Un petit tour sur le plateau.
(EXTRAIT DE MES MÉMOIRES : MOI, JE, PERSONNELLEMENT, SORTIE PRÉVUE LE 23 FÉVRIER 2021, AUX ÉDITIONS MASTURBARD, QUI SERONT DISPONIBLES DANS LA POCHE INTÉRIEURE GAUCHE DE MON COSTUME DE MACCHABÉE. PASSAGE ISSU DU TOME 9, LIVRE 69 : MES ANNÉES ROCK.)
Un petit tour sur le plateau.
Et si nous allions faire un petit tour dans mon quartier ? Vous connaissez l’air. Je vous propose un voyage dans le temps, via planète Marseille. Hop, on descend.
Vous savez, ça fait trente ans que j’habite ici, je fais partie des meubles. Attention les crottes de chiens, il y en a plein les trottoirs. Bah, ça porte bonheur du pied gauche.
De l’autre côté de La Plaine, rue Barthélemy, j’étais au bahut là-bas, le Sacré-Coeur. C’était une école catholique privée. Beaucoup de parents mulsulmans du coin y mettaient leurs enfants, parce que ça serrait plus la vis. Les potes s’appelaient Jean-Louis, Oussem, Gilbert, Phan, Jean Baptiste, Oumori, Renaud, Amar, Yann, Ramzi, Olivier, Aristide, Éric, Akim…
Au début des années quatre-vingt dix, la cours était un thermomètre : à chaque diffusion de la télé des Inconnus, on se racontait les sketchs et on essayait de se rappeler des paroles d’Auteuil, Neuilly, Passy, ou du Rap des Rap’tout. Quand l’OM a perdu sa première finale de coupe d’Europe, contre le Red Star de Belgrade, il y régnait une ambiance d’enterrement. Mais quand on l’a enfin gagné, c’était l’exultation, qu’est ce qu’on était fier ! C’était mixte, mais j’ai toujours été une quiche avec les filles, à part Isabelle ou Caro, ma bizarrerie avait tendance à les repousser, et franchement, je n’avais pas le mode d’emploi. Toujours pas. Antonin Artaud est passé dans les couloirs de cet établissement scolaire, je ne l’ai appris qu’après. Les profs n’étaient pas trop enclin à vanter la présence de l’auteur de « la recherche de la fecalité » entre ces murs. Mais tout ça, ce sont des broutilles. Allons donc au bout de la rue des Trois Frères Barthélemy.
Cat’s Commodities, c’est là ou se retrouvent les chats cools, comme disent les américains. Autrefois c’était un magasin de bds, qg de la revue Aargh. Bouquinerie, magasin de disque, salon de tatouage et salle de concert, le C4 à beaucoup a faire découvrir. Tenez, là, dans la vitrine, sous le rat en plastique. Un livre de John Waters. Ça ne se trompe pas sous le sabot d’un cheval, et pourtant c’est à acquérir pour une poignée de piecettes. Pour que les punks novices n’aient pas d’excuse pour ne pas se laisser engluer dans le trash. On va faire un tour à l’intérieur ? Je vois qu’il y a des gens à travers la vitre. La pièce est modeste, carrelage blanc, micro scène à gauche, bac à disque, étagères à livre, piles de Mad Movies à droite. Partout des photos, Screaming Jay Hawkins, des pin-ups 50s/60s, une affiche du Rocky Horror Picture Show, un squelette aux os rouges collé au mur. À côté du comptoir, au fond, une table, un canapé, deux chaises. Dans le canapé, se sont Valérie « Wild Cat Lou » et Pat « Clint Lha Zar ». Par l’ouverture dans la paroi, on voit Tchoupi qui travaille, dans l’atelier de tatoos de l’arrière salle.
Sur son ordinateur portable, Valérie est en train d’inonder les réseaux de photos vintages, belles d’antan, nanas aux dénudés de B-29, Chattes rapides qui tuent, façon Russ Meyer, vampires moldaves aux canines en plastique, vierges de Satan, films d’exploitations, et de musique, exotica, doo-wop, psychobilly, rockabilly. C’est une DJ d’élite.
Pat, celui qui fredonne des paroles de Daniel Darc en sirotant une bière, s’est fait piétiner par Lux Interior pendant un set complet des Cramps. Le couple forme la tête de l’hydre The Dirteez.
Ils ne nous remarquent pas ? Normal, ils ne peuvent pas nous voir. Nous sommes comme des fantômes, Scrooge, profitez de l’expérience. Vous êtes déjà un mort en sursis. Mais reprenons. Les Dirteez sont connus comme la créature du lac noir. Ils ont connus le paname punk des grandes heures, puis se sont relocalisé à Marseille. Tchoupi, dont je parle dans un autre texte, tient la basse. Jérémy Thorazine s’occupe de tabasser les fûts. Ils sortent des skeuds, et des t-shirts illustrés de main de maître par Tchoupi.
Il y a des shows ici, conditions commando, mais super son lo-fi. Des groupes locaux terribles, des groupes venus d’ailleurs, Italie, Espagne, Usa, des djs orpailleurs, des charaokés au bénéfice des matous du quartier, des expos, des écrivains du cru. Mine de rien, c’est un épicentre de coolitude. Les Dirteez sont comme des sages en haut de la montagne, mais au niveau de la mer. Pour une discussion nostalgique sur le cinéma bis, la musique éclectique, la littérature fantastique, pour réchauffer ses mains au flambeau de la contre-culture, c’est la bonne adresse pour les petits et les grands. Hmm. L’après-midi est en train de plier ses gaules. Sortons voir ailleurs.
Nous sommes au coin de la rue des Trois Frères Barthélemy, et de la rue Saint Pierre, il y a de quoi voir en remontant ou en descendant, commençons par prendre la pente. Restez bien sur le trottoir, il est étroit, il y a des trous partout, mais une aile de voiture conduite par un bourrin qui dévale à fond la caisse, ça fait mal, même aux ectoplasmes. Pour les passants, c’est égal, nous serions visibles, ils nous bousculeraient malgré tout. Nous sommes tous funambules sur ce fil d’asphalte étroit.
Voyez la petite lanterne ? c’est ici. Leda Atomica Musique. Le LAM. À l’envers, le WA7. Personne ne sait le nom officiel, comme le nom secret d’un ancien dieu, donc les trois appellations sont correctes. Au début en tout cas, c’était le nom du groupe créé par Phil Spectrum et Nick Zaroff, pendant l’ère héroïque du rock à Marseille. Des pionniers. La salle a été ressuscitée par Piloo, Tom Spectrum et Thomas « Furet ». Piloo est représentatif de l’intense activité de la zique indigène, il joue dans quatre groupe : Garces Kelly, Lemon Cars, Trama Dolls, Insomniacs. Et il trouve encore le temps de s’occuper du LAM.
Contemplez ce vaste salon/bar. Notez la présence d’un gaffophone dans un coin. Buvons une petite binch, on se sert dans le frigo, hop, voilà, personne ne remarquera. Après la porte à double battant, on pénètre dans le large vestibule qui mène à la salle de concert. Tout est insonorisé, pour que ça ne repisse pas dans la rue. Le bobo et le prolo sont obtus, et n’hésitent pas à nous envoyer des micro-ondes par la fenêtre si on le dérange pendant son auto-trépanation du soir. Regardez ce petit bijou : jauge de deux cents spectateurs, stage confortable, tout ça pour les formations locales et de passage, c’est-y pas beau ?
Il parait que sur scène, il fait chaud comme dans un four, ce sont les spots qui font ça.
Tom S, je l’ai fait jouer à la première rue du rock, c’était son premier concert, et son père, le grand Phil Spectrum, avait fait le son. Maintenant, c’est lui qui le fait pour les groupes qui passent, et son système est d’enfer. Il devient colossal comme son papa. C’est simple, quand ça joue dans la salle, et que le mix ressort par les enceintes du bar, on jurerait entendre un cd, tellement tout est propre et bien produit. Ecoutez ça, c’est Bachir Al Acid. Ils ont splitté, c’est un spectacle spectral auquel nous assistons, mais leur nouvelle formation Catchy Peril, déchire tout autant.
Sinon, on cause jeux vidéos, les indés, les grosses productions. Nous vivons juste après l’age d’or des divertissements électroniques, nous avons connus les balbutiements, comme si nous étions passés du cinéma muet au 4k en a peine trois décades. Bien. La rue des Bons Enfants est toute proche, il est temps de faire un petit raid éclair à la DATA, bibliothèque de l’inexplicable.
Oui, il s’agit bien de cette minuscule pièce, mais ne préjugez pas. Deja, c’est un verger où cueillir de l’avant-garde et de l’expérimental. Ne faites pas cette moue méprisante, c’est dans l’exploration sonore que pioche les grands vulgarisateurs qui explosent les charts. Beh ouais, il y aura toujours un ou une anomalie de la nature pour ravager les majors, mettre un coup de pied dans la fourmilière mercantile, et nous faire rêver, pendant un ou deux albums, avant de se suicider pour notre plus grand malheur. Mais je divague. Dans cet espace exiguë, on peut tomber sur Mark Cunningham, tigre de la no-wave, accrocher sa figure de Clint Eastwood à un cornet à piston, pour en sortir du drone à faire passer l’ayahuasca pour de la tisane nuit tranquille.
Rebroussons chemin. Retour à la rue Saint Pierre, on remonte droit jusqu’à la Plaine. Le périmètre Place Jean Jaurès, Place Notre Du Mont, Cours Julien, c’est ce que l’on nomme le Plateau. Il y avait une fête qui portait ce nom, mais les gens s’amusaient trop. Alors comme d’habitude, dès que les gens trouvent de quoi être un peu heureux, c’est interdit. Contre-productif, coco.
Oh ! Suivons ce gros rat, on peut passer par la bouche d’égout. Oui, on peut s’y faufiler, pour l’occase, c’est possible. Ne cherchez pas à comprendre, c’est un texte fantaisiste. N’allons pas vers le Cours Ju, il faudrait une gondole, il y a déjà assez d’eau croupie comme cela.
Le truc dans la flaque, ne faites pas attention c’est Oannes, une déité chaldéenne à tête de mérou. Il zone dans ces boyaux depuis la chute de Babylone. Il a du s’incruster dans la cale d’un navire phénicien. Dans ces sous-sols, ça grouille autant de dieux primordiaux. Le trilobite géant là, c’est Tiamat, divinité de la mer. Il est encore adoré par quelques poissonniers du Vieux Port, mais il a la fâcheuse tendance d’en boulotter un de temps en temps, alors le culte se perd. Tout fiche le camp…
Tenez, poursuivons plutôt ce rat avec une petite crête verte, il va dans la même direction que nous. Les rats sont de gros rockeurs par ici. Ce filou vient de tourner dans un couloir, faites vous discret et observez : un concert de rongeurs. Il y a un paquet de monde. Notre guide viens de slammer dans la fosse, tandis qu’un groupe de rats punks jouent de leurs petites pattes sur leur petits instruments. Hé, ca sonne pas mal, il y a un pogo de malade. Les groupes humains ? Ils vont les voir aussi. Enfin, ils restent sous terre et ils écoutent. Ils sont bien fan de Rats Don’t Sink, normal. Les blattes aussi font des concerts, mais elles sont plus branchées dubstep. Sur ce, continuons, la nuit est tombée, je peux le sentir malgré l’odeur d’égout. Rue Ferrari. Nous y sommes. Montez à cette échelle. Nous voici devant le Poste à Galène.
L’aura bleuâtre, la luminosité noire, c’est normal, c’est pour les salles qui n’existent plus. Elles sont en surimpression sur les nouveaux intérieurs, faufilons nous sous la porte.
Il a existé longtemps le Poste, c’était l’endroit où on pouvait voir des groupes qui n’allaient pas tarder d’exploser, ou des déjà notoires. J’y ai vu Girls in Hawaï, dont l’accent belge remontait quand ils chargeaient leur camion, FFF, Guitar Wolf, Lords of Altamont, Nomeansno, the Ex, Jonathan Richman, 54 Nude Honeys, Wire, New Model Army, Bloodhound Gang, je ne me rappelle pas de tous. Mon copain Laurent y a vu un petit groupe plein d’avenir, Muse. Tout n’y était pas rose non plus. Les formations locales, l’équipe d’accueil les traitaient comme des galériens, c’est tout juste s’il nous lançaient deux parts de pizzas dans le cachot qui servait de loges, et pour les boissons, on avait le droit de les payer, rien d’offert. Nitwits y a joué avec Rescue Rangers, un onze septembre. On avait plié plein d’avions en papier qu’on lançait entre deux morceaux. J’avais chopé le H1N1, la cortizone en aerosol soignait bien ma crève, mais me rendait amok. J’insultais le public et ne pensait qu’a briser des os à coups de batte, juste pour entendre craquer des os. On s’est tiré pendant que la soirée continuait, embarquant notre matériel devant tout le monde, les patrons nous méprisaient, nous les méprisions . La salle en soi est parfaite, 250 personnes de jauge, une mezzanine. La nouvelle est identique, elle s’appelle la Makeda, mais la programmation est moins rock. Fichons le camp, repassons par le système de traitement des eaux usées. Maintenant, on va au début de la rue Consolat.
Impressionnant le nombre de festivals de rats et de blattes. Ça joue, et le lightshow est incroyable. Les dieux oubliés, une superbe idée de scénographie. Elles ont de la chance ces petites bêtes. Et puis, c’est aussi propre qu’au dessus. Bon, on sort ici.
Seconde salle fantôme : l’Entropy. La salle comme on voudrait en voir partout. Elle avait été ouverte par les membres de grindcore Filthy Charity, célèbres en ces latitudes particulières. Et comme vous le savez, il n’y a pas plus ouvert d’esprit que des grindcoreux. Ici, c’était paradisiaque. Il y avait de tout, du punk, du rock, du rap, du grind, du rap, du metal, de la cumbia. On allait dans ce tout petit lieu, avec sa fresque infernalo-industrielle, peuplée de victimes percées de tuyaux chargés de saletés organiques, et on y voyait des choses dingues. Le saxophoniste du Fun House des Stooges venait nous exciser la glande pinéale, le Strie Dent festival, organisé par Roland, notre compère de Ntwin, déversait des litres de sueurs et de groupes noisy délectables, Pord, Poutre, Shub, Silver Gallery, Nitwits… Oui bon, on y a joué et c’était torride. Supertimor, on y est passé aussi, Ultrateckel, j’y ai joué avec lui quand je revêtais un masque de chien et me faisait appeler Brutal Beauceron. Désormais, je suis Cannibal Corgi. Là, tout de suite, nous sommes témoin d’une soirée black métal, cool n’est-ce pas ? Avec Holy Frost. À la fin de la soirée, les tenanciers mettaient de la bossa nova super souple, et les punks à chiens s’assoupissaient, les bras dans leurs toutous baveux. Trop mignons. Avant l’Entropy, c’était le CMO, un dépôt-vente où tout les musiciens de l’agglomération venaient fureter la bonne affaire. J’y ai acheté ma toute première batterie, ahh… Mélancolie du révolu… Mais trêve de proustisme.
Il est temps de repartir à la Plaine. Par le chemin d’où nous somme venus. Dites donc, sont bien installés les moisis. J’aime les rats, ce sont comme des humains mais sans pouce, et sans anathème sur leur espèce.
Les rats ne s’exploitent pas. Comme disait Pearl Jam , Ils ne s’arnaquent pas, ne s’oppressent pas, n’affament pas leurs semblables pour être mieux nourris, ne font pas là où ils ne sont pas censés faire. On ne soutient pas la comparaison. Allez, dépêchez vous il y a encore beaucoup à visiter.
Nous sommes de retour au point de départ. Ignorez les types louches qui nous scrutent du coin de l’œil. Les loubards d’aujourd’hui sont les lutins d’avant-hier, ils regardaient leur grands frères me casser la figure parce que j’avais les cheveux longs et une moustache de duvet. Maintenant ce sont eux qui ont des cheveux et du duvet. Ils n’ont pas écouté « j’ai pas de face » d’Akhenaton. Il se moquait des hirsutes qui écoutait Nirvana. Quel dommage, Ô Pharaon que vous n’eussiez pas été si sectaire dans votre clip, ca m’aurait évité le ravalement d’obélisque.
Ignorez les types musclés comme des staffis, ils ne font que passer sur la place, comme au ciel passent les orages. Saisonniers pareils au hirondelles, ils profitent des derniers jours de chaleur pour se montrer, avant de se laisser fondre en tas graisseux dans le secret de l’hiver. Qui sont ils ? Qui sommes nous ? Nous ne sommes pas loin du Vortex des Reformés, je vous en parlerai plus tard. Sachez juste qu’ici, nous sommes dans les limbes comme si nous avions péris dans un accident d’automobile, que nous étions tombés à pic depuis le pont sans nous en rendre compte. C’est le carnaval des esprits. Les résidus ectopmasmiques suintent et s’entremêlent avec les flots de bière renversée. J’ai tant arpenté ce quartier que les rémanences du passé se diffusent sous mes yeux, les façades agissantes telles des necroscopes. Hmmm, mais celui-ci est bien vivant. C’est Franky la Night qui louvoie dans les ruelles, il vient vers nous, nous dépasse et fait entrer sa chemise à fleurs dans l’Intermédiaire. Il doit faire le Passeur de Disque ce soir. Suivons le, c’est ici que je voulais vous emmener.
L’Intermediaire, ça fait quatre au cinq bails qu’il existe. Il y a trente ans, je crois bien qu’il était deja là. Nombreuses ont été ses incarnations, mais il a toujours porté le même nom. Il a été ska, il a été electro, il a été rock. Les Bronzés font du Ska passèrent un soir, impossible d’oublier un jeu de mots pareil. Elektrolux y a joué, Crumb, et Nitwits. A cet époque, il y avait un compteur de décibels. J’ai mis un coup de caisse claire, les plombs ont sauté. Bar biscornu à la scène cintrée à côté des toilettes, il y avait un autre bar à l’étage, avec un billard et des fenêtres plongeantes vers la Plaine fauve nocturne. Depuis la salle du haut est devenu les plus grands backstages du Plateau, plus grands que la salle de concert qu’ils dominent. Frankie va jusqu’au fond du bar, monte sur la nouvelle estrade. Elle fait toute la largeur de la pièce, et en impose sous les spots lapis-lazuli comme la loge ténébreuse de Twin Peaks. Je vous avoue que j’ai hâte d’y voir No Jazz Quartet s’y produire, avec leurs musique lynchienne. Le moustachu chevelu s’attelle à ces platines, et commence par une reprise obscure de She’s lost control. Le programmateur sait enchaîner les morceaux avec éclectisme.
Au comptoir, Eden Cosmo, le cavalier de disque suivant, commande un verre à Annaelle. Elle a repris l’endroit et a su le faire revivre. Le son est bien. Des groupes australiens viennent jusqu’ici pour achever leurs tour d’Europe, continent lointain où les gens ont la tête en bas, et le moral plus bas encore. Mais pour l’instant, la salle est bondée, les bras sont levés, les filles et les garçons comme les grains intensifiés dans un sablier se pairent, se bousculent, dégringolent sur eux même. Les habitués, les touristes d’une fois, les curieux qui traînent depuis quelques soirs, la faune cuirée, tshirtée, vestée, vont et viennent du comptoir à la scène, se relaient pour fumer une cigarette, assis sur les tabourets hauts devant l’entrée. On commence à être serré, même pour des émanations comme nous.
C’est l’heure des monstres. Certains sont hirsutes, certains sont velus. Certains sont mignonnets, certains sont dodus. Certains sont baraqués, certains sont tatoués. Certains sortent de l’oeuf, certains sont usés. Certains sont lookés, certains sont crasseux, certains sont louches, certains sont hideux. Certains n’ont l’air de rien, certains dérangent le regard. Certains ont les dents serrées par la dope, la bave déborde de leur gencives. À la recherche de la caméra, ils ont le regard dans le vide, près à faire la bêtise qui leur donnera l’impression d’être libre. Vivant à la troisième personne, ils se voient de l’extérieur. Les yeux brillants, errants, en manque de dopamine. Affamés, ils vous cherchent pour vous bouffer et survivre dans le tintamarre. Pour eux c’est normal, ils existent et vous n’existez pas, vous n’etes qu’un lemming parmi tant d’autres. Mais pourtant vous aussi vous existez, ne seriez vous pas un monstre ? Nous ne risquons rien, allons nous enfoncer rue Poggioli. Avec le ciel noir tombé sur les toits, les ruelles comme des tunnels, nous entrons dans un tombeau. Les graffitis sur les murs, comme la longue liste de formules magiques inscrites dans les pyramides, renforcent cette impression de mausolée, qui s’accentue avec la forme triangulaire dont le bar du Champ de Mars dessine la base. Ne vous fiez pas à la foule, ici c’est le coin des clubs crevés. Un peu plus haut nous sommes passés devant le Baby, c’était marqué en gros sur la façade. Que diable se passe t’il la dedans ? Le diable seul le sait. Ça doit jouer tek et consorts, tout simplement. Il y a eu une parenthèse rock pendant laquelle on a joué là. Salle sympa, avec mezzanine-fumoir comme un aquarium au plafond. Il me semble que cet endroit à porté un nom de mollusque, genre la pieuvre, l’octopupuce, non, le poulpason. Ce que je sais, c’est qu’au départ, cela s’appelait le May Be Blues, et que les cadors venaient faire pleurer leurs guitares dans ce rade. C’est cet endroit qui m’a inspiré la nouvelle « bar parallèle ». le narrateur rentre dans un club où la musique est d’une horreur cosmique inconcevable, quand il rouvre la porte pour sortir, il se retrouve devant un vortex/tunnel où flotte les formules mathématiques et les horloges. Vortex encore. Gardez cela rangé dans un coin. Je devais avoir vingt ans quand j’ai pondu ça.
Nous sommes près de l’oeil crevé du cyclone. À gauche, feu le Dan Racing, à droite feu le Lounge.
Le Dan Racing. Le gros Dan poilu était un fondu de bécanes. Sa salle arborait tout le décorum de la mécanique, pompe a essence, roues de chopper, panneaux route soixante six. Tout transpirait le bon marché et le vétuste, la sono était dégueulasse, mais Dan acceptait n’importe quel groupe désireux de se produire, meme dans des conditions de faible budget. c’était le CBGB de Marseille, on y est passé, beaucoup de jeunes formations y ont débuté. Il y avait beaucoup de hardcore. The Sicilian Disasters, Odyssey, Lazybones, Spook City Crakheads… Je me demande si les None Shall Be Saved ne sont pas venus traîner leur guêtres. Il y avait des concerts quasiment tout les soirs, et le jeudi, scène ouverte, où on pouvait jouer sur l’équipement miteux des lieux.
Un soir Dan nous fit visiter l’étage, un baisodrome top vintage avec néons, miroir au plafond et lit à eau. On s’est poilé.
Dans le temps il y avait un jeune type qui se faisait appeler Guylux. Il avait l’envie d’organiser des trucs, mais n’était pas tout à fait formé dans le métier. Participer à l’un de ses micro-plateaux était l’assurance de manger du jambon en barquette, deux baguettes et de la salade de riz. Le cachet, macache. Une fois, il a fait le plan à un groupe qui n’était pas du coin, qui avait fait des bornes pour jouer dans ce cercle de l’enfer. Quand ils ont vu Guylux les payer en bouffe de supermarché et en bière, le fichtre les a pris. Le Guylux, ils l’ont tout simplement embarqué de force dans leur caisse, et l’ont lâché dans la zone commerciale de Plan de Campagne, à vingt bornes de Massalia, en plein no man’s land, au beau milieu de la nuit. On ne l’a plus jamais revu. C’était cracra, mais ils nous manquent, Dan et son rade. La musique en soit, dans matérialisation et sa diffusion constitue la preuve que tout passe. À peine entend t’on une note qu’elle s’est déjà évaporée.
Et là c’est le Lounge. On a partagé l’affiche avec Ntwin, Filette, Crumb, Lunch, il faut que je fouille dans les flyers. La salle était improbable avec ses grosses dalles blafardes, son mur tapissé de pages de fluide glacial, ses demis colonnes grecques de part et d’autre du lieu où se livraient les exactions. Une mère et sont fils, à moins que ce ne soit le contraire, s’occupaient de faire tourner les lieux, je ne sais plus leur nom, mais ils avaient un accent marseillais à couper au couteau. Ca a toujours été de super dates. Une fois, Ritchie avait mis un album de Lydia Lunch sinistre en fond, l’ambiance était plombée et appelait sciemment à la baston. Merci, Jesus Adolescent et les Imbeciles. Lors d’une nouvelle date, j’avais un marcel customisé « la musique ça craint » et Ritchie jouait Sgt Rosco les yeux bandés. On voulait montrer au monde, c’est à dire trente personnes dont la moitié d’amis dans la salle, qu’on était pas des rigolos, les rois du Delta. Mais quel groupe n’a pas eu ce sentiment ? Ailleurs encore, je rentre un flycase dans les loges, je tombe sur le fils en train de tirer un gros trait de C sur un étui à grosses caisses. Il renifle son truc, relève la tête, me regarde avec froideur, et me dit, avec son accent provençal : « Escarteface… ». Excusez-moi, ça me fait marrer. Cela dit, je me demande si les Aggravations et les Neurotic Swingers n’ont pas fait un tour par ce baraquement.
Devenu le Jam, je ne suis pas retourné, c’était plus orienté jazz fusion, musique pour musiciens, pour super musiciens. Il y a eu Wiliam Kopecky, plein de dates, ça devait être super, mais je n’avais pas l’occasion de m’y rendre. Même sans le vouloir, on commet des injustices.
Il n’y a plus qu’une guérite à pizza, des estaminets boumboum, et la nouvelle génération de personnes qui se demande si la planète existait avant eux.
Tiens, derrière le couple en train de se furer, voila Badsanta qui passe, escortons le, je pense savoir où il va. C’est un arpenteur de shows que tout le monde connait ici, avec sa voix râpeuse et sa longue barbe poivre et sel. Le flot humain nous bouscule, car il ne nous voit pas. Même quand il peut me calculer, il me bouscule. Au moins, a l’état gazeux, je peux me déplacer. J’ai l’impression que la plus grande rébellion de nos jours, c’est d’être raffiné, sophistiqué distingué, c’est la rébellion face à la brutalité, la brutalité d’un petit morceau de quartier d’une petite ville d’un petit pays d’un petit monde. Je ne sais pas comment c’est ailleurs, disons simplement que dans ce périmètre, je ressens le désir d’être à rebours. Entendez vous la rumeur dans les rues et la pulsation des murs ? Hmm donnez moi ces écouteurs que je les écrase du talon *crac*.
Aaah, voici un endroit antédiluvien qui porte bien son nom. La Maison Hantée. En des saisons de joie et d’elastiques relachées, Marky Ramones venait y traîner ses grolles. Après le serrage de vis, la salle à continué ses programmations, mais a un rythme moins soutenu. Paradoxalement, ce n’est pas une salle fantôme, elle est toujours fière et se dresse au milieu de la rue Vian, a faire la nique au flic. Entrons.
Pas mal n’est-ce pas ? La grande pièce cathédrale, la haute fresque film d’horreur derrière la scène surélevée, avec les lumières cela donne des ambiances à la Mario Bava pas degueu. Le son est chaotique à régler, ça resonne pas mal, mais l’endroit est nickel, et les lasagnes légendaires. On a fait des pestacles de malades avec Nitwits, le festival Antirouille. La fois où j’ai vu un black metalleux headbanguer à sans genocider les pellicules sur « Double Face », et qu’un marin ukrainien, une armoire à glace, est venu nous remercier pour la barre d’énergie brute offerte, je me suis senti très heureux. Présentement sur le podium il y a KVÅRK, vous allez vous prendre une grosse clåque. Mon pote Gerboise tiens la gratte dans cette formation mathématiquo-cardiaque, et ça déchire, le batteur est un mutant, les autres également. D’ailleurs ils ont tous dix doigts à chaque main et quatre bras supplémentaires .
Nous sommes à deux encablures du Cour Ju, allons-y par la rue Crudère. On passe devant Les 9 Salopards, c’est riquiqui, la scène est plus grande que la fosse, la marche à l’entrée est un piège mortel, mais on peut y faire passer des délégations réduites, aptes à élaguer les tympans connaisseurs. L’endroit qui s’y superpose s’appelait le Cosmic’up, mais je n’y suis jamais allé.
Au coin de la rue est un troquet qui se nommait le Piranha. Une première version du groupe de metal Dagoba s’y est produite, quand ils faisaient encore du grunge, et que la totalité des membres n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. A l’époque devant la prestation j’ai dit : « ça ne marchera jamais. » Sacré balourd de Vinzo, ça doit être un des seuls groupes locaux a avoir été signé sur un gros label et joué au Hellfest devant des milliers de Williams Wallaces. Ça m’apprendra à jouer le même jeu que les aigris. On perd à chaque fois.
Dans la pente se trouve l’ Espace Julien. C’est une grosse salle, environ mille personnes. Bon son, gros artistes, programmation varié. Quelques vedettes vues : Suicidal Tendencies, Infectious Grooves, DJ Shadow, Joey Starr, the Sonics, Sleaford Mods, mon premier concert de Magma, Tricky, Gospeed you Black Emperor, Thin Lizzy, etc.
Le café Julien, qui correspond au bar, à longtemps accueilli des groupes du coin. Super cadre, ambiance nulle part ailleurs, saturday night live, club intimiste. Moon Ra, Elektrolux, Humming Bird, Conger! Conger!, Human Toys, Crumb, la rotation fut rude. Derechef, on a fait plusieurs gigs ici. Des couples se sont formés pendant nos trépidations, le hardcore, véhicule de l’amour ! Seul le bar en tant que tel est une abomination. Imaginez quand vous vous rendez dans une administration : il y a dix guichets mais seulement deux d’ouverts. C’est la même chose : deux barmen pour mille visiteurs, la queue est longue, la queue est dure. c’est la dure lutte. Ouste.
En face de l’Espace, il y a des magasins de musique, Music Shop, Music Leader, La Baguetterie. J’y ai claqué ma bourse dans un set de Zildjians, c’etait le bon temps ou il suffisait d’avoir le bac pour faire les études que l’on voulait.
Traversons plutôt le cours en slalomant entre les gens concrets, nous allons nous rendre place Carli, au sommet de la rue d’Aubagne.
Dans un coin, la façade rouge du Molotov, feu le Balthazar. Sous ce nom on y a joué, mon vieux est venu nous voir en berline avec chauffeur depuis Monte Carlo. C’était le retour du père prodigue. J’expliquerai plus avant dans le prochain texte.
L’endroit est resté fermé pendant des années, puis il a été repris par Hazem. La décoration n’a pas énormément bougé, mais la qualité sonore s’est grandement améliorée. Toujours la longue civette rouge menant à la salle à l’arrière scène graffée. Les tags ont été mis à jour. Environ deux cent cinquante gluons entassables. Programmation pointue, avec des représentants de la fierté locale de manière quasi systématique.
Plusieurs excellentes qualités : 1 des groupes connus dans le sous-sol, j’entends tout ce qui n’est pas de la mélasse chariée par le fleuve Grand Public. Comme les loges sont petites, on a de fortes chances de croiser les artistes au comptoir. Regardez, là, le chanteur de Frustration. Si nous n’étions pas invisibles, on pourrait lui toucher un mots sans qu’il nous envoie balader. 2 le fumoir. Venez. Cet aquarium n’oblige même pas à avoir une clope au bec, il suffit de respirer dedans pour consommer l’équivalent de quatre paquets de Gauloises sans filtre. Mais l’accident pulmonaire en vaut la chandelle. La vitre de la cabine donne droit sur le groupe en train de jouer, de profil, sous les lumières. On se tient à un mètre d’eux, et on touche presque la transe des doigts. Regardez mes aminches d’ Oeil De Boeuf. Bertrand sur sa guitare comme un harponneur sur Moby Dick, Romain qui convertit son affabilité en souplesse des doigts sur sa basse. Axel pieds au plancher sur son hot rod à cymbales. Les trois qui scandent leurs paroles sur les saccades des mesures. C’est comme si nous étions littéralement avec eux, on voit la sueur tomber, les semelles frappées et les veines gonflées dans les gorges qui crient. Voir Wormrot de ce point de vue vaut son pesant de noix de pécan. Oulah, il fait chaud, retournons dehors.
Il n’y a qu’une dizaine de pas à faire. Avant le pont, il y a déjà d’autres clubs, des vivants et des spectraux. Entendez vous la pulsation du quartier ? Les accords des voix, le criaillement des scooters et des guitares, les coups de pieds des grosses caisses, les vomissements des lumières bleue pourpre et jade, Les tamtams du Plateau sous les galaxies qui tournoient ? Demain matin, on y croira plus.
Passons devant la façade de l’asile 404,
j’y ai fait un des derniers concerts de Nitwits avant mon invalidité, je jouais debout comme Mo Tucker, pour oublier que je m’affaissais en dedans. Endroit improbable, exigu, facilitateur pour pickpockets, mais musique bizarre et artisticat déviant. Très bien.
Encore quelques foulées. Passons vite auprès de ce trou noir véhément, qui risque de nous aspirer dans une dimension de black métal norvégien meurtrier. Ça s’appelait le Black Hole, je crois, c’était toujours clôt, mais le sang de bouc coulait sous la porte. Ça devait être sympa, mais j’étais trop petit bras pour oser y pénétrer. Nous arrivons devant La Dar, centre social autogéré, laissons donc les punks regarder par dessus le parapet qui donne sur le cours Lieutaud, et faufilons nos formes flexibles entre les voitures garées devant depuis mille ans. Voyez l’intérieur en pente, qui s’évase comme un conduit d’aération égyptien, pour le transit des amés ? Les occupants ont pu racheter l’endroit, ils sont complètement indés.
Nous y avons fait une date, avec Crumb je pense, quand l’endroit s’appelait le Paradox, et faisait venir un public moins anar et plus habillé comme dans la série Friends. On aurait dû passer avec Drone Juice. Aurélien le chanteur guitariste, était un prodige, il pouvait jouer des parties guitares de morceaux entiers de Sonic Youth, à l’effet près. C’était incroyable. Un grand blond souriant, genre ange raphaélite. Il était pote avec nos voisins, rue des Pyrénées, c’est comme ça qu’on l’avait rencontré. On avait déliré avec les Nitwits et lui, au local, on avait donc organisé ce plan. Son groupe, c’était le genre qui ne se rendait même pas compte de la facilité qu’il avait d’être audacieux et séduisant. Malheureusement, quelque temps avant, le pauvre Aurélien a fait un malaise (il souffrait d’épilepsie ) est tombé dans une rivière, et s’est noyé. Il était près d’être signé et de faire des ravages soniques : c’est le souci des gens géniaux, ils se consument prématurément, comme des météorites dans l’atmosphère. Elles scintillent de matériaux extraterrestres et se dissolvent avant de toucher le sol. Bye Mozart, Bye Jeff Buckley, Bye Aurélien. Laissez moi un peu contempler son spectre jouer le concert qu’il n’aura jamais joué, et verser une petite larme.
Traçons sur la rue d’Aubagne, contemplons les gouffres laissés à la voie par les immeubles, comme des fistules sur une Venus délaissée, faisons un tour à la Machine à Coudre, jetez un coup d’œil au texte qui lui est dédiée. J’ai juste à rajouter que Ritchie y faisait régulièrement le son. Et je voudrais aussi vous parler de la release party de l’album de BlahBlah. Le meilleur emballage d’album de l’histoire. C’était une boite de médicaments, la grosse gélule à l’intérieur cachait une clé usb contenant les morceaux, et les paroles étaient fournies dans le mode d’emploi, exactement comme dans un paquet de Nurocame. Une pensée pour BlahBlah, les gars.
D’ici on peut rejoindre la rue de Rome, et aller tout droit jusqu’à la Préfecture. Rue d’Italie, là, regardez, c’est la Salle Gueule.
Elle s’est appelée le Black Hand Inn, elle s’est appelée le O’Bundys. Sous le nom de Black Hand, elle était metal et extrême, pleine de fureur et d’absurdité. C’est Belzemouk qui m’a raconté. Un soir, il y eu soirée plage au BHI. Donc, que firent les garnements ? Simple, ils remplirent le rez de chaussé de sable, posèrent une piscine gonflable au milieu, et se sont mis en slips. Sauf qu’à la fin de la soirée, il a bien fallu nettoyer le bastringue. Son Altesse Sérénissime rentrait du restaurant japonais situé dans la meme rue, quand soudain, il voit un gars en slip et en bonnet de bain balayer des monceaux de sable hors de la salle, soufflant et grognant, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Fausse bonne idée donc.
Le O’Bundys était plus teinté Hardcore et antifacisme. Je crois que c’était Hazem au mannettes. Pas de bol pour moi, dès que je m’apprêtais a rouler un gros bambou, il suffisait que je tournât la tête pour tomber sur lui, en train de me fixer d’un air sévère. « Pas de ca à l’intérieur ! » me disait-il. Je sortais tout penaud, persuadé qu’il devait me prendre pour une irrécupérable estrasse.
C’est finalement devenu La Salle Gueule, et ça fait dix ans que ça programme, dans un spectre beaucoup plus large, des groupe venus de France, de Navarre et d’ailleurs. Plein de dates exécutées ici avec les Nitwits, un délicieux crossover hip-hop avec Manimal Shamanic Technique, super prestas des Crumb et des totalement autres (donc excellents) Cul-Cultura. On y a également joué avec Supertimor. Ca m’a marqué. Une fois, on a joué devant une poignée de badauds, puis un pote est venu nous dire que le musique était terrible, mais qu’il n’aimait pas du tout les paroles. Il faut que vous sachiez d’abord que S.A.S 2 Belezemouk poussait des vagissements de lamatin éploré parfaitement incompréhensible, mais là, le mec les comprenait, et ne les trouvait pas a son goût. Nous étions un groupe confidentiel dans un genre confidentiel, et le destin avait fait qu’en plus, un des rares spectateurs entendait les paroles, et n’appréciait pas. Quelle malchance. Je crois ne pas être le seul à ressentir cette force, qui malgré tout vos efforts, vient les contrer. Celle qui fait que lorsque vous trouvez un boulot pépère et que vous avez enfin l’esprit tranquille, vous chopiez une maladie auto-immune. Nous sommes beaucoup de persécutés. Bah… Remontons par le boulevard Salvator, ça me remontera le moral.
Pff, pff, eurf, elle est raide cette côte, même pour des nuages flottants comme nous. Voici une des dernières adresses de la soirée, et pas des moindre : le magasin de disque Lollipop. Tenu par deux rockeurs aux pédigrées irréprochables, Paulo vient de Paris, et a joué dans Holy Curse avant de s’acoquiner au gang No Jazz Quartet. Stephane lui était dans Bleifrei, a connu les Gasolheads et les rejetons d’Olivier Gasoil, du toutafonkirécure. Les deux s’occupent de ce bel établissement, où l’on a droit non seulement à des galettes délicieuses, mais aussi a des showcases tout les vendredis. D’ailleurs, nous entrons pendant que les Pleasures font monter les œufs en neige, avec leur pop à saveur de séquoia. Entre les bacs et les présentoirs où se tient de façon proéminente leur nouveau vinyle, un ouragan de note s’est généré, la foule est accrochée, un véritable vortex se crée. Bon, il est temps d’y venir, voyez le dépliant noir sur le comptoir. C’est LE Vortex. L’agenda mensuel des concerts sublunaires marseillais. Et même s’il ne référence que les concerts à moins de dix balles, il est bien rempli. Très bien rempli. C’est un ouvrage d’art illustré par des graphistes de talent, accompagné par un éditorial composé par de fines plumes, entièrement fait et plié à la main. Ce résidu de liberté de créer à vu le jour dans les entrailles de la Salle Gueule, mais je peux me tromper, je peux également faire erreur en disant qu’Olivier Crapoulet à quelque chose a voir avec cela, à moins que ce ne soit Sammy, et je m’en moque. Olivier Crapoulet et Sammy sont à citer si l’on veut parler de l’underground phocéen entre 2000 et 2023, a l’instar de Cooki la Journey, le penchant diurne de Franky la Night. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’on trouve le Vortex partout dans le quartier, et qu’il a été déclaré d’utilité publique par le gouvernement des iles Tonga. Prenez en un, mettez-le dans votre poche, et sortons. Élevons nous encore par la rue des bergers.
Du haut de ce mesa, on contemple les siècles, les accumulations d’ossements qui sont venus s’échouer sur ces rivages adorables et maudit. On voit des salles éloignées, mais qui ont droit de cité dans ces lignes
Là-bas au niveau du port, il y a le Transbordeur. Existe il encore ? Je ne sais pas, mes jambes ne me porte plus aussi loin. Mais au milieu des salles de danse, il y avait une salle rock, avec l’acoustique d’un tunnel de métro. On y a joué avec les américains de Zodiac Killers, on leur a appris à dire « une fourchette dans ton cul » ca leur a plu. « Oune fowrchayte dans ton cou ! »
Par delà la gare saint Charles, passé les tunnels jusqu’à la Friche Belle-de-Mai, réside dans les replis les plus misérables de l’hexagone l’ensorcelée EMBOBINEUSE. Epicentre originel de la déviance, elle a été un oasis d’étrangeté pour tous les bizarres amateurs de jusqu’au boutisme. Mi-squat mi-theatre, j’y fut le temoin de performances si (faux) sanglantes que les photos de Gina semblaient des clichés de scènes de crimes à faire baver le chanteur de Necrophagia. Tout le déjanté, le pointu, le hors norme s’y est présenté : Julien Costes, Unsane, Oxbow, Lesbians on Ecstasy et tant, tant d’autres. On y a fait la première partie d’An Albatros. C’était la joie dans ce bric à brac foutraque. Une simca dans la salle, Jens, l’ingé son, derrière les potards de sa console comme derrière les commandes d’un sous-marin. Un Jésus decroché volant en cercle, attaché à un ventilateur. Des bestioles empaillées. Des fresque chargées d’horreurs corporelles. On se serait cru dans un monde à la Charles Burns, dégradé de son hypocrisie, étalant sa hideur et sa joie de vivre.
Permissif avant qu’il soit permis d’être permissif, L’embob avait 20ans d’avance sur le reste du monde, soit 40 ans d’avance sur Arty, les Infocks, Teleramouille et Brock’n Block.
Tout au fond, on aperçoit Le cherrydon et le Le jas’rod, qui battent pavillon métal. Le bastion du Jas était un centre où se rassemblait une festival de Rock Progressif, le Prog’Sud. On y allait voir Éclat et mon pote Renaud qui jouait dans Cymoryl. Avec Yann, j’y ai fait slammer Belzemouk d’un bras chacun. À la fin des 90, la scène black metal s’y rejoignait. Les coyotes salaces d’M6 sont venus tourner un reportage en pleine hystérie satanique, dans le seul but, évidemment, de dresser le portrait le plus effrayant et le plus racoleur possible des fans de metal brutal. Donc ils ont interrogé juste ceux qui étaient d’irascibles abrutis, c’est a dire deux crétins, et la salle s’est prise un méchant revers de réputation. Depuis, c’est retombé. Dieu merci, il y a encore des concerts, j’y ai vu Napalm Death, accompagné par Dropdead, et c’était l’harmonie entre les peuples.
Nous sommes presque revenus à notre point de départ, et je n’ai pas encore parlé des petits bars à concerts qui jonchent la place Notre Dame du Mont, La Merveilleuse, le Morrison’s, La Dame Du Mont. Le Baraki, près du C4. Il y a les disquaires du coin, mais je vais en oublier plein : La Cave À Vinyle, 𝙻𝙰 𝙳𝙸𝚂𝚀𝚄𝙴𝚁𝙸𝙴, Galette Records, etc. Là aussi on y trouve des piles de Vortex. Il faudrait que je fasse le point, que je fouille dans mes cartons d’affiches et de tracts, que je parle de toutes les associations qui se la donnent pour faire vivre la scène. Mais pour l’instant, je suis las. Allons nous finir à l’Art Haché, la porte secrète rue Ferrari qui mène au mouroir de la biture. On peut y cuver son désespoir le nez dans un échiquier, une contrebasse cadavérique égrenant ses complainte.
je parlerais encore de souvenirs, le Kaléidoscope, le Tripsichord, le bar de biker en haut de la rue Thiers, où il fallait traverser une foule de bandidos calmes comme des dobermans prêts a bondir au moindre problème, pour aller voir un concert de death dans la cave en dessous, on se remémorera nos seize ans, quand on avait mal nulle part et que la vie nous paraissait un océan de souffrance, puis on disparaîtra avec les premiers rayons du soleil.
Dans ces paragraphes j’ai nommé des tas de groupes, car on peut toujours trouver leur son mais ceux que je ne cite pas en ont aussi. Fouillez. Il faudra que je fournisse en appendice une liste de tous ces noms, mais je risque quand même d’en oublier au passage. Si jamais vous n’y figurez pas, écrivez un livre sur votre orchestre.
En ces tropiques torrides oubliés du showbiz, on trouve tout les âges. Des vieux groupes excellents, de jeunes groupes bidons et vice-versa, ainsi que tout ceux entre les deux, trente et quarantenaires. Un groupe âgé qui débute, un groupe de jeunes qui a déjà beaucoup de dates dans les pattes, ce n’est pas parce que c’est frais que c’est bon, ni coriace parce que c’est usé.
Dans tout les cas, raison sera donnée aux formations qui s’enregistreront. Elles auront déposé leur dossier aux archives de la renommée. Il y aura une trace, même infime, de leur présence sur terre pour au moins les cinquante prochaines années. Jusqu’à ce que les disques durs crament, comme dans Blade Runner 2049. Tout sera englouti un jour, on le sait. De toute façon, on ne sait pas si la remembrance fait de l’effet aux trépassés.
Si vous ne savez pas quoi faire ce soir, au lieu de traîner dans des soirées nulles ou des bars hors de prix, à vous perdre en conversations oiseuses, jetez une oreille sur ces sons.
Nombreux sont les cœurs perdus qui attendent que la culture leur soit servi sur un plateau, par le truchement d’un robinet. De la bouillie toute fraîche déféquée, comme celle servie dans « Jackie au pays des filles » de Riad Satouf. Oui, je suis un citadin, oui, c’est plus difficile hors les grandes villes de trouver à se cultiver. Vaste blague. Internet, ca parle à quelqu’un ? Il y a des centaines de films à voir absolument, rien que sur Tutube, de la musique à qui mieux-mieux, des miliards de livre gratos sur Wikisource. « Ouais mais beuh j’aime pas à lire sur écran… ». Ben imprimez les, une page par jour si nécessaire, au lieux de vous esquinter les yeux sur des vidéos de danse cretines et des bouffoneries d’influenceurs microcéphales. « Quand il y a abondance d’eau, seul le fou est assoiffé », disait Bob Marley. Ici, c’est la sécheresse, alors que la source est de l’autre côté du rideau. In-ter-net. Vous n’avez pas besoin de l’avis d’un critique du 16eme arrondissement où d’une publicité menteuse. L’esprit critique, vous l’avez en vous, c’est fourni du départ. Il suffit de plonger, et de se laisser emporter par le fond. On peut respirer dans ces eaux. Regardez l’abyme en face, et ne devenez pas l’abyme. C’est pas bien compliqué. Si ça implique d’exterminer des êtres vivants, ca sent le maroual pourri, tirez-vous de là, et rappelez vous a quoi ça ressemble afin de mieux l’éviter. J’arrête la, c’est pontifiant, mais je vous aurais prévenu. Cultivez-vous, restez digne. Ne rejoignez pas ces hordes d’énervés qui se voilent la face et maturent de nouvelles portées de gredins.