Histoires Etranges du Quotidien 17. Place de la Concorde.

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C’était du temps où Raillane Fauchambranle, le ministre de la force agissante, imposait à tous les citoyens passifs (c’est à dire ceux qui n’avaient pas le droit de vote), le retour à la journée de travail de dix heures. Emiliano Gomez, leader syndicaliste virulent, avait fait un discours si éloquent, si inspirant, si vrai, que des millions de travailleurs s’étaient révoltés, descendants dans les rues armées de casseroles, de poêles à frire, de passoires et de planchas électriques. Déjà ils cassaient tout. Après s’être fait refoulés plusieurs fois, prenant soudain conscience qu’ils étaient eux-mêmes citoyens-passifs, les policiers s’allièrent avec les mécontents. L’armée refusa de tirer sur les policiers. Les beaux discours et l’indifférence ne pouvaient plus fonctionner. En apprenant cela, et voyant que cette fois, la foule n’était pas là pour rigoler, le Présidordre ordonna à Raillane de rencontrer en personne le farouche Gomez, pour apaiser les tensions et établir un dialogue. Il lui transmit également un message écrit de sa propre main, à prononcer en son nom. Fauchambranle mis son plus beau costume officiel, écrivit son testament, embrassa sa femme et ses enfants. « Ne craignez rien, je reviendrai ! » Leur dit-il avant de monter dans la berline qui l’attendait pour l’amener place de la Concorde, où s’amassait la population écumante de rage comme une armée de zombies affamés.

Le convoi s’arrêta au bout de l’avenue des champs Élysées. Raillane et son escorte firent le reste du chemin à pied au milieu des chars anti-émeutes, et des cars de CRS en flammes. Les ustensiles de cuisine réverbéraient la lueur des feux de poubelles, et renvoyait des milliers d’étoiles en plein jour. Des troupeaux de journalistes tournaient en rond autour de la marée humain, tentant parfois d’y plonger, et se faisant toujours expulser. Des cadavres de drones abattus gisaient de ci, de la, grésillant comme des grillons. Au pied de l’obélisque, sur une estrade, se tenait Emiliano, tel un prophète au milieu des fidèles. Le ministre vit, pendu à une potence, un pantin à son effigie en train de bruler. La situation était épouvantable. Mais la peur rend audacieux les couards quand ils possèdent les secrets de la politique. Il en allait de sa survie. Il fendit la foule qui s’écarta sur son passage. Sans montrer la moindre hésitation, il se planta devant Gomez, le fixa les yeux dans les yeux. D’une main agitée, il sorti le message du Présidordre de la poche intérieure de sa veste, et déplia le papier. Le silence s’abattît sur le rond-point. D’une voix forte et blanche, il déclama : « Ce message vient du Présidorde, et s’adresse à Monsieur Gomez et ses supporters »

Un grondement, pareil à celui d’une mer déchaînée, monta du public. Un grondement de colère, un grondement sourd et lourd de vent frappant des volets clos.

« BOOOOOOUUUUUHHH!!! »

Les louches se déchaînèrent sur les gamelles, créant une onde qui vibra sous les semelles de Raillane. Le syndicaliste leva la main, le vacarme s’arrêta net.

« Arrêtez ! » commanda le meneur de la rébellion. « Laissez le serviteur obéir à son maitre ! » Fauchambranle poursuivit :

« Mes chers concitoyens. Nous sommes en train de vivre des jours difficiles. Nous ressentons tous en ce moment la peur, l’angoisse pour le futur. Il faut passer à autre chose. Cette réforme, elle est nécessaire. Ça ne me fait pas plaisir, j’aurais voulu ne pas la faire, mais c’est pour ça aussi que j’ai pris l’engagement de la faire. Il n’y a pas de majorité alternative. Il faut réengager le dialogueOn ne peut accepter ni les factieux ni les factions. Françaises, Français, je ne cherche qu’à ce qu’ensemble, nous pilotions la transition, que, solidaires, nous accompagnions le changement,  c’est l’itinérance de la sagesse, ne vous laissez pas gagner par un subversisme malvenu. Soyons ensemble vers la responsabilité, quel qu’en soit le coût. »

« BOUUUUUUUUUUUUHHH !!! » hua le peuple, de plus en plus furieux. Les immeubles renvoyèrent l’écho strident des récipients fracassés. Le ministre continua de lire, mais on ne l’entendait plus. Il vit alors Gomez qui le regardait en riant. Le contestataire descendit de l’estrade et marcha vers Fauchambranle. Le cercle de la populace horripilée se resserrait autour de lui. La panique se lisait dans les lunettes noires embuées de son service d’ordre, qui tentait vainement de contenir la grosse bête énervée. Une nouvelle fois, Emiliano fit un geste, et le tumulte cessa. Il se planta devant Raillane.

« Ola, Monsieur le valet du capitalisme, vous seriez bien avisé d’arrêter vos palabres, et d’accéder aux demandes de la majorité. Car si quelque part il est écrit « tu ne tueras point », il n’est marqué nulle part « tu ne giflera point ton oppresseur ! »

Le sang républicain du haut fonctionnaire ne fit qu’un tour. Son visage devint rouge d’indignation.

« Comment osez-vous ! C’est une agression ! » éructa t’il en rassemblant tout ce qu’il avait de dignité « Cette réforme passera comme les autres. Vos méthodes sont comme d’habitude d’entraver le bon fonctionnement de la démocratie. Vous sabotez le processus des débats. C’est de votre faute si nous avons dû faire passer nos textes en force ! Il y a une France qui travaille, elle, et qui a besoin de travailler. Laissez-moi tranquille, sinon nous serons obligés d’utiliser des moyens moins pacifiques pour mettre fin à votre opposition démoralisante ! »

Alors, en colère, Émilien frappa Raillane d’un coup de tranche de la poêle qu’il tenait. Elle enfonça l’œil droit et brisa un coin du front du ministre. Son cerveau coula par la plaie. Il tomba au sol. Des spasmes nerveux agitèrent son corps. Ironie du sort, il tait mort.

Au même instant, dans sa chambre d’hôtel au Nicaragua, le Présidordre se préparait à une soirée de sa visite diplomatique. Il était en train d’appliquer de l’après-rasage sur sa figure quand il remarqua une forme dans un coin du miroir, qui avait l’air d’être repliée sur elle-même. Il demanda à haute voix « Qui va là ? ». La forme se redressa, et il vit que c’était la silhouette du ministre Fauchambranle. Elle lui tint ce langage :

« Monsieur le Présidordre, je me suis acquitté de ma mission du mieux que j’ai pu. Cependant, permettez-moi de vous remettre ma démission… On m’a fait une offre que je ne peux pas refuser. »

L’air conditionné se détraqua, souffla une bise dans la salle de bain à faire dresser les poils d’un ours polaire, la silhouette disparût.

À la même heure, le majordome de Raillane surpris le ministre dans la maison, inspectant les pièces d’un air content. « Tout va bien, monsieur ? » demanda en bredouillant le laquais, les yeux baissés d’inquiétude. « Tout va bien. » Quand il releva le regard. Monsieur n’était plus là.

Dès que le meurtre du ministre fût appris, le gouvernement pris une décision ferme, mais juste. L’armée et la police mutinées, il engagea des mercenaires, groupe Wagner et autres milices privées, et les paya une somme considérable pour rétablir l’ordre et faire passer aux citoyens passifs l’envie des revendications. Les rebelles furent noyés dans leur propre sang. Une certaine forme de calme sembla revenir. L’Etat en profita pour tenter de retrouver les restes de Fauchambranle abandonnés, mais dans les décombres ne restait plus que des bouts de membres rongés par les vers, mélangés avec ceux de son service d’ordre, mis en charpie par la foule sitôt l’acte fatal de Gomez consommé. Seule la couleur bleue de son costume officiel en guenilles permis de l’identifier. Il était trop tard pour des funérailles nationales, la guerre civile avait éclatée dans tout le pays. La France fut en charpie pendant des décennies.

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