Histoires Étranges du Quotidien 15. La cloche de Notre Dame du Mont.

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Voici la cloche de l’église Notre Dame du Mont qui marque l’heure; dans la tour, le battant électrique se lève et s’apprête à frapper sa lèvre, sur sa bordure est gravée un texte extrait du code civil 3.0 : la liberté ne vaut qu’avec la vérité, et si elles sont partagées par tous. Écoutez la nouvelle cloche qui parle ! Sa voix puissante, bien qu’elle n’ait pas de bouche ! DING-DONG ! La Vierge Marie, sa cousine et leurs amis, sur le haut relief en céramique de la façade, ont l’air de frissonner de la tête au pied quand la lourde onde sonore se propage. Le Jésus en croix du maître autel tremble de tous ses clous. Monseigneur de Mazenod, dans sa toile, frémit comme s’il voulait parler. DING-DONG ! L’agonie de Saint Joseph se fait plus vibrante. L’icone de Notre Dame du perpétuel secours se tord comme un saumon remontant sa rivière. Les doigts de Saint-Loup remuent au dessus de la nef vide, à travers la brume de l’encens. DING-DONG ! C’est un véritable coup de tonnerre qui fait tressaillir les chairs molles des rares touristes ! Après chaque impact, un écho sépulcral, un gémissement doré, suivi d’un mystérieux sanglot. La gigantesque sonorité s’évanouit en murmures argentés, incongrus, comme si une voix de femme susurrait le mot «tong! » .  La cloche sonne ainsi depuis sa récente installation, et pas une âme dans le quartier ignore l’origine de ce curieux phénomène. Voici l’histoire :

Voilà peu, depuis que le gouvernement s’octroya le droit de contrôler les cultes, Monsieur Doménic, maire des 6eme et 8eme arrondissement de Marseille, demanda à son attaché à la dévocité, monsieur Kévin Sateaurate, de faire fondre une nouvelle cloche pour l’église. Une cloche si imposante qu’on l’entendrai dans un périmètre de dix kilomètres, afin d’inciter les personnes alentours au partage, à la solidarité, et au tourisme. Il suggéra qu’afin d’en maximiser l’efficience panégyrique, il faudrait qu’elle soit enrichie en or, réchauffée de cuivre, et inondée d’argent. Que sur la lèvre, il faudrait inscrire une formule forte du Code Civil 3.0, et qu’on l’installe dans le beffroi de l’église Notre Dame du Mont, pour favoriser le processus de transition au locatif para-hôtelier.

C’est ainsi que le loyal Kévin fit venir les meilleurs fondeurs et saintiers de France, les plus efficients et les plus réputés. Ces derniers calculèrent les proportions idéales de l’alliage, préparèrent les moules, les feux, les instruments, plus le creuset monstrueux pour faire fusionner les métaux. D’arrache-pied ils besognèrent, oubliant de dormir, travaillant de jours comme de nuit pour satisfaire Kévin et faire la gloire de monsieur Doménic.

Mais lorsque le métal fut coulé, et que l’on cassa le moule de terre, on s’aperçu que, malgré tout les efforts et la sueur transpirée, le résultat ne valait rien. Les métaux s’étaient rebellés les uns contre les autres. L’or méprisait le cuivre comme un élu le peuple, l’argent ne se mélangeait pas avec le fer, comme le nantis avec le pauvre. Donc, il fallu refaire les moules, rallumer les feux, refondre les matières, recommencer l’éprouvant labeur. Monsieur Doménic fut informé, en éprouva du mécontentement, mais ne dit rien.

Pour la deuxième fois, on coula une cloche. Le résultat était encore pire. Toujours les métaux refusaient de s’unir. La cloche était difforme, les bords fissurés, la lèvre craquelée. Une troisième tentative s’imposait, Kevin devait racheter des sous-vêtements. Quand monsieur Doménic appris la mauvaise nouvelle, il envoya un courriel à son consterné homme de main. Le message disait :

« De Doménic@mairiemarseille6-8.fr à Sateauratekévin@mairiemarseill6-8-bureau_dévocité.fr 

Objet : Cloche

Deux fois. Ne t’inquiète pas, mais le temps presse. Je ne voudrais pas être méchant, mais si tu préfères, il reste des postes de médiateurs à pouvoir dans les quartiers nord.

Communalement,

Le mairedu 6-8. »

 

C’est le moment de parler de la fille de Kévin, Digne. C’était une adorable personne, douce et forte à la fois, belle, intelligente, séduisante, en réussite. Suivis par des millions sur Internet, qui se délectaient de ses petites aventures. Elle l’aimait tellement, que bien des fois elle avait refusé les propositions, de peur de désoler son père de son absence dans la villa familiale. Hélas, elle avait vu le menaçant message du maire, au hasard d’un coup d’œil par dessus l’épaule de son papa chéri, alors que ce dernier geignait devant l’écran de son ordinateur. À l’idée de la rétrogradation de son géniteur, elle manqua de s’évanouir. Les jours suivants, elle en perdit le sommeil, l’appétit et le goût des publications numériques. Après de longues recherches à propos des métaux, des alliages, de chimie, d’alchimie et même de magie sur la toile, elle sembla reprendre un peu de courage, son regard gardant toutefois toujours un peu de tristesse. Elle ne dit rien de ce qu’elle avait trouvé à quiconque.

Vint le jour d’angoisse de la troisième tentative. Digne, avec une amie, accompagna son père à la fonderie, sur une plateforme surplombant les artisans travaillant auprès des moules et de la lave de métal liquéfié. Les hommes gardaient le silence de la concentration tandis que le feu grondait, et tandis que le grondement devenait rugissement, pareil à celui d’un orage en approche, le lac de métal rouge sang prenait la couleur vermillonne d’un lever de soleil, se transmutait en une intense radiation d’or, avant de devenir d’une blancheur aveuglante, comme celle sur la face de la lune. Les ouvriers arrêtèrent de nourrir les flammes, et regardèrent Kévin droit dans les yeux. Kévin s’apprêta à donner le signal pour couler.

À l’instant où il leva la main, un cri lui fit tourner la tête. Tout le monde entendit la voix de Digne, piaillante comme celle d’un oiseau au dessus de l’enfer grondant. « Je fait ça pour toi Papa ! » Et au même moment, elle se jeta dans le creuset. La lave hurla en l’avalant, cracha des boules de feu jusqu’au plafond, bouillona par dessus les bords de son cratère, tourbillonna pour former un vortex de feux multicolores, avant de finalement se calmer par à coups d’eclairs, de tonnerres et de grommellements.

Le père de Digne, fou de douleur, se serait jeté après elle s’il n’y avait pas eu d’hommes suffisamment costauds pour le retenir. Il finit par faire un malaise, on le ramena inconscient chez lui.

L’amie, muette d’effroi, restait lâ devant le fourneau, sa main agrippée fermement à une chaussure, une petite, mignonne, délicate claquette brodée de fleurs. La chaussure de Digne. Alors qu’elle sautait, la camarade avait eu le geste d’attraper son pied, mais elle n’avait réussi qu’à lui arracher cette tong. Elle restait fixé sur l’objet, l’air dément.

L’affaire n’était pas jolie, pas jolie du tout. Or l’Etat, qui n’aime pas les histoires affreuses, se dépêcha  de cacher l’accident sous un tapis bien épais. On fit taire Kévin, la copine et les ouvriers. On bourra la gorge de monsieur Doménic de billets de banque. Digne était partie rejoindre un amant secret à Wallis et Futuna, abandonnant travail, famille, patrie, et compte Instatok. la mission cloche se poursuivit. Chose surprenante, le métal refroidit, on se rendit compte que la cloche était parfaite, magnifique, supérieure à toutes les autres cloches. Dans le mélange, pas la moindre trace du corps de Digne. Elle avait été totalement absorbée, et cela avait permis le mélange de l’or, du cuivre, de l’argent et du fer. Quand on la fit sonner la première fois, son timbre était plus profond, plus suave, et plus puissant que prévu. Il ne couvrait pas dix, mais vingt kilomètres à la ronde, comme une explosion lointaine. Digne avait dû trouver quelque chose mentionnant un sacrifice, quelque chose d’ésotérique, quelque chose d’occulte, pendant ses recherches, car en même temps que le fredonnement de l’idiophone, on entendait comme une voix prononcer un nom, un nom de femme, le nom de Digne !

Depuis lors, à chaque coup sur la cloche, il y a ce long gémissement, et à chaque fois il s’achève en sanglot, suivi du murmure d’une femme triste disant « tong! » Quand ils entendent ce bruit, les habitants du quartier se taisent, et les mamans disent à leurs enfants « Écoute, c’est Digne qui demande sa tong ! C’est Digne qui demande sa tong ! »

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