Tournée Ntwin-Nitwits. Partie 2, suite et fin.
-Là ! Là ! Arrête-toi !! trépigna Régis en pointant le bas-côté par la fenêtre, les mains serrées sur l’entrejambe de son jean.
-T’es sûr de toi ? redemanda Roland, d’un ton qui signifiait que toute réponse serait définitive.
-Ouuuiiiiii ! Je vais me pisser dessus ! glapit Régis.
-Ok.
Le mantra du moteur ralentit. En douceur, le camion se déporta vers le bord de la départementale. Les pneus crépitèrent sur le gravier, puis la mastication du basalte cessa. La portière passager s’ouvrit avec fracas. Régis sauta au sol, et couru vers un des poteaux de la clôture qui s’offrait à lui.
-Fait gaffe de ne pas t’électrocuter, dit Pia en passant la tête par l’ouverture .
Regis se contenta de répondre par un «AAAAAHHHH » de soulagement, tandis que, jambes écartées, il vidait sa vessie persécutée sur les herbes folles.
La porte latérale de la fourgonnette glissa sur le côté, accompagnée par le cri métallique des roulements à billes. Ritchie, Juan, Matwis et Vinzo mirent pied à terre, étirant leur membres racornis par des heures de position assise. Juan s’alluma une cigarette, Vinzo lui en demanda une.
-C’est calme, dit Matwis.
-Mouaip, répondit Juan, les yeux rivés sur son zippo.
Ritchie monta sur le toit du camion, et scruta les alentours avec les jumelles qui pendaient autour de son cou. Comme un chien d’arrêt, il se figea subitement.
-Là bas !
Au sommet du pâturage, trois silhouettes dégingandées se détachaient sur la ligne des collines. Trois ombres chinoises boiteuses, cous tordus, efflanquées avançaient d’un pas hasardeux mais décidé entre les mottes de terre.
-Ils sont pas frais, fit remarquer Matwis.
-Tant mieux, commenta Juan-Lucas. Pia, fait nous passer les vingt-deux.
-Tu devrais te grouiller Régis, ils vont te la grignoter, ricana la batteuse.
-Ah ça va hein ? Ça fait des heures que je me retiens.
-Tu pisses tout le temps des litres, une vache, dit Ritchie du haut de son perchoir.
Regis haussa les épaules en continuant de viser avec sa lance à urine.
-Et voila, dit Pia en descendant du camion, une carabine dans chaque main. Juan en prit une.
-Moi, moi ! couina Vinzo, la dernière fois c’était Matwis.
-C’est bon les gars, on peut repartir. Régis remontasa braguette.
-Allez, en avant alors, dit Roland.
-Il y a quand même un beau tir là, c’est dommage, dit Juan en épaulant.
-Oui, oui ! appuya Vinzo.
-On va pas gâcher des munitions pour trois moisis, ronchonna Roland en redémarrant. Et on va être en retard.
-Attend…
Juan-Lucas releva ses lunettes, posa l’oeil sur le viseur. Vinzo l’imita. On entendait grogner les cibles.
-Tu prends celui de droite, moi celui de gauche. Celui du centre pour le plus rapide.
Le grand maigre renifla, en signe d’acquiescement, et mit en joue. Ritchie se balança à l’intérieur de la cabine.
Les geignements des errants furent couverts par un coup d’accélérateur qui fit gronder le moteur d’impatience. À une cinquantaine de mètres, ils devenaient reconnaissant. Une femme et deux hommes en habits citadins, pleurant, geignant, se traînant, efflanqués, fatigués. Morts.
Allez, on va pas y passer la semaine ! râla le chauffeur.
-Feu.
Deux détonations retentirent. Bruit de terre battue. Éclats de boites crâniennes. Les personnages de gauche et de droite s’effondrèrent. Immédiatement, il y eu un autre double tir. Nouveaux morceaux éparpillés, Le survivant central tomba. Plus de plaintes.
-Je l’ai eu.
-Non c’est moi.
-C’est moi.
-Non.
-Tu l’as raté.
-N’importe quoi.
-C’est pas trop tôt, soupira Roland, quand enfin Juan et Vinzo se réinstallèrent sur la banquette arrière. La camion démarra.
-C’est quand meme quatre balles en moins, ronchonna le pilote.
-Qui a une corde de mi ? demanda Juan-Lucas.
De temps en temps, le van évitait une carcasse de voiture sur la route. Maintenant, ici, en pleine campagne, elles étaient rares. D’après le dernier panneau rouillé, il restait encore cinquante bornes jusqu’au bunker de Saint Etienne…
C’est ainsi que pendant le trajet, je concoctai dans ma tête des histoires de groupes en tournée pendant une invasion de zombies. À chaque arrêt entre deux places fortes, il fallait sortir les flingues et détruire des cervelles. La parabole n’était pas loin : aller de ville en ville pour exploser les chaînes du conformisme, ça revenait à enfoncer un tournevis dans l’oreille d’un zomblard. Même si sur le moment, je voyais surtout le côté fun et destructeur d’exploser la tronche d’un humanoïde au canon scié. J’étais fan de l’Aube des Morts Vivants (Zombie, 1979), la version Romero/Dario Argento, avec la musique traumatisante de Goblin, surchargée de synthétiseurs et de rythmes vaudou.
En filigrane de la trilogie Nuit-Aube-Jour des morts vivants, le réalisateur de Pittsburg faisait du zombie un nouvel ostrogoth, un destructeur de civilisation lobotomisé, qui ne savait plus qu’errer dans les centre commerciaux et manger de la chair fraîche. J’avais lu ça dans le volume 3 de « Ze Craignos Monsters » de Jean-Pierre Putters, cela la rend les films de Romero transparents dans leur critique sociale, ça tape fort et ça tue des enfants.
À l’époque où je fantasmais mes récits, il y avait déjà eu le remake de Dawn of the Dead, mais pas encore l’overdose de jeux vidéo genre Left4dead, Dead Rising, Dead Island, Dead Eigneux, Dead Icace, et de films encore plus nazes que la vague des 70-80 et les films eurociné. Le zombie devenait juste une cible de fête foraine. Il court et il est énervé, comme la société d’aujourd’hui. C’est moins bien. Je préfère la goule lente, c’est plus plausible et plus inéluctable. On prend cela à légère et on finit submergé, comme par un parti raciste. Voir des gens décider de volontairement marcher dans la rue comme des zombies, ca me paraissait être un signe de servilité assumée. Maintenant que je suis handicapé, ce ressenti est encore plus fort. Consternant. Je préférerais toujours tenir le Dragunov, plutôt qu’être infecté par une morsure aux fesses. L’invasion est en cours.
Dans les faits, on aurait probablement pas survécu a l’invasion, car le neiman du van commençait à nous lacher. À chaque démarrage c’était l’angoisse. On attendait et on faisait nos prières. Le pire, lorsque on arrivait quelque part, c’est qu’on avait déjà l’anxiété du départ. Est-ce que l’estafette allait définitivement mourir, ce coup la ?
Sur ces inquiétudes, le camion entra dans Saint Etienne, par un jeudi morne, sous un ciel morne, dans une ville morne. Nous jouions au Thunderbird Lounge. Le lieu était splendide, un vaste pub bien décoré, avec un écran géant disposé dans le fond. La salle de concert était au sous-sol, insonorisée avec tant de soins, qu’on se serait cru dans un studio d’enregistrement pro. Le son était propre et sans aucune scorie. Cerise sur le gâteau : une caméra filmait la scène… et retransmettait sur l’écran géant à l’étage. Ingénieux, fabuleux !
Sauf que c’était jeudi, et que le jeudi ne sera jamais le nouveau samedi. C’est le fond du trou de la semaine, où tout le monde travaille, et ne voit plus la fin du calvaire. La seule chose qu’une personne a envie de faire un jeudi, c’est de se coucher en espérant que la journée de torture suivante passera vite en mode week-end. Il n’y avait que trois pelés dans le bar, des metalleux qui n’en avaient cure du show du soir. Mauvais présage.
Un type a demandé à Juan s’il pouvait lui acheter de quoi fumer. Juan à dit non. Cette marchandise était trop précieuse en tournée pour être vendue, et puis, c’était le monde à l’envers, non mais oh ! Ils étaient si désespérés que ça les stéphanois ? Le pire c’est qu’il y avait un dealer dans les parages, qui nous montra sa barrette planqué entre sa semelle et sa chaussette sinistrée. Fatalitas. On a bu un verre en terrasse, le tramway passait comme une triste limace, et près de nous se tenait un grand mur de pierres épaisses, froides, immobiles, seules, les une contre les autres.
À 21h, les trois pelés étaient partis, pub désert. On a quand même prit le parti de faire nos sets, on se regarderait mutuellement. On a donc joué devant PERSONNE, zéro, nada. De toute ma vie, ça ne m’était jamais arrivé. L’apocalypse zombie devait avoir eu lieu, tout compte fait. Dommage, ça sonnait tellement bien, qu’après nos prestations respectives, on s’est mis à jammer tous ensembles, chacun passant d’un instrument à l’autre. Pendant une éternité, j’ai joué le riff de « Hey man, nice shot » de Filter sur le micro korg, trop sympa. A la fin, il n’y avait plus que Juan Lucas au clavier, Matwis sur une guitare, et moi à la batterie.
Soudain, un mec descend les marches qui relient le bar à la salle, et s’assoit tout au fond, en nous regardant. Des gouttes de sueur nous perlent au front. On se met à improviser comme des dingues. Il n’y a qu’un spectateur, mais celui là on va le faire rester. Et on se démène. On fait des choses incroyables, irrefaisables. C’est en somme la meilleure chanson de tout les temps dont parle Tenacious D, dans sa chanson « Tribute ». Et le gars reste ! Incroyable !
Au bout de vingt minutes, à bout de souffle, on s’arrête. Notre trio se rapproche, des étoiles plein les yeux, prêts à nous congratuler mutuellement… Le type se lève… Et vient vers nous ! Ces compliments, on les auras bien mérité ! Il s’adresse à Juan-Lucas :
-Non mais sérieux, t’aurais pas du shit ?
-Mais tu me l’as déjà demandé tout à l’heure !? réponds le musicien avec du désespoir dans le fil de sa voix.
C’était le type qui avait demandé du matos, quelques paragraphes plus haut.
-S’il te plaît, tu peux partir ? a demandé un Juan implorant. Il est parti. Misère et décadence de l’aliénation moderne.
Nous étions un peu déconfis, on se sentait inefficace comme l’ONU. Par chance, le bus démarra, mais on avait le blues. La maison où nous étions hébergés était hors de la ville. Retour dans la nuit couleur encre de seiche, à regarder en silence les lumières serties tout autour des montagnes allongées comme des loups-garous endormis. À part la voiture du propriétaire du Lounge, qui nous guidait tel un poisson des abysses auto luminescent, le long des zigzags de la route, il n’y avait que la nuit. La nuit antique où on a peur. Mon regard se perdait dans le reflet prisonnier de la vitre…
« Sans chemise, sans pantalon » se mit à chanter la marmotte. Une main malicieuse l’avait activé. À moins que d’elle même, elle ait pris l’initiative de remonter le moral des troupes.
La marmotte était le porte-parole d’on ne sait pas trop quoi, mais surtout la convoyeuse de bonne humeur infaillible. On se dérida. Le patron du Thunderbird, un san franciscain immigré au pays des Verts, fut royal. Chez lui, sans réveiller sa petite famille, il nous fit fumer de l’excellent haschich, nous servit du très bon whisky, et nous paya rubis sur l’ongle. La literie était du premier ordre, nous dormîmes comme des bébés. Un Grand Seigneur. Le lendemain, il fallu pousser le camion, mais nous étions consolés.
En route pour Saint Pourçain sur Sioule. Vous avez bien lu : Saint Pourçain sur Sioule. Enrico, à combien sont les réserves d’oxygène ? « Saint Pourçain ! » Patrie de l’alchimiste Blaise de Vigenère, enfoncée dans une nature faite de mousse et d’arbres conjurés de sortilèges, irréductible masse de maisons entre lesquelles coule la Sioule indomptable, l’endroit pouvait paraître saugrenu dans un itinéraire de ménestrels. Oh, mais que nenni messire, ne vous fourvoyiez point comme le françoué moyen qui juge au première abord et qui a tord. Saint Pourçain renfermait un secret, un joyau : un sanctuaire. Maudit sois-je de ne point me rappeler du nom de cet endroit, Ritchie me le rappellera et je réparerai bien vite mon oubli.
On est arrivé par la rivière, le van posé sur un radeau de matelas gonflable liés avec des troncs, repoussant les crocodiles ardéchois avec nos machettes de fortune, des cymbales collées à des corps de guitare. Notre vaisseau a accosté sous un pont, puis s’est risqué au milieu des rues. Labyrinthe de façade usées. Devant l’adresse de destination, nous étions fourbus.
Tel le croisé ravi de trouver asile dans une église isolée, j’ai débarqué dans la salle en embrassant le sol. Figurez-vous que le tenancier du bar concert de Saint Pourçain sur Sioule, était un véritable Abbé de la pop musique. Personnage Falstaffien, barbebleuesque, gargantuesque. Énorme, large, avec une barbe géante qui recouvrait sa poitrine comme un tablier noir, Parisien ayant fuit la métropole, las du tumulte et de la démence, il n’engageait des groupes QUE si ces derniers lui envoyait une démo en bonne et due forme, c’est à dire par voie postale, sur cd, disque, cassette ou bobine 27,5. Il écoutait tout cela religieusement et seulement ensuite decidait-il d’engager le groupe. Ainsi avait il fait jouer de jeunes Noir Désir, Mickey 3d, Sloy, beaucoup qui était devenu reconnus. Sa bibliothèque phonique faisait décrocher la mâchoire.
Gloire à la ruralité, que doivent absolument parcourir les combos qui veulent faire leur armes pour de vrai. Ne vous contentez pas de la célébrité locale. La France est plus petite que le Texas, si vous êtes vraiment habités par la musique, partez. Sillonnez ces champs et plantez y les graines de la renommée. Il y aura de bonnes et de mauvaises surprises. Espérons que vous ne vous retrouviez jamais dans un plan mortifère, comme dans l’excellent film Green Room. Mais cela semble peu probable. Et les bonnes surprises rachètent tout.
À Saint Pourçain, c’était dingue. Une partie de l’endroit était un bar comme on en trouve partout, avec son zinc et son baby-foot. L’autre partie était une authentique salle de concert, d’un jauge d’à peu pres 100/150 personne, avec une grande scène, des lights, des retours, et un ingénieur du son maison ! C’est le genre de petits miracles que l’on trouve dans les recoins de notre douce France, sans vouloir faire dans le discours larmoyant des décrochages régionaux. Fi des reportages cretinoide, qui donnent envie de détester le sujet et de mettre le feu aux granges, notre contrée croule sous les charmes et les sentiers cachés. Dans l’inconscient des énarques et des employés de la Maison de la Radio, La France, c’est Paname, autour c’est la lande, étrange et peuplés d’êtres aux contours flous : les trollvinciaux. Des créatures qui se nourrissent de champignons et de rediffusions de « Joséphine, ange gardien ». C’est vrai que Paris, c’est là que ca se passe, et que ça simplifie pas mal de chose d’avoir un centre que tous peuvent rallier pour chercher fortune artistique et adoubement intellectuel. Le problème, c’est que les courtisans de l’époque de Louis XIV son encore là, et y font la loi, obséquieux et flagorneurs comme dans les pires pages de Saint Simon où les scènes les plus cruelles du film « Ridicule » (Patrice Leconte, 1996). Pour y avoir fait le mercenaire et travaillé pour un prince (je parlerai en temps voulu de ces sujets), je sais de quoi je parle.
On a été reçu comme des pharaons. Les loges, c’était la maison à la décoration immémoriale, papier-peint fleuri, tableaux champêtres, dominante marron et odeur de vieux livres, attenante au troquet. Au repas, une blanquette préparé avec amour, des vins fins du pays. Ce n’était pas tout les jours qu’on était accueilli comme ça, mais l’homme aimait la musique et les gens qui la faisait, sachant la vie rugueuse qu’ils vivaient sur la route, marginaux comme des romanichels, disposables comme des chaines hifi. Ils leur redonnaient de la dignité, avec ces plats préparés qui peuvent paraître des détails pour la plupart des sédentaires. Discussion sympathique avec le maître des lieux, sa femme et le sondier.
Le concert se déroula, avec logique, dans des conditions parfaites. L’ingé avait passé du temps à nous concocter une tessiture au petits oignons, on a lâché des javelots de larsens, des yatagans de distos, et de la mitraille de batterie à la face des Saint-Poucinois venus nous voir. Projos bleu-rouge-vert, stroboscopies, fumée, c’était total, comme dirait Richar Wagner. Pour le repos, un dortoir aménagé nous attendait. Le lendemain on rentrait au pays, pour une dernière date à la Machine à Coudre.
Qu’importe si la tournée avait connue une affluence en demi-teinte. On n’avait pas gagné des masses, mais on n’était pas en déficit. On ne s’était pas mis dedans. On avait eu assez de monde et de cachets pour compenser les dépenses. Amis en vadrouille, c’est le plus important. Une pensée pour les groupes indés américains qui parfois n’ont même pas de quoi faire un plein, plus de bouffe et encore des centaines de kilomètres à parcourir avant le prochain boui-boui où on les écoutera d’une oreille distraite, pour y gagner des clopinettes. Tous en chœur, on chantait « sans chemises, sans pantalon », la marmotte en chef d’orchestre sur le tableau de bord. Avec Matwis on se marrait de Gainsbarre au max de l’outrance. Love on the Beat. « Si je baise ? Affirmatif. Sur le côté comme un porc… » Dégueulasse, comme la musique. Pauvre Serge. « Le seul génie qui ressemble à une poubelle » aurait dit Desproges.
À Marseille, la camionnette a marqué une pause devant les doubles portes de la rue Jean Roque. Celles du fourgon se sont ouvertes, l’équipe est descendue, amplificateurs et instruments dans les bras.
Au bout d’une semaine, on était hirsute, sauf Pia. Nos odeurs corporelles, douteuses, surtout les miennes. Je n’ai jamais été un grand fan des douches froides ailleurs que chez moi. On ne s’exprimait plus que part borborygmes. « Clop ? » « Apaclop » « grr ! ». Au contact de nos compatriotes Claire et J2P, on est revenu vers la civilisation en douceur. La Machine, c’était foyer, doux foyer. Le retour au bercail a toujours un goût de madeleine, retrouver les odeurs, les couleurs, les saveurs de fumée, nous transportait vers l’envie de faire un méchant show de la mort qui tue. C’est que d’avoir pratiqué pendant plusieurs jours d’affilée nous avait rôdé, nous étions en mode pilote automatique de bombardier en piqué, impatient de montrer les acquis aux copains. Il y avait Yann de Lo aux balances, on a fait le soundcheck comme si on jouait à Wembley, juste pour l’épater. Fatigué mais entraîné, mon amour-propre voulait revenir en paladin de la quête du groove. Plus tard arrivèrent mes potes de Liveinmarseille, la troïka Mystik Punk Pinguin/Pirlouiiiit/Philippe Boeglin. Je parlerai d’eux dans un autre texte.
Le duo Ntwin-Nitwits a été une paire d’as. La marmotte se tenant fière à la proue de la scène, ça a joué grave, vite, fort. On lâchait les dernières dose de nitro, en mode turbo boucherie du début à la fin. Il plut de la transpiration du plafond. Le rappel achevé, on a aspergé la marmotte d’essence, et on y a mis le feu. Au milieu du brasier, immolé au Moloch rock, son chant s’est ramollit : « sans cheeemiiiiiiseeeeee, sssssssaaaaaaaannnnssss paaantaaaaalllll… *brzt*. Elle a fondue totalement comme un T-800 dans un haut fourneau. Sur ce sacrifice de rongeur, la tournée s’achevait.
Trois heures du matin. On ramèna le camion, on chargea, on dit au revoir. Roland tourna la clé dans le contact, et le moteur ne démarra pas. Malgré mille tentatives, le neiman était définitivement mort. Pour le dernier voyage, impossible de bouger le fidèle tas de ferraille.
Évidemment, une voiture est arrivée en trombe dans la rue. Voyant que le chemin était barré, de gros lourds sont sortis de la bagnole, de bons vrais gros cons.
« Bouge ! bouge ! Il faut que tu bouge ! » a ordonné le mâle dominant, à grand gestes, surénervé comme Tony Montana, en avançant. Cela devait être un ministre en retard pour une réunion de sécurité nationale. Le malotru était près à taper.
« Ben tu vas nous aider à pousser alors. » à grondé Ritchie, passablement agacé par le désobligeant.
Alors les débiles ont retroussé leurs manches et ont poussé le camion comme les esclaves qu’ils étaient. Le truc dingue, tomber en rade dans une rue déserte au beau milieu de la nuit, et qui dans la minute devient Broadway. Comme quoi, on peut revenir rois et reine du monde, et se faire cracher dessus par les premières viandes saoules venues.
Baste des déplaisants, le temps se chargera de les transformer en charpies tremblantes le jour où la mort viendra au bord de leur lit les chercher (s’ils ont de la chance). Je rentrai dans mes quartiers, repu comme un apôtre ayant prêché la bonne nouvelle de la délivrance par le système D.
On fera encore une tournée avec Ntwin, sans marmotte, mais tout aussi cool. Des liens se sont créés entre nous. L’arrêt du groupe marquera le début de plein d’autres projets. Roland et Pia ont formé Fillette, encore plus bruyant et audacieux. J’ai eu le privilège de jouer une impro avec eux lors d’une des premières date de Phocea Rocks. Roland et Ritchie ont fait La Coupure, et avec Pippo Syzlak, le sulfate trio Casino, la renaissance du futur. Dans l’intervalle, il y aura de nombreux autres concerts des Nitwits, mais cela nécessitera d’autres chapitres, si le lecteur blasé daigne poursuivre tourner les pages de mon insignifiante existence.
La morale de l’histoire, c’est que non seulement, prendre la route c’est comme prendre la haute mer, l’aventure humaine, la chasse au concert ultime, qui fait de vous de vrais loups de mer, des tatoués qui pourront dire « ça, je l’ai vécu », pas comme des marins d’eau douce couverts de décalcomanies sur les avant-bras et qui se la pete en trottinette, mais aussi, que rien ne se perd, tout se transforme. C’est très important en cours de physique-chimique.
Bonsoir, chers petits amis.
(photo : la Sioule sauvage)