Trois muses 1996-2007.

 Dans Mémoires de musicien

Ligeia est arrivée en seconde, c’était avant que je ne me mette à la musique, convoquons donc ces temps…

C’était une charmante jeune fille à la noirceur toute espagnole. Isis aux iris à la curiosité lionne. Magicienne. Ailée. Elle avait le charme éroticocculte d’une affiche du festival pop de Monterey. Dans son regard velouté se mariait l’or avec le fer. Le look gothique lui seyait à merveille.

Mais il faut savoir une chose, en amour j’étais, comme tout le reste, un inadapté. Je n’y comprenais rien. Ma jeunesse, suggérée plus tôt dans ce texte, m’avait rabougri les sentiments comme un bonsaï. Défolié, coupé à la cime, je n’y entendais que couic aux autres enveloppes corporelles habitées d’un esprit. En clair, les gens, je n’y comprenais rien, je ne savais pas décrypter leurs codes.

Cette année était l’année où elle avait réalisé que sa beauté était une arme, elle s’en amusait et faisait tourner les têtes à volonté. Un après-midi, nous entrions dans la salle de sciences naturelles, devant les tables carrelées et les lavabos. La professeure nous passa un film, un truc sur le système nerveux des cafards, Ligeia s’assît derrière moi. Du coin de l’œil, je la vis prendre mon cahier de texte, écrire un message dedans, avant de le reposer en ricanant. À la fin de la leçon, j’ouvrais mon carnet : il y avait un petit mot très aimable, ventant mes qualités. Je n’en revenais pas.

Après les leçons , ma mésaventure fut de tomber sur elle dans la cour. Nous étions seuls.

 

Ligeia : as-tu lu mon mot ?

Moi : oui, je… glub… xlkr… grft.. cpht…

Ligeia sourit, et me salua en s’en allant.

Moi : xxfr zfbh vltrr fkrrr…

J’étais soulagé de ce départ, car incapable de trouver quoi dire. Mon système nerveux basique m’empêchait de réagir promptement, à propos, et me conseillait par défaut, devant les événements inattendus, de fuir. Telle la blatte commune. Mince, elle était super jolie, Ligiea.

Ce n’est qu’après que je réalisais avoir raté une opportunité de tendresses. Tous les jours, j’espérais un petit mot. Mais c’était trop tard, quelque temps après, elle avait trouvé un partenaire, un copain de ma classe. Damnation. J’ai toujours eu un pas de retard dans la danse à laquelle se livrait mon espèce. L’occasion manquée se transforma en obsession. Je n’avais jamais eu de copine, maintenant, j’en voulais une. Je voulais Ligeia. Ce fut le début d’une existence de tourments.

Ah, si, comme Phil Connors, j’avais pu vivre un jour agréable encore et encore. Le jour du petit mot. Hélas, comme Phil Connors, mon jour sans fin était morose.

On n’y pense pas, mais Phil a dû faire des choses horribles à Rita. Tout le passage où il parvient à la séduire, et se prend quand même râteau sur râteau, Peut-être que des fois, il a craqué, a insisté, l’a agressé, lui a sauté dessus. Dieu merci, le film est génial et n’a pas besoin de ça. Il n’est pas écrit au marqueur. Dieu merci, je ne suis pas allé si loin, je suis un psychopathe, mais j’ai un cerveau. Rendre les gens malheureux ça ne m’excite pas. En tout cas, la torture était similaire, les journées me paraissaient identiques, sauf qu’ici le temps passait. Tous les jours, je pensais au moins une fois à elle. Notez que pour Phil Connors, apprendre la musique fait partie de sa salvation.

Ligeia aimait la littérature, elle lisait, elle écrivait. Un jour, elle fondit en larmes dans le couloir où  nous attendions pour entrer en cours de bio. La raison, je la connaissais. Un ami de ses parents, éditeur, lui avait promis de s’intéresser à sa prose, puis, alors qu’elle avait attendu, pleine d’espoir, la réalisation d’un rêve d’édition, il s’était assis sur ses prétentions, s’était moqué de son jeune âge et de ses illusions : ce n’était qu’une petite fille loin d’avoir ce qu’il fallait. Qu’est-ce que j’en ai voulu à cet affreux inconnu, de l’avoir humilié de la sorte. Les adultes sont des menteurs, on le découvre bien assez tôt, mais cette espèce-là me fera toujours horreur : les menteurs sadiques. Méfiez-vous des vendeurs de rêves, les enfants, ce sont des ogres.

Pour lui plaire, je me jurais de devenir un écrivain fameux, je me mettais aussi a apprendre à jouer d’un instrument. Son copain, mon pote, était un musicien de grand talent. Voilà pourquoi je me mis de surcroit à la musique, je pensais qu’être flamboyant, anticonformiste, original, ferait immédiatement tomber la nymphe désirée dans ma nasse. Que je paraîtrais valable. C’était un peu plus compliqué et simple que cela. Ce n’est juste pas comme ça que ça marche. Mais de toute façon, je ne me concevais pas ne pas savoir faire du son par le truchement d’un ustensile sonore construit à cet effet. Belzémouk jouait déjà bien de la gratte, on écoutait chez lui des cassettes de Mayhem importées de Norvège, via le Helvete, le magasin de disque d’Euronymous. Il m’invita à installer ma batterie d’occase, fraichement acquise au CMO, dans sa cave. On y a mis le ouaï durant longtemps.

Matwis était aussi arrivé en seconde. On était camarade, mais on ne savait pas qu’on allait se retrouver dans le même groupe. Un jour Ligeia et lui sont montés par l’échelle de secours sur le bâtiment où se trouvaient les labos de physique. Je me souviens juste les voir monter les échelons rouillés de ce bastringue antique, je crois que le pion les a interrompus dans leur ascension. Je les avais trouvé vachement courageux.

En 1997, avec la bande des metalleux, Belzemouk, Yann et moi, on est allé voir Korn jouer au dôme, pour leur deuxième album, Life is Peachy. En première partie il y avait Incubus. À la fin de leur set, le chanteur à dreads et le guitariste se sont approchés du bord de la scène. Deux filles leur tendaient les bras, ils n’ont eu qu’à tendre les leurs, comme vers la gloire, et les ont cueillis telles des pêches. Révélation. Le pouvoir de la musique permettait que les filles se jettent sur vous ? Pas besoin de savoir draguer ? je prenais. Dans mon cerveau d’adolescent attardé, la formule était parfaite. En vérité, ce n’est pas vraiment ça. Mais savoir jouer d’un instrument donne des atomes d’Orphée à l’interprète. Un musicien qui joue bien, c’est, sinon séduisant, au moins fascinant.

Une idée de génie me vint : me déguiser en personnage ténébreux et torturé, semblaient être un appareil d’hypnotisme à gonzesses parfait. Idiot, grand idiot, la vie n’était pas un film, mais je croyais tourner le mien. J’écrivais le script. En fait, j’essayais de me séduire moi-même, je voulais être l’Homme des Hautes Plaines, qui apparaît dans un mirage de chaleur. Un trucage. Autre idée, écrire. La seule chose dans laquelle j’avais confiance en moi. Dans une tentative téméraire de lui plaire, je me mis à envoyer à Ligeia des lettres anonymes, avec des messages a la passion gentille, qu’on voudra bien me permettre de ne pas reproduire ici. La dernière missive proposait un rendez-vous sur un banc public, place Sébastopol. Je me rendis à l’heure dite, arrivant par la rue George. Elle était là, là-bas. Elle attendait à cent mètres, assise les mains jointes, les bras pendant entre les jambes, levant le nez à gauche et à droite, en noir et blanc. Aussitôt, je me déballonnais. La pensée d’être repoussé devint intolérable. Je fuyais.

C’était un de mes traits caractéristique que de monter des projets pleins d’audace, de lutter, souffrir en silence pour les mener à terme, et d’abandonner quand la réussite n’était plus qu’à un millimètre. On pourrait appeler ça, la névrose du Dul-Tson-Kyil-Khor, le mandala coloré. C’est plus élégant que d’appeler ça de la pure lâcheté…

Je l’appelais dans la foulée, confessant mon crime. Elle répondit d’une voix amusée que ce n’était pas difficile à comprendre, les lettres étaient tamponnées de la poste de la Plaine, à deux pas de chez moi. Mais elle ne se moqua pas, elle eut des mots très doux, bienveillants. Nous nous n’en reparlâmes plus jamais, et nos relations conservèrent leur cordialité d’autrefois.

En toute honnêteté, je ne sais pourquoi j’étais tant obnubilé. Les hormones ? L’amour ? L’envie de me sortir de ma pesante famille ? Me sentir normal ? un pet’ au casque ? Sûrement un peu de tout cela. Je n’avais pas envie d’être obsédé, mais elle était trop sympa, trop futée, trop belle. Personne ne fut jamais dans la confidence.

La conquérir, par la séduction, à mon ami me paraissait indigne d’un gentilhomme. Je ne tenterai ma chance que lorsque elle serait libre, point. J’attendais, j’attendais longtemps. Yann me reprochait de n’aimer que des images. C’était râlant, mais il avait raison. Mes idéaux féminins sortaient toutes d’œuvres de fiction. Tank Girl, Elvira, Chun Li, Cherry 2000, Barb Wire, Catwoman, Gen 13, Druuna, Pélisse, Mélusine, Lady Death, Pirotess, etc. Je commençais à ronger mon frein. Pour la première fois, je me plongeais dans une baignoire remplie d’eau chaude, et je tentais de m’ouvrir les veines avec une lame de rasoir, mais à la première écorchure cela me piquait déjà trop. J’abandonnais. Ce fut le début de mes pathétiques tentatives de suicide, qui, quand l’esseulement devenait trop fort, servaient surtout à me rappeler que je tenais trop à la vie pour envisager avec sérieux de me blesser à en mourir.

Silence équivoque jusqu’au bac. Je ratais ma première année de fac. Je la voyais de moins en moins, mais si le hasard me faisait la rencontrer au cours d’une soirée chez Yann, par exemple, la joie illuminait la lanterne de mon coeur pour quelques jours. Avant de se rééteindre.

Ils rompirent enfin. J’appelais Ligeia tous les jours pendant une semaine. Comme ça, juste pour discuter. Hum.. Rien que le son de sa voix me rendait heureux. Le lundi d’après, au bout du fil, c’était son nouveau mec. D’un ton aigre, il me disait d’arrêter de lui téléphoner. Trouillard et soumis, je m’exécutais et stoppait. J’étais pleutre, mais pas lourd. La façon très petit mâle dominant dont on m’avait fait comprendre mon indésirabilité était certes, désagréable, mais j’entendais que mon attitude soit inappropriée. Ce fut le premier pas vers la liberté, car je me plongeais enfin dans les études avec assiduité. Au bout de trois années infructueuses en lettres et en droit, à me cramer l’hippocampe avec du Strapping Young Lad, d’un an à chercher du boulot sans résultat, l’année de la dérogation fut la bonne. Inscrit en anglais, je me faisais des amis, Johan, JB, Anaïs, Élise, Jadran, et plein d’autres. Peu à peu, Ligeia se délogeait de ma caboche. Je n’y pensais plus qu’un jour sur deux, puis un jour par semaine, puis un jour par mois, puis plus du tout. Elle faisait sa vie, rencontra un autre jeune homme, moi je faisais la mienne. Je réussissais mon année, et je rentrais dans les Nitwits. Enfin, la tant attendue tranquillité d’esprit.

Ligeia n’était pas une mystérieuse ésotérique revenant d’entre les morts, elle fut toujours ravissante, lumineuse, et d’une authentique bonté. Je regrette dans ce texte ne pas être capable de mettre plus en valeur sa radiance. Ayez pitié de moi, Isis.

Bérénice, c’est une autre histoire de fixette, mais à l’inverse de la nouvelle de Poe, c’est moi qui me suis cassé les dents.

En milieu de deuxième année d’´anglais, je repérais une très belle jeune adulte. Bérénice. Un sourire de 21 juin, des yeux bleus iceberg, un petit corps de carnivore.  Je trouvais le courage de m’installer à côté d’elle en amphithéâtre, et summum de la bravoure, de lui parler. De fil en aiguille, nous devînmes des connaissances, des amis, je lui présentais ma bande, elle n’eut aucun problème à nous rallier. Elle me plaisait beaucoup. Quelques temps plus tard, S, une copine qui habitait une chambre sous les toits, non loin de chez moi, nous invita, Bérénice et votre méprisable serviteur, à venir passer la soirée chez elle. On bu, on mangea, on mata un film, on prit des photos, c’était avant les selfies. S alla aux toilettes, on fit une photo, assis dans le canapé, Bérénice et moi. Elle posa la tête sur mon épaule. Flash. S revint. Merci, à bientôt, bises bises. Chacun rentra chez soi. Rue de Lodi, je marquais un temps d’arrêt. Mais quel neuneu, j’aurais dû l’embrasser, les planètes étaient alignées, pour une fois, tout seul comme un grand, j’aurais pu peut-être embrasser quelqu’un. Quelqu’un de splendide. En Grèce, avec mon inhabilité au kaïros, l’art de saisir l’opportunité au bon moment, j’aurais été jeté du haut d’une falaise dès la naissance. Deux jours plus tard, dans le tramway, je réalisais que j’étais tombé en amour pour elle, comme disent nos amis canadiens francophones. Trois mois plus tard, S lâcha son studio. Je le louais, espérant que cette indépendance créerait l’occasion de recréer l’occasion.

On échangeait nos textes. Dans une de ses petits nouvelles, elle décrivait un prétendant éconduit qui était devenu amer et méchant. Menaçant présage. Je ne savais pas encore que j’allais me métamorphoser en ce personnage. elle me dit que j’étais un génie de l’écriture. Bonheur. Je jurais encore une fois que j’écrirai un livre, mais qu’en plus, je lui dédicacerais. J’y suis parvenu, mais c’était trop tard. Je me lançais dans une orgie de films, de livres, de musiques, juste pour lui montrer à quel point j’étais à la pointe, et très intelligent, beuark.

Le processus maudit se réactiva. Je me donnais à fond pour mon groupe, me défonçai autant en art qu’en dope, sniffais de l’éther pour être comme Hunter S. Thompson, écrivais, travaillais mes gammes. Elle vint à un de nos concerts, je me sentais en confiance, il y avait Yann et S. Le spectacle fini, on traina, moi avec mon étui à cymbales, jusqu’à finir dans les limbes de l’Art Haché. Mais je ne parvins pas à l’enlever. Les jours et les semaines passèrent. La côtoyer et la voir me suffisait. À peine. À force de méditer, de retourner le problème sous tous les angles, la conclusion fut sans appel : il fallait qu’il me pousse des rognons dans le slibard, et que je lui dise franchement, comme je le pourrais, que je voulais qu’on soit ensemble quelque temps.

Le lendemain, palpitant, quand le cours principal fut achevé, je la suivais dans le couloir, bien décidé, sûr de sûr, confiant, courageux, résolu. J’arrivais dans le hall. Elle embrassait un autre. Les larmes me sont montées aux yeux. Immédiatement. Ce genre de réaction spontanée, ça ne m’était plus arrivé depuis la mort de ma grand-mère. Je fis plusieurs pas derrière les escaliers, pour cacher ma douleur. L’étau de l’amour comprimait mon coeur jusqu’à l’explosion. Je l’entendis craqueler, et tomber en miettes. Le soir, dans ma chambre de bonne, je pleurais vraiment, à gros bouillons, en me tortillant et me meurtrissant sur mon matelas, imaginant cet homme et Bérénice s’enlaçant, se pétrissant, se pénétrant avec les râles et les soupirs du plaisir, je geignais comme un beagle blessé. Mon amour pour Ligeia avait conservé la candeur d’une fin d’enfance, mais celui pour Bérénice était énervé par le désir de la chair.

Il fallait que je l’apitoie, me dis-je. Des cernes se creusèrent sous mes yeux, je devenais d’humeur froide, souriais peu, affectais les symptômes d’un grand mal. Bérénice cru que je m’étais mis à la coke. Je m’enfonçais un peu plus dans l’autodestruction, espérant le miracle, mais il n’y a que dans les films que la personne réalise la tristesse qu’elle suscite, et qu’elle sort avec l’amoureux transi. Quel lamentable pitre je pouvais être…

Au fil du temps, j’essayais de sympathiser avec le nouveau Roméo. Il était illustrateur, on devait plancher sur une bd. C’était nul. Ils ont fini par rompre, elle est partie en Erasmus. Un jour, par MSN, je lui demandais ce qu’elle faisait, elle me répondit « je suis avec mon copain », moi, crétin égocentrique intersidéral, je cru qu’elle parlait de moi. Joie immense. Quelque semaine plus tard, je réalisai, au détour d’une conversation, qu’elle parlait vraiment  d’un autre. Déprime intense.

Je tombais dans une véritable dépression, tout m’ennuyait tant qu’il n’y avait pas Bérénice dans mon champ de vision. Je m’insupportais. Le miroir du studio fut recouvert de feuilles, je m’isolais, de peur de rater une occasion qu’elle passe. Je me dénigrais tant et si bien, dans le désir étrange de voir des événements positifs arriver, une bonne critique, une proposition de concert, contacté par un label, que je finis par devenir un authentique perdant. L’envie de gagner Bérénice m’avait d’abord donné des ailes, elles avaient fini par se déplumer.

Au bar, je bassinais Yann avec mes lamentations incessantes, dissimulées sans finesse sous une dépréciation de ma personne. C’était censé apitoyer, mais tout ce que cela produisait était un cri de mouette : moi moi moi moi.  « Oh, mais Bérénice est presque indigne de toi, noble et vaillant Vinzo ! Elle ne te mérite pas ! Tu n’as qu’a claquer des doigts, et elle sautera dans tes bras ! » voilà ce que je voulais entendre. Mais quelle personne saine d’esprit aurait pu tenir ce discours ? je cherchais la folie pour pouvoir m’en parer. Mes festins de bongs chez Scoff n’arrangeaient rien. Le problème avec mes obsessions était leur taille. Elles prenaient tant de place que je ne pouvais me concentrer sur rien, en particulier les études, et tout autres formes de travail. Je lâchais l’université.

 

 

For all the lonely ones (à tous les esseulés)

Who live life in the dreams (qui vivent leurs vies dans les rêves)

It’s so cold and lonely outside (c’est si froid et vide dehors)

So it seems (du moins, ça à l’air)

 

So you keep on searching (alors vous continuez à chercher)

Anyway (quoiqu’il en soit)

Maybe you’ll find someone tomorrow (peut-être trouverez-vous quelqu’un demain)

‘Cause you haven’t today (car aujourd’hui n’a rien donné)

 

So let your mind be carried (alors laissez votre esprit être emporté)

With the breeze (par la brise)

For you know you’re not the one’s who carry (car vous savez qu’en vous vous ne portez pas)

The disease (le mal)

 

‘Cause you’re the lonely one (car vous êtes l’ésseulé)

The only one (le seul et unique)

The lonely one (esseulé)

Qu’elle me parlait, cette chanson de Wipers. C’est pour cela qu’il était mon groupe préféré. Greg Sage me comprenait. Dans mes nuits solitaires, ça tournait en boucle. Le rock, le rap, et le malaise. Fuzati et moi, on était membres du Klub des Loosers. Les interludes de l’album Vive la Vie ne m’étais que trop familiers. Le triste sire quémandeur éploré, voilà le costume que je portais. Les Descendents, et leurs chansons qui racontaient d’être secrètement amoureux de quelqu’un, me faisait bien naufrager. Seul dans ma pièce sans lumière, un shuffle infini en marche, les cases de mon disque dur se défragmentaient.

J’ai fini mon premier ouvrage, le recueil de nouvelles Les Contes du Cinquième étage, que je lui ai dédié. Le publier a été une autre paire de manche, cela a pris des années, mais j’y suis parvenu (je ne remercirais jamais assez Reno Mossberg d’avoir cru dans ce bouquin). La seule blogueuse trisomique à avoir écrit un article dessus, l’a trouvé affreux et ennuyeux. J’en conçu une grande rancœur, j’avais sué du sang pour pondre ça. La première gogole de Google venue m’avait déféqué dessus. Depuis, je ne supporte plus les avis sur mon travail, en même temps je n’en demande pas, ce qui n’empêche pas les maladroits de me prodiguer leur avis. Je ne leur en veux pas. J’écoute tous les conseils, mais je n’en suis aucun.

Je jouais dans Nitwits, Supertimor, Doberman, partait en tournée avec Electrolux et Lo, montait a Paris pour faire le mannequin dans le Roi Soleil, auditionnais pour un groupe que le directeur du palais de Tokyo cherchait à monter, (ca se passa bien, mais je me défilais, je ne me trouvais pas assez bon). Les Nitwits étaient chroniqués dans Rockeufloq, Supertimor cartonnait à Paname, on signait sur un label avec le groupe de sludge de Belzémouk, je faisais quelques dates en remplacement pour un de mes groupe préféré de tous les temps, Crumb. D’un côté, je m’ingéniais à faire des actes hors du commun, pensant bluffer Bérénice, de l’autre je me morfondais tel un vampire dans son cercueil, incapable de m’arracher sa pensée de ma tête. Des millions de personnes passaient, mais elles disparaissaient toutes. Comme dans le doo wop des Flamingos, je n’avais d’yeux que pour elle. Obsession monomaniaque.

J’ai écrit un simili haïku plutôt pas mal que j’ai caché sur le cd de death to lofi

Here she comes, Bastet

Cigarette colored cat

In her night filled casket

Évidemment je ne lui en ai jamais parlé. L’acte devait être secret pour être vraiment beau. Avec un peu de chance, elle le remarquerait. Pas de chance. Le scénario, comme d’habitude, n’était pas suivi.  A son anniversaire, l’appareil photo cher qu’on s’était cotisé pour lui offrir, en fait je l’ai payé de ma poche, mais je n’ai jamais rien dit à personne. J’avais l’impression d’être le coyote, échafaudant des plans qui tombent à plat. Un nullos malchanceux.

Quand ils ont cassé, j’ai cru voir la luminosité d’un espoir, mais quand elle s’est mise avec le troisième, un ami d’enfance et qui plus est, un fêtard et un tueur à la guitare, là j’ai définitivement perdu pied. Je n’étais plus amoureux, j’étais juste enragé. Fulminant de haine comme un dictateur qui n’aurait pas eu assez de bisous petit garçon.

La nuit, les rêves étaient désobligeants, je la voyais se faire troncher par tout le monde, dans des scènes de boulards, sauf moi. Mes potes, ma famille, des inconnus, tous. Il me semblait même qu’en ma présence, le premier venu lui plaisait plus. Je devais dégager de telles ondes, que cela devait en effet produire ce phénomène. Une sorte de névrose du sexe, qui suscitait la baise tout autour de moi. Mais je n’y avais pas droit, comme un aimant à la polarité toujours contraire. J’étais jaloux comme un tigre, alors que nous n’étions même pas ensemble ! Je devenais sérieusement gaga. Il y avait la paralysie nocturne, dont j’ai parlé précédemment. Quand je me réveillais, il m’arrivait d’avoir des hallucinations, je me rappelle avoir vu une sorte de Mi-Go au centre de ma chambre, tentaculaire et inconcevable. L’épouvante. Le jour, la mélancolie se déclenchait au bout d’un quart d’heure, vingt minutes. Comme si Bauhaus jouait en continu Bela Lugosi’s Dead en arrière-plan. Seule la fumette me consolait un peu, elle me donnait des idées à écrire ou à interpréter sur ma batterie électronique. Néanmoins, mes épaules étaient généralement alourdies par une démotivation en béton. On a vu dans les précédents chapitres que je n’étais pas un bourreau de travail. J’écoutais trop les Buzzcocks, et leurs singles sur la solitude du célibat. Je finis par m’écrire au rasoir sur les bras : life is an illusion, love is a dream. Je trouvais ça top classe. Ceux qui voyaient ça étaient horrifiés. Malgré ces signes de dépressions, j’avais le feu sacré. Ma batterie, je la démontais, même si j’étais à genoux.

À force de calculer chaque action, le naturel s’en allait au galop. Pathétique existence où je promettais l’amitié sincère à Bérénice, à grand renfort de serments, mais où régulièrement je craquais et lui envoyai une déclaration du style  « Pourkoa tu veuX pa sortir avec moi ? » écrite en simulant l’emprise de l’alcool. Elle a supporté longtemps ce manège adolescent intolérable. Elle me reprochait de la considérer comme un trophée. Oui, c’était un trophée. Mais peut-être que gagner ce trophée m’aurait donné la quantité de confiance en soi suffisante pour que je me lance avec plus de succès dans des entreprises audacieuses. J’en ai tenté, mais j’ai toujours été trop goule pour oser me comporter en dominant, et de ce fait, me saisir de force d’une meilleure existence. N’est-ce pas ce que font les gagnants ? Et peut-être que le trophée, je l’aurais simplement aimé ?  Excuse moi, Bérénice.

Est-ce a cause de mon ego de petit roi décapité ? Mon regard s’arrêtait toujours sur les plus gonflées du désir de vivre, les corps les plus félins, tendus et robustes, les bikinis à tout faire craquer. Comme louis XVI je n’y entendais rien aux choses de la vie, au sexe quoi. Je n’arrivais pas à concevoir les gens autrement que comme des objets gravitant autour de mon véhicule en viande. Oui, c’est à cause de lui. Mais lui, c’est moi…

C’est pour ça que je suis parti sur la route : pour chercher l’amulette de la séduction, et honorer la promesse tacite faite à mes belles dames sans mercy, c’est à dire revenir avec gloire et fortune. Tout a foiré, mais je pense que toute cette rage hormonale se sent dans mon jeu, super frénétique, plein de sève. on l’entend toujours sur les disques.

Plus je vieillissais plus je m’apercevais que les êtres étaient trompeurs. Impossible de dormir sans me confiner, et en général, je me tenais loin des turpitudes, afin de ne pas souffrir des jets de sucs gastriques de l’humanité libidineuse.

De l’insatisfaction, j’en distillais une bile d’une grande pureté, les paroles de Ronsard 58 (Serge André Barthélémy), chantées par Gainsbourg, me faisaient grincer les dents de jubilation.

Mes vers à la gomme

Ma littérature dont tu t’es foutue

C’est le seul miroir où tu ne seras pas moche

Il est garanti pour l’éternité.

Pour, ou à cause, ou grâce, ou avec, ou malgré, ou parce qu’elle, je me suis mis à sérieusement contempler le suicide, à le tenter pour de vrai. Gilles un ami de Belzémouk et moi, que l’on connaissait du collège, un petit gars sympa, mit fin à ses jours. Aux funérailles, dans l’église des reformés, Belzémouk pleura, je n’osais pas le prendre dans mes bras. J’aurai dû. C’était le jour de mon anniversaire, au beau milieu de l’hiver, gris, et pas clair. Rentré dans mon phare, j’ai attaché ma ceinture à la poutre centrale, l’ai passé autour de mon cou, puis j’ai fait basculer la chaise sur laquelle j’étais monté. Un voile noir couvrit ma vue.

La sonnette tinta, je ne sais pas combien de temps après. C’était Gilbert, un super pote du Sacré Cœur, il passait dans le coin. Quand il ouvrit la porte, j’étais les fesses sur la moquette, ma ceinture en cravate, un ruban rouge autour de la gorge, en train de sangloter. Le bon ami me consola, me remit debout. Un copain, un vrai. Je repris le cours des choses, mais depuis le doute subsiste : est-ce que cette fois-là, ça a marché ? Suis-je toujours en vie, ou est-ce que ces aventures de Chine, de festival, de travail fixe, de vie en couple avec Gina, ne sont qu’une illusion de l’au-delà ? Ces lignes sont-elles écrites de mon vivant ? La seule chose dont je suis à peu près certain depuis, c’est que rien n’est permanent, y compris la mort. Ce qui n’existe pas, c’est l’éternité.

En tout cas j’ai recommencé, plusieurs fois. À Marseille, A Monaco, dans les sous-sols du Sporting. Un mot dans une conversation, une pensée, un mail de refus d’une maison d’édition, un regard, ou plutôt, une absence d’intérêt, me faisait sombrer dans les plus noires ténèbres de l’abandon. Alors que je préparais le lien, j’imaginais la tronche des gens, leur choc, leur tristesse ; « Pourquoi toi, Vinzo ? Tu étais si cool ! bouhouhou, toujours les meilleurs qui partent d’abord !». À chaque fois, j’abandonnais, consolé par la dramaturgie que je m’étais joué, trop peureux, et n’ayant pas de vraie raison de le faire, après tout. C’était surtout théâtral, et lamentable. Mon pauvre Yann, qui réprouvait mon fol attachement à quelqu’un qui s’en fichait, a fini par le faire pour les mêmes raisons. Et lui ne s’est pas raté.

C’est arrivé de temps en temps qu’une fille me vole un baiser, mais je les repoussais toutes. Infâme, monstre, scélérat, ces âmes étaient comme toi, et tu leur faisais subir le sort que tu redoutais le plus. Barbare, cruel, insensible. Imbu de moi-même, je ne voulais que Bérénice, sinon personne, question d’avoir un cv immaculé. Vinzo, le pur, qui n’en n’eu et n’en aima qu’une. Sale coing.

En 2005, les Nitwits ont joué au Château des Cressaux, à Aubagne, avec Elektrolux je crois. Johan était venu avec une amie à lui, Gina. En l’apercevant sous la voute en pierre de la salle, mon regard s’était figé sur elle, discrètement, et l’espace d’une seconde. Je ne montrais pas mes émotions. Elle était très séduisante. Le norvégien nous présenta. On fit un concert terrifiant, un ouragan de cris, de distorsions et de prestissimo furioso, qui impressionna le public. Gina était conquise, Johan, qui s’était roulé par terre torse nu, avait des mégots collés dans le dos. Je n’ai jamais osé lui dire, mais il était primordial pour nous, comme un John the postman ou un Sid Vicious d’avant les Pistols, c’était un spectateur-star, celui qui entraine les autres dans la danse. Quand il venait nous voir, jouer, on savait que ça allait être un bon concert, parce qu’il allait mener la foule à la baguette, comme 2P au Vélodrome. Mais là c’était encore plus magique, car il n’avait rien besoin de dire.

Apres le show, on échangea nos goûts, Gina et moi. Elle vénérait Sonic Youth. J’étais passé à côté. Je répondis de façon prétentieuse que je trouvais ce groupe surfait. Elle m’envoya son front sur le nez. Pas très fort, mais suffisamment pour que mon blaire fasse pouet-pouet. À partir de là, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de spécial entre nous. Après la soirée, Johan, Gina et le reste de la bande m’ont ramené dans mon antre. On est resté en contact elle et moi, via MSN, se voyant de loin en loin, au hasard des invitations de Johan. Par internet, on discutait souvent, intellectuellement, on s’entendait comme larrons en foire, accumulant les calembours et les associations de mots. Je lui envoyais une de mes nouvelles, le Fantôme Noir. Cela confirma le jugement de Bérénice, il y avait vraiment quelque chose dans ma prose. La belle aima beaucoup. Même au début de ma fréquentation de Gina, mes yeux étaient tournés vers Bérénice. La blonde bourguignonne m’aida même à tenter de lui plaire, et se plia en quatre, écoutant mes plaintes de blanc-bec énamouré.

Une année ou deux plus tard, l’ami Johan nous convia à le voir jouer avec son équipe de basket, la Ciotat. Après le match commença la troisième mi-temps, que les basketteurs honorent avec ferveur. On a fini au Trolleybus, une boite de nuit du Vieux Port. Entre deux salles, Gina m’a coincé, et m’a embrassé. C’était agréable de se faire attraper par une belle amazone, gouailleuse superbe et poilante, un mélange de Tank Girl et de Kitsuné-chan. Je ne réalisais pas tout de suite qu’elle était sous mon nez, la femme sublime et spirituelle.  La sylphide que Chateaubriand chercha en vain hors de son imagination. Elle m’appris l’amour, qui est aussi une grande amitié. Je perdais ma virginité à 26 ans, 26 ans sans caresses et sans baisers. Puceaux et pucelles du monde entier, voici pour vous ce message d’espoir : vous trouverez l’amour. Ne devenez pas fous. Les images vous mentent. Notre histoire continue à ce jour, cette partie d’intimité sera donc cachée. Serat lui est dédié. Elle m’a sauvé du puit inversé où je croupissais, et je l’aime.

 

Des décennies ont passé, et maintenant que je regarde en arrière, le diagnostic parait bien simple. Bérénice ne voulait pas d’un gengen, d’un inexpérimenté, d’un puceau. Ça ne l’´intéressait pas de me déniaiser, meme par pitié. Quelle lourdeur de la part du jeune adulte gauche que j’étais. Elle n’était pas fleur bleue, elle savait comment ça marchait, et se laisser aller normalement dans le flot de l’existence. Qui avait raison ? Plus elle que moi. Si j’avais été elle, je me serais fui comme la peste.

 

Au fond de moi, je ne voulais pas me compliquer la vie. À chaque fois que j’étais à deux doigts de transformer l’essai avec quiconque, une sirène résonnait dans ma tête et répétait : « c’est mieux d’être seul. Pas d’ennui. Pas de problème ». Elle disparaissait sitôt le pseudo-écueil évité. Un coup d’un soir ? avec plaisir. Mais sans voiture, sans boulot, sans thune, sans maison classe, le résultat était facile à calculer : ce type n’est pas viable. Ces panthères méprisaient le rat-vinzo. Mais tant pis, je préférai la mort au déshonneur de passer pour ce que j’étais : un minable. Un cul-de-sac. Un paria. Un égoïste maniaque. Instable, j’ai passé ma vie dans l’agonie, car je trouvais ça noble. Jusqu’à ce que je la métabolise en véritable maladie.

Poursuivons. François-René de Chateaubriand s’était créé sa sylphide de bric et de broc ? Pendant ma vie dans mon phare d’ivoire, je faisais pareil avec des bouts de films, de comics de manga et de jeux vidéo. Le hentaï, j’en connaissais un rayon. Je regardais trop d’anime, du type où le protagoniste mâle est entouré d’un harem de fille toutes à fond sur lui, et qui ne s’en rend pas compte. Love Hina, ça m’avait motivé pour réussir mes études, mais le reste n’avait fait que m’enfoncer dans des conceptions irréalistes de l’amour. Je me doutais que c’était faux, mais je voulais croire à ça, je voulais que ce soit comme ça. Je rêvais à du vide comme Emma Bovary.  Dans mes faiblardes fantaisies falotes, rigides rengaines ritualisées, j’étais irrésistible, les belles m’aimaient secrètement, et tout n’était que succession de moments de tension sexuelle au paroxysme. C’était d’un pathétique atterrant, mais je n’avais que ça pour deux minutes de soulagement. Après trop d’années de ceinture et de frustration, je ne parvenais même plus à m’octroyer le privilège de fantasmer. Je n’étais pas capable de séduire en réalité, comment pouvait l’être en imagination ?

Exemple : A la pension Hinata, où je louais une maison à proximité de la résidence, en tant que quidam/super-héros/cambrioleur international, le jeune Mitsuné Konno me plaisait beaucoup. Évidemment, je ne disais rien. La farceuse invétérée, me croyant attirée par Naru, l’héroïne de la série, et souhaitant révéler l’information à tout le monde par la bouche même du coupable, me conviait à la tablée générale de l’établissement. Ayant pris soins de verser un sérum de vérité dans mon verre, elle attendait que j’y boive, puis, d’un ton badin, sans rien laisser transparaître, me demandait d’un ton badin : « au fait, Vinzo, y a t’il quelqu’un qui te plait ici ? » « Oui » répondais-je, avant de plaquer mes mains sur mes lèvres, surpris par la franchise inattendue de ma réponse. « Ooh, et qui donc ? » interrogeait Kitsuné avec malice. De toute mes forces, je continuais de boucher mon orifice buccal, je faisais tous les efforts pour contenir la force irrésistible qui me sommait de répondre, je devais rouge d’asphyxie. Ma tourmentrice insistait, me saisissait les bras avec l’aide de Su Kaolla, hilares. « Qui donc ? Qui donc ? Allez, ne soit pas timide ? Guili guili ! »

« TOI !!! C’est toi qui me plais !!! » finissais je par exploser, en repoussant ces Erinyes. Grand silence, grand embarras. Kitsuné, le cul par terre, les yeux fixés sur mon index accusateur, la goutte de sueur coulant sir la tempe, rougissait comme une pivoine. Impérieux, je jetai un regard courroucé à tout l’entourage, gêné et honteux de cette facétie de trop commise par la jeune femme. Puis, sans rien dire, et le regard troublé d’eau salée, je tournais les talons et quittais la vieille demeure, sourd et vexé. La fille au caractère de renard était dans les transes de l’émoi coupable. Ça s’arrêtait là. Qu’allait il se passer, maintenant que la jolie était troublée ?

Notez le vice. Il me fallait torturer un esprit consentant, l’humilier, le mettre en position de pénitence.  Cette scène me plaisait, mais je n’arrivais pas à imaginer le sexe qui devait suivre fatalement, au bout d’un moment.  Et sans cesse la répétition, la répétition, la répétition . Vous imaginez bien que je me desséchais pour que ça arrive pour de vrai. La vingtaine est un long mirage, pour les égarés du désert.

Beaucoup de mangas sont des réservoirs à fantasmes, sinon tous. Souvent, les auteurs laissent des situations ou des ellipses narratives aptes à être réinterprétée, rallongées, imaginées, soit par le lecteur, soit par les mangas dōjinshi, au contenu majoritairement érotique.

Dans beaucoup d’histoires d’amour, la relation des tourtereaux se base sur un maximum d’occasions manquées, d’accidents équivoques, de quiproquos ralentisseurs, d’opportunités délayées, de frustrations généralisées, afin que le simple baiser final atteigne des sommets orgasmatique. À partir de là, on sait que les protagonistes vont niquer jusqu’à tomber en poussière. C’est donc à la fois infiniment prude et infiniment pervers. Comme une technique d’anéjaculation pour s’empêcher de jouir. Une titillation éternelle, un peu, mais pas assez. Le frisson, c’est le moment où ça bascule. L’instant juste avant, j’adorais ça.

De nouveau, j’étais un des premiers infectés, d’abord par le déluge de femmes nues que l’on mettait systématiquement dans les publicités et les émissions, Palace, Collaro, Cobra etc. C’est simple, il y en avait partout, pour du chocolat, pour du déo, pour des yaourts, pour du savon, pour des régimes. Ensuite, par l’accès au X à volonté, dont le désir avait été exacerbé par la raison précédente. Je plaide les circonstances atténuantes, votre honneur, depuis les années 80, les phallus et les nibards régnaient en maitres et maîtresses.

Ne soyons pas hypocrite : je me tripotais beaucoup, en regardant de la pornographie, mais j’étais incapable de me visualiser le faire avec Ligeia ou Bérénice, normal, j’étais puceau. Le sexe ? comment concevoir ce qu’on n’a pas vécu ? les images ne suffisaient pas. Meme le porno finit par me dégoûter : voir des mecs avec des têtes d’abrutis, bouches et boules ballantes, prendre du bon temps, ça m’enrageait, me rendait jaloux, me donnait la nausée. Déjà qu’à la base, ce n’est pas très beau. Je voulais m’amuser, pas regarder d’autres dans cette situation. Ce n’était peut-être pas tant de sexe que de câlins dont j’avais besoin avant tout. Des gratouilles sur la truffe. A cette époque, je n’écoutais que mon masque, pas la voix précaire et farouche cachée derrière. Une espèce de Wiliam Ruskin sous testostérone. Attiré par la copulation, en même temps dégoûté par ces organes flasques qui suppurent de notre entrejambe, ouvertures vers un sac obscur où des viscères baignent dans le sang. De mes personnalités fracturées, quelle était la vraie ? Alors guidé par l’instinct, je m’approchais sur le seuil de la caverne, avant que ma raison me fasse reculer devant l’odeur nauséabonde qui s’en exhalait. C’est honteux, parce que ce que je pensais être de l’amour était probablement faux. Au fond de moi ce qui m’importait, c’était de les cuire à la broche, ces mignonnes, d’haleter de concert comme des lévriers, langues pendantes, sans plus ni affinités. Non ? J ne sais pas, mais j’ai l’impression que si je n’avais pas eu de problème avec ça, j’aurais simplement été un salaud. Ou alors cela m’aurait donné la force de déplacer des montagnes. Bah, ce qui est fait est fait, le voyage dans le temps, ça n’existe pas. C’est mieux que nous n’ayons jamais été ensemble, elles auraient dû subir un inadapté, un boulet, un inapte inepte, incapable de se débattre pour vivre et de faire une lessive, un prétentieux paresseux stérile sans avenir.

J’ai menti, mon état normal était la neurasthénie. J’ai été trompeur, au point que je ne sais plus qui je suis réellement. J’essayais d’imiter des caractères de personnages que j’admirais, mais ça ne tenait pas. La fausse peau an-adhérait à l’exosquelette. Je me suis braqué, ais sortis les pires poncifs quand je croyais être spirituel.  J’ai fait croire que j’appréciais des machins que je trouvai horrible, des trucs putrides dont je me forçais à trouver des qualités pendant que mon inconscient hurlait : « Naaaan ! » Je me suis abaissé, mais j’ai appris la tolérance à un niveau quasi bouddhiste. J’étais d’autant plus insupportable que je tentais de garder le masque. C’était un secret de polichinelle, beaucoup savaient, je quittais souvent les lieux d’une fête sans explication, j’étais étouffé de désespoir. Il se passe bien des choses sous la surface des gens, peu de comportement sont irrationnels, il y a une explication qu’il faut remonter comme une corde contre un python rocheux. Ceux qui pètent les plombs ont leurs raisons, mais c’est tellement long à expliquer… Au moins j’ai appris ça. Et puis aussi, que je n’étais pas livré à moi-même, nous étions deux : moi et ma solitude. Ma vie ça n’a jamais été comme dans un film, ou alors une comédie vache de Blier ou de Chabrol. Jamais film d’amour, jamais l’être aimé en secret ne s’est pointé à l’improviste. tout ça, c’était du fantasme, et il m’a fallu plus de trente ans pour l’accepter. Voilà ce qui arrive quand on est un songe-creux. Mieux vaut ne pas songer du tout.

C’est loin tout ça, mais je devais en parler. Sans elles, ces trois filles, je ne me serais peut-être jamais mis à la musique, à la musique « sérieuse » j’entends, celle dont on veut en faire un métier. Les affres et les épiphanies dans lesquelles elles m’ont plongé ou propulsée ont orienté ma sensibilité vers les enfers de mutilation du grind et les cieux lumineux du baroque. Ça n’a pas de prix. Je me suis intéressé a ce qui les intéressait, à apprendre ce qu’elles appréciaient, j’ai gagné beaucoup à ouvrir mon esprit sur de nouveaux points de vue, comme avec ceux mes amis.

Ligeia, Bérénice, Gina, tous, je vous en prie, pardonnez-moi. Fin de l’analyse. Reprenons le cours du récit.

 

Quand je rencontrais Gina, je me morfondais toujours pour Bérénice, il me fallut encore des années pour m’enlever le sable cristallisé dans mes yeux. Et un séjour en hôpital psychiatrique.

 

(à suivre)

Articles récents

Laisser un commentaire

Me contacter

Je vous recontacterai si je veux !

Non lisible? Changez le texte. captcha txt

Warning: Undefined array key "quick_contact_gdpr_consent" in /home/clients/1e145a7d46f765c8738e0100b393cc07/130decuy/wp-content/themes/jupiter/views/footer/quick-contact.php on line 50
%d