Histoires Étranges du Quotidien 3. Le Manjocrestian.

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Un jour advînt que Pippo Syzlak, musicien sans domicile fixe, se perdit dans un coin montagneux du Var. Il errait depuis longtemps, et commençait à desésperer de trouver un abri pour la nuit, quand il vit, sur une colline eclairée par les dernières lueurs du jour, une petite maison. Elle semblait abandonnée, mais il se dépêcha de s’y rendre. Il decouvrit qu’elle était habitée par un curé très âgé, bardé d’amulettes. Malgré ses prières, le viel ecclésiastique refusa séchement de lui donner le gîte, mais lui indiqua un village à proximité, où il pourrait trouver ce qu’il voulait.

Pippo se rendit à l’endroit, qui se révéla etre un hameau d’une demi douzaine de bicoques. Il fut cordialement reçu par un facteur, qui le mena directement vers une antique église. Une quarantaine de personnes s’y trouvaient et sanglotaient. Le fonctionnaire, sans rien dire, l’amena jusqu’à la sacristie, qui communiquait avec le presbytère, lui presenta une petite chambre, puis lui apporta à manger. Épuisé par sa marche, Pippo se coucha tôt. Mais vers onze heures, il fut réveillé par des coups qu’on donnait sur sa porte. Elle s’ouvrît lentement, faisant apparaître, dans la lumière du couloir, un jeune homme qui le salua, avant d’entrer dans la pièce.

« Je vous prie de m’excuser, je m’appelle Jean-Pierre Liégeois. Ce matin, mon père est décédé, c’est pour cela que nous étions tous à l’église quand vous êtes arrivé. Les gens que vous avez aperçu sont les habitants du village, nous faisions nos adieux au défunt. Maintenant, nous allons tous au village d’a coté. C’est notre coutume : Nous ne restons pas ici la nuit qui suit la disparition d’un résidant. Nous temoignons notre respect à la personne, puis nous laissons le corps. Car il se passe des choses inquietante dans l’église où la dépouille demeure. C’est la raison de ma venue : il serait sage que vous veniez avec nous. On trouvera où vous loger. Cependant, je vois à votre étui à guitare et votre aspect que vous devez être un artiste baroudeur. Seul des gens de votre genre, en marge de nos usages, et qui n’ont pas froid aux yeux, aurait la trempe pour rester. Si vous n’avez pas peur, vous pouvez rester, peut-être serez-vous en mesure de trouver une réponse à ce mystère. »

« Merci pour votre gentillesse et votre hospitalité, je vous remercie beaucoup. Vous auriez pu m’informer de la mort de votre père; bien que je sois fatigué, j’aurais pu interpréter un chant d’adieu à son intention. Si vous voulez, je peux quand meme le faire, et je veillerai la dépouille. Je ne vois pas le danger qu’il y aurait à rester ici, en tout cas, je n’ai pas peur des fantômes. De fait, ne vous inquiétez pas pour moi, je n’ai rien à perdre. »

Le jeune homme eu l’air soulagé par ces paroles, et le remercia. Puis la famille, et les autres vinrent faire de même. Le facteur, fermant ce cortège, annonça à Pippo :

« Cher Troubadour, cela nous fait beaucoup de peine de vous laisser, mais nous devons vous dire adieu. Nos usages font qu’aucun d’entre nous ne doit rester dans ce village après minuit. S’il vous plaît, faites attention à vous, et si vous êtes témoin du moindre phénomène étrange, merci de nous en faire part demain matin. »

Tout le monde parti en voiture, à velo, où à pied et en moins d’une minute, Pippo se retrouva seul. Alors, il se rendit dans la nef. Le cercueil était placé devant l’autel, sur des tréteaux, entouré de couronnes mortuaires. Il pris sa guitare, chanta pour le défunt « Ce n’est qu’un au revoir » d’une belle voix de baryton, puis alla s’asseoir sur un banc du premier rang, et attendit. Pas un bruit ne sortait de la commune délaissée. Aux heures les plus sombres de la nuit, une silhouette ample et vague pénétra sans bruit dans l’église, et au même moment, Pippo se retrouva totalement paralysé. Même ses lèvres refusaient de libérer le moindre son. La forme souleva le corps hors du cercueil Et se mit à le dévorer à partir du crâne, ne laissant rien. Ni les cheveux, ni les os, ni le linceul. Elle le mangea plus vite qu’un chien croque un lapin. Ensuite, la chose se tourna vers les couronnes, et les avala également, puis s’en alla, aussi discrète qu’a son arrivée.

Le lendemain matin, les villageois virent Pippo qui les attendait devant l’église. Ils le saluèrent, et quand ils entrèrent dans le lieu de culte, personne ne fut surpris de trouver bière vide et fleurs absentes.

« Monsieur, » dit le facteur au vagabond, « vous avez du voir un spectacle bien déplaisant, nous nous sommes tous fait beaucoup de soucis pour vous. Quel soulagement de vous retrouver sain et sauf ! Nous serions bien restés, mais comme vous le savez, c’est notre loi : dès que quelqu’un a voulu l’outrepasser, il est arrivé des drames, alors que lorsque nous quittons les lieux, seuls le corps et les offrandes funéraires disparaissent. Avez vous pu voir ce qu’il se passe ? »

Pippo lui parla de la terrifiante forme floue ui était venue pour engloutir le cadavre et le reste. Personne n’eut l’air étonné.

« Tour cela concorde avec ce qu’il se dit ici depuis longtemps, » dit le facteur .

« Et le curé qui vit sur la colline, il ne connaitra pas deux ou trois trucs d’exorcisme ? » demanda Pippo.

« Quel curé ? » réparti le distributeur de lettres.

« Et bien le vieux curé qui habite la maison sur la colline ! Il n’a pas voulu m’héberger, mais il m’a expliqué le chemin pour venir ici. »

Les auditeurs se regardèrent les un les autres, avec étonnement.

« Mais il n’y a pas plus de curé que de maison sur la colline ! » dit le facteur. « Cela fait des années que l’évêché n’a pas nommé de prêtre ici. »

Pippo n’en dit pas plus. Ses hôtes devait penser qu’il avait été berné par un fantôme ou par l’abus de stupéfiants. Il prît congé d’eux, et reparti en arrière. Il retrouva la maison vétuste sans problème. Cette fois, son vénérable occupant l’invita à entrer. Visiblement confus et misérable , il ne cessait pas de s’excuser :

« J’ai honte ! J’ai si honte ! J’ai extrêmement honte ! »

« Ne soyez pas si embarassé, enfin ! Vous m’avez montré la route du village, et j’ai été très bien accueilli. Au contraire, je vous remercie » le consola Pippo.

« Je ne peux loger personne, » geint le vieil aumônier, « ce n’est pas de vous avoir refoulé qui me fait honte… J’ai honte parceque vous m’avez vu sous ma véritable apparence, quand j’ai mangé ce cadavre et ces plantes sous vos yeux, la nuit dernière… Je suis ce qu’on appelle dans cette région un Manjocrestian, un mangeur de chair humaine… chrétienne ou pas, d’ailleurs. À une époque où la religion avait encore de l’importance, j’étais prêtre dans cet endroit sauvage, le seul à des kilomètres à la ronde. Je m’occupais de tout les enterrements de la région, on venait de loin pour mes services. Mais j’étais fourbe, j’abusais de mon pouvoir sacré : je demandais des sommes exorbitantes pour mes bons offices, et detournais les frais d’inhumation pour mon compte. En vérité, je me fichais de l’affliction des familles. À ma mort, j’ai été immédiatement renvoyé ici, sous la forme d’un manjocrestian, condamné à me nourrir des nouveaux trépassés, comme cette nuit. Je vous en conjure, monsieur, ayez une pensée pour moi, peut-être qu’un jour je pourrais être libéré de cet état. »

À peine eut-il fini de parler que l’ancêtre disparu, de même que la maison. Pippo Syzlak se retrouva à genoux dans l’herbe, près d’une croix rongée par la mousse. Un nom quasiment illisible y était inscrit, mais le mot « père » était encore visible… Il prît sa guitare et se mît à entonner « Pardon », de Johnny Halliday.

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