Histoires Étranges du Quotidien 12. Léon-Bruti.

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Il s’appelait Léon, un prénom associé à la force du roi des animaux. Mais les gens l’appelaient Léon le Simplet, Léon l’Idiot, Léon l’Innocent, ou par raccourci, Léon-Bruti, car il avait quatre ans d’âge mental. Oui, malgré la bienséance, ils n’hésitaient pas à l’affubler de sobriquets. Mais pour autant, ils étaient gentils avec lui, car le quartier savait qu’il était inoffensif. Oh, parfois il mettait le feu aux poubelles, et applaudissait de joie devant les flammes, mais les policiers se contentaient de le gronder un peu, alors il pleurait et ne recommençait plus pendant des mois. À dix-huit ans, c’était un colosse, mais dans sa tête, il restait bébé, et jouait encore avec les tout petits. Ceux de plus de quatre ans le trouvaient bête et ne voulait pas de lui, car il était incapable de retenir les règles de la marelle ou du football. Son joujou préféré était une trottinette, avec laquelle il passait des heures à rouler dans la ruelle en pente du docteur Zoki, en poussant de puissants éclats de rire. Au bout d’un moment, excédé par le bruit, le médecin lui demanda un autre endroit où jouer. Son visage sembla se retourner, et il s’en alla, tenant dans ses grosses pattes sa chétive trottinette.

Mis à part ses rares incartades pyromanes, il était doux comme un agneau, brave et serviable, aussi personne ne s’en plaignait. Dans la vie du quartier, il était l’équivalent d’un chien ou d’un chat. Quand il se volatilisa, le docteur Zoki n’y fit même pas attention. Il se passa des mois avant qu’il ne s’en souvienne.

« Qu’est devenu Léon ? » demanda-t-il alors au primeur. Léon l’aidait souvent à transporter ses cageots.

« Léon-Bruti ? Le pauvre, cela va faire un an qu’il est décédé ! Les docteurs lui avaient trouvé une tumeur au cerveau. D’ailleurs, ça a été toute une histoire. Quand Léon mourût, au funérarium, sa mère, qui n’était pas complètement saine d’esprit non plus, appliqua deux tampons sur les mains du défunt : l’un représentant un lion, sur la main droite, l’autre figurant un entonnoir, sur la gauche (en France, l’entonnoir est un symbole de folie). Ensuite elle se mit à prier comme une folle pour que son fils se réincarne dans un nouveau corps, qui connaîtrait une vie meilleure. On l’internat rapidement… Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’il y a six mois de cela, dans une clinique des beaux quartiers, est venu au monde un garçon avec des taches de naissance sur les paumes. Elles avaient des formes incontestables : celles d’un lion et d’un entonnoir ! La famille se douta qu’il y avait quelque chose de surnaturel là-dedans, et ils apprirent par un détective privé, qui le tenait par un magnétiseur, qui le tenait par un boucher, qui le tenait par un coiffeur, qu’un jeune homme d’un quartier populaire, surnommé Léon-Bruti, était mort l’année dernière. Elle envoya le détective enquêter plus avant, et celui-ci retrouva la mère dans l’hôpital psychiatrique où elle demeurait toujours. La pauvre femme donna les détails de l’histoire tout en jubilant, car elle savait que son souhait avait été exaucée et que son fils grandirait dans la haute-bourgeoisie. En apprenant la nouvelle, les parents s’étouffèrent de rage : autant le lion leur plaisait, autant l’entonnoir était pour eux odieux. L’expert en investigation fut encore une fois dépêché pour extorquer des informations. « Où est-il enterré ? » « Au cimetière Saint Pierre » répondit la mère. « Quelle allée ? Quelle rangée ? Quelle tombe ? » insista-t-il en l’emmenant de force. Une fois les renseignements glanés, suivant les ordres donnés par le clan, il récupéra de la terre sur la sépulture de Léon, et laissa là la génitrice. »

« Mais pourquoi faire avaient-ils besoin de cette terre ? » demanda le docteur.

« Et bien il faut savoir que depuis des générations, cette famille était versée dans l’occultisme. Pour se débarrasser du mauvais signe, le savoir ancestral veut que l’on frotte la marque sur l’enfant avec la terre de la tombe où est enterré le réincarné… »

Ainsi, la tâche fut effacée. La famille fonda une association d’aide aux handicapés mentaux, qui l’enrichit beaucoup.

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