Disturb + Downset au Molotov, 22/07/2025
C’est son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière grand père, un surmulot d’un beau gabarit, qui avait chipé le single de Downset, « Anger ». Depuis, le titre s’était transmis de génération en génération, tournant sur la chaîne stéréo volée dans une décharge, et qui servait dans les égouts de sono géante. Régulièrement, les rattus norvegicus de tout le secteur venaient s’y agglutiner pour danser aux fluctuations d’une playlist sans fin. Ils se marraient bien.
J’ai la colère !
Tu as la colère !
Nous avons la colère !
Encore ?
Tandis qu’il se posait la question, Vinzo Thalamus était en colère, même s’il n’était pas très sûr de savoir pourquoi. En ce moment, l’homme rat, le skaven, la créature vicieuse se faufilait en se dandinant comme ses congénères dans les ruelles pleines de crasse du Plateau. Saveurs de nourriture en voie de décomposition, crottes diverses et variées, objets mourants, cadavres paresseux. Tout à profusion. La vie était belle pour les rongeurs à queues nues. Ce soir, notre héros allait voir un concert, un genre préféré des ses pairs : du Rat-rdcore. Tout en payant le respect à son antique pépé.
À l’orée du Molotov, quelques cafards chantaient un vieil air de gospel « Please be my bug » à la chaleur d’un zippo moisi, à l’abri d’une boîte de conserve vide oubliée au pied d’un platane de la place Paul Cézanne. Rasant le sol à toute vitesse, il effleura la truffe d’un pit-bull, slaloma entre les jambes
et pénétra avec la discrétion d’un assassin dans le ventre de la salle à la devanture rouge.
Qu’il se sentait petit ! V n’était plus qu’un cerveau ballon avec un corps ficelle, flotouillant au niveau des semelles. Odeurs de chaussettes. les humains à dos larges ne prêtaient pas attention à sa présence. C’était un des talents de sa race, ainsi ils pouvaient boulotter en toute tranquillité les fonds de poubelles sur les quais bondés du métro. Il grimpa sur une poutre, et se plaça juste à côté d’un projecteur. Il y avait déjà du monde. La première partie commençait.
Disturb. Il fut enchanté. Quelle énergie ! Quelle fougue ! De son observatoire, il pouvait les voir dépenser sans compter des salves de rat-dcore avec un talent égal à leur générosité. Énorme. La foule pogotait de joie, headbangait à l’unisson. Entre deux morceaux, des voix criaient « boulègue ! », car le hardcore local et le groupe se délectait de cet humour provençal.
De sa petite voix, lui aussi couinait « boulègue ! » C’était un rat, mais avant tout un rat marseillais, et il prenait plaisir à communier par l’argot. Il se serait bien jeté de sa poutre pour slammer, s’il n’avait pas craint de se retrouver aplati comme une crêpe, sort que connaissait beaucoup de ses confrères. Alors il se contenta d’aimer. La reprise d’un morceau de Biohazard lui fit monter la porphyrine aux yeux : à l’époque, son ancêtre avait aussi chapardé quelques disques de ce groupe.
La prestation terminée, il s’en alla par un passe-câble dans le bar, où il resta le temps du changement de plateau. La chaleur était intense. Dans la caverne au stalagmites vivantes, la sueur ruisselait, se diffusait en brume, et sa chaleur allait faire transpirer depuis la salle les assis au bar qui n’avaient pas pu rentrer. La lame d’un rasoir n’aurait pas pu se faufiler entre les corps, agglutinés, conglomérés, compressés, qui remplissaient complètement la salle. Vinzo, tel un funambule à petits doigts, retourna à son poste en hauteur.
Downset arriva. Après un « bonsoir Marseille, on est content de revenir ! » la fête reprit, et le chambardement recommença. Se teintant de hip-hop, cela devenait du rap-rat-rdcore. Ce raffut de rage ratiboisait les râleurs. Autant d’utilisations de la syllabe « rat » dans un genre musical ne pouvait que le charmer. La frénésie avait un tarif. Il voyait les spectateurs dégoulinants sortir et se relayer pour aller grappiller une bouffée d’air avant de revenir. Lui, bien à l’aise sur son perchoir, ne perdait pas une miette. C’était génial, et lorsque le tube « Anger » émergea des méandres du set, il se leva sur ses pattes arrière. Tout en sautillant, il scandait à l’unisson :
J’ai la colère !
Tu as la colère !
Nous avons la colère !
Colère !
Colère !
C’est pour toi grand-père !
Personne ne l’entendit.
Le silence retomba, comme un soupir après l’orgasme. Immédiatement, il quitta l’enceinte. Il ne faisait pas bon s’éterniser, c’était un coup à se faire dératiser.
Sur le chemin du retour vers sa bouche d’égout, il fredonnait en infrason le couplet si bien connu :
J’ai la colère !
Tu as la colère !
Nous avons la colère !
Encore ?
Non, eux les rats ne l’étaient pas, pas encore. Vinzo Thalamus était juste un peu ronchon. Mais avec sa sagesse de muridé, il savait que les humains, eux, l’avaient cette colère.
Encore.
Ça les définissait presque.
Super soirée, merci à Hazem et au Molotov pour leur prévenance !
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