main, en m’engageant sous les arcades…

« Petit, petit ! »

Où est passé ce machin ? J’avoue, si je n’étais pas déjà à moitié dégénéré, la simple vision de cette horreur m’aurait fait fondre de folie, comme quoi, parfois ca aide d’être handicapé.
J’erre dans les gigantesques couloirs, en semant des petits cailloux pour ne pas me perdre, j’ai lu ca dans un roman psychologique. Car, quel endroit labyrinthique ! Tout est de dimension si exagérée que j’ai l’impression d’être là depuis des heures, m’arrêtant de temps en temps sur les fresques et les statues hideuses pour essayer de déduire les us et coutumes de cette civilisation perdue. Un vrai musée des horreurs. Simili-Tentacules, crocs pointus, formes impossibles, ces êtres là avaient plutôt l’air branchés massacre et bain de sang que tricot et tasse de thé ! A rester le nez en l’air, je ne fais pas attention, et je trébuche sur un ossement… Un ossement… Humain. Suivi de tas d’autres ossements, humains aussi, qui arrivent à une véritable montagne d’ossements humains un peu plus loin. Cela dit, Ils ont l’air d’etre la depuis plusieurs milliers d’année. Sacrifices ou garde-manger ? Peut-être pouvez vous me renseigner, vous là bas ?

Mais vous là bas, c’est la CHOSE qui rampe au sommet du tas d’os, et elle est trop heureuse de voir un humain se présenter dans son antre après tout ces siècles !!!! Elle se lèche ce qui lui sert de babines avec ce qui lui sert de langue et fond sur moi tel un faucon dégoulinant.

« PAN ! PAN ! »

Je décharge le fusil sur elle, mais elle évite mes tirs avec aisance. Gasp ! Je m’enfui au galop en remontant la piste des petits cailloux, fouillant frénétiquement dans mes poches pour attraper des cartouches, mais la panique et le désagrément de tenir le fusil et la lanterne d’une seule main m’en font faire tomber plusieurs avant que je ne puisse en saisir deux. La chose me talonne, tant et si bien que je finit par perdre mon fil d’Ariane. Je cours comme un dératé dans les couloirs infini. La chose est un prédateur rusé, elle me force a prendre un chemin qui mène à un cul de sac. Dos au mur, trempé de sueur, pétrifié de terreur, la voici qui approche ses contours impossible devant mon visage, comme si elle savourait d’avance son repas. Elle s’approche un petit peu plus, toujours un petit peu plus, jusqu’à je commence à sentir les volutes de son haleine d’un autre monde et que ses grondements obscènes m’assourdisse, implacablement un gouffre gluant s’ouvre pour m’engloutir, la vie n’est plus que le moment présent mais « PAN ! PAN! » je lui vide le contenu du chargeur dans ce qui à l’air d’ être sa gueule.

La chose n’apprécie carrément pas. Elle se cabre, poussant un cri strident et outré. Dans la confusion, je la contourne pour déguerpir. Quelque chose en forme de lame déchire la manche de mon vétement et taillaide ma chaire cruellement. La piqure acide me donne un surplus de fougue pour détaler le plus loin possible.

Désespérément, je cherche à retrouver la piste des petits cailloux. Dans mes poches, il ne reste plus que deux cartouches, toutes les autres ont fini par tomber. Le coeur serré et les poumons en feu, je recharge le fusil une dernière fois…

Un nouveau cul de sac. Je rebrousse chemin, appréhendant une nouvelle rencontre avec la chose, que je n’entend plus. Avec espoir, je me dis que ma décharge de plomb a du atteindre un point vital, et la terrasser. Une sensation mitigé de soulagement et d’inquiétude affleure sur mon épiderme. Alors que je reviens au dernier embranchement, je trésaille… Les petits cailloux ! J’ai retrouvé le chemin !

Dans le calme funèbre de la crypte colossale, à la faible lueur de la lampe, je revient doucement vers la sortie, retrouvant progressivement mon souffle. Je repasse devant la galerie de mochetés insanes sans me retourner, sachant la terreur que j’aurais à contempler encore une fois ces enchevêtrements de salles que même l’esprit d’Eischer n’aurait pu inventer. Même sans la chose, c’est un endroit tellement lugubre que je vais m’empresser d’en murer l’accès sitôt remonté !

Je traverse en trottinant l’atrium, en soufflant de soulagement à la vue des escalier. Un son immonde me tétanise. Lentement je relève la tête… La chose me tombe dessus.
Quel endroit abominable, quel dimension infernale, quel incroyable dimension ! Je suis à l’intérieur de la chose, elle m’a avalé tout rond la saleté ! Me voici dans ses tripes, et c’est complétement dément ! Le fusil à la main et la lampe entre les dents, je me met à nager dans ce qui doit être du suc gastrique cosmique, vu les picotements que je commence à ressentir sur ma peau.
Les entrailles de la chose sont encore plus mal agencées, mal pensée et mal fichues qu’une agence pour l’emploi. Rien n’a de queue ni de tête. Des organes bizarre volettent, de gros globules bleus fonce comme des chevaux sauvage sous mes pieds, tout clignote, tout pulse, tout suinte, tout couine. Est-ce de la chair, du métal, de la pierre ? Je flotte au hasard, et passablement agacé, dans ce bric-à-brac délirant.

Je tente de me diriger vers ce qui me semble être le haut, dans cette apesanteur sans repère, me fiant à mon instinct de survie de méprisable valet. Après ce qui semble être des heures, je tombe sur un étrange objet rutilant, qui pulse royalement dans le vide. On dirait un soleil, et il en émane des vibrations royales, dorées et chaudes. Quelque chose me dit qu’il s’agit du point névralgique de la chose, et je me met aussitôt à m’en approcher en pataugeant dans le n’importe quoi inter-dimensionnel. C’est ardu car je me fait bousculer par quantité de trucs et de bidules coupant qui s’écrasent sur moi comme une pluies de météores, et c’est avec les plus grandes peines que je parviens à coller le canon dessus.

« PAN ! PAN! »

La chose éclate comme une bulle de savon. S’ensuit une chute douloureuse où je me retrouve le cul par terre et recouvert de morve dans l’atrium silencieux. Le coccyx en morceaux,en partie digéré, je rampe en râlant vers la surface…

Le maitre m’attend dans le couloir qui mène à la cave, tapant du pied et l’air énervé.
« Igor, qu’est ce que c’est que ce ramdam ! Ça fait plus de vingt minutes que tu fait un odieux boucan qui m’empêche de me concentrer !

-Ex…Excusez moi maître, mais…
-Il n’y a pas de mais, Igor, tu es un insolent serviteur !
-Oui, maître.
-Sais-tu comme il est difficile d’être un Artiste ? De la somme de souffrances qu’il me faut déployer pour émerveiller les foules ? Bien sur que non ! Ah ! Tu n’as pas idée de la concentration intense que nécessite cette tâche, que dis je tâche, cette aventure épique qu’est l’a critique de disque ? Des voyages intersidéraux, des lointaines planètes fantastiques que doit atteindre mon esprit ? C’est pour cela que j’ai besoin du plus grand calme. Pendant que tu t’acquittes de tes honnêtes mais futiles taches ménagères, je visite des mondes étranges et merveilleux, j’ai la vision de chose si hallucinantes que tu ne pourrais pas même pas les imaginer ! Je suis en train de mettre un point final à mon allégorie de Jean-Michel Jarre, qui est d’une qualité littéraire si exceptionnelle que tout le world wide web, la télévision, la radio et l’imprimerie risque d’en être irrémédiablement chamboulés, en a tu conscience ? Donc, c’est trrrrès important, d’une importance ca-pi-tale. Alors je t’en prie, Igor, fait moins de bruit. Tu as compris ?
-Oui, maitre.
-Bon, retourne vaquer à tes occupations.
-Bien, maître »

Enfin… Maintenant je vais peut être pouvoir le lire, ce « Modes & Donjons »… Mais il m’interpelle alors que, tout penaud, je vais franchir la porte qui mène en cuisine.

« Oh Igor ?
-Oui, maître ?
-J’y pense, pendant que tu t’amusais dans la cave, j’ai entendu du bruit dans le grenier. Il doit y avoir des rats, ou je ne sais quelle autre bestiole. C’est horripilant. Occupe toi de ça, veux tu ? »

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